Les Francs s'emparent du royaume des Bourguignons. - Rois des Francs. - Le roi Gontran. - Les Patrices, gouverneurs de l'Helvétie romande ou Transjurane, résident à Orbe. - Guerres. - Anarchie.
Childebert régnait sur les Francs lorsqu'ils s'emparèrent du royaume des Bourguignons. Ce prince, pour conserver cette conquète, dut s'attacher les chefs bourguignons, et garantir leur nationalité à ces guerriers vaincus seulement après neuf années de combats; il traita donc avec eux de la maniére suivante:
"Les rois des Francs seront aussi rois de Bourguignons et en porteront le titre. - Les Bourguignons obéiront à ces rois dans la même mesure qu'ils ont obéi aux rois de la maison de Gundioch. - Les guerriers bourguignons les assisteront dans leurs guerres, mais sous la condition que leurs troupes ne seront point séparées. - En toutes choses, chaque peuple, Romain, Bourguignon, Franc, sera soumis aux lois et aux coutumes de sa nation."
Les Francs, ainsi que les Bourguignons, avaient leur code de lois, dont l'un adopté dans le Mallum, assemblée des hommes libres de la nation des Francs-Saliens, était connu sous le nom de Loi Salique, loi célèbre dans les fastes des nations, et dont la disposition sur la succession des femmes est encore invoquée au XIXe siècle1. Assez analogue à la loi Gombette, la loi Salique révèle dans ses pénalités des moeurs plus grossières, plus violentes, et un état social dans lequel la sûreté des personnes et des propriétés est à chaque instant en péril. Point de peines cruelles pour les hommes libres; mais dès qu'il s'agit d'esclaves, cette loi abonde en tortures et en supplices: pour les Francs, les Bourguignons et les Romains, l'unique peine de la composition; pour le serf et l'esclave: la torture, la mutilation et la mort2.
Dans le petit Pays de Vaud trois codes étaient donc en vigeur: la loi Gombette pour les Bourguignons, la loi Salique pour les Francs, le code romain pour les anciens habitants. Mais comme les Francs étaient peu nombreux dans le Pays de Vaud, et qu'ils n'y résidaient qu'en qualité de gouverneurs, ou n'y arrivaient qu'en bandes guerrières pour réprimer des séditions, mais plus souvent encore pour piller, il est probable que la loi Salique fut très-rarement appliquée dans cette partie de l'ancien royaume des Bourguignons.
Les quatre fils de Clothaire, roi des Francs, Charibert, Gontran, Chilpéric et Sigebert, furent reconnus pour rois à la mort de leur père en 561. Le sort leur assigna quatre royaumes, et GONTRAN, qui eut celui de Bourgogne en partage, choisit Châlons-sur-Saône pour sa capitale. Ce prince, l'un des plus célèbres rois de la dynastie des Francs Mérovingiens, protégea l'Eglise et restaura un grand nombre de monastères; il fit réparer l'ancienne voie romaine qui traversait le mont Jura, et construisit, sur la route de St.-Maurice à Dijon, plusieurs lieux de repos, Hospitia, qui remplacèrent les anciennes stations romaines; l'un de ces établissements, fondé sur les ruines d'Urba, donna naissance à la ville d'Orbe.
Des ducs, ou patrices, gouvernaient les provinces de Gontran, et la TANSJURANE ou Helvétie-Romande, eut une succession de patrices qui résidaient habituellement dans la fortresse d'Orbe, qu'ils construisirent. L'un d'eux, MUMMOLUS, défit les Lombards, qui, en 570, après avoir franchi les Alpes, ravageaient les bords du Léman. Son successeur, DIETFRIED, livra, près de Bex, en 574, un sanglant combat à une nouvelle armée de Lombards, les vainquit, et força le petit nombre échappé au massacre à s'enfoncer dans les gorges des Alpes, où, à l'exception d'une centaine qui regagnèrent l'Italie, ils moururent de faim, ou périrent sous les coups des montagnards.
Au commencement du VIIe siècle, le duc VANDELIN fut nommé patrice de la Transjurane. Ce prince, de race bourguignone, était grand propriétaire dans le territoire d'Orbe, et eut à combattre les Allemands, qui ravageaient le territoire d'Avenches. Cependant, sous le règne de Clothaire II, qui réunit de nouveau en ces mains tous les royaumes soumis aux rois Francs, le gouvernement de la Transjurane fut ôté à Vandelin et donné au duc ERPON. Etranger à la Bourgogne, ce gouverneur fut mal accueilli par les grands et le peuple, qui se soulevèrent et le tuèrent dans une insurrection générale. La malheureuse Transjurane traversa ensuite près de deux siècles, en proie aux guerres que se livraient les partisans et les ennemis des rois Mérovingiens qui se disputaient la couronne. L'éloignement du pouvoir central, la faiblesse de tous ces rois, qui se succédaient rapidement, les violences des patrices, leurs exactions, et l'impossibilité d'obtenir aucune protection, laissèrent le peuple transjurain à la merci du plus fort.
Cependant au milieu du chaos de cette époque, un pouvoir régulier subsistait encore: c'était celui de l'Eglise.
1"La loi salique exclut les femmes de toute participation à l'héritage des biens territoriaux et des fiefs. La loi bourguignone et romaine consacre la transmission héréditaire des fiefs et de tous les autres biens fonciers en ligne directe, sans exclure les femmes qui héritent préférablement aux lignes collatérales."
"La difference de ces deux principes de succession héréditaire était fondamentale, et quoique dans l'Helvétie le droit bourguignon ne se trouvât séparé du droit salique que par les limites du ruisseau de Chandon, qui coule près d'Avenches, et sépare la langue allemande de la langue romande, le temps ne fit point confondre le droit salique avec le droit bourguignon. Aussi, dans l'Helvétie romande, on vit les propriétés se diviser par les successions, tandis que les terres , dans l'Helvétie allemande, se concentraient entre les mains des grands vassaux." (F. de Gingins. Mémoires sure le Rectorat de Bourgogne.)
2Guizot, Histoire de la civilisation, Xe leçon.