Les évêques, chefs de l'Eglise. - Les évêques d'Avenches et de Nyon. - Concile de St.-Maurice. - Concile d'Epaone. - Marius, évêque de Lausanne. - Le clergé. - Les moines. - Les monastères. - St. Columban dans le Pays de Vaud. - St. Donat, missionnaire dans les Alpes romandes. - Vertus chrétiennes des évêques.
Dans les premiers temps du christianisme, l'Eglise persécutée était régie par des prêtres nommés évêques. Chaque ville de l'Empire romain où il y avait quelques chrétiens, voyait un évêque diriger ces chrétiens. Aussi, lorsque Constantin embrassa le christianisme dans l'année 314, et le donna à son empire, les évêques des villes, reconnus par le gouvernement comme chefs de la religion de l'Etat, parvinrent à un haut degré de pouvoir, et furent les chefs, non-seulement de la société religieuse, mais aussi du gouvernement des villes dans lesquelles ils résidaient. Et lorsque les Barbares envahirent les provinces romaines, les évêques, entourés du prestige d'une religion que les Barbares avaient pour la plupart adoptée, furent les moins mals placés pour traiter avec les vainqueurs, et la plupart d'entr'eux restèrent à la tête des affaires dans les villes échappées à la destruction.
Dans le Pays de Vaud, peu de villes existaient encore, et pendant plus d'un siècle, les débris des populations ou errèrent dans les forêts, ou se réfugièrent dans quelques villes sur les bords du Léman. Cependant, deux évêques restèrent dans cetter contrée naguères si florissante, alors si désolée. L'un d'eux résidait à Nyon, l'antique cité des Equestres; l'autre, au milieu des ruines d'Avenches, était le seul monument vivant de la grandeur de cette ville; et lorsque Gundioch envoya ses Bourguignons peupler les solitudes du nord du Pays de Vaud, ils y recontrèrent le successeur des évêques qui, dès l'introduction du christianisme, avaient dirigé l'Eglise de l'ancienne capitale de l'Helvétie. Gundioch et son fils Gondebaud protégèrent ces évêques. Toutefois, redoutant leur trop grande influence sur le peuple, ils les éloignèrent des affaires temporelles, et s'opposèrent à leurs réunions en conciles. Mais Sigismond, attaché au catholicisme, quoiqu'il professât l'arianisme, convoqua un concile à St.-Maurice en Valais, lors de son avênement en 515. Quatre évêques et huit contes, gouverneurs de quelques districts, y assistèrent. Là, Sigismond abjura l'arianisme, secte chrétienne que suivaient les Bourguignons, et se convertit à la foi catholique. Deux années après ce concile, Sigismond réunit les évêques de son royaume, au nombre ce vingt-cinq, dans la ville d'Epaone, aujourd'hui St Romain-d'Albon, près de Vienne en Dauphiné. Les principaux prêtres y furent appelés, et les laïques furent engagés à y assister, afin, dit la convocation, "que le peuple puisse connaître ce que doivent régler les seuls évêques."
Le concile d'Epaone régla les droits du clergé, en plaça les membres sous la juridiction ecclésiastique, et même leur donna un certain pouvoir sur la société laïque. Au nombre des décrets de ce concile on remarque les suivants:
Un abbé ne doit vendre les biens de son abbaye que sous l'autorisation de l'évêque. Il ne doit pas affranchir ses serfs (esclaves), car il semble injuste que tandis que les moines sont assujettis chaque jour au travail de la terre, leurs serfs puissent jouir du repos de la liberté.
Un évêque ne doit pas vendre les biens de son église sans l'aveu de son métropolitain, il peut seulement conclure d'utiles échanges.
Si un abbé trouvé en faute ne veut pas recevoir un successeur de son évêque, l'affaire doit être portée au métropolitain.
La chasse est défendue à tous les prêtres, et ils ne doivent avoir ni chiens, ni faucons.
Si quelqu'un a tué son serf sans le consentement du juge, qu'il expie cette effusion de sang par une pénitence de deux ans. Même pénitence aux catholiques tombés dans l'hérésie.
Un serf coupable de crimes atroces, et qui aurait pris asile dans une église, est exempt seulement de peines corporelles.
Le concile déclare nuls les dons ou legs faits par les prêtres et les évêques sur les biens des églises; il défend aux prêtres de desservir, sans le consentement de leur évêque, une église dans un autre diocèse; d'assister aux repas des hérétiques; et permet aux laïques d'accuser des clercs; il défend de placer des reliques de saints dans des chapelles de campagne, à moins qu'il n'y ait dans le voisinage des prêtres pour les desservir; il défend aux évêques et clercs de recevoir des femmes passé l'heure des vêpres; il enjoint à tous les évêques de se conformer à l'ordre des offices établi par le métropolitain; il interdit aux jeunes moines ou clercs l'entrée des monastères de femmes, à moins qu'ils n'y aillent voir une mère ou une soeur.
Les nobles doivent venir à Noël ou à Pâques recevoir la bénédiction de l'évêque.
Il est permis aux évêques de disposer de leurs biens propres, mais point de ceux de l'Eglise; le conseil condamne à restitution sur leurs propres biens les prêtres et les diacres qui auraient disposé des biens de l'Eglise, et déclare nuls les affranchissements qu'ils auraient faits. - Il défend aux clercs de se livrer à la magie; il ne veut point qu'on ordonne des clercs factieux, usuriers et vindacatifs. - Il est défendu aux clercs non consacrés d'entrer la sacristie et de toucher les vases sacrés; aux diacres de s'asseoir en présence des prêtres.
S'occupant aussi de la société laïque, le concile d'Epaone défendit le mariage entre parents de sang d'un proche degré, mit au ban de l'Eglise tout meurtrier qui se serait soustrait à ses juges, et décida que le prêtre ne pourrait refuser l'extrême-onction à l'hérétique mourant.
Les Francs, dans leurs guerres contre Sigismond, laissèrent intact le pouvoir des évêques, et même se servirent de ceux-ci pour détacher les grands du roi des Bourguignons. Ils protégèrent MARIUS, évêque d'Avenches; mais ce prélat, voyant que partout autour de lui l'arianisme introduit dans cetter contrée par les Bourguignons continuait à régner, transporta, vers l'année 581, le siège de son évêché à Lausanne, ville qui commençait à fleurir et où les doctrines catholiques étaient généralement adoptées. Ses successeurs, les évêques de Lausanne, continuèrent à relever de l'archevêques de Besançon; ils devinrent puissants, et étendirent leur pouvoir épiscopal sur toutes les églises situées au nord du Léman, et dès l'Aubonne aux rives de l'Aar. Les évêques de Nyon, dirigeaient le diocèse qui s'étendait dès les rives de l'Aubonne jusqu'à celles de l'Ain, et transportèrent ensuite leur siège dans la ville de Belley.
Les évêques de Lausanne qui, à l'époque de Marius, étaient de simples pasteurs, furent bientôt entourés d'un nombreux clergé: prêtres, clerc, lecteurs, chantres et novices; enfin ils eurent un chapitre de chanoines. Ce clergé était attaché à la principale église, nommée cathédrale; quant aux autres églises de Lausanne et du diocèse, elles furent desservies par des prêtres soumis à l'authorité de l'évêque. Dans les campagnes, des missionnaires, des pélerins, des hermites, célébraient le culte et desservaient des chapelles qui, à mesure que la population augmentait, se transformaient en autant d'églises paroissiales.
Cependant, à côté de ce clergé régulier, apparurent un grand nombre de religieux qui, sous le nom de moines, fondaient partout des établissements nommés d'après eux monastères. Ces moines, originaires de l'orient, parurent en Europe un siècle après que le christianisme fut devenu la religion de l'Empire, et ne s'établirent dans le Pays de Vaud que dans le Ve siècle. Leurs austérités, leurs extases et leurs prédications émurent les peuples. Leur nombre augmenta bientôt; ils erraient ou se fixaient, et conservant une indépendance absolue, ils ne faisaient point de voeux et ne contractaient aucun engagement religieux. Mais de cette indépendance absolue, il résulta des désordres, et les moines se firent remarquer par la licence de leurs moeurs. Alors, un saint personnage, St Benoit, parvint à réunir sous une même discipline ces missionnaires, ces cénobites, ces solitaires, qui, sous le nom de moines, devenaient chaque jour plus nombreux. St Benoit fonda un couvent et lui donna la Règle de la vie monastique, qui devint la loi générale des moines de l'Europe, et celle de tous les monastères fondés ensuite dans le Pays de Vaud.
"La Règle de St Benoit, dit M. Guizot1, repose sur l'abnégation de soi-même, l'obéissance et le travail. Les Bénédictins, principalement voués au travail manuel et à l'agriculture, furent les grands défricheurs de l'Europe; ils l'ont défrichée en grand, en associant l'agriculture à la prédication. Une colonie, un essaim de moines, peu nombreux d'abord, se transportaient dans des lieux incultes, souvent au milieu d'une population encore païenne, et là, missionaires et laboureurs à la fois, ils accomplissaient leur double tâche souvent avec autant de péril que de fatigue."
La règle des Bénédictins rétablit dans les couvents le travail, les bonnes moeurs, enfin toutes les vertus chrétiennes. Cependant, malgré la surveillance des conciles sur les moeurs du clergé et des laïques, la corruption générale faisait des progrès, gagnait les évêques et pénétrait dans les monastères.
Alors de nouveaux missionaires de l'Evangile apparurent. L'un d'eux, célèbre dans les fastes de la chrétienté, St Columban, sortit des solitudes de l'Irlande, et parcourant l'Europe, il attaqua le dérèglement des moeurs, et ne craignit pas de tancer Théodoric, un roi des Francs, qui s'était rendu près de lui pour obtenir la faveur de ses prières. St Columban, persécuté par ce monarque irrité, quitta le roaume, vint s'établir sur les bords du lac de Zurich, puis du lac de Constance, et parut enfin sur les rives du Léman, où il prêcha la morale chrétienne à la foule qui s'empressait autour de lui.
"A cette époque2, les jeûnes et les macérations remplaçaient déjà les bonnes oeuvres. St Columban attaqua le mensonge de ces rigueurs, comme il avait attaqué à la cour du roi des Francs la lâcheté des mollesses mondaines:
"Ne croyons pas, dit-il, qu'il nous suffise de fatiguer de jeûnes et de veilles la poussière de notre corps, si nous ne réformons aussi nos moeurs.... Macérer la chair, si l'ame ne fructifie pas, c'est labourer sans cesse la terre et ne lui point faire porter de moisson; c'est construire une statue d'or en dehors, de boue en dedans. Que sert d'aller faire la guerre loin de la place, si l'intérieur est en proie à la ruine? Que dire de l'homme qui fossoie sa vigne tout à l'entour, et la laisse en dedans pleine de ronces et de buissons?.... Une religion toute de gestes et de mouvements du corps est vaine; la souffrance seule du corps est vaine; le soin que prend l'homme de son extérieur est vain, s'il ne surveille et ne soigne aussi son ame. La vraie piété réside dans l'humilité, non du corps, mais du coeur. A quoi bon ces combats que livre aux passions le serviteur, quand elles vivent en paix avec le maître?.... Il ne suffit pas non plus d'entendre parler des vertus et de les lire.... Est-ce avec des paroles seules qu'un homme nettoie sa maison de souillures? Est-ce sans travail et sans sueur qu'on peut accomplir un travail de tous les jours? Ceignez-vous donc et ne cessez de combattre; nul n'obtient la couronne s'il n'a vaillamment combattu."
Un des fils de patrice Vendelin, que nous avons vu gouverner le Pays de Vaud, St DONAT, né à Orbe, fut l'un des disciples de St Columban , et devint ensuite archevêque de Besançon. St Columban l'envoya dans les Alpes de la Gruyère, et selon une ancienne tradition, il en convertit les habitants à la foi chrétienne. "L'église de Château-d'Oex3, la plus ancienne du Pays-d'Enhaut, portait jadis le nom de St Donat; sa statue y fut longtemps avec celle de St Columban, qui l'avait accompagné dans cette pieuse mission; et une partie du rocher qui soutient le temple de Château-d'Oex, conserve encore la souvenir de ce dernier, et s'appelle LO SE COLOMB (Saxum Columbani)."
MARIUS, le premier évêque de Lausanne, digne apôtre de l'Evangile, donna aussi, par sa vie pure et chrétienne, l'exemple du travail, de la sobriété et des vertus. Cunon d'Estavayer, prévost du chapitre de Lausanne, en 1202, nous donne, dans sa chronique, quelques traits de la vie de ce saint homme4.
"Consacré, dès ses premières années, à la cléricature, comme guide du troupeau, il soumit ses brebis à une sage discipline. Illustre par sa naissance et son origine, il est plus noble encore par les fruits de ses oeuvres. Il fabriquait les vases sacrés de l'église, et de ses mains il cultivait ses métairies: esclave de la justice, très-fidèle appui des citoyens, modèle du sacerdoce, gloire des pontifes, appui de ses proches, arbitre intègre dirigé par la justics seule, il observa la chasteté et se consacra au service de Dieu. Frugal dans l'usage des aliments, c'est en nourrissant les pauvres qu'il se nourrissait lui-même, et ses jeûnes servaient à sustenter les autres. Il construsit des greniers comme un bon pasteur doit le faire. Appliqué aux saintes études, son corps, enfin, trouva le repos, et nous croyons que ce père plein de piété, et qui n'avait d'autres armes que celles de la douceur évangelique, après avoir quitté la terre est allé dans les cieux."
L'Eglise, dans les premier siècles, humble et pauvre encore, mais dirigée par de saints personnages, prit un immense ascendant sur les peuples, qui voyaient en elle seule un refuge et une consolation pour toutes les misères de ces temps d'anarchie.
1Guizot, Histoire de la civilisation, Xe leçon.
2Guizot, Histoire de la civilisation, XVIe leçon.
3Bridel, Conservateur Suisse, V, 515.
4Cunon d'Estavayer, Chronique des Evêques, VI, 51, des Mém. et doc. de la Soc. d'hist. de la Suisse romande.