Berne déclare la guerre au comte de Romont; elle surprend et envahit le Pays de Vaud. - Prise de Morat. - Le Vully dévasté. - Siège d'Estavayer. - Claude d'Estavayer. - Assaut; treize cents bourgeois d'Estavayer passés au fil de l'épée; pillage, incendie; Claude d'Estavayer décapité. - Capitulation d'Yverdon. - Pierre de Cossonay, commandant des Clées; siège; défense héroïque; massacre des habitants; Pierre de Cossonay décapité. - Guillaume de La-Sarra; prise et incendie de son château. - Genève. - Morges, son château incendié. - Le Bas-Valais envahi. - Amédée de Gingins; combat de la Planta. - Seize châteaux du Bas-Valais incendiés. - Conférences de paix à Neufchâtel; elles sont rompues. - La guerre des Suisses et du duc de Bourgogne est décidée.
«Les déprédations commises par les Suisses dans le Pays de Vaud avaient changé en haine profonde l'antipathie nationale existant déjà entre les Allemands et les Welches, ou Vaudois. Les Vaudois se vengeaient des actes de barbarie et de rapine dont leurs voisins s'étaient rendus coupables pendant leur expédition, en maltraitant de paroles et de faits les Allemands qui s'aventuraient isolément dans leur pays; même ils refusaient de vendre aux Suisses les vivres dont ils avaient besoin pour ravitailler les garnisons des châteaux du Pays de Vaud dont ils s'étaient emparés; chaque jour voyait naître des rencontres partielles, que les autorités ne pouvaient prévenir. Cependant, les capitaines de la régente de Savoie et du comte de Romont avaient reçu l'ordre de prévenir tout acte d'hostilités entre la maison de Savoie et les Suisses, et de punir avec sévérité les fauteurs de ces collisions individuelles. Mais, cette rigueur, loin d'apaiser les querelles, entretenait l'animosité des peuples contre les Suisses, et donnait lieu à de continuelles représailles.»1
Berne, qui ne cherchait qu'un prétexte pour envahir le Pays de Vaud, profita de ces circonstances : elle répandit le bruit que les Bernois étaient insultés, leurs marchands volés, leurs magistrats maltraités, et appelés «canailles et larrons.» Ces bruits, répandu dans la ville de Berne, exaspérèrent le peuple, qui demanda à grands cris de marcher sur le Pays de Vaud. Le voeu du peuple fut exaucé, et, le 14 octobre 1475, le Deux-Cent déclara la guerre au comte de Romont, et lui envoya le défi suivant :
«Nous, l'Avoyer, les Conseils et la Communauté de Berne, à Haut et Puissant Prince Jaques de Savoie, comte de Romont!
«Vous avez pris et fait mourir nos députés et nos soldats; vous avez troublé et interrompu toutes les relations humaines; vous nous avez outragés. La violence provoquant la violence, nous en userons, bien qu'à regret, contre vous pour notre sûreté. Par quoi nous gardons notre honneur et renonçons à votre amitié.»
Berne appela tous les Confédérés aux armes; le Valais fut requis de mettre ses troupes sur pied, et de se tenir prêt à marcher au premier appel; le comte de Neufchâtel et Bienne furent sommés, comme combourgeois de Berne, d'envoyer leurs contingents.
Le jour où la déclaration de guerre fut décidée dans le Deux-Cent (14 octobre), le héraut d'armes partit pour la Franche-Comté, portant le défi au comte de Romont; ce même jour aussi l'avoyer Wabern, à la tête de la grande bannière de Berne, traversait Guminen, et arrivait sous les murs de Morat, y rencontrait l'avoyer de Fribourg avec le contingent de cette ville, et, au nom de la Confédération, sommait Morat de se rendre.
Morat, ainsi que les autres villes du Pays de Vaud, n'avait qu'une faible garnison, destinée à maintenir la tranquillité et à empêcher des conflits entre les Allemands et les Vaudois, mais point à la défendre contre une attaque étrangère. Le commandant de Morat, sommé de se rendre, convoqua les bourgeois pour les consulter sur le parti qu'il y avait à prendre. Ceux de race romande opinèrent pour la résistance; ceux de race allemande pour une capitulation; alors, voyant qu'ils ne pouvaient tomber d'accord, ils demandèrent une suspension d'armes. Les avoyers suisses répondirent : «Si ceux de Morat ne se rendent pas, ils s'en trouveront mal dans leurs corps et dans leurs biens.» Cette réponse jeta la terreur dans la ville, et le parti allemand l'emporta. Un officier de la garnison en fut tellement indigné, que, suffoqué de colère, il tomba raide mort. Humbert de Lavigy, armé de pied en cap, et à cheval, dit à la foule qui l'entourait, en lui criant de se rendre aux Bernois : «Ne plaise à Dieu que je renie mon prince, mais me faites ouverture pour m'en aller!» et il s'élance hors de Morat.
Morat se délia de son serment envers la maison de Savoie, le comte de Romont et sa postérité; ses conseils, sa commune, ses magistrats jurèrent fidélité aux vainqueurs. Ce fut ainsi que Morat cessa d'être vaudois, et devint sujet de la bourgeoisie des villes de Berne et de Fribourg.
Les Suisses se dirigèrent ensuite sur Payerne, en évitant Avenches, ville de l'évêque de Lausanne. Le prieur, les religieux du monastère, toute la population de Payerne, allèrent à la rencontre de l'ennemi, et lui offrirent les clefs de la ville. Les Bernois et les Fribourgeois séjournèrent à Payerne, recevant de nombreux renforts des Cantons. Pendant ce temps-là, ils envoyèrent piller le Vully; les bandes de la Neueville, de Nidau, de Landeron, de Cerlier, s'emparèrent de Cudrefin, qui avait fermé ses portes à leur approche, pillèrent cette ville et lui prirent son bétail; d'autres détachements forcèrent Montagny et s'emparèrent de Grandcour.
L'armée envahissante comptant bientôt dans ses rangs plus de dix mille hommes, quitta Payerne pour s'emparer d'Estavayer. Cette ville, entourée de fortes murailles, défendue par son antique manoir, par le château de Cheneau et la Tour-de-Savoie, avait une garnison composée de trois cents hommes de la châtellenie de Nyon. Claude d'Estavayer, «chevalier remarquable par sa haute stature, sa beauté, sa vaillance,» commandait la ville dont il était seigneur. A l'approche des Suisses, Claude prend l'antique bannière des Estavayer, monte à cheval avec ses officiers, parcourt à leur tête les rues et les places; il annonce qu'il est décidé à se défendre, et qu'il punira de mort tout lâche qui parlerait de capitulation.
Sommé de se rendre, Estavayer répond au parlementaire : «La ville a, dans le comte de Romont, un bon seigneur, qui viendra bientôt la délivrer; elle ne se rendra pas.» A la seconde sommation, Estavayer répond par des coups de canon. Les Suisses ouvrent un feu d'artillerie. Mais, les fortes murailles résistent, tout fait présumer que le siège trainera en longueur, lorsqu'une port, plus faible que les autres, cède aux efforts des assiégeants; les Suisses s'y précipitent en criant : «Ville gagnée!» La garnison et les bourgeois se réfugient dans les châteaux de la Tour-de-Savoie, où ils font une héroïque résistance, mais succombent enfin à des assauts répétés. Claude d'Estavayer, accablé par le nombre, est terrassé dans la mêlée et fait prisonnier. La garnison entière, les trois cents hommes de Nyon, sont massacrés. Les bourgeois pris les armes à la main, au nombre de treize cents, sont impitoyablement égorgés. «Personne n'obtint merci, on fit la chasse de tous ce qui se sauvaient, tout fut «hâché et chaplé;» on voyait le bourreau de Berne, le glaive à la main, couper la tête aux blessés.» Une foule de malheureux, hommes, femmes et enfants se précipitent dans des bateaux pour échapper à la mort, et périssent dans les flots. Les églises, les autels sont profanés et pillés, les prêtres égorgés.
Pendant ces scènes d'épouvante, survint le contingent de Soleure, qui se joignit aux égorgeurs. Puis, les voisins de la malheureuse Estavayer arrivèrent en foule pour prendre part au pillage. Des Fribourgeois vinrent avec cent charriots, qui, jour et nuit, emmenèrent surtout des toiles, dont Estavayer faisait un grand commerce. «De Berne, de Fribourg, et même de Payerne et de Morat, par terre et par eau, avec des chars et des bateaux, on se rendit à la curée : tout fut pris et emmené.»
Cependant, Claude d'Estavayer n'eut point la douleur de survivre à ses braves compagnons d'armes. Il fut livré au bourreau, qui lui trancha la tête....
Mais les Suisses avaient encore soif de sang et de meurtres. Ils découvrirent onze soldats de la garnison cachés dans un réduit; ils les livrèrent au bourreau de Berne pour les noyer dans le lac; ces malheureux son liés en chapelet à la même corde, traînés au bord du lac et précipité dans les flots; leurs cris de désespoir réjouissent les Suisses; mais la corde rompt; ceux qui tentent d'échapper à la nage, sont percés de coups de piques. Alors, furieuse d'avoir été privée du spectacle de la noyade, la soldatesque suisse égorgé le bourreau, pour le punit de sa maladresse2.
Enfin, après quatre joure de massacre, de pillage et d'orgies, les Suisses mirent le feu à l'intérieur de l'antique manoir des sires d'Estavayer, et dirigèrent leur marche sur Yverdon, mettant à feu et à sang tout ce qui, à leur approche, ne se soumettait pas à merci.
Moudon, terrifiée de la catastrophe d'Estavayer, en voya une députation implorer la clémence des Suisses. Ceux-ci, pressés d'arriver devant Yverdon, qui faisait des préparatifs de défense, accordèrent la demande de Moudon, reçurent le serment de cette ville, et, moyennant une forte somme, confirmèrent ses anciennes franchises.
L'avant-garde des Suisses, arrivée devant Yverdon, voulut s'emparer du pont de la rivière, mais elle fut repoussée à coups d'arquebuses. Leur corps d'armée, fort de plus de dix mille hommes, arriva, investit le faubourg de la Plaine, et logea ses tireurs dans les jardins qui bordent la partie orientale de la ville. Yverdon fut sommé de se rendre. Pierre de Blay, commandant de la place, avait sous ses ordres trois cents hommes seulement, néanmoins il voulait se défendre. Cependant, les bourgeois, sous l'impression du sort d'Estavayer, avaient imploré la médiation du comte de Valangin, qui engagea Pierre de Blay à capituler, s'il obtenait des conditions honorables. Le comte de Valangin réussit dans ses instances; il se rendit auprès des assiégeants, et obtint que la garnison d'Yverdon pût sortir avec les honneurs de la guerre. Il obtint aussi que les Suisses n'entreraient pas dans Yverdon, moyennant que cette ville prêtait serment de fidélité aux Cantons, donnât une somme d'argent, et livrât cinq bourgeois pour cautions. En acceptant ces conditions, les Suisses s'engagèrent à confirmer les chartes de franchises de la ville.
Cette capitulation attira aux chefs de l'armée confédérée les reproches des conseils de Berne : «Ne comptez pas pour longtemps sur les serments de Moudon et d'Yverdon... On devrait raser les murs d'Yverdon.... Saluez, en passant, les Clées, La-Sarra et Chavannes3.» C'est-à-dire, pillez, saccagez et brûlez ces lieux....
L'armée se dirigea sur Orbe, et les troupes légères «nettoyèrent» toute la contrée jusqu'à Aubonne. Bavois, seigneurie appartenant à un bourgeois de Berne, fut épargné; mais tous les autres villages furent dévastés, entr'autres celui de Cheseaux. Aubonne, fief du comte de Gruyères, allié des Cantons, fut respectée, et les troupes légères s'y établirent pour piller et ravager la contrée voisine. Enfin, les Suisses se dirigèrent sur les Clées, bourg fortifié dont le château commandait le défilé, suive par la route de Franche-Comté.
Pierre de Cossonay, issue de la branche illégitime des sires de Cossonay, commandait le château des Clées. Aussitôt qu'il apprit la nouvelle de l'irruption des Suisses dans le Pays de Vaud, résolu de défendre à toute extrémité le poste important que le lui avait confié le comte de Romont, il avait pris toutes les mesures nécessaires, et renforcé la garnison de cinquante-deux hommes d'armes de la châtellenie de Cossonay4. Le 23 october, à l'approche des Suisses, il mit le feu à quelques maisons du bourg qui facilitaient les abords de la forteresse. Une partie de la population s'enfuit dans les montagnes, l'autre se retira dans le fort avec la garnison. Le même jour, une avant-garde de mille hommes de Berne, de Fribourg et de Soleure, avec un corps d'archers et d'arquebusiers, investirent la place et la sommèrent de se rendre. Les conditions que Pierre de Cossonay proposait pour la capitulation n'étant pas acceptées par les Suisses, ceux-ci se préparèrent à donner l'assaut. Munis de houes, de haches, de poutres, d'échelles, les Suisses atteignaient le milieu de la colline, base de la première enceinte, lorsqu'ils furent repoussées avec perte. Alors les archers et les arquebusiers dégarnirent les créneaux de leurs défenseurs, et un second assaut fut livré; il réussit, et les Suisses emportèrent la première enceinte des fortifications. Là eut lieu une horrible mêlée; la garnison eut une trentaine d'hommes tués, et se retira dans le donjon. Une foule de bourgeois se précipita dans ce donjon ou chercha à échapper au fer des Suisses en sautant hors des fortifications; mais la plupart d'entre eux furent écrasés à la porte de ce refuge ou tués sur les saillies des rochers. Maîtres des cours du château, les Suisses firent main-basse sur les bourgeois qu'ils rencontraient, massacrèrent leur syndic, puis attaquèrent le donjon. La résistance est opiniâtre; les Suisses amassent de la paille mouillée au pied de la tour, dernier refuge des assiégés, et y mettent le feu. Des soldats de la garnison demandent à capituler, sous la seule condition d'avoir la vie sauve. Les Suisses refusent. Pierre de Cossonay, résigné à la mort, leur offre de l'argent, de l'or, non pour la vie, mais pour obtenir un confesseur avant de mourir. Nouveau refus. Cependant, un Fribourgeois et quelques Bernois, faits prisonniers pendant l'assaut, poussaient des cris affreux du haut des créneaux. Les Suisses, pour sauver leurs compatriotes, éteignent le feu, promettent à la garnison le temps nécessaire pour se confesser, et lui permettent de sortir de la tour.
Pierre de Cossonay, «grand et beau chevalier,» sort le premier, après lui Hugues Gallers des Clées, ancien châtelain de Ste-Croix, grièvement blessé à la tête pendant l'assaut, enfin, soixante de dix hommes, dont vingt gentilshommes, débris de la garnison. Le même jour, ces braves sont conduits à Orbe et traduits devant le conseil de la guerre. Le même jour encore, cinq des gentilshommes prisonniers, au nombre desquels est le châtelain Hugues de Gallera, sont condamnés à la décapitation. On ordonne l'exécuteur la sentence : les soixant et dix prisonniers sont rangés en cercle, les uns pour recevoir immédiatement la mort, les autres pour en être les témoins, en attendant leur tour. Mais il n'y avait point de bourreau; les Suisses l'avaient égorgé à Estavayer, pour les avoir privés, par sa maladresse, du spectacle de la noyade des Vaudois échappés au massacre. Alors, on demande aux prisonniers si l'un d'entr'eux, auquel on ferait grâce de la vie, voulait remplir les fonctions de bourreau. Un Allemand, valet de Pierre de Cossonay, se présente; sa haute stature, sa nationalité plaident en sa faveur, il est nommé bourreau, et cinq têtes tombent sous son glaive. Cependant, les ténèbres suspendent ce drame sanglant, et les prisonniers destinés au dernier acte, sont enfermés dans une tout tellement étroite que, pendant la nuit, dix-neuf de ces malheureux moururent suffoqués. Le lendemain, le drame des Clées fut terminé par l'assassinat officiel de Pierre de Cossonay...... Le conseil de la guerre le condamna à mort avec quatre de ses compagnons d'armes; Pierre de Cossonay eut la tête tranchée par le bourreau, la veille encore, son serviteur le plus dévoué5.
Le château de Jougne éprouva le même sort que celui des Clées; il en fut de même de celui de Ste-Croix, dont les ruines rappellent encore le vandalisme des Suisses au XVe siècle.
Le château de La-Sarra ne fut point épargné; «Guillaume de La-Sarra s'était attiré l'inimitié des Suisses, tant par les sentiments hostiles qu'on l'accusait de nourrir contre Berne, que par ceux de son fils, qui avait combattu à Héricourt, et était encore au service du duc de Bourgogne6.»
Le ville ouvrit ses portes aux Suisses, et fut épargné. Guillaume de La-Sarra défendit son château; il fit des prodiges de valeur; vingt de ses hommes d'armes tombèrent en soutenant l'assaut. Les Suisses lui crièrent de se rendre, qu'il aurait merci, que son manoir serait épargné. Mail il préfera quitter son château pendant la nuit avec ses hommes d'armes, et l'abandonner aux Suisses avec les richesses qu'il renfermait, plutôt que d'avoir la douleur de se rendre prisonnier et de reconnaître la loi des vainqueurs. Le lendemain, les Suisses, furieux de voir que leur proie leur avait échappé, mirent le feu au château, ancien témoin du règne de la féodalité.
Les Suisses dirigèrent un détachement sur Cossonay, dont la défense avait été confiée à ses seuls habitants. Mais cette ville, voyant l'impossibilité de résister, se soumit, et fut épargnée, moyennant une rançon fixée à 300 florins de Savoie. «Cette événement,» dit M. de Charrière, « est rapporté de la manière suivante dans un document des archives de Cossonay : »
L'an de nostre Seigneur courant mille quatre cens septante environ la feste de la tous saincts au moys d'octobre entrant au pays de Vaud les communes ou soyt gens d'armes des villes de Berne, de Fribourg avecque leurs adhérens battaillant robustement et puyssantement avecque grands et terribles glaives à l'encontre de illustre seigneur Jaques de Savoye conte de Romont eys villes de Morat, Avenche, Payerne, Estavayer, Romont, Mouldon, Rue et Yverdon, Et estans les dictes villes et chasteaux du dict pays de Vaud rendues ey dictes communes de Berne et Fribourg les prenoyent à rançon pour certaine quantité et somme d'argent Et que per ce moyen les dictes bonnes villes fussent en seurté de n'estre bruslées et deffusion de sang Et que aussi par les dictes villes en communes ne fussent buttenées et pillées.
Or est que les nobles et bourgeoys et habitans de la ville, chatellanye et ressort du dict Cossonay craignyant que semblable accident ne leurs advinse. Et voyant qu'ils ne pouvoyent avoyr aulcune ayde ny secours pour soy deffendre des dictes communes Berne et Fribourg vehuz qu'ils n'estoyent pas aussy puissans que les sus dictes villes que s'estoyent rendues Et finalement qu'ils ne pouvoyent avoyr nul ayde ny secours s'ils se debvoyent rendre ou deffendre par le dict seigneur comte Parquoy n'ont trouver meillieur moyen de prévenir à tel acciednt que de composer avecque les capitaines advocats et conseillers des dictes communes à somme de trois cens florins de Savoye à payer promptement par Henrys de Leydessoz et Pierre Buchillion gouverneurs du dict Cossonay au nom de la dicte ville, chastellanye et ressort moyennant lequel payment fussent saulfs de estre bruslés, pillagés et viés, etc.7
Après ces expéditions, le corps d'armée, dont la force n'avait cessé d'augmenter par des bandes, qui, chaque jour, arrivaient de tous les cantons, quitta Orbe le 25 octobre, passa à La-Sarra, dont le château brûlait encore, passa la nuit à Cossonay, y fut rallié par le contingent de Lucerne, et, le lendemain, se mit en marche sur Morges, où le comte de Romont faisait des préparatifs de défense8.
Ce prince était en Franche-Comté lorsqu'il apprit et la déclaration de guerre que lui apportait le héraut d'armes de Berne, et les atrocités que les Suisses commettaient dans le Pays de Vaud. Il se hâta de courir au secours de sa baronnie; il franchit le Jura à Ste-Cergues, accompagné seulement de quelques cavaliers; il appele aux armes douze à quinze cents hommes des châtellenies de Coppet, de Nyon et de la Côte, et les réunit à Morges, dont le château n'avait qu'une faible garnison. Mais, à l'approche des Suisses, qui, au nombre de douze mille hommes, trainaient avec eux une artillerie formidable, la poignée d'hommes que le comte de Romont avait auprè de lui, frappé d'une terreur panique, se disperse; les bourgeois quittent leur ville, se réfugient à Lausanne; le comte, abandonné de tous, se jette sur un bateau et passe en Savoie (27 octobre).
Les Suisses avaient encore devant eux la plus belle et la plus riches des proies. C'était Genève. Ils se dirigèrent sur cette cité opulente, pour venger, disaient-ils, la mémoire de feu l'avoyer Nicolas Diesbach, qui, un jour qu'il passait à Genève, y avait été insulté par le peuple.
Les Genevois, voyant leur ruine inévitable, envoyèrent aux Suisses une députation, qui, en distribuant en secret six cents couronnes à leur chefs, obtinrent d'eux que leur armée n'entrerait pas dans Genève, moyennant la somme de 28,000 écus d'or à payer à Berne et à Fribourg. Le paiement d'une partie de cette somme fut assigné sur le trésor de l'Evêque, et le produit d'un prêt que chaque citoyen dut faire du douzième de son revenu.
Après avoir rançonné Genève, l'avoyer Wabern fit mettre le feu au château de Morges, et conduisit son armée à Lausanne. Comme Berne, dans ses «Instructions écrites à ses milices,» avait dit : «Nous n'enlevons rien à l'Eglise; Lausanne, ville de l'Evêque, n'appartient pas au comte de Romont,» Lausanne échappa au pillage, toutefois, non sans payer une forte somme aux Suisses. Les Quatre-Paroisses-de-Lavaux furent également épargnées, mais leur députés durent prêter serment dans la ville de Lutry. Les Suisses se dirigèrent ensuite sur Rue et Romont, dont l'avoyer Wabern, au nom des Cantons, reçut le serment. Après cette expédition, qui ne dura que trois semaines, les Suisses entrèrent à Fribourg; ils y passèrent un jour en fêtes, et rentrèrent dans leurs cantons, traînant après eux un immense butin.
Pendant cette expédition, le Haut-Valais, en vertu du traité d'alliance contracté peu de semaines auparavent, envahissait le Bas-Valais, alors savoyard. A cette nouvelle, l'évêque de Genève, frère du comte de Romont, accourut avec des troupes et de l'artillerie de Genève, et se jeta dans son château de Conthey; Pierre de Gingins, seigneur du Châtelard, leva ses vassaux, et Amédée de Gingins, sire de Belmont, nommé par le régente capitaine-général de Savoie, marcha avec huit mille hommes du Genevois et du Pays-de-Gex au secours du Bas-Valais, en suivant les bords du lac par Thonon et St-Gingolph.
Amédée de Gingins chassa devant lui quatre mille hommes du Haut-Valais, des Ormonts et des Grisons, qui voulurent défendre Martigny, et mit le siège devant Sion. Mais, trois à quatre mille Bernois et Soleurois, débouchant à l'improviste par le Sanetch, prirent à dos l'armée de Gingins, la défirent dans la plaine de la Planta, près de Conthey, et la repoussèrent au-delà de St-Maurice. Toutefois, les vainqueurs ne profitèrent pas de leur victoire; ils se contentèrent de saccager le Bas-Valais, où ils incendièrent seize châteaux, et se hâtèrent de rentrer dans leurs montagnes pendant que la saison le leur permettait encore.
Tandis que ces événements se passaient dans le Pays de Vaud, Charles-le-Hardi était parvenu au faite de sa puissance; rien ne résistait à ses armes; tout pliait devant lui; il ajoutait la Lorraine à ses états; il repoussait le jeune duc de Lorraine; Louis XI et l'Empereur signaient avec lui des trèves de plusieurs années; l'archiduc d'Autriche et les villes d'Alsace cherchaient à faire la paix avec lui. Les Suisses seuls osaient résister. Excités en secret par Louis XI, gagnés par l'or que ce souverain répandait dans les Cantons, seuls ils voulaient continuer à faire la guerre au puissant duc de Bourgogne. La régente de Savoie et le margrave de Hochberg, comte de Neufchâtel, alarmés de cette détermination des Suisses, et craignant que leurs états ne devinssent le théâtre de la guerre, réunirent leurs efforts pour réconcilier les Cantons avec Charles de Bourgogne. Les cantons orientaux parurent écouter ces ouvertures de paix; mais les autres cantons, et particulièrement celui de Berne, où Louis XI versait l'or à pleines mains, les repoussèrent avec obstination. Même, le chevalier de Bubenberg, qui avait parlé de la paix, dut quitter Berne et se retirer dans son château de Spietz.
Cependant, les rares partisans de la paix obtinrent que des conférences s'ouvriraient à Neufchâtel à la fin de novembre. Louis XI y envoya Juste de Sillinen; le duc de Bourgogne, l'Empereur, l'Archiduc, tous les Cantons, les Grisons et les villes d'Alsace s'y firent représenter. On convint d'une suspension d'armes jusqu'au 1er janvier, puis on arrêta les bases d'un traité de paix, subordonné à l'acceptation d'une trève prolongée jusqu'au 1er avril 1476. Les Cantons exigèrent, comme première condition, que tous leurs alliés, sans exception, fussent compris dans la trève. Mais, le duc de Bourgogne ne voulut y comprendre l'Archiduc qu'autant que ce prince lui remettrait prélablement l'Alsace et le Comté de Férette, en attendant le règlement du rachat de ces provinces. Ces exigences révoltèrent les Cantons, et rompirent les conférences de Neufchâtel; la guerre entre les Suisses et Charles-le-Hardi devint inévitable, et, de part et d'autre, on déploya la plus grande activité pour ouvrir la campagne, qui débuta par la bataille de Grandson, et fut terminée par le mémorable journée de Morat9.
1De Gingins, Lettres, etc. 86.
2Chronique des guerres de Bourgogne. - Olivier, le Canton de Vaud, 726. - De Gingins, Lettres, etc., 93. - Muller, VII, 329. - Schilling.
3Instructions de Berne à ses milices.
4Archives de Cossonay.
5L. de Charrière, Chronique de la ville de Cossonay.
6M. L. de Charrière a trouvé dans les archives de Cossonay que sur les cinquante-deux hommes d'armes de cette ville, envoyés pour la défense des Clées, vingt-trois y furent tués. Ceux qui appartenaient à ces familles qui existent encore, étaient : Jaques Charrière, Claude Pittet, Jean de Venoge, un second Jean de Venoge, Pierre Gaudin d'Ittens, Jean Gex, Louis Henriod, Nicolas de La-Sarra. - L. de Charrière, Recherches sur les sires de Cossonay et de Prangins; Chronique de la ville de Cossonay, t. V, des Mém. et doc. de la Soc. d'Hist. romande.
7Pour payer cette somme, un giete fut levé dans la baronnie, à raison de 22 sols par feu, le riche aidant au pauvre.
8L. de Charrière, 102.
9D'après M. de Gingins, Lettres, etc., 86 à 103.