Catherine de Savoie, Dame de Vaud, confirme les libertés des villes. - Troubles dans le Valais. - Ils sont apaisés par les troupes du Pays de Vaud. - Les Valaisans chassent l'Evêque de Sion. - Amédée demande de nouvelles levées dans le Pays de Vaud. - Guillaume de Grandson défait les Valaisans. - Siège et prise de Sion. - L'Evêque réintégré. - Fin des guerres du Dauphiné. - Jean de Mont, ambassadeur auprès de l'Empereur. - Amédée, vicaire-impérial, partage la jurisdiction avec l'évêque de Lausanne. - Le juge de Billens. - Plaict-Général de Lausanne. - Amédée acquiert les droits de Catherine de Savoie sur la baronnie de Vaud. - Charte de Moudon. - Les seigneurs du Pays de Vaud se signalent dans les guerres du Piémont, de Turquie, du Milanais et de Naples. - Mort d'Amédée VI. - Guillaume de Grandson et Louis de Cossonay exécuteurs testamentaires du comte de Savoie.
Catherine de Savoie, femme du comte de Naumur, résidait dans les états de son époux, lorsqu'elle hérita de la baronnie de Vaud. En son absence, sa mère, Isabelle de Châlons, veuve de Louis-de-Vaud, s'empressa de rassurer les villes vaudoises sur le maintien de leurs priviléges. Elle se rendit à Moudon en janvier 1347, donna une charte à cette ville, lui «confirmant perpétuellement toutes les libertés et franchises accordées par les seigneurs comtes de Savoie, ou par le seigneur Louis, ou par leurs prédécesseurs, ....et ordonnant que le Bailli de Vaud, aussitôt qu'il sera fraîchement arrivé en la dite ville de Moudon, soit tenu de jurer de garder en notre nom ou des nôtres que dessus, bien et fidèlement les droits, les libertés, les franchises et les coutumes de Moudon, et que nul des nobles, bourgeois et tous autres habitants dans Moudon, ne pourra être cité ou ajourné par devant un juge hors de la ville, si ce n'est pour cause d'appel.... etc.1»
Amédée VI, parvenu à sa majorité, prit les rênes du gouvernement, et fit rentrer la baronnie, apanage de sa cousine Catherine de Vaud, dans l'administration des états de Savoie. Les premières années du règne de ce prince furent signalées, non-seulement par les guerres sans cesse renouvelées avec le Dauphin du Viennois, mais encore par des événements survenus dans la Valais, qui appelèrent les armes de Savoie dans cette contrée.
L'évêque de Sion, Guichard de Tavel, fils du seigneur de Granges, de Bex, d'Ayent, et co-vidome d'Aigle, était dès longtemps en querelle avec la noblesse valaisanne, qui refusait de le reconnaître comme comte-épiscopal, titre conféré depuis des siècles aux évêques ses prédécesseurs. Les nobles du Valais et les bourgeois de Sion attaquèrent l'Evêque dans sa résidence, et massacrèrent des gens de sa maison. Abandonné de tous, le prélat eut recours aux armes spirituelles, et excommunia ses ennemis. Mais ceux-ci, loin d'être arrêtés par les foudres de l'Eglise, continuèrent leurs violences, ravagèrent les terres et les châteaux de l'Evêque. Dans ces conjonctures, Guichard de Tavel eut recours au Pape. Le St Père, par sa bulle du 7 janvier 1352, ordonna aux archevêques et aux évêques de Tarentaise, d'Aoste, de Lausanne et de Belley, d'excommunier nominativement les coupables. Cette sentence, fulminée dans toutes les églises, atteignit particulièrement les seigneurs Pierre de la Tour, Henri de Blonay, Pierre de Rarogne et Pierre comte de Gruyère. Cependant, ces excommunications n'ayant eu aucun effet, l'évêque de Sion réclama les secours de son suzerain, le comte de Savoie. Amédée leva immédiatement quelques troupes dans le Pays de Vaud, et se dirigea sur le Valais, où, à son arrivée, tout rentra dans l'ordre.
Après avoir rétabli l'Evêque dans son château de Sion, Amédée licencia ses troupes. Mais aussitôt les Valaisans renouvelèrent leurs violences, et expulsèrent leur Evêque, qui implora de nouveau l'aide de son suzerain. Amédée fit un nouvel appel aux hommes d'armes du Pays de Vaud, à peine de retour dans leurs foyers. Mais les communautés ayant représenté qu'elles n'étaient tenues qu'à l'égard des Dames de Vaud de renvoyer des troupes avant le terme de six semaines depuis leur retour de campagne, Amédée promulgua la charte suivante pour les rassurer sur le maintien de leurs droits :
Nous, Amédée, comte de Savoie, faisons savoir que comme les gens de Vaud disent et affirment qu'ils ne sont tenus de chevaucher pour nous, ni pour aucuns, après qu'ils sont venus nouvellement de chevauchée, jusqu'à ce qu'ils aient demeuré chez eux l'espace de six semaines après leur revenue, toutefois, si ce n'était pour le propre fait des Dames de Vaud, et comme ils ont présentement octroyé de grâce spéciale qu'ils iraient en la dite notre chevauchée pour l'honneur et amour de nous, mais sous la condition que cela ne leur soit en préjudice en aucun temps à venir. Nous, le dessus nommé Amédée comte de Savoie, considérant la bonne affection et la bonne volonté des dites gens de Vaud qu'ils ont de nous servir, confirmons et octroyons pour nous et nos hoirs, que la dite chevauchée qu'ils nous font présentement, de grâce spéciale, ne leur portera aucun préjudice à venir. Ce que nour promettons pour nous et nos hoirs.... Donné à Chillon le 29 octobre 13522.
Les communautés de Vaud, ainsi assurées du maintien de leurs droits, levèrent leurs hommes et les envoyèrent à St-Maurice, rendez-vous général de l'armée. Celle-ci se dirigea sur Sion; mais, avant d'arriver sous les murs de cette ville, ella eut à livrer un combat aux Valaisans, postés sur une hauteur. Les troupes d'Amédée, commandées par Guillaume de Grandson, assaillirent vigoureusement les Valaisans, les mirent dans une déroute complète et prirent plusieurs de leurs chefs, qui eurent la tête tranchée. Après cette victoire, remportée sur les hauteurs qui dominent la Morge, Guillaume de Grandson, commandant l'avant-gardé, investit Sion. Amédée espérait que la ville, privée de vivres, se rendrait bientôt; mais voyant qu'elle s'approvisionnait par de sentiers secrets communiquant au fort de Tourbillon, il résolut de donner l'assaut.
L'armée fut divisée en trois corps; les hommes d'armes d'Aoste et du Chablais; les hommes des communautés de Vaud et les mercenaires allemands; la noblesse et le comte de Savoie. Mais avant de livrer l'assaut, Amédée voulut se faire armer chevalier «de par St-Georges,» et demanda cette faveur au seigneur de la Baume, le Nestor de l'armée. Amédée, armé chevalier, conféra ensuite cet honneur à deux gentilshommes qui suivaient sa bannière.
Après cette cérémonie martiale, les nouveaux chevaliers exigèrent qu'on leur assignât le côté le plus dangereux pour l'assaut, et le signal de l'attaque fut donné. «Des deux côtés on se battit à outrance dès devant le jour jusqu'à la basse nonne,» dit la chronique. Enfin, les remparts furent emportés, et la ville, livrée au pillage, fut brûlée. Les édifices sacrés ne furent pas ménagés; la cathédrale, dépouillée de ses reliques, des calices, des livres, des ornements, fut souillée par des meurtres et livrée aux flammes. Bientôt après le sac de Sion, les châteaux de Majorie, de Valère, de Tourbillon, de Mont-Orge et d'Ayent durent se rendre.
Après cetter cérémonie martiale, les nouveaux chevaliers exigèrent qu'on leur assignât le côté le plus dangereux pour l'assaut, et le signal et l'attaque fut donné. «Des deux côtés on se battit à outrance dès devant le jour jusqu'à la basse nonne,» dit la chronique. Enfin, les remparts furent emportés, et la ville, livrée au pillage, fut brûlée. Les édifices sacrés ne furent pas ménagés; la cathédrale, dépouillée de ses reliques, des calices, des livres, des ornements, fut souillée par des meurtres et livrée aux flammes. Bientôt après le sac de Sion, les châteaux de la Majorie, de Valère, de Tourbillon, de Mont-Orge et d'Ayent durent se rendre.
Après ces succès, dont l'éclat fut terni par la férocité du vainqueur, les Valaisans traitèrent, promirent de respecter les droits temporels de l'Evêque, et reconnurent la suzeraineté de la maison de Savoie. Ils s'engagèrent à fournir au compte trois cents hommes d'armes, à lui payer une indemnité de 28,000 florins pour les frais de la guerre, et un tribut annuel d'un denier tournois par feu. Enfin, l'Evêque conféra à Amédée la dignité et les droits d'Avoué-Episcopal du diocèse de Sion3.
La guerre du Valais, à peine terminée, fut suivie par une nouvelle campagne ouverte au printemps (1353) contre le Dauphin du Viennois. Elle coûta beaucoup de sang aux Vaudois, et eut le Bugey et le Pays de Gex pour théâtre. Enfin, en 1354, ces guerres, sans cesse renouvelées depuis près d'un demi-siècle, au suject de l'héritage de Béatrix de Savoie, furent terminées par la médiation de Jean, roi de France. Ce monarque appela à Paris Amédée VI et le Dauphin du Viennois. Amédée épousa Bonne de Bourbon, cousine du roi, et le Dauphin ruiné et sans enfants, vendit le Dauphiné à la France.
Amédée, désormais assuré de la possession du Bugey, du Faucigny, de la Bresse et du Pays de Gex, et allié du roi de France, rechercha l'amitié de Charles IV, empereur d'Allemagne et suzerain de Savoie. Dans l'année 1355 il lui envoya en ambassade Jean de Mont, seigneur d'une illustre maison du Pays de Vaud. Charles l'accueillit avec distinction et confirma tous les priviléges que les empereurs avaient accordés aux princes de Savoie, en lui conférant la dignité de Vicaire-Impérial, en vertu de laquelle le comte de Savoie représentait l'Empire dans les évêchés de Genève, de Sion et de Lausanne. Ce vicariat impérial était contraire aux droits temporels des évêques, mais ces prélats, après plusieurs réclamations, furent obligés de le reconnaître.
En vertu de cette décision de l'Empereur, l'évêque de Lausanne traita avec le comte de Savoie sur les bases suivantes :
Le comte de Savoie est représenté à Lausanne par un Juge4, qui doit connaître des appellataions des cours séculières et féodales, et percevoir les amendes et la moitié des échutes;
La justice sera rendue, néanmoins, au nom et sous l'autorité de l'Evêque;
Les coutumes de Lausanne seront réservées et garanties dans leur intégrité;
Le partage de la juridiction ne sera que temporaire et cessera de plein droit à la mort d'Amédée VI et de l'Evêque, princes contractants5.
Revêtu de sa nouvelle dignité, Amédée VI promit aux Lausannois de respecter leurs droits, leurs franchises et leurs priviléges, ainsi que ceux de l'Evêque. Toutefois, il paraît que ces promesses ne furent pas tenues dans toute leur étendue, que les états de l'Evêche en furent alarmés, et sentirent la nécessité de publier en un code de lois les diverses chartes qui garantissaient les droits de l'Evêque et ceux de ses sujets de l'Evêché. Ce code, connu sous le nom de Plaict-Général, fut publié en 1368, sous l'episcopat d'Aymon de Cossonay6.
Cependant, les liens de parenté qui attachaient Amédée au roi de France, appelèrent les armes de Savoie contre le roi Edouard d'Angleterre. Celui-ci, en 1355, avait débarqué à Calais à la tête d'une armée formidable, et le roi de France, pour couvrir Paris, rassemblait ses troupes sur les frontières de l'Artois et de Picardie, et en vertu des traités invita Amédée à lui envoyer des secours. Le comte de Savoie, impatient de se signaler enfin dans une grande guerre, s'empressa de se rendre au camp des Français, suivi de la fleur de la noblesse savoyarde et romande.
Un document, extrait du rapport au roi de France par son trésorier des guerres, et publié par Guichenon dans son grand ouvrage, donne les noms des guerriers qui conduisirent leurs bannières, «en compagnie du comte de Savoie, à mesure qu'ils sont venus au service du roi à Mâcon et à St-Omer en juillet 1355.» Voici les noms des guerriers romands indiqués dans ce rapport7 :
«Monsieur Aymé de Cossonay, chevalier Banneret, et deux Ecuyers, est venu de Cossonay en Vaud;
«M. Henry de Blonay, Chevalier Banneret, avec deux Chevaliers et dix-sept Ecuyers;
«M.Jean de Neufchâtel, Chevalier Banneret, un Bachelier et quarante-deux Ecuyers venus de Neufchâtel en Vaud;
«Antoine de Goumoëns, Chevalier et deux Ecuyers;
«Aymon de Pontverre, un Chevalier et vingt-cinq Ecuyers;
«Pierre de Goumoëns, venu de Vevey avec cinq Ecuyers;
«Aymon de Genève et cinquante-sept Ecuyers;
«Girard de Pontverre et cinq Ecuyers;
«Jean des Clées, Chevalier-Bachelier, venu seul.8»
Mais ces préparatifs guerrier furent inutiles : Edouard refusa les combats; il repassa la mer avec ses Anglais, et renvoya à l'année suivante une expédition qui fut fatale à la France dans la bataille de Poitiers, journée mémorable pour les armes d'Angleterre, et où le roi Jean fut fait prisonnier.
Amédée était depuis peu de temps de retour dans ses états, lorsqu'il fut appelé à porter ses armes en Italie. Son cousin et feudataire Jaques de Savoie, prince de Piémont, d'Achaïe, et de Morée, avait prélevé des tributs écrasants sur les peuples du Piémont, et fait mettre à mort le commissaire qu'Amédée lui avait envoyé pour examiner les plaintes des Piémontais. A la nouvelle de cet attentat, Amédée passa les monts avec ses Savoyards et ses Vaudois; il s'empara de Turin, des villes, des châteaux et des places du prince son cousin. Après plusieurs rencontres, celui-ci fut défait dans une battaile décisive; il tomba entre les mains du vainqueur et perdit son apanage.
Dans cette même année (1359), où Amédée réunissait le Piémont à ses états, il donna 60,000 florins à la comtesse de Namur pour tous ses droits de souveraineté sur la baronnie de Vaud. En entrant en possession de ce pays, il accorda à Moudon la charte qui servit de modèle à celles des autres villes, et qui, par cette raison, fut dès lors regardée comme l'acte constitutionnel des villes du Pays de Vaud9.
Les grands feudataires durent voir, non sans inquiétude, ces institutions municipales, qui donnaient aux villes une indépendance acquise aux dépens du pouvoir féodal. Toutefois, ces seigneurs étaient dévoués à Amédée, qui les comblait d'honneurs, leur ouvrait une brillante carrière, et leur donnait les places les plus éminentes dans le gouvernement et dans l'armée. Aussi, la noblesse vaudoise était toujours prête à courir en foule se ranger sous les bannières de Savoie chaque fois qu'elles étaient déployées. Amédée sut apprécier le dévouement des chevaliers du Pays de Vaud, et eut bientôt l'occasion de le récompenser, en accordant à un Vaudois l'honneur le plus insigne auquel pût aspirer un guerrier. Ce prince, dit Guichenon, «pour honorer son règne, voulut faire remarquer son passage sur le trône en créant l'Ordre de l'Annonciade.» Afin de rendre cet ordre de chevalerie plus illustre que tous ceux des autres états de la chrétienté, Amédée n'y admit que quinze chevaliers, mais tous choisis parmi ses guerriers les plus distingués. Guillaume de Grandson Ste-Croix, que nous avons vu commander l'armée d'Amédée devant Sion, et la conduire à la victoire, eut l'insigne honner d'être un des quinze chevaliers de l'Annonciade.
Guillaume de Grandson, parvenu au comble des honneurs, dédaigna un repos dont il pouvait jouir; il se signala dans les combats, et continua à tenir la première place dans les conseils d'Amédée. Ainsi, en 1363, dans la guerre contre le marquis de Saluces, Grandson fit rentrer dans l'obéissance les villes et les châteaux de Rivarol, de Pavon et de St-Martin, dont les Anglais s'étaient emparés10. Ce guerrier s'illustra également dans la guerre que, dans les années 1366 et 1367, Amédée VI fit en Turquie au sultan Amurat et au roi des Bulgares, qui retenaient prisonnier l'empereur Jean Paléologue, parent du comte de Savoie. Dans cette expédition lointaine, à laquelle prirent part, en grand nombre, les guerriers de Vaud, Guillaume de Grandson reçut les preuves les plus éclatantes de la confiance de son prince. Après plusieurs victoires remportées par l'armée des chrétiens sur les infidèles, Amédée envoya Guillaume de Grandson sommer le roi des Bulgares de rendre la liberté à l'Empereur son captif. Grandson sut réussir dans cette mission, semée de périls et de difficultés, et conduisit en triomphe l'empereur Paléologue dans son palais de Constantinople. La paix fut conclue, et Amédée et ses chevaliers de Savoie et de Vaud passèrent l'hiver dans la capitale de l'empire d'Orient, où ils furent accueillis en libérateurs, et où ils assistèrent à des fêtes dans lesquelles le faste oriental fut déployé. Au printemps de cette année, 1367, Amédée, suivi de l'élite de son armée, quitta Constantinople, traversa l'Italie, et vint recevoir à Rome les félicitations et la bénédiction du St-Père11.
Mais, les guerriers du Pays de Vaud ne jouirent pas longtemps des douceurs de la paix; ils eurent bientôt une nouvelle occasion de signaler leur valeur. Galéas de Visconti, comte de Milan, profitant de l'absence d'Amédée en Orient, avait usurpé les droits du jeune marquis de Montferrat, que le comte de Savoie avait pris sous sa protection. Celui-ci «leva une armée très-leste,» dit Guichenon, dans laquelle se trouvèrent la plupart des chevaliers du Pays de Vaud, suivis de leurs hommes d'armes et de ceux des villes vaudoises. Au nombre des chevaliers qui s'illustrèrent dans cette guerre, l'histoire a conservé les noms de Guillaume de Grandson, de Jean de Grandson, de Jean de Monfaucon, sire d'Orbe, de Louis de Cossonay et du comte de Gruyère12.
Cette guerre fut fertile en événements. Ainsi : Visconti prenait le siége d'Asti, et cette place allait succomber, lorsque Amédée luy envoya un secours de deux cents cavaliers; ceux-ci purent pénétrer dans la place; mais, Amédée ignorant le sort de cette expédition, envoya Guillaume de Grandson et Louis de Cossonay avec cent lances13 pour explorer la contrée et secourir Asti, si cela était nécessaire; les hommes d'armes de Visconti voulurent s'opposer à la marche des lances de Savoie, et leur offrirent le combat; Grandson et Cossonay l'acceptèrent, défirent les Milanais et pénétrèrent dans Asti.
Cependant, Amédée, voyant que Visconti tenait toujours la campagne, résolut de lui livrer bataille, et appela dans son camp Guillaume de Grandson, renfermé dans Asti, pour qu'il pût prendre part à la bataille et assister à la cérémonie qui devait la précéder. Cette cérémonie était la réception de neuf seigneurs qu'Amédée voulait armer chevaliers. Sur ces neuf seigneurs, quatre étaient du Pays romand : Amédée de Genève, le comte de Gruyère, le sire de Grandson-Ste-Croix, et Grandson de Pesme. Cette cérémonie eut lieu devant l'armée réunie, et avec toute la pompe de la chevalerie. Après la réception des chevaliers, Otton de Brunswick, neveu d'Amédée, et Guillaume de Grandson, à la tête de 500 chevaux, furent chargés de soutenir les coureurs de l'armée et d'engager la bataille. La mêlée commença; elle fut sanglante, et entre tous, Jean de Monfaucon, seigneur d'Orbe, et Louis de Cossonay, se distinguèrent par leurs prouesses14. Les Milanais cédèrent le champ de bataille; mais le victoire n'étant pas décisive, Amédée, le lendemain, fit attaquer les Milanais dans leur camp. Dans cette affaire, où la victoire resta aux armes de Savoie, Jean de Monfaucon d'Orbe, l'un des plus vaillants chevaliers de l'armée, trouva la mort sur le champ de bataille. Les Milanais, découragés, levèrent le siège d'Asti, et rentrèrent dans leur comté. Cependant, la guerre recommença, et ne fut terminée, en 1375, que par l'intervention de l'Empereur d'Allemagne et de Charles V, roi de France, qui exigèrent que les droits du jeune marquis de Montferrat fussent enfin respectés.
La paix rendit Amédée à ses états. Ce prince en profita et pour donner de nouvelles institutions à ses peuples, et pour concéder des franchises aux bourgeoises des villes. Ce fut ainsi qu'il donna, en 1377, à la ville de Morat et à celle de la Tour-de-Peilz, des chartes analogues à celles qu'il avait naguère octroyée à Moudon.
Cependant, la paix ne fut pas de longue durée, un schisme survenu dans l'Eglise mit l'Italie en feu, et appela de nouveau sous les armes Amédée de Savoie et ses cohortes guerrières.
Le pape Grégoire XI, mort en 1378, fut remplacé par Urbain IV, pontife dont la fierté et les rigueurs blessèrent les cardinaux; ils le révoquèrent et nommèrent à sa place le cardinal Robert de Genève, sous le nom de Clément VII. Cet acte produisit la division connue sous le nom de grand schisme de l'Eglise : la France, l'Espagne, l'Ecosse, les ducs de Bourgogne et de Lorraine, enfin, le comte de Savoie, reconnurent le pape Genevois, qui établit sa résidence à Avignon; l'Empereur et tous les états d'Allemagne adhérèrent à Urbain VI, qui continua de résider à Rome. Ce schisme, déjà si funeste à l'Eglise, alluma bientôt la guerre à l'occasion de la vacance du trône de Naples. Le duc de Duras fut couronné roi de Naples par Urbain VI, et le duc d'Anjou, de la maison de France, désigné roi de Naples par le parti contraire, fut couronné à Avignon par l'anti-pape Clément VII.
Le duc d'Anjou, oncle de Charles VI, roi de France, résolut de s'emparer de vive force du trône qu'occupait déjà son compétiteur, et réclama l'assistance du comte de Savoie. Celui-ci, toujours empressé de se jeter au milieu des hasards de la guerre, convoqua la noblesse de ses états, et fut proclamé chef de l'armée combinée qui, au nombre de trente mille hommes, se rassemblait dans la Provence. Quinze cents chevaliers et écuyers de diverses parties de l'Europe faisaient partie de cette armée, et deux mille lances des états de Savoie suivaient les bannières d'Amédée.
Le duc d'Anjou, appuyé par ces forces imposantes, quitta la Provence, après l'avoir soumise par ses armes, traversa l'Italie et entra dans les Abruzzes; puis, parvenu dans la Pouille, il envoya un cartel de défi à son compétiteur, le duc de Duras, en lui offrant un combat à outrance de dix contre dix. Cet acte chevaleresque devait terminer la guerre, et en éviter ainsi tous les maux. On doit le prévoir, Amédée VI fut le premier des dix champions du duc d'Anjou, et au nombre des neuf autres guerriers, dont la valeur devait décider du sort de la couronne de Naples, était un Vaudois, le chevalier Hugues de Grandson. Charles de Duras ayant refusé ce défi chevaleresque, et la mauvaise saison s'opposant à l'entrée en campagne, les armées d'Anjou et de Duras prirent leurs quartiers d'hiver. Mais ce repos des armées fut plus fatal à la maison de Savoie que ne l'avaient été tous les combats, dans lesquels son illustre chef s'étaient si souvent exposé. Amédée, ce prince qui, non-seulement avait acquis une haute renommée militaire, mais avait conquis une gloire plus réelle en donnant à ses peuples les institutions les plus libérales pour son époque, ce prince illustre fut frappé de la peste, et mourut le 2 mars 1383, à l'âge de cinquante ans.
Amédée laissa à Bonne de Bourbon, sa veuve, l'usufruit de l'administration de ses états pendant sa viduité, et institua son fils Amédée VII son héritier universel. En mourant, Amédée donna une nouvelle preuve de son attachement au Pays de Vaud : il nomma deux Vaudois au nombre de ses exécuteurs testamentaires, Guillaume de Grandson et Louis de Cossonay15.
1Grenus, Documents, etc., 8. - Archives de Moudon.
2Grenus, 7. - Archives de Moudon.
3Boccard, Histoire du Valais, p. 80 à 84.
4Ce juge fut nommé le juge de Billens, probablement d'après le nom du premier juge qui représenta le comte de Savoie à Lausanne.
5F. Forel et de Gingins, Recueil de chartes, etc., concernant l'Evêché de Lausanne, t. VII des Mém. de la Soc. d'Hist. de la Suisse romande.
6Voyez la note A sur le Plaict-Générale de Lausanne.
7Guichenon, Preuves, IV, 197.
8Ces chevaliers et ces écuyers, armées de pied en cap, étaient chacun accompagnés d'un certain nombre de cavaliers, mais point armées de toutes pièces, mais seulement de corcelets, de haches et de masses d'armes. Quelques hommes à pied suivaient aussi chaque cavalier, et n'étaient employés qu'à leur service, aux bagages, aux travaux des campements, à relever les blessés et à garder les prisonniers.
9Voyez la note B, Charte de Moudon.
10Guichenon, I.
11Guichenon, I.
12Guichenon, I.
13La lance était formée d'une escouade de cinq ou six cavaliers.
14Guichenon, I.
15D'après Guichenon, vol. 1er, vie d'Amédée VI.