Histoire du Canton de Vaud

Par Auguste Verdeil (1795-1856)

(Lausanne, Martignier et Compe., 1849-1852)



LIVRE QUATRIEME


LE PAYS DE VAUD SOUS LA DOMINATION DE BERNE.

XVIe, XVIIe ET XVIIIe SIECLES.


Chapitre XII.

Réfugiés dans le Pays de Vaud.

1662-1704.

Les réfugiés anglais, juges de Charles Ier, reçus dans le canton de Berne. — Leur séjour à Lausanne et à Vevey. — Le réfugié Lisle assassiné à Lausanne. — Stouppa et Ludlow. — Révocation de l'Edit de Nantes. — Persécutions religieuses en France. — Arrivée des réfugiés français dans le Pays de Vaud. — Origine de la Corporation française de Lausanne. — Adresse des réfugiés aux puissances et aux églises protestantes. — Influence des réfugiés sur l'industrie dans le Pays de Vaud. — L'amiral Duquesne réfugié à Aubonne. — Persécutions religieuses dans les vallées protestantes du Piémont. — Arrivée des réfugiés piémontais dans le Pays de Vaud. — Le pasteur Arnaud, nommé colonel des réfugiés piémontais, les réunit près de Nyon et rentre à main armée en Piémont. — Entreprise du capitaine Bourgeois. — Il se met à la tête de deux mille hommes, s'embarque à Vevey et débarque en Savoie. — Campagne de six jours. — Retraite de Bourgeois sur Genève. — Il débarque à Nyon, où il est arrêté. — Il est comdamné à mort et exécuté. — Projet d'une expédition des réfugiés français, formé par le marquis de Mirmond et le maréchal de Shomberg. — Jean Cavalier réfugié à Lausanne. — Notes de l'ambassadeur français adressées à Berne et à la Diète. — Réponse de Berne.

Situé au centre de l'Europe, protégé par des chaînes de hautes montagnes qui le séparent des grandes nations ses voisines, habité par un peuple hospitalier, le Pays de Vaud a toujours servi de refuge aux victimes des guerres et des révolutions qui sans cesse ont affligé l'Europe.

Ces hermites qui, à l'aurore du christianisme, rendirent le Pays de Vaud à la culture, ces moines qui fondèrent ces couvents, berceaux de la civilisation, furent ou des missionnaires de la vérité, ou des réfugiés qui demandaient un asile contre les persécutions. Ces cloîtres, cachés dans nos vallées du Jura, dans les forêts de nos vallons, servirent de refuge à bien des victimes de la violence qui signala les premiers temps de la féodalité. Dans les temps de la grandeur des évêques de Lausanne, les parvis de Notre-Dame et les nombreux couvents qui l'entourent, accueillent des étrangers qui viennent ou chercher l'absolution de leurs fautes ou la tranquillité que leur patrie leur refuse. Cependant, une révolution proclamée par Luther bouleverse le monde politique et religieux; l'Eglise romaine est proscrite du Pays de Vaud, qui reçoit la religion de l'Evangile. Alors les protestants français, persécutés par le roi François Ier et ses successeurs, arrivent en foule. Ils apportent au Pays de Vaud leur foi, leurs moeurs, leur industrie, et deviennent des citoyens actifs d'une patrie qui les adopte au nombre de ses enfants.

Ces migrations de réfugiés protestants de la Savoie et de la France continuèrent pendant la dernière moitié du XVIe siècle, et ne cessèrent que lorsque Henri IV, par son édit de Nantes, rendit aux protestants français leur culte, leurs droits et leur patrie. La guerre de Trente-Ans jeta dans le Pays de Vaud d'autres réfugiés; des protestants de la Bohême, de la Hongrie et des Etats de l'Allemagne, vinrent lui demander asile. Plusieurs s'y fixèrent, et illustrèrent leur nouvelle patrie, entre autres le Trainsilvain Jean Balthasard, qui, devenu Vaudois et baron de Prangins, fut appelé en France, où, pendant la guerre de Trente-Ans, il commanda un régiment d'infanterie. Nommé lieutenant-général, il commanda en chef l'armée de Catalogne pendant la guerre de 1654. L'Electeur Palatin le nomma son premier ministre et généralissime de ses troupes. La paix d'Aix-la-Chapelle rendit le baron de Prangins au Pays de Vaud, auquel il consacra la fin de sa carrière. Un burgrave, le comte de Dohna, fuyant la guerre de Trente-Ans, se réfugie dans le Pays de Vaud, devient baron de Coppet, et son fils, né dans le Pays de Vaud, parvient aux premiers grades de l'armée hollandaise.

Les évènements d'Angleterre qui ramenèrent sur son trône le fils de Charles Ier, mort sur l'échafaud en 1649, forcèrent plusieurs juges de ce malheureux roi à venir demander l'hospitalité au Pays de Vaud. L'Allemangne repoussait les juges de Charles Ier, et la Hollande, quoique ennemie des Stuart, livrait ceux qui s'étaient réfugiés chez elle. Transportés en Angleterre, ils y furent condamnés à mort et exécutés. Le lieutenant-général Ludlow, Lisle et Cawley, compris dans cette sentence de proscription, durent quitter Genève qui leur refusait un asile, intimidée qu'elle était par les menaces de la cour de France qui secondait les intérêts de la maison de Stuart. «En cette conjoncture,» dit le général Ludlow dans ses mémoires, «nous nous adressâmes aux seigneurs de Berne pour demander leur protection, en quoi nous fûmes secondés avec beaucoup d'affection par M. le bourgmaître de Lausanne, qui venait d'être nommé à la place de feu M. Gaudard, le seul ami de la monarchie et le seul ennemi de notre cause qu'il y eût dans cette ville.... Arrivé à Lausanne, j'y trouvai MM. Lisle et Cawley, qui avaient déjà reçu l'acte de protection de LL. EE., accordé sous nos noms, ce que je remarque pour leur honneur, car c'était une preuve de générosité et de leur courage, de nous recevoir et d'avouer notre cause, tandis que nous avions été abandonnés de ceux qui avaient le même intérêt à soutenir que nous1.» Ludlow et ses amis, le chevalier Lisle et Cawley, furent bientôt rejoints à Lausanne par d'autres régicides anglais : Say, le capitaine Bisco, Dendy, Phelips, Love, Bethel, Holland, et André Broughton qui avait lu à Charles Ier son arrêt de mort. Six d'entre eux quittèrent Lausanne pour Vevey; Dendy, Broughton et Lisle restèrent à Lausanne. «Les magistrats et le peuple de Vevey,» dit Ludlow, «nous reçurent avec toutes les marques de civilité et de bienveillance. Le vin de la ville nous fut offert en abondance, et le banneret, accompagné de la plupart des membres du Conseil, nous rendirent visite et nous remercièrent de l'honneur que nous faisons, disaient-ils, à leur ville de venir y demeurer. Les souffrances que vous avez endurées pour la liberté de votre pays, ajouta le banneret, sont le principal motif de notre empressement à vous offrir cordialement nos services.» Logés dans la maison du conseiller Dubois, les régicides reçurent le lendemain une nouvelle visite du Conseil et les semesses, et furent informés qu'on avait marqué des places dans les deux églises, et que le commandeur avait ordre de les accompagner pour la première fois dans l'une, et le châtelain dans l'autre.

Les réfugiés se rendirent bientôt à Berne pour témoigner à LL. EE. leur reconnaissance pour l'asile qu'ils recevaient dans leurs états, et leur présentèrent l'adresse suivante :

Illustres, hauts, puissants, souverains et très-honorés seigneurs!

Contraints par l'étrange révolution d'Angleterre, le lieu de notre naissance, de quitter notre patrie, après y avoir fait notre possible pour l'avancement de la gloire de Dieu et le bien de la République, nous avons trouvé une assistance particulière du Tout-Puissant, en ce qu'il a disposé VV. EE. à nous secourir et protéger au temps de notre adversité.... Nous adressons nos voeux au Seigneur pour le remercier d'une grâce si particulière, et pour témoigner à VV. EE. jusqu'où va notre sentiment.... Nous prenons aussi cette occasion pour vous donner les assurances du sentiment que nous avons de tant de bontés qu'il vous a plu de nous témoigner, pour vous assurer de notre obéissance, et de la grande passion que nous avons de vous en pouvoir donner quelques marques considérables, si Dieu nous en fournit l'occasion, ce que nous ne désespérons pa. Nous prions l'Eternel qu'il veuille fortifier de plus en plus VV. EE. à le servir, jusqu'à ce qu'après avoir fini votre course ici bas, vous receviez la couronne qui est préparée pour ceux qui le craignent.

Illustres, hauts, puissants, souverains et très-honorés seigneurs! Vos très-humbles et obéissants serviteurs.

EDMOND LUDLOW.

Présentés par le doyen Humel, premier pasteur de Berne, et par le trésorier Steiger, à l'avoyer régnant, Antoine de Graffenried, les réfugiés reçurent l'accueil le plus distingué de ce premier magistrat de la république, l'assurance de la bonne volonté de LL. EE. envers eux et la promesse de la continuation de leur protection. Après cette audience, le trésorier Steiger, le colonel de Weiss et un autre sénateur, accompagnés du grand sautier et de trois gentilshommes, offrirent, au nom de LL. EE., un banquet aux réfugiés. Bientôt, dit Ludlow, deux officiers, vêtus de la livrée de LL. EE., entrèrent avec les vins d'honneur; sur quoi un des trois gentilshommes se leva et fit, au nom de LL. EE., une harangue qu'il conclut en nous assurant de la continuation de leur bienveillance. Dans sa réponse, le général Ludlow rappela les malheurs des patriotes de l'Angleterre, l'usurpation d'Olivier Cromwell, sa tyrannie et son règne de cinq ans, pendant lequel il persécuta les hommes restés fidèles aux intérêts de la république, et corrompit l'armée à un tel point qu'à la mort de cet usurpateur, on ne peur obtenir d'elle qu'avec beaucoup de peine que le fils de Cromwell serait déposé, et qu'on rétablit un parlement républicain. Mais, bientôt, ajouta Ludlow, le général Monk, comblé de faveurs par le parlement, trahit la cause qu'on lui avait confiée, et, au mépris de mille serments, il introduisit au parlement des membres qui lui étaient dévoués, fit ainsi pencher la balance contre la république, et, par le secours d'une armée corrompue, ramena sur le trône le fils du dernier roi. — Les patriciens bernois remercièrent Ludlow de son discours, et «témoignèrent leur profonde sensibilité pour les malheurs tombés sur nous et sur une si bonne cause par l'effet de la lâche trahison du général Monk.» Le banquet terminé, les seigneurs bernois conduisirent les Anglais à l'église, où ils reçurent les places les plus honorables. Le trésorier Steiger, ayant à sa droite le général Ludlow, ouvrait le cortège, précédé du grand sautier, portant la masse de la république2. Cette protection, ces honneurs conférés par l'aristocratie bernoise à des hommes qui avaient fait tomber la tête d'un roi, doit nous surprendre. Mais, observe un patricien bernois, M. Sinner, «le zèle du protestantisme contribuait à cet empressement; on regardait la maison des Stuart comme favorable à la religion de Rome; les sentiments des presbytériens, qui faisaient le plus grand nombre des républicains anglais, se rapprochaient de ceux des églises helvétiques3

Cependant, le séjour des réfugiés anglais à Lausanne et à Vevey attira l'attention de Henriette de France, tante de Louis XIV et veuve du malheureux Charles Ier. Comme Berne refusait de les expulser, il paraît que cette princesse voulut venger la mort de son mari par celle de ses juges. Le 14 novembre 1663, une troupe de douze hommes, enveloppés de larges manteaux, débarquèrent pendant la nuit à Vevey, et s'embusquèrent dans les rues que devait suivre Ludlow pour se rendre à l'église, tandis que les bateliers les attendaient, les rames disposées et prêts à partir. Ces inconnus avaient coupé, aux bateaux du port, les attaches d'osier qui servent à tenir les rames, afin qu'on ne pût les poursuivre. L'alarme fut bientôt donnée et les inconnus se rembarquèrent précipitamment pour la Savoie. Quelques jours après, un des bateliers suspects fut arrêté à Morges par les soins du bailli. Cet homme ne voulut rien avouer, mais transporté au château de Chillon, et menacé par le bailli et le baron du Chatelard de recevoir l'estrapade, il confessa que deux Savoyards, MM. de la Broette et du Targis, étaient dans le bateau avec M. Dupré4, beau-frère de M. de la Fléchère de Nyon, et un étranger nommé Riado. Le batelier ajouta que c'était un de ses camarades qui, pendant la nuit, avait coupé les osiers de tous les bateaux de Vevey, et que M. Dupré lui avait dit, en arrivant à Evian, que s'ils avaient réussi dans leur entreprise, ils n'auraient pas manqué d'argent. Plusieurs autres tentatives du même genre eurent lieu pendant l'été; l'une d'elles fut fatale à John Lisle, réfugié à Lausanne. Un homme, le dimanche 11 août, entre dans la boutique d'un barbier, il voit M. Lisle, il sort de la boutique, le salue à son passage, le suit jusques sur la place de St-François, et, au moment où M. Lisle allait entrer dans l'église, il sort de son manteau une carabine qu'il lui décharge dans le dos et l'étend roide mort. Le recul de l'arme fait tomber l'assassin, que se relève aussitôt, abandonne son arme et son chapeau, court vers la porte de St-François et rejoint un cavalier qui l'attendait avec un cheval. L'assassin s'élance à cheval, crie Vive le roi! et, avec son complice, s'enfuit à bride abattue par la route de Morges. Ils rencontrent des paysans et leur crient : Nos respects à Messieurs de Lausanne; nous boirons à leur santé! Cette évènement indigna la population du Pays de Vaud. Le bailli de Chillon et son lieutenant, à Vevey, M. de Joffrey, donnèrent les ordres les plus sévères pour prévenir de pareils attentats sur les personnes de réfugiés placés sous la sauvegarde de LL. EE. La maison de Ludlow et de ses compatriotes fut fortifiée; on publia à Vevey, à la Tour, à Blonay et dans les autres villages du voisinage, l'ordre de saisir toutes les personnes suspectes; qu'au son de la grosse cloche de Vevey ou à l'ouïe d'un coup de canon, ou à la vue d'un feu qu'on allumerait sur une des tours de la ville, chacun prendrait les armes et saisirait tous les étrangers ou inconnus, et que s'il arrivait qu'on fit ces signaux de nuit, chacun eût à se rendre avec les armes à la demeure du général Ludlow pour y recevoir des ordres.

Cependant, ces tentatives contre la vie des républicains anglais cessèrent pour quelque temps. Louis XIV avait interrompu ses relations avec Charles II, son neveu; il s'était allié avec la Hollande, se préparait à soutenir la guerre contre l'Angleterre, et avait envoyé en Suisse le général Stouppa, pour hâter les levées des compagnies franches que cet officier s'était engagé de fournir à la France. Stouppa, jugeant à quel point le général Ludlow, qui avait commandé en chef pendant les guerres civiles de l'Angleterre, pouvait être utile dans l'expédition projetée par Louis XIV, vint à Vevey, où il eut une conférence secrète avec Ludlow. Il lui exposa que la France et la Hollande n'avaient aucun grief contre la nation anglaise, mais seulement contre Charles II, et qu'il espérait que lui, et ses amis les réfugiés anglais, agiraient de concert avec les ennemis du roi, pour le bien de l'Angleterre. Il lui demanda ensuite quelle espérance on pouvait fonder sur le parti républicain; enfin, s'il était à présumer que les républicains anglais, secondés par un petit nombre de troupes, fussent en état de triompher des royalistes. Dans une seconde conférence, Ludlow promit à Stouppa que, si l'on proposait quelque moyen légitime et honorable pour rétablir la République en Angleterre, il emploierait tous ses efforts et donnerait même sa vie pour y parvenir. Stouppa, de son côté, promit de l'argent au nom de la France, pour aider les réfugiés à faire leurs préparatifs de guerre, et convint avec Ludlow des moyens d'entretenir avec lui une correspondance secrète. Peu de jours après, Fréderic Dohna, baron de Coppet, venait à Lausanne pour lever un régiment de trois mille hommes pour la Hollande, et prenait des dispositions avec les réfugiés anglais pour que la levée qu'il faisait, dans le Pays de Vaud, fût employée à rétablir la République en Angleterre. Le baron de Coppet pria Ludlow de venir à Lausanne, et lui offrit, de la part du Grand-Pensionnaire, Jean de Witt, un commandement dans l'armée hollandaise. — Le Grand-Pensionnaire lui écrivit aussi pour l'engager à se rendre en Hollande, pour y concerter une expédition. Enfin, deux républicains anglais vinrent de Hollande pour le presser d'accepter les offres de la Hollande et de la France. Mais Ludlow répondit que toute entreprise, pour rétablir la république en Angleterre, était inutile, parce que la brouillerie entre les rois de France et d'Angleterre serait bientôt terminée, et ajouta qu'en recourant à des protections étrangères, il risquait, ainsi que les autres réfugiés, de perdre celle du canton de Berne, et qu'il était de son devoir de s'abstenir de toute espèce d'intrigues dans un pays qui lui offrait l'hospitalité. L'évènement justifia les prévisions de Ludlow. Louis XIV ne prit que peu de part à la guerre contre l'Angleterre, et, tandis que l'amiral Ruyter détruisait la flotte anglaise et menaçait la ville de Londres, il traitait avec l'Angleterre. Après des conférences qui traînèrent en longueur, et ne furent terminées qu'à la nouvelle des victoires de l'amiral hollandais, la paix fut signée à Breda, le 26 janvier 1667, entre les trois puissances. Cependant, Charles II se ligua, quelques années après cette paix, avec Louis XIV, pour fair la guerre à la Hollande. Alors «Ludlow et ses amis, dit l'auteur Du Canton de Vaud, le professeur Olivier, n'eurent désormais que la consolation des proscrits : l'attente d'un avenir qui ne vient pas, parce que cet avenir qu'ils demandent, c'est le passé qu'ils ont déjà tenu dans leurs mains et qui est tombé pour toujours. Ludlow en fit la cruelle expérience. La révolution de 1688, qui chassa les Stuart de l'Angleterre, le trouva encore vivant. Le vieux républicain accourut à Londres. L'ordre de lui faire son procès l'y attendait. Frappé au coeur, il revint mourir auprès de ses amis de Vevey.»

Louis XIV était au faite de la puissance. Ses armées avaient partout vaincu ses ennemis, lui avaient comquis la Flandre, l'Alsace, Strasbourg et la Franche-Comté; ses flottes, commandées par Duquesne, avaient rendu le pavillon français redoutable par trois victoires. Gènes et Alger avaient été bombardés, pour leur apprendre à respecter le commerce français. Les poètes, les orateurs, célébraient sa gloire, et la magnificence qu'il déployait à Versailles, qu'il avait créé, l'enivrait encore. Jamais roi n'avait reçu plus d'encens. Ce fut alors que les Jésuites lui inspirèrent la volonté d'extirper l'hérésie. Les protestants furent persécutés et massacrés; mais, plutôt que d'abjurer, ils quittèrent la France en foule, et se réfugièrent en grand nombre dans le Pays de Vaud.

«L'austérité des moeurs des protestants, dit Voltaire, leur économie, l'amour du travail, leur probité : toutes ces qualités, fruit des institutions que Calvin avait données aux églises protestantes françaises, avaient fait des Calvinistes français la portion la plus industrieuse de la nation. Colbert, qui, par son système de finances, put fournir les sommes immenses que les guerres de terre et de mer et le luxe de la cour exigeaient incessamment, voyant que les négociants les plus accrédités et les manufacturiers les plus industrieusx du royaume, étaient des protestants, les employa préférablement dans l'administration des finances, dans les arts, dans les manufactures, dans la marine, et même appela un négociant protestant au ministère des finances, en nommant Hervart contrôleur général des finances. Cependant les Jésuites, alarmés de la prépondérance que prenaient les Calvinistes, résolurent leur perte. Un jésuite, confesseur du roi, le chancelier le Tellier, et le marquis de Louvois, tous deux ennemis de Colbert, le Pape et tout le clergé catholique en général, par leurs insinuations et par leurs remontrances continuelles, animèrent Louis XIV contre les réformés.

«On s'appliqua d'abord à miner l'édifice de leur religion, dit Voltaire. — On leur ôtait un temple sous le moindre prétexte; on leur défendait d'épouser des filles catholiques. Les intendants des provinces et les évêques tâchaient, sous divers prétextes, d'enlever aux Calvinistes leurs enfants. En 1681, les Calvinistes furent exclus des places des finances et des communautés des arts et métiers. On employa surtout l'argent. On envoyait de l'argent dans les provinces; on tâchait d'opérer beaucoup de conversions pour peu d'argent, et tous les trois mois on présentait au roi des listes de convertis, en lui persuadant que tout cédait dans le monde à sa puissance ou à ses bienfaits. Le conseil royal, encouragé par ces petits succès, donna, en 1681, une déclaration, par laquelle les enfants étaient reçus à renoncer à leur religion dès l'âge de sept ans; et à l'appui de cette déclaration, on prit dans les provinces beaucoup d'enfants pour les faire abjurer, et on logea des gens de guerre chez les parents. Cette mesure fit, dès la même année, déserter beaucoup de familles du Poitou, de la Saintonge et des provinces voisines. Le conseil, sentant combien étaient nécessaires les artisans dans un pays où le commerce florissait, et les gens de mer dans un temp où l'on établissait une puissante marine, ordonna la peine des galères contre ceux de ces professions qui tenteraient de s'échapper. On remarqua que plusieurs familles calvinistes vendaient leurs immeubles; aussitôt parut une déclaration qui confisqua tous ces immeubles, en cas que les vendeurs sortissent dans un an du royaume. Alors la sévérité redoubla contre les ministres : on interdisait leurs temples pour la plus légère contravention; toutes les rentes, laissées par testament aux églises protestantes, furent appliquées aux hôpitaux. On défendait aux maîtres d'école calvinistes de recevoir des pensionnaires; on ôta la noblesse aux maires protestants; les officiers de la maison du roi, qui étaient protestants, eurent ordre de se défaire de leurs charges; on n'admit plus ceux de cette religion parmi les notaires, les avocats, les procureurs. Il était enjoint au clergé catholique de faire des prosélytes, et il était défendu aux pasteurs protestants d'en faire, sous peine de bannissement perpétuel.

«Enfin, les protestants osèrent désobéir. Ils s'assemblèrent dans le Vivarais et dans le Dauphiné, près des lieux où l'on avait démoli leur temples : on les attaqua, ils se défendirent. Deux ou trois cents malheureux, sans chef, sans appui, même sans desseins, furent dispersés : les supplices suivirent leur défaite; le petit fils du pasteur Châmier, qui avait dressé l'Edit de Nantes, fut roué; l'intendant du Languedoc fit rouer vif le pasteur Chomel; on en condamna trois autres au même supplice, et dix à être pendus. Ce fut alors qu'on persuada à Louis XIV, qu'après avoir envoyé des missionnaires dans toutes les provinces, il fallait y envoyer des troupes. Vers le fin de 1684, elles furent envoyées dans toutes les villes et dans tous les châteaux où il y avait le plus de protestants; et comme les dragons furent ceux qui commirent le plus d'excès, on appela cette exécution la dragonade. Les frontières étaient soigneusement gardées pour prévenir la fuite de ceux qu'on voulait convertir; c'était une espèce de chasse qu'on faisait dans une grande enceinte. Un évêque, ou un intendant, ou un curé, marchait à la tête des soldats. On assemblait les principales familles calvinistes, surtout celles qu'on croyait les plus faciles à convertir : elles renonçaient à leur religion au nom des autres, et les obstinés étaient livrés à la brutalité des soldats.

«C'était un étrange contraste, observe l'auteur du siècle de Louis XIV, que, du sein d'une cour voluptueuse, où régnaient la douceur des moeurs, les graces, les charmes de la société, il partit des ordres si durs, si impitoyables. Louvois porta dans cette affaire l'inflexibilité de son caractère; on y reconnut le même génie qui avait voulu ensevelir la Hollande sous les eaux, et qui depuis mit le Palatinat en cendres. Paris ne fut point exposé à ces vexations; les cris se seraient fait entendre au trône de trop près : on veut bien faire des malheureux, mais on souffre d'entendre leurs clameurs.

«Tandis qu'on faisait ainsi tomber partout les temples et qu'on demandait des abjurations à main armée, l'Edit de Nantes fut enfin cassé, au mois d'octobre 1685, et on acheva de ruiner l'édifice qui était déjà miné de toutes parts. Il fut ordonné à tous les ministres qui ne voulaient pas se convertir, de sortir du royaume dans quinze jours. Une grande partie du troupeau suivit les pasteurs. Près de cinquante mille familles, en trois ans de temps, sortirent de la France, et furent après suivies par d'autres; elles allèrent porter, chez les étrangers, les arts, les manufactures, les richesses. Presque tout le nord de l'Allemagne, pays encore agreste et dénué d'industrie, reçut une nouvelle face de ces multitudes transplantées : elles peuplèrent des villes entières. Les étoffes, les gallons, les chapeaux, les bas, qu'on achetait auparavant de la France, furent fabriqués par eux : un faubourg entier de Londres fut peuplé d'ouvriers français en soie; d'autres y portèrent l'art de donner la perfection aux cristaux, qui fut alors perdu en France. Ainsi, la France perdit environ cinq cent mille habitants, un quantité prodigieuse d'espèces, et surtout des arts, dont ses ennemis s'enrichirent.»5

Les protestants arrivèrent par milliers à Genève et dans le Pays d Vaud, et bientôt ils parurent en si grand nombre sur les bords du Léman, que Berne dut ordonner à la plupart d'entre eux de porter leurs pas plus loin, pour faire place aux nouveaux arrivants. Un jour, à Lausanne, on en compta plus de deux mille. Chacun les secourait à l'envi : conseiller, bourgeois, étranger, chacun ouvrait sa maison aux fugitifs. A Berne, la ville donnait deux batz par jour à chaque réfugié, et six creutzers aux enfants. Beaucoup restèrent dans le canton, et peu d'années après le grand passage, on y en comptait plus de six mille, dont quatre mille prirent leur domicile dans le Pays de Vaud.

Le premier acte des réfugiés à Lausanne, fut d'établir un comité chargé de veiller à leurs intérêts. A la fin de septembre 1687, ils eurent une assemblée générale qui nomma la Compagnie députée pour les affaires des Français réfugiés à Lausanne pour la cause du St Evangile. Les pasteurs Barbeyrac, de Mejane et Julien, MM. de St Hilaire, de Viguelles et Clary, ces derniers laïques, furent nommés membres de la Compagnie, qui reçut pour mission «de visiter et consoler les malades, veiller sur les moeurs, censurer les scandaleux, terminer les différents, réconcilier ceux qui pourraient être en querelles et division, et défére les réfractaires à Messieurs les magistrats et au Vénérable Consistoire de Lausanne, pour les corriger selon leur prudence et exigence du cas.»6

Cependant, les ressources des malheureux réfugiés furent bientôt épuisées, ainsi que les fonds que le conseil de Lausanne et la charité des citoyens avaient donnés pour être distribués aux plus nécessiteux. Les pasteurs de Lausanne firent un appel en leur faveur, et bientôt une collecte donna un premier secours de cinq cents francs. Comme chaque jour de nouveaux malheureux arrivaient, malades et privés de toute ressource, et que la plupart des familles aisées de Lausanne avaient chez elles des réfugiés, le Conseil ouvrit à ceux-ci un hôpital à l'Evêché, fit distribuer deux cents livres de pain par jour et du bois de chauffage. Enfin, il «donna à la Compagnie la permission de présenter des boîtes pour receuillir quelques charités, tous les vendredis, aux portes des églises de la Cité et de St François.»

Mais l'affluence des réfugiés allait en augmentant, et, malgré l'abondance des secours publics et particuliers, la Compagnie ne pouvait suffire aux besoins les plus pressants. Alors, elle résolut de s'adresser à tous les protestants de l'Allemagne, et convoqua, dans ce but, à Lausanne, l'assemblée générale des réfugiés. Le pasteur Barbeyrac fit un tableau de la situation, et proposa qu'une députation des réfugiés dans le Pays de Vaud, fût envoyée en Allemagne et en Hollande, pour demander des secours. L'assemblée adopta cette proposition, et nomma députés Mr Bernard, pasteur de Manosque en Provence, et le marquis de Mirmond, gentilhomme du Languedoc. Voici quelques passages de l'adresse que la députation fut chargée de présenter dans sa mission :

Les Pasteurs, les Anciens et les autres Chrétiens Protestants de France, réfugiés en Suisse pour la cause de l'Evangile :

Aux Rois, Electeurs, Princes, Magistrats et tous les autres Chrétiens protestants Evangéliques!

Nous avons prié nos très-chers frères d'aller vers vous pour implorer vos compassions envers tant de fidèles qui, pour la cause de l'Evangile, sont exposés à toutes sortes de calamités. Nous vous conjurons, au nom du Seigneur, d'être touchés de notre lamentable état, et de considérer qu'il n'y a point de douleurs pareilles à notre douleur. Nous portons l'indignation de l'Eternel, parce que nous avons péché contre lui. Mais nous sommes pourtant ses enfants, et c'est pour son nom que nous souffrons tant d'outrages de la part des hommes... Si nous voulions recevoir les traditions humaines, vivre dans la communion de l'Ante-Christ, et nous prosterner devant les idoles, le monde nous aimerait. Mais il nous persécute et nous opprime, parce que nous ne voulons point d'autres règles de notre foi et de notre culte que la Parole de Dieu; que nous ne voulons adorer, servir et invoquer que le grand Dieu; que nous ne voulons reconnaître d'autres chefs de l'Eglise, d'autres médiateurs, d'autres intercesseurs, d'autres patrons que Jésus-Christ, et d'autres sacrifices expiatoires que son sang..... C'est donc pour la gloire de Dieu que nous souffrons, et dans cette assurance nous vous supplions de nous recevoir comme vos frères en Jésus-Christ, comme les héritiers de la foi et des afflictions des anciens fidèles Vaudois et Albigeois, et, comme eux, nous sommes aujourd'hui dispersés par tout le monde, pour être à leur imitation les témoins du Seigneur Jésus. Ce pourquoi nous avons chargé nos bien-aimés frères, Bernard et de Mirmond, de vous conjurer, au nom du Seigneur :

1o De vouloir entretenir avec nous l'union et la communion des Saints, de nous consoler et de nous soulager, puisque nous sommes avec vous les enfants d'un même père, les membres d'un même corps, et le temple vivant d'un même esprit. Nous supplions surtout, nous conjurons par les compassions de Christ, nos frères de la Confession d'Augsbourg, de considérer que les dissentiments qui sont entr'eux et nous, sur des points qui ne touchent pas l'essense et le fondement du salut, ne doivent pas empêcher que nous n'ayons entre nous une mutuelle charité et une chrétienne fraternité et tolérance. Car puisque nous convenons dans les points fondamentaux du salut, nous sommes tous de Christ.

2o De vouloir adresser à Dieu des prières pour les fidèles dispersés, pour ceux qui sont détenus dans les couvents, dans les prisons, dans les galères, et pour leurs pauvres enfants qui sont élevés dans l'anti-christianisme.

3o De vouloir donner à notre pauvre peuple des retraites et des terres à défricher, dans les lieux où vous pourrez le faire.

4oDe faire ensorte qu'on fasse des collectes dans toutes les villes, pour en employer le produit pour faire subsister ce pauvre peuple, en attendant qu'il puisse vivre de son travail, pour entretenir les pasteurs et les maîtres d'école, et pour subvenir aux pressantes nécessités d'autres fidèles, dont plusieurs ayant abandonné, pour la cause de l'Evangile, les biens qui les faisaient subsister, n'ont point d'industrie pour gagner leur vie, ou se trouvent accablés de maladie ou de vieillesse.

5o Enfin, d'accorder votre protection à nos frères députés, ou à ceux que nous leur peur permettons de substituer à leur place.

Suisse, 25 mar 1688.

Barbeyrac, Gautier, Lavigne, Guibert, Durand, Reynier, de Loriol, de Bons de Farges, et quarante-huit autres délégués des réfugiés.

MM. Bernard et de Mirmond réussirent dans leur mission. Tous les coeurs s'ouvrirent aux infortunes des réfugiés, dont la plus grande partie passèrent en Prusse et dans les autres états de l'Allemagne protestante, où ils trouvèrent des terres à mettre en culture, et des professions lucratives à excercer. Les réfugiés qui se fixèrent dans les villes et dans quelques communes rurales du Pays de Vaud, ne reçurent point, il est vrai, la bourgeoisie, comme les réfugiés français et savoyarde au XVIe siècle; car à la fin du XVIIe siècle les bourgeoisies, à l'exemple de Berne, s'étaient constituées en petites aristocraties jalouses de leurs priviléges, mais ils se constituèrent, dans la plupart des villes, en Corporations, dont les membres jouirent des droits des autres sujets de LL. EE., et furent astreints aux mêmes devoirs.

La présence des réfugiés produisit, au bout de peu d'années, un changement dans les moeurs et dans l'industrie de la plupart des villes du Pays de Vaud. On comptait, parmi ces réformés, plusieurs familles nobles qui apportèrent cette urbanité française, cette élégance de moeurs qui, pendant le XVIIIe siècle, distinguèrent la population lausannoise; des savants, des ministres, des orateurs, des littérateurs, apportèrent le goût de l'étude. L'un d'eux, le pasteur Barbeyrac, devint professeur à l'académie de Lausanne, et contribua à donner un nouveau lustre à cette institution. Des protestants d'une autre classe contribuèrent à développer l'industrie des villes où ils se fixèrent. Ce furent ces Français qui établirent des chapelleries, des imprimeries, des poteries, des fabriques d'indienne, de cotonne, de bas, des tanneries; d'autres ouvrirent des boutiques, et exercèrent diverses industries qui rendirent la prosperité à Lausanne, et la créèrent dans les autres villes. Jusqu'à l'arrivée des protestants français dans le Pays de Vaud, le commerce intérieur ne s'y faisait, en général, qu'au moyen des colporteurs, et toutes les marchandises provenaient de Bâle, de Zurich et de l'industrieuse Genève. Mais l'activité des réfugiés changea ce système de commerce, excita une grande émulation dans toutes les branches de production et même dans l'agriculture, qui reçut de nombreux perfectionnements par l'intelligence de ces paysans français qui, eux aussi, avaient quitté leurs chaumières pour trouver la liberté religieuse dans le Pays de Vaud.

Un marin illustre, Henri Duquesne, fils de cet amiral qui, vainqueur de Ruyter, éleva la marine française au-dessus de celle des Hollandais et des Anglais, se réfugia dans le Pays de Vaud après la révocation de l'Edit de Nantes. Duquesne devint baron d'Aubonne, et, lorsque, en 1689, le Pays de Vaud fut menacé par le duc de Savoie, il fut chargé par LL. EE. d'organiser une marine sur le lac Léman. Il fit construire un port à Morges, pour servir de point de réunion et d'abri à la flotille destinée à protéger les côtes du Pays de Vaud contre les incursions des Savoyards. Mr Mandrot, de Morges, fit équiper, sous la direction de Duquesne, plusieurs barques de guerre; l'une d'elles était la barque Mandrot, une autre la barque Panchaud. Elles avaient chacune soixante et dix pieds de long, douze rames, vingt-quatre rameurs, un canon du calibre de cinq et un quart, deux de trois et un quart, et six doubles arquebuses en batterie sur les côtés. Chacune de ces barques pouvait transporter quatre cents hommes d'infanterie, et avait un équipage armé de mousquets, de haches et de piques d'abordage. Les capitaines Blanchet, de Lutry, et Merle de Panex, commandaient les deux grandes barques. Duquesne, pour les bâtiments légers de la flotille, fit enregistrer toutes les barques, les brigantins, les cochères et les gros bateaux pêcheurs du lac. Les bateliers et les pêcheurs sortirent des milices, et furent inscrits sur les rôles de la flotille.7 Ce réfugié, qui contribuait ainsi à la défense du Pays de Vaud, qui lui donnait l'hospitalité, avait apporté de Paris le coeur de l'illustre amiral, son père, auquel la France refusait la sépulture, parce qu'il n'avait pas voulu abjurer la religion évangélique. Ce vieil amiral, fidèle à ses convictions, répondait à Louis XIV, qui lui reprochait son hérésie : Sire, lorsque j'ai combattu pour V. M., je n'ai pas songé si elle était d'une autre religion que la mienne. Henri Duquesne fit graver les paroles suivantes sur le tombeau qu'il érigea, dans le coeur de l'église d'Aubonne, à la mémoire de son père : Passant, interroge la cour, l'armée, l'Eglise, et même l'Europe, l'Asie, l'Afrique et les deux mers; demande-leur pourquoi l'on a élevé un superbe mausolée au vaillant Ruyter, et point à Duquesne, son vainqueur? .... Je vois que, par respect pour le Grand Roi, tu n'oses rompre le silence.

Pendant que Louis XIV persécutait les protestants et les forçait à s'expatrier, les Jésuites insinuaient au duc de Savoie qu'il devait imiter le zèle du grand roi, en abolissant aussi l'Eglise des Vaudois des vallées du Piémont et en les forçant à embrasser le catholicisme. L'ambassadeur français offrit même à Charles-Emmanuel II quatorze mille hommes pour aider à cette conversion, et, au mois d'avril 1686, les Français, commandés par Catinat, envahirent les vallées protestantes du Piémont. Après des efforts désespérés, les Vaudois, réduits au nombre de trois mille, durent céder aux attaques combinées de deux puissantes armées, et se réfugièrent dans les pays protestants : en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, à Genève, en Suisse et surtout dans le Pays de Vaud, le plus voisin de leur patrie. Après trois ans d'exil, ces réfugiés, aidés par leur correligionnaires d'Europe et excités par quelques chefs intrépides, prirent la détermination de rentrer à main armée dans leur patrie. Ils trouvèrent en Suisse, et surtout à Neufchâtel et dans le Pays de Vaud, des secours, des encouragements, et même la promesse formelle d'une vigoureuse et active coopération. Dès 1686, les Cantons évangéliques avaient intercédé en leur faveur auprès du gouvernement de Turin. Après plusieurs essais, qui furent déjoués par l'effet d'une publicité prématurée, comme il arrive presque infailliblement dans les affaires de ce genre, les Vaudois, vers le milieu de l'année 1689, se crurent mieux en mesure et se préparèrent à reconquérir leurs foyers. Les auxiliaires suisses, à la tête desquels s'était placé le capitaine Bourgeois, du Pays de Vaud, redoublèrent de protestations et d'offres d'assistance.

Cette aventureuse expédition eut une double issue : les Vaudois des Vallées, qui avaient un intérêt puissant à réussir, et qui d'ailleurs étaient poussés par un zèle religieux très-ardent et par la soif de la vengeance, marchèrent intrépidement en avant sous des chefs qui réunissaient, comme les juges d'Israël, le double caractère religieux et militaire. Ils renversèrent tous les obstacles, rentrèrent victorieux dans leurs pauvres et chères vallées, après avoir traversé les armées françaises et piémontaises. Quant aux militaires de la Suisse et du Pays de Vaud, qui étaient guidés par des sympathies, ils prirent de fausses mesures, marchèrent tard, rencontrèrent des forces imposantes, et mirent forcément le gouvernement de Berne dans le cas de prendre des mesures internationales pour rassurer la France et la Savoie, avec lesquelles il était en paix. «Changez les noms,» dit le professeur Gaullieur, auquel nous empruntons les lignes qui précèdent, «changez le siècle et le mobile, et vous aurez de point en point l'expédition des réfugiés italiens et polonais en Savoie, dont on peut parler comme étant déjà un peu d'histoire ancienne8.» Voici le récit textuel que le chef de l'expédition de 1689, Henri Arnaud, nous donne dans son livre :

«Le pasteur Henri Arnaud, nommé par ses compatriotes colonel et chef de l'expédition, leur donna rendez-vous dans le bois de Nyon, lieu fort propre à leur dessein, parce qu'ils pouvaient y demeurer facilement cachés, et qu'étant entre deux villes assez bonnes et fort proches de quelques bons villages, ils en pouvaient très-commodément tirer des vivres; outre qu'étant tout près du lac, il leur était très-facile de s'embarquer de nuit à la sourdine. Ils étaient pour la plupart heureusement arrivés au rendez-vous, et ils n'attendaient plus que quelques-uns de leurs. Mais ceux-ci, en passant par le canton papiste de Fribourg, furent arrêtés, et le médecin Bastie fut, en haine de la religion, laissé comme mort sous la pesanteur des coups dont on le chargea. Ceux qui les attendaient, ignorant ce qui se passait, lassés d'attendre, et craignant d'être découverts s'ils s'arrêtaient plus longtemps, ne songèrent plus qu'à passer le lac, au nombre de 8 ou 900 qu'ils étaient. Et, en effet, il était temps, car un bruit sourd s'était déjà répandu aux environs qu'il y avait des gens cachés dans le bois de Nyon. Ce bruit qui semblait leur devoir être contraire, leur fut, par une grâce toute divine, fort favorable; car, s'étant fait dans les lieux circonvoisins plusieurs gageures que c'étaient les Vaudois qui voulait faire quelque nouvelle entreprise, la curiosité porta divers particuliers à se transporter en bateaux aux endroits où l'on disait qu'ils étaient. Les réfugiés qui n'avaient que autre petits bateaux, jugeant que ce n'était point assez pour passer le lac avec toute la diligence que la nécessité demandait, se saisirent des bateaux de ceux que la curiosité avait ainsi amenés.

«Les Vaudois ayant par ce moyen 14 ou 15 bateaux, et M. Arnaud, qui se faisait appeler M. de la Tour, ayant fait la prière, ils s'embarquèrent entre neuf et dix heures de la nuit du vendredi 16 au samedi 17 août 1689. Comme il y avait eu le jour auparavant un jeûne général dans toute la Suisse protestante, et qu'on y était plongé dans la dévotion, cela ne contribua pas peu à la tranquillité avec laquelle ils passèrent le lac. Cependant, tout cela ne se passa pas sans une trahison des plus noires. Car un nommé M. de Prangins, fils de feu M. de Balthazard, qui avait un bien près de Nyon, s'en couru comme un Judas tout le reste de la nuit à Genève, et y déclara ce qu'il venait de voir au résident de France, qui alla aussitôt à Lyon pour y faire marcher des dragons contre la troupe des Vaudois9.

«Le permier trajet de bateaux fut heureux, et ils furent rejoints par un qui leur amenait dix-huit réfugiés. Cependant, après ce premier trajet, des bateaux qui avaient été renvoyés pour chercher ceux qui n'avaient pu passer la premier fois, il n'en revint que trois au bois de Nyon; les autres ayant pris le chemin de la fuit. Il y avait encore 200 hommes au rivage de Suisse, qu'on fut obligé d'abandonner pour au plus vit lever le piquet d'un lieu où l'on était trop en danger. Cependant, un nommé Signat, réfugié de Tonneins en Guyenne, homme zélé et établi à Nyon en qualité de batelier, s'offrit de passer les Vaudois pour rien; ce qu'il fit avec les autres bateliers. Mais pendant qu'il prenait congé des Vaudois débarqués en Savoie, les bateliers non-seulement s'en allèrent, mais même emmenèrent son bateau. Signat eut beau courir après et crier qu'ils eussent à le venir prendre, pas un de ces bateliers n'en voulut rien faire, de sorte qu'il se trouvait for embarrassé, car, de retourner par terre à Nyon, il appréhendait qu'il ne lui en coûtât la vie si les Savoyards venait à l'attraper. Les Vaudois le voyant dans l'embarras à cause d'eux, lui dirent qu'il ne devait pas regretter son bateau, puisque, s'il voulait embrasser leur parti, on lui donnerait au lieu d'un bateau une bonne maison. Ce qu'il accepta en se joignant à eux.

«Voilà donc les Vaudois débarqués en Chablais entre Nernier et Ivoyre, en très-petit nombre, mais résolus de marcher pour recouvrer, les armes à la main, leur patrie, et y replanter la véritable Eglise de Jésus-Christ. Quand tout ce qui put passer fut arrivé, on en forma un corps particulier que le capitaine Bourgeois devait commander; mais il manqua au rendez-vous. Ce corps fut divisé en dix-neuf compagnies, dont six étaient composées de réfugiés presque tous du Languedoc et du Dauphiné, et les treize autres de différentes communes des Vallées. Après s'être ainsi organisés, ils invoquèrent le secours du ciel, à ce qu'il voulût conduire leur entreprise.»

Arnaud donne ensuite le journal de son expédition, dans laquelle il déploya de grands talents militaires, et ses compagnons une admirable intrépidité. La Savoie était dégarnie de troupes, et pour prévenir la levée des habitants, ils prenaient partout des gentilshommes en ôtage, et s'engagèrent dans les montagnes. Ils franchirent les neiges de Haute-Luce et celles du Mont-Cenis. Ils battirent près de Sallabertran le marquis de Larey, et le 25 août, ils revirent, de la hauteur de Sci, leurs chères vallées, la terre de leurs pères. Les jours suivants, ils en chassèrent les Piémontais, reprirent la possession de leurs églises et y chantèrent le psaume LXXIV :


Faut-il, ò Dieu, que nous soyons épars,
Et que sans fin ta colère enflammée
Jette sur nous une épaisse fumée,
Sur nous, Seigneur, le troupeau de tes parcs?
Reviens à nous, et n'abandonne pas
A ces vautours ta faible tourterelle;
Sois le soutien de ton peuple fidèle,
Près de périr dans ces rudes combats....

«Les Vaudois trouvèrent les cavernes des Alpes pour habitation, des herbes pour nourriture. Joyeuse indigence, rochers stériles mais sacrés; ils surent les défendre contre vingt mille hommes savoyards et français, commandés par Catinat10

L'expédition de ces intrépides réfugiés fit une grande sensation dans le Pays de Vaud. Chacun s'intéressait au succès de cette poignée de braves qui se jetaient avec audace au milieu d'un pays catholique leur mortel ennemi, et allaient braver des armées aguerries commandées par le premier général de l'époque. «Alors,» dit Arnaud, «le capitaine Bourgeois11 devint l'objet des plus vives récriminations.... Le dit sieur Bourgeois, qui vivait dans la confusion d'entendre qu'on lui reprochait tous les jours comme une lâcheté et comme perfidie le refus qu'il fit, quand il fit question de partir, de la charge de commandant en chef que les directeurs de la troupe vaudoise avaient accordée à ses empressements, et voyant quantité de braves gens qui ne demandaient qu'à entreprendre, voulut faire voit que ce n'était point le coeur qui lui manquait. Il se déclara hautement capitaine-général de tous ceux qui voudraient le suivre. Alors, continue Arnaud, quantité de misérables gens, qui étaient sur le pavé et ne savaient où donner de la tête, entendant parler de cette nouvelle entreprise, avec des circonstances qui semblaient leur promettre des demeures et du pain, accoururent de tous côtés. Le zèle pour la religion, soit qu'il fut réel ou prétendu, joint à l'envie assez naturelle aux hommes de suivre toutes les nouveautés, en amena encore beaucoup; de sorte que tout cela forma encore une troupe assez passable.»

Les préparatifs du chef de l'expédition n'étaient un secret pour personne : «Le chef de cette nouvelle troupe, loin de garder le secret, qui est la clef des entreprises, se fit au contraire la gloire de faire éclater ce qu'ils allaît entreprendre. Aussi, le bruit ayant retenti jusqu'aux oreilles des Savoyards que 500 Luzernois12, suivis de 2 ou 3 mille autres, avaient passé le lac vers Cologny, près de Genève, on sonna le tocsin dans tout le Chablais. Le juge de St-Julien et quelques autres officiers de S. A. R. écrivirent à Leurs Excellences de Genève, les priant d'empêcher que ces gens ne passassent sur leurs terres. Le conseil de Genève répondit qu'il empêcherait bien que ce prétendu attroupement ne passât par la ville, mais qu'on ne pouvait pas si bien répondre du dehors et surtout pendant la nuit. Messieurs de Genève firent plus encore, car ayant reçu une lettre de Messieurs de Berne qui leur donnaient avis du mouvement qui se faisait au nom des Vaudois, et qui les invitaient à s'opposer au passage de ceux qui les voudraient suivre, firent publier défense à tous citoyens, bourgeois, habitants et sujets de se joindre à ceux qu'on disait vouloir aller en Piémont.»

Cependant, mille bruits divers couraient dans le Pays de Vaud sur l'expédition du pasteur-colonel Arnaud. Les uns racontaient ses succès, d'autres ses désastres. Des réfugiés racontaient comment le duc de Savoie retenait leurs enfants en ôtage, comment leurs compatriotes mouraient par centaines dans les prisons. Tout cela «faisant beaucoup de bruit chez le commun peuple qui veut juger et être arbitre de tout, ne croyant point devoir rien ménager avec un prince qui traitait ainsi les malheureux protestants, s'abandonnait à sa passion toujours démesurée et ne gardait plus de mesures.» Bourgeois trouvait donc de vives sympathies dans le Pays de Vaud. Aussi, il eut bientôt recruté quelques milles hommes qu'il paya au moyen d'une collecte faite en Hollande pour les réfugiés. Et, ce qui est à remarquer, malgré la publicité de toutes ces menées, le gouvernement de Berne ne prit aucune mesure pour les faire cesser. Cependant, les amis du capitaine Bourgeois étant parvenus à réunir, près de Vevey, trente-trois barques ou bateaux chargés d'armes et de munitions, il réunit sa troupe sur les monts de Lavaux, descendit des hauteurs de Chexbres, et s'embarqua, le 11 septembre à midi, près de Vevey, avec environ deux mille hommes, au moment où un courrier de LL. EE. lui apportait la défense de partir; «mais, dit Arnaud, le sieur Bourgeois, qui courait à son malheur, n'ayant point voulu respecter cet ordre, ne laissa point que de faire le contraire. M. de Watteville, intendant du Pays de Vaud, s'emporta de ce qu'on les avait laissé partir, prévoyant que LL. EE. allaient être de nouveau exposées aux plaintes des Petits Cantons, comme elles l'avaient déjà été à cause du départ de l'expédition de Nyon.»

La flotille de Bourgeois s'avança sur une ligne du côté de la Savoie et aborda près de St-Gingolph, après avoir échangé quelques coups de fusils avec un détachement de milices savoyardes. Bientôt, deux chaloupes cannonières firent mine d'attaquer, mais se retirèrent à l'approche de quelques embarcations que Bourgeois envoya à leur rencontre. L'ennemi ayant fui de tous côtés, Bourgeois organisa sa petite armée. Il prit pour lieutenant un officier réfugié français, nommé Couteau. Il divisa sa troupe en dix-neuf compagnies, dont treize composées de Français réfugiés, trois de Suisses, deux de Vaudois des Vallées et une de grenadiers. Bourgeois parvint le même jour à Lugrin et à la Tour-Ronde, et gravit sans obstacles les monts escarpés qui dominent ces villages. Arrivés le 12 près de Bernex, les Luzernois, comme les Savoyards les désignaient, rencontrèrent de la résistance. Le comte de Bernex qui, depuis l'expédition d'Arnaud, avait été commandant des milices du Chablais, occupait Bernex avec quelques cents hommes et des dragons. Il voulut résister; «mais le combat ne fut pas long, car à peine fut-il commencé, que les Savoyards prirent la fuite, et comme on les talonna d'assez près, ils laissèrent quelques morts, entre autres M. de Champroux, capitaine des fusiliers d'Annecy.» Après avoir brûlé quelques maisons de Bernex, les Luzernois continuèrent leur marche en avant, et laissant à gauche Notre-Dame-d'Abondance, ils arrivèrent sans obstacles à St-Jean d'Aulps, d'où ils montèrent à Tanninge en Faucigny. Cependant, le tocsin sonnait dans tous les villages du Chablais et du Faucigny; les comtes de Bernex et de Montbrison conduisaient la levée en masse, faisaient garder tous les passages et coupaient les vivres à la petite armée de Bourgeois, qui jour et nuit était obligée de faire le coup de feu. «Alors la faim commençait à attaquer cette troupe, et ceux qui la composaient n'ayant point pour leurs chefs la déférence et la soumission absolument nécessaires pour une telle entreprise, la division se glissa tellement entre les Français et les Suisses, et ensuite entre tous, qu'ils ne purent s'accorder que pour rebrousser chemin.» En effet, ils firent volte-face le 17 septembre, sept jours après leur départ, et retournant vers le Chablais, ils passèrent entre Thonon et le fort des Alinges, toujours suivis de près par les Savoyards. Enfin, après avoir perdu quelques hommes dans sa retraite, Bourgeois arrive le 17 septembre au soir sous les remparts de Genève, et fait demander au conseil de cette ville des embarcations pour passer dans le Pays de Vaud avec sa monde. Cette demande, d'abord refusée, est cependant accordée, dans la crainte que le comte de Bernex, qui suivait Bourgeois avec un corps nombreux de troupes, ne vint l'attaquer jusques sur le territoire genevois. Le résident de France à Genève, d'Iberville, se rendit aussitôt auprès du comte de Bernex, lui fit part des mesures que prenait Genève et obtint de lui qu'il s'abstint de toute hostilité contre une république amie.

«On embarqua tout ce monde aux Eaux-Vives, dans quatre barques et une douzaine de bateaux. Mais,» continue Arnaud, «quant on eut remarqué par le butin qu'ils avaient plus de 80 chevaux et de toutes sortes de choses, le conseil de Genève fit relâcher douze prisonniers qu'ils avaient amenés, et obligea tous les particuliers de Genève qui avait acheté de ce butin à le rendre; ce qui fut aussi exécuté dans le Pays de Vaud.» Débarqué à Nyon, le capitaine Bourgeois s'occupait du licenciement de sa troupe, et son désarmement et du paiement de la solde, lorsqu'il fut arrêté par l'ordre du bailli. Couteau, prévoyant cette mesure, avait pris la fuite et passa en Angleterre, où ses talents militaires lui procurèrent un grade élevé dans l'armée.

LL. EE., pour faire oublier l'intérêt qu'elles avaient manifesté pour les expéditions d'Arnaud et de Bourgeois, et fermant les yeux sure leurs préparatifs, firent publier dès la chaire, dans toutes les églises du Pays de Vaud, «que tous les étrangers qui étaient entrés en armes dans le Chablais, le 11 septembre, et qui se pouvaient trouver sur les terres de LL. EE., eussent à en sortir dans les huit jours, à peine de châtiment.» Le procès de Bourgeois s'instruisit à Nyon, et la procédure fut envoyée à Berne. Comme les mois se passaient sans que le conseil de Berne prit aucune décision, et que l'on savait que l'ambassadeur anglais faisait des démarches en faveur du malheureux capitaine, on espérait qu'il serait enfin sauvé. Mais il n'en fut rien. Après six mois de captivité, une sentence de mort fut prononcée, et le bailli de Nyon reçut l'arrêt suivante :

L'Avoyer, Petit et Grand-Conseil de la ville de Berne, nos salutations prémises à vous, cher et féal Bailli!

Après avoir fait examiner le procès criminel du capitaine Bourgeois, par une commission à ce sujet établie, il nous a été fait par icelle ce matin un rapport, tant littéral que verbal, par lequel nous avons trouvé les circonstances d'icelui de telles conséquences, que nous n'avons pu de moins, vu le mérite du fait, que de laisser le cours à la justice, et de connaître ce que, en de pareilles occasions, des magistrats chrétiens sont obligés de faire pour le maintien de leur autorité, et pour vivre avec ses voisins en bonne union et concorde. Nous avons donc, avec mûre délibérations sur les faits contenus dans les dites procédures, sentencé comme s'en suit :

Que le dit Bourgeois doit avoir publiquement la tête tranchée par l'exécuteur de notre Haute-Justice, sur le port de la ville de Nyon.

Nous entendons que, quoiqu'il arrive de son côté, la dite exécution doit avoir sa suite.

Nous ordonnons en même temps que vous fassiez entourer la dite place d'exécution par des gens armés, avec défense de ne laisser passer aucun étranger.

Nous entendons que la dite exécution soit accompagnée de toutes les démarches qu'on a accoutumé de faire en pareil cas.

Nous espérons que vous ferez exécuter nos ordres sans faire réflexions sur quoi que ce soit.

Nous vous recommandons à Dieu. Donné le 17 mars 1690.

Une foule immense, contenue par une force armée dévouée à Berne, suivit Bourgeois à l'échafaud. On ignore les détails sur le sacrifice de cette victime, frappée pour apaiser la diplomatie étrangère, et pour calmer la colère de Louis XIV éprouvait contre Berne au sujet de la protection que cette ville accordait aux réfugiés français. Aucun écrivain vaudois n'a digné consacrer quelques lignes à l'infortuné Bourgeois; pas un compatriote contemporain n'a osé quelques regrets, prononcer quelques mots à sa mémoire. Mais on le comprend : Bourgeois n'avait pas réussi dans sa généreuse entreprise. Aussi, ceux qui l'avaient encouragé à prendre les armes pour les protestants du Piémont le blâmèrent, et le pasteur Arnaud, lui-même, le pasteur Arnaud, alors qu'il avait obtenu des garanties pour ses compatriotes des Vallées, n'a pas craint de flétrir dans son ouvrage la mémoire d'un homme qui s'était dévoué pour sa cause. Cependant, si les écrivains vaudois craignirent de faire l'éloge de Bourgeois, le bernois Gruner, auteur des Fragments Hist. de la Républ. de Berne, n'a pas craint de dire quelques mots en sa faveur : «LL. EE., dit-il, sachant que le plus grand crime du capitaine Bourgeois était un trop grand zèle pour la religion, auraient voulu lui faire grâce. Mais, comme il avait commis des actes d'hostilité contre le duc de Savoie qui auraient pu troubler la paix, LL. EE. voulurent donne en cette occasion un exemple de sincérité. Le capitaine Bourgeois eut la tête tranchée... Il alla à la mort avec le fermeté d'un héros... Lui seul parut tranquille, pendant que tous les assistants pleuraient son triste sort. Il n'y eut pas d'yeux qui ne fussent baignés de larmes, sinon les siens!... »

Bourgeois n'avait cependant pas été abandonné de tout le monde pendant sa captivité. L'ambassadeur anglais, M. Coxe, fit des démarches actives pour sauver ce brave officier. «Mais, dit Arnaud, ce qu'on avait cru devoir sauver Bourgeois fut ce qui contribua peut-être à sa perte. Comme M. Coxe proposa entre autres que, après que quelques seigneurs eurent fait recevoir de leurs enfants pour officiers et fait beaucoup de frais pour leur équipement, il arriva que la dite levée vint à échouer, ce que ces seigneurs attribuant au dit envoyé M. Coxe, ils en conçurent de l'aigreur contre lui, de sorte que sa forte recommandation en faveur du capitaine Bourgeois produisit un effet contraire à ce qu'on s'en était promis.»

La catastrophe de Bourgeois ne ralentit point les réfugiés dans leurs projets. Loin de là, pendant que cette victime de la raison d'Etat attendait la mort dans le château de Nyon, les réfugiés français persistaient dans leurs instances auprès de la Hollande et de l'Angleterre, afin que ces puissances consentissent à les favoriser dans l'entreprise destinée à secourir les protestants du midi de la France. Le marquis de Mirmond, ce réfugié que l'assemblée générale des protestants français à Lausanne avait délégué, avec le pasteur Bernard, auprès des Etats protestants du nord de l'Europe pour leur demander des secours, méditait une expédition en leur faveur. Dans ce but, il s'adressa au maréchal de Schomberg, pour qu'il traçât le plan d'une expédition dans le midi de la France. Voici ce plan que le marqui et l'ambassadeur d'Espagne présentèrent au roi Guillaume d'Angleterre :

Le projet qu'on forme est solide. Il est fondé sur le désespoir où sont réduits les protestants en France, qui ne soupirent qu'après une occasion de secouer le joug cruel sous lequel ils gémissent; sur l'espérance de leur déliverance par les bénédictions dont Dieu à béni les entreprises de S. M. Britannique; sur le mécontentement de tous les réfugiés français de l'une et de l'autre religion; sur ce que les provinces de Dauphiné, Languedoc, Cévennes, Vivares et Albigeois, sont dépourvues de gens de guerre; sur les engagements accablants où se trouve la France avec les étrangers; sur ce que la France craint l'Angleterre pour ses côtes. Il ne s'agit donc que d'en faciliter l'exécution. Si l'on est assuré d'un secours étranger, l'affaire peut s'exécuter à peu près de la sorte :

Il faut avoir deux mille hommes choisis, avec de bons officiers, dispersés dans divers endroits du canton de Berne, où l'on est accoutumé de voir beaucoup de Français et de Vaudois réfugiés. Ce qui empêchera tout soupçon. Il faut avoir dans quelques maisons de ressort de Genève, près du Rhône, des armes et des munitions, ce qui est facile, car il y a un homme à Genève, nommé Rocca, qui a trois mille bons mousquets à vendre, et qui a quantité de poudre qu'il tire des moulins qu'il a sur le Rhône. On peut transporter ces armes et ces munitions au lieu du rendez-vous, par des moyens qu'on indiquera.

Le gouverneur espagnol du Milanais doit faire camper une armée dans le voisinage de Novarrais, pour attirer l'attention du duc de Savoie. Le vice-roi de Catalogne doit agir fortement et ne pas éloigner ses troupes. Il faut convenir d'un temps pour faire assembler les protestants français dans une des provinces et en divers endroits, sous le prétexte de prier Dieu, pour lequel effet il faut y envoyer des ministres. Les protestants, en France, ont la plupart des armes cachées. Le temps de ces assemblées étant convenu, il faut prendre jour pour entrer en Dauphiné, et faire défiler les hommes choisis qu'on a en Suisse, pour se trouver au rendez-voux à la maison des dépôts d'armes. Une partie défilera par Genève, un jour de marché, pour éviter tout soupçon. Partie passera le lac à Nyon et Coppet sur des bateaux, pour se rendre à Hermance et autres lieux au-delà du lac, par où ils se rendront aisément au rendez-vous.

Il y a trois passages pour entrer en Dauphiné; mais le plus sûr est de pourvoir chaque homme pour quelques jours de vivres, et de prendre la route des montagnes, dont les chemins ne sont pas difficiles, on y trouvera des vivres, et on ira droit et sans obstacles dans le Dauphiné, où il importe d'arriver au temps des assemblées religieuses, se joindre à elles dans le Haut-Dauphiné et rejoindre les protestants du Vivarez et des Cévennes, où il faut se cantonner (suit un plan de campagne dans ces montagnes)... Un autre corps doit se joindre aux protestants du Languedoc, et s'emparer d'un lieu commode pour recevoir par mer des munitions et des canons, pour pouvoir tenir la campagne, et saisir quelque fortresse. Dans des desseins qu'on eut depuis longtemps, on a trouvé le port de Cette fort convenable; on peut s'y fortifier et des navires peuvent y être à l'abri.

L'on ne doit aucunement faire insulte ni aux églises des catholiques, ni aux moines et prêtres, ni commettre aucune chose contre les catholiques, pour ne pas se les attirer sur les bras. Si l'on prend dans quelque lieu des provisions, il faut les payer.

On doit avoir des manifestes avec des prétextes spécieux et prévenir le peuple d'un changement par quelque prophétie anciennement tracée, et qui soit inventée. L'on peut imprimer ces manifestes à Genève ou ailleurs. Et afin que rien ne se puisse savoir, il faut avoir un imprimeur allemand, qui ne sache point de français, et louer une chambre d'imprimerie, et qu'une personne s'y trouvera quand l'imprimeur travaillera, afin qu'il n'emporte quelque papier... Tous les griefs doivent se rapporter contre le Conseil (du Roi). Outre les griefs particuliers aux protestants, il faut qu'il y en ait de communs aux catholiques. Ainsi : la splendeur de la Noblesse est ternie; l'autorité des Parlements abattue; les Trois Etats abolis. Enfin, partout où l'expédition passera, il faut crier l'abolition du papier marqué (timbre), l'abolition des impôts, du logement des gens de guerre, et faire ensorte que les gens du pays abattent les bureaux des douanes et des impôts, afin de les compromettre et de leur faire craindre le châtiment.

Ceci n'est qu'une ébauche faite à la hâte. Mais, si l'on veut y donner les mains, fournir le nécessaire et faire savoir le secours qu'on peut avoir, l'on donnera un plan exact et bien circonstancié de tout. Mais il est d'une nécessité indispensable que S. M Brittanique n'envoie point de Résident à Genève, parce que la France ne manquerait pas de voir du mystère dans cet envoi, et fera veiller. Au lieu que ne faisant pas cet envoi, elle ne songera pas à cette partie du royaume, si éloignée des craintes qu'elle a.13

Cependant, de nouvelles circonstances vinrent tout-à-coup changer la face des affaires. Le duc de Savoie entrait dans l'alliance des puissances contre Louis XIV. Le plan de la guerre fut modifié, et l'expédition des réfugiés français du Pays de Vaud fut ajournée. Beaucoup de ces réfugiés prirent du service contre la France, dans les régiments suisses en Hollande ou en Piémont; d'autres rentrèrent furtivement en France, où une insurrection venait d'éclater. Quelques années se passèrent, et aucun acte des réfugiés à Genève et dans le Pays de Vaud, n'attira l'attention de la diplomatie. Cependant, en 1704, l'arrivée soudaine à Lausanne de Jean Cavalier, le chef de l'insurrection protestante en France, provoqua l'intervention de l'ambassadeur français à l'égard des menées des réfugiés en Suisse, et de la protection que le canton de Berne leur accordait.

Un jeune paysan des Cévennes, Jean Cavalier, avait suivi l'émigration des protestants en Suisse, et avait travaillé à Genève et à Lausanne comme garçon boulanger. La passion de revoir sa patrie, si naturelle aux montagnards, s'empare de lui, et, avec quelques-uns de ses compatriotes, il quitte la Suisse, suit les chemins des montagnes de la Savoie, du Dauphiné, et arrive dans le Haut-Languedoc, au moment où Basville, intendant du Languedoc, et l'abbé du Chayla, inspecteur des missions, se signalaient par l'atrocité de leurs persécutions. L'abbé du Chayla, ayant appris que les protestants tenaient une réunion secrète près de son château, se mit à la tête d'un détachement de soldats. Soixante protestants sont enlevés, les autres dispersés. L'abbé fait pendre les plus hardis, et conduire les autres à son château. Des protestants, qui ont des parents au nombre des prisonniers, sont réunis par un jeune Cévenol, dont la fiancée était captive de l'abbé. Ils s'arment de fourches et de faulx; ils investissent le château, s'en rendent maîtres, et trouvent leurs parents attachés à des instruments de torture, qu'on appela ensuite les ceps de l'abbé. L'abbé est arrêté et pendu. L'intendant Basville demande des troupes, et bientôt vingt mille hommes, réunis sous les ordres du maréchal Montrevel, marchent contre l'insurrection protestante, qui était venue générale dans le Haut-Languedoc. Les protestants prirent pour chefs les plus ardents et les plus braves des jeunes insurgés. Roland commande dans la montagne, et Cavalier, qui n'a que vingt ans, tient la campagne dans la plaine. Il soutint, pendant plusieurs années, une guerre d'extermination. Prophète, prédicateur et guerrier, tous ses frères d'armes lui étaient dévoués; sur un mot, sur un geste, ils se précipitaient au milieu des dangers, car Cavalier combattait toujours à leur tête. Après un combat, il ne pardonnait pas la plus légère infraction aux lois de l'humanité, de la religion et de la discipline. La lutte continua pendant plusieurs années. Alors, voulant en finir avec cette insurrection qui s'étendait chaque jour davantage, et employait une armée que les désastres de la guerre de succession rendaient si nécessaire, Louis XIV rappela Montrevel, et le remplaça par le maréchal de Villars. Ce général vit bientôt que des concessions devaient être accordées, et dans ce but, il entamma des négociations avec Cavalier. Celui-ci exigea, avant tout, la liberté de conscience, et le libre exercise du culte protestant. A ces conditions, Cavalier s'engagea à faire cesser la guerre, et afin de donne une occupation à cette foule de protestants qui, depuis nombre d'années, vivaient dans ces combats, il proposa de former un régiment protestant, dont il serait le colonel, et les autres chefs insurgés les officiers. Le maréchal, frappé de la loyauté, de la noblesse et de la rare intelligence du jeune paysan des Cévennes, accorda toutes ces conditions. Cavalier, les principaux chefs et beaucoup de leurs frères d'armes, se soumirent, et l'organisation du nouveau régiment fut arrêtée. Tout aurait pu être fini, si le maréchal eût été secondé : mais lui seul était de bonne foi. Tandis que Cavalier parcourait les Cévennes, pour ramener ses lieutenants et ses compagnons, les protestants se rendent en foule dans leurs églises, fermées depuis la révocation de l'Edit de Nantes. Les catholiques crient que la religion est outragée, que l'hérésie triomphe, et les hostilités recommencent. Cependant, le maréchal et Cavailer parviennent à les faire cesser, et les protestants du futur régiment Cavalier sont dirigés sur les dépôts qui leur sont assignés. Cavalier est envoyé à Versailles, où le roi avait désiré voir ce jeune et redoutable chef des partisans. Louis XIV, après avoir laissé tomber sur lui un regard dédaigneux, hausse les épaules et passe outre. Cavalier, abreuvé de dégoûts, et apprenant que le traité qu'il avait conclu avec le maréchal, n'était pas observé, que les persécutions recommençaient, et que ses soldats étaient en butte, dans leurs dépôts, à des vexations intolérables, donne rendez-vous, à Lausanne, à ses principaux lieutenants, quitte Paris, et se rend dans le Pays de Vaud, où l'appelaient un grand nombre de ses frères d'armes, qui s'y étaient réfugiés. L'intention de Cavalier était d'organiser un corps de partisans, qui devait entrer au service du duc de Savoie, faire irruption dans le Languedoc, et protéger le débarquement d'un corps d'armée, que la flotte hollandaise devait y jeter pour opérer une puissante diversion.

Le marquis de Puisieux, ambassadeur de France en Suisse, bientôt informé de la présence et des menées des réfugiés dans le Pays de Vaud, enoya la note suivante au Conseil de Berne :

Magnifiques Seigneurs,

On ne peut être plus surpris que je le suis, de savoir que le traître Cavalier et les malheureux qui le suivent, sont à Lausanne, en attendant, à ce qu'ils disent, les ordres de Monsieur le Duc de Savoie.

Je n'aurais jamais cru que vous eussiez accordé le passage sur vos terres à des sujets rebelles du Roi mon maître, qui ont repris les armes contre S. M. Je me serais encore moins attendu, que vous eussiez voulu leur donner aucun asile. Vous m'aviez assuré par votre lettre du premier de ce mois que vous aviez réitéré vos ordres, suivant les Abscheyts et les Conventions de Baden, pour ne laisser passer personne pas vos pays, en troupes, et encore mois ceux qui se trouveraient armés. Ce sont les propres termes en votre lettre. Cependant, le malheureux Cavalier est non-seulement arrivé sur vos terres avec sa troupe, mais il est encore à Lausanne, et vous l'y avez souffert jusques ici. Je suis si surpris de cette démarche et je m'y attendais si peu, que je dépêche dans ce moment un courrier au Roi, pour lui rendre compte de tout ce que vous avez fait dans cette rencontre. Vous jugez bien que S. M. en sera piquée, avec d'autant plus de raison qu'Elle n'a pas cru jusques à présent qu'aucun des Louables Cantons, qu'Elle a toujours regardés comme ses plus anciens Alliés et Confédérés, pût avoir la moindre envie de montrer une partialité si marquée et si injuste que celle que vous faites paraître en faveur des ennemis de S. M., en donnant retraite, comme vous le faites, à des gens qui doivent être odieux à tout le monde, et qui ne devraient trouver aucun asile en quelque endroit que ce soit. Je prie Dieu, etc.

PUISIEUX.

A Soleure, le 8 septembre 170414.

Cependant, les réfugiés poursuivaient avec activité leur préparatifs. Le comte de Briançon, envoyé du duc de Savoie, pressait l'Angleterre et les Etats-Généraux pour qu'ils contribuassent à une levée de quinze mille hommes, qu'un réfugié, le marquis de Mirecourt, s'offrait de faire dans la Suisse française, où «il y avait, disait-il, quantité d'étrangers, batteurs du pavé, fort brouillés avec les espèces, et par conséquent propres à ce faire soldats pour se procurer du pain.» Il prétendait relever le courage des Cénevols, dispersés par la retraite de Cavalier, et, secondé par ce chef, porter les armes, disait-il, dans les entrailles de France. Pendant ces préparatifs, les Suisse protestants faisaient passer, en Piémont, des recrues et des armes pour le duc de Savoie, interceptaient les convois destinés aux armées françaises. Enfin, le colonel de Portes recrutait, dans le Pays de Vaud, un régiment à la solde de l'Angleterre, destiné à secourir le duc de Savoie. Toutes ces circonstances engagèrent le marquis de Puisieux à remettre une nouvelle note à la Diète, alors réunie à Baden.

Magnifiques Seigneurs,

Je ne pouvais me résoudre à croire ce dont on m'avait averti de divers endroits que les ennemis du Roi mon maître avaient dessein d'envoyer au Duc de Savoie un puissant secours en recrues et des armes, jusques à ce que la plus grande partie de ces armes empaquetées eût été effectivement voiturée à Aoste.... Cela m'oblige à vous demander l'exécution des traités que vous avez avec S. M., et l'assurance que vous ne continuerez pas de lui donner sujet de croire que vous avez résolu d'assister ses ennemis et de lui faire la guerre, comme elle le croirait si vous ne vous opposiez à leur passage sur vos terres.

Souvenez-vous, Magnifiques Seigneurs, comment vous avez eu soin, quand quelques généraux de France étaient obligés de passer par vos Etats avec leurs équipages, pour se rendre en Souabe à l'armée commandée par le maréchal de Villars, comment, dis-je, vous avez eu soin que ces officiers et leurs domestiques ne passassent que dix à la fois, et qu'il n'y eût point de soldats parmi eux.

Souvenez-vous aussi avec combien d'exactitude on a observé cet ordre, et avec quel soin on a visité dans vos villes les équipages des généraux Français, sous prétexte d'empêcher le passage des marchandises de contrebande, et jusqu'à brûler des barils remplis de vin, sous prétexte qu'il y avait de la poudre ou des armes.

Mon intention n'est pas de vous mettre devant les yeux ce qui arriva alors aux généraux de votre très-ancien Ami, Allié et Confédéré, S. M. le Roi de France. Et si je suis obligé de vous en marquer quelques partialités, cela n'est que pour vous faire voir que les ennemis de S. M., qui passent par vos terres, y rencontrent beaucoup moins de difficultés. Car sans faire mention de l'artillerie, des mortiers et des troupes armées qui ont passé par Schaffouse sans aucune opposition, Monsieur le duc de Savoie a fait préparer dans les louables Cantons une grande quantité d'armes, et il en a fait venir un nombre infini de fusils, sans qu'on y ait apporté aucun empêchement de votre part. Je veux bien croire que vous n'avez eu aucune connaissance de ce passage, et je suis assuré que si vos Baillis avaient été aussi diligents à vous informer de ce qui passait sur vos Terres pour le Piémont, comme ils l'ont fait de ce qu'on y voiturait de la part de la France, vous auriez prévenu les abus là-dessus.

C'es pourquoi, Magnifiques Seigneurs, je vous prie, au nom du Roi mon maître, de boucher vos passages, non-seulement aux ennemis de S. M. et à leurs soldats qui voudraient les franchir, mais aussi aux marchandises de contrebande qu'ils pourraient envoyer par là.... Pour conclusion, je vous prie, Magnifiques Seigneurs, de vouloir faire une mûre réflexion sur la teneur de ce mémoire. La matière le requiert, d'autant plus qu'il y va de la conservation de vos Alliances et d'une parfaite Neutralité.

Je suis votre affectionné à vous servir.

PUISIEUX.

De Soleure, le 14 septembre 170415.

L'influence de la France était alors à peu près nulle en Suisse. C'était l'époque de la guerre de succession et des triomphes de Marlborough et d'Eugène sur les armées de Louis XIV. Aussi, les expressions de la note de Mr de Puisieux étaient singulièrement adoucies, et ne ressemblaient en rien aux exigences impérieuses que les ambassadeurs français se permettaient, lorsque Louis XIV dictait les lois à l'Europe. La Diète ne prit donc point de décision sur la note de Mr de Puisieux, mais elle la transmit aux Cantons. Quant à Berne, qui était de tous les cantons le plus exposé, il feignit de renvoyer les principaux chefs des réfugiés, et répondit, en des termes qui ne manquent pas de fermeté, à la note de l'ambassadeur français,

Monsieur,

V. E. ne doit pas être surprise si nous n'avons pas répondu plustôt à sa lettre du 8 de ce mois. C'est parce que nous l'avons trouvée remplie de faits peu soutenables et d'expressions peu convenables à un Etat aussi libre qu'est la nôtre. Nous en sommes d'autant plus sensiblement touchés, qu'avant d'y répondre, nous avons été bien informés de l'état des choses.

Votre Excellence ne doit pas ignorer qu'avant que nous eussions reçu sa lettre du 31 août, nous avions par nos ordres réitérés averti nos baillis de ne point laisser passer par nos Etats des gens attroupés et moins encore étant armés, en conformité très-exacte des conventions faites à Baden, que nous souhaitons bien être aussi religieusement observées d'un autre côté qu'elles le sont du nôtre Pays, comme on l'a fait au printemps dernier, et sans demander aucun passeport, quelques centaines de boeufs et de mulets chargés, avec une forte escorte, depuis la Bourgogne jusqu'en Italie. Et particulièrement encore depuis quinze jours par Yverdon, une troupe considérable de cavaliers et gens armés, venant de la Franche-Comté; sans parler de ce qui s'est passé à Arau, que Votre Excellence n'ignore pas. Mais, comme jusques à présent nous avons toujours eu plus d'attention à régler notre conduite, qu'à prendre garde à celle des autres, nous en demeurerons aujourd'hui à cette usage, en faisant connaître néanmoins à Votre Excellence que nous en disons rien que de bien avéré.

Il est vrai que nos Baillis nous ont informés que le nommé Cavalier, et quelques-uns de ses gens avaient passé inopinément à Lausanne, par trois différentes bandes d'environ vingt-cinq hommes, après avoir traversé sans obstacles deux autres souverainetés. Cela a fait qu'on les a d'abord regardés comme des déserteurs et des réfugiés, qui ne vont par le monde que pour gagner leur vie de leur travail. Néanmoins, dès qu'ils ont été informés de nos ordres, ils se sont incontinent dispersés et retirés, sans avoir eu auprès d'eux d'autres armes que cinq fusils en arrivant à Lausanne, le surplus de leurs armes leur avant déjà été enlevé dans le territoire de Neufchâtel.

Cependant, quoique nous n'avons pu prévoir la désertion du dit Cavalier et de ses gens, Votre Excellence n'a pas laissé que de nous imputer de leur avoir accordé passage, sûreté et logement; et par là fait connaître une partialité injuste et publique. Non-seulement il ne se trouvera rien de semblable, mais de plus nous contredisons formellement et constamment tout ce que l'on aura pu insinuer de contraire, étant très-sensiblement touchés de voir que nous sommes ainsi noircis auprès de S. M. T. C., pour des faits que Votre Excellence n'a pas daigné savoir avant que de s'en plaindre. Comme nous n'en usons pas de même à votre égard, nous espérons que vous le ferez mieux connaître à S. M., et que vous tâcherez de lever les sinistres impressions que vous pourriez lui avoir fait concevoir. Dans le cas où Votre Excellence en ferait difficulté, nous la prions de nous en avertir sans retardement, afin que nous puissions faire lever nous-mêmes, auprès de S. M., ces fâcheuses impressions; d'autant plus que nous n'avons point d'autre pensées que d'exécuter fidèlement tout ce que les Traités d'Alliance et les Conventions peuvent demander, et dans l'espérance que l'on en usera de même à notre égard. Au reste, nous recommandons Votre Excellence à la Providence Divine, et sommes, etc.

L'Avoyer, le Petit et le Grand-Conseil de la Ville de Berne.

A Berne, le 27 septembre 170416.

Les chefs des réfugiés étaient donc ou cachés chez leurs partisans du Pays de Vaud, ou renvoyés de la Suisse. Aussi, Mr de Puisieux cessa d'inquiéter Berne au sujet de la question des réfugiés, qui était populaire dans le Pays de Vaud, ainsi que dans la plupart des cantons. Jean Cavalier se rendit, avec ses principaux lieutenants, en Angleterre, où sa réputation l'avait précédé. Nommé colonel d'un régiment de réfugiés, il se distingua dans l'armée anglaise en Espagne, et, parvenu au grade d'officier général, il fut nommé gouverneur de l'île de Jersey.

Quant aux autres Cénevols, ils s'enrôlèrent dans le régiment de Portes. D'autres, suivant l'exemple de leurs coreligionnaires réfugiés dans le Pays de Vaud, se fixèrent dans cette contrée, et pourvurent à leur existence en exerçant leurs professions.


Appendice

Extrait d'un mémoire intitulé Des relations internationales de la Suisse et de la Savoie pendant les guerres de la succession d'Espagne (1700-1712), lu à la Société d'histoire de la Suisse romande par M. E.-H. GAULLIEUR, professeur à l'Académie de Genève.

La Suisse, pendant cette longue lutte que Louis XIV soutint contre presque toute l'Europe, fut exposée à des dangers de plus d'un genre. On se battait sur toutes ses frontières, et ce ne fut pas sans peine qu'elle fit respecter sa neutralité. Les réfugiés français affluaient alors par milliers dans la Suisse occidentale, surtout au Pays de Vaud et à Genève. Animés d'un sentiment de haine, que les persécutions de la révocation de l'édit de Nantes ne justifiaient que trop, ces exilés applaudissaient à toutes les défaites du grand roi. Les populations protestantes de nos villes partagaient leurs antipathies. Quand l'armée française, commandée par le maréchal de Tessé et ensuite par Lafeuillade, envahit la Savoie, il y eut dans ses rangs de nombreuses désertions. Le résident français à Genève, M. de la Closure, fit des plaintes amères à ce sujet au gouvernement genevois. Il demanda l'extradition de tous les déserteurs français offrant de rendre à Genève tous les soldats de la garnison de cette ville qui déserteraient et se rendraient dans les quartiers français. Cette réciprocité dérisoire fut accepté après de vifs débats dans les conseils. La population de Genève prit fait et cause pour les déserteurs. Les bourgeois les cachaient et achetaient leurs armes qu'on faisait ensuite passer aux révoltés des Cévennes.

Ce fut bien pis quand la mémorable bataille de Hochstett, gagnée sur les généraux de Louis XIV par Eugène et Marlborough en 1704, eut fait envisager la cause française comme désespérée. M. de la Closure dut se plaindre maintes fois aux Syndics des démonstrations bruyantes du peuple genevois, qui venait, sous les fenêtres de l'hôtel de la résidence, témoigner sa joie par des aubades et des sérénades de violons. Malgré toute cette aigreur, il n'y avait pas encore tout-à-fait motif de guerre, parce que la situation générale de l'Europe faisait à Louis XIV une nécessité de ménager la Suisse. Mais les hostilités faillirent éclater, quand le gouvernement français acquit les preuves de la part que des français réfugiés à Genève, et même naturalisés, prenaient aux mouvements des insurgés cévennols. Ces preuves furent fournies par le terrible intendant du Languedoc, Lamoignon, qui saisit chez un nommé Régis, bourgeois d'Anduze, des correspondances et des effets de commerce envoyés aux mécontents des Cévennes par Régis le fils, négociant établi à Genève, qui les incitait à l'insurrection. L'infortuné Régis, vieillard considéré dans la ville, fut mis à la torture et pendu avec ceux qui se trouvèrent compromis avec lui. «Le fils Régis est un grand misérable (écrit Lamoignon à de la Closure); il est cause de la mort de plus de trois cents personnes et de son père. N'y aurait-il pas moyen d'engager le gouvernement de Genève de le livrer, ainsi que le sieur Flottard, qui est l'auteur de toutes ces intrigues?»

Ce Flottard était un Languedocien, hardi et entreprenant, qui, après avoir quitté sa patrie pour fait de religion, avait été incorporé comme officier dans l'armée britannique, comme le fameux Cavalier, son compagnon d'aventures. Envoyé en Suisse, à ce que prétendait le ministère français, pour enrôler en faveur de la coalition armée contre Louis XIV, il était devenu un réfugié dangereux au premier chef, et son expulsion ne pouvait être refusée. En effet, sur la demande de M. de la Closure, le petit Conseil de Genève donna ordre d'arrêter Flottard; mais déjà celui-ci avait passé à Lausanne, et c'est de là qu'il écrivit aux Seigneurs Syndics la lettre charactéristique qu'on va lire :

Magnifiques et très-honorés Seigneurs,

J'avoue que ma surprise a été grande, lorsque j'ay appris par une lettre d'un de mes amis que vos Excellences avaient envoyé à mon auberge M. le Major pour m'arrêter, si je m'y étais trouvé, et que même plusieurs personnes avaient été citées devant vous à mon occasion. Je ne sais en quoy je puis avoir manqué pour mériter de votre part un procédé semblable. Je croy que toutes les personnes que j'ay l'honneur de connoître dans votre République rendront témoignage de ma pratique, comme partout ailleurs. Il est vray qu'on m'a aussi avisé que vos Excellences n'avaient fait ces démarches que sur des plaintes de M. le Résident de France, que je fais des choses contre l'intérêt du Roi son maître.

Si j'avais été à Schangenberg, à Hochstett ou au siège de Landau, il aurait raison de se plaindre. Mais ayant passé la campagne tranquillement dans votre République, attendant que Sa Majesté Britannique, au service de laquelle j'ay l'honneur d'être, aye occasion d'employer toutes ses troupes contre ses ennemis, je ne comprends pas pourquoi ce ministre se récrie contre moi.

C'est apparemment une suite des chimères qu'il se mit en tête, il y a quelques mois, sur une prétendue correspondance qu'il vous dit que j'avais avec le sieur Cavalier, qui n'a jamais été, je vous assure, que dans son imagination. D'ailleurs, quant j'en aurais eu, ce n'est pas à Monsieur le Résident à s'en formaliser. Monsieur Cavalier est au service des Hauts-Alliés; ainsi je pourrais, s'il me semble bon, avoir avec lui telle correspondance que bon me semblerait, sans qu'un ministre français s'en doive formalizer dans un Etat libre et neutre, comme je pense qu'est le vôtre.

Il est vray que, sur les premières visions de Monsieur le Résident, Messieurs les Syndics, déférant aux volontés de ce ministre, me dirent de me retirer. Mais il est aussi vray que j'eus l'honneur de leur répondre qu'étant au service de Sa Majesté Britannique, je ne pouvais obéïr aux ordres d'une puissance ennemie de celle que j'avais l'honneur de servir; desquels ordres ces Messieurs n'étaient que les exécuteurs, puisque, avant d'avoir ouy mes raisons, ils promirent à Monsieur le Résident de suivre ses volontés, en m'ordonnant de sortir de la ville.

Je donnais parole, dans cette occasion, à Messieurs les Très-Honnorés Syndics de venir de temps en temps faire quelque séjour en Suisse; ce que j'ay aussi fait déjà plusieurs fois, uniquement pour me conformer, autant qu'il dépend de moy, à ce qui peut faire plaisir à vos Excellences. Car, pour Monsieur le Résident de France, il m'est fort indifférent qu'il soit content ou mécontent de moy; il faut que ces malheureux Camisards lui tiennent bien à coeur, puisqu'il fait tant de bruit pour une prétendue correspondance avec un de leurs déserteurs. Je puis pourtant vous assurer, Magnifiques Seigneurs, qu'il devrait dormir en repos sur cet article, et, dans le fond, je crois que je ne lui sers que de sujet pour dissiper la bile que le cours et la conclusion de cette campagne lui a fait amasser, et pour montrer son authorité dans un Etat où naturellement il n'en devrait pas avoir tant.

Pardonnez-moy, Magnifiques Seigneurs, si je prends la liberté de vous le représenter. Il me semble que, dans l'observation d'une parfaite neutralité, on doit avoir les mêmes égards pour les officiers des deux partis, et que n'ayant commis aucun escandale dans votre République, il me doit être libre d'y dispenser mon argent, sans être sujet aux fantaisies d'un ministre étranger.

Quelques affaires particulières que j'ay par icy m'empêcheront encore pendant quelques temps de venir me présenter à vos Excellences, pour savoir plus au vray le sujet des recherches que vous avez fait faire de ma personne.

Si votre bon plaisir était, Magnifiques Seigneurs, que je pressasse mon retour pour venir me purifier des accusations qui pourraient avoir été fomentées contre moy, vos Excellences n'auraient qu'à m'en envoyer les ordres icy. Je vous supplie, Magnifiques Seigneurs, d'être persuadés qu'en cela et en toute autre chose, autant qu'il dépendra de moy, je me ferai une loi de vous obéïr, comme étant très-respectueusement, Magnifiques et Très-Honorés Seigneurs, votre très-humble et très-obéïssant serviteur.

FLOTTARD.

Lausanne, ce 2 janvier 1705.

Il est impossible de ne pas faire un rapprochement entre le langage de ces réfugiés du commencement du XVIIIe siècle, quand ils s'adressaient aux autorités suisse, avec celui qu'ont tenu d'autres réfugiés dans un temps plus rapproché de nous. Pour en finir avec Flottard, nous dirons qu'arrêté dans le Pays de Vaud, à Cossonay, et conduit à Lausanne, il fut relâché, grâce à l'intervention de l'envoyé d'Angleterre, M. Stanian.


Sources principales : Mémoires de Ludlow, 3 volumes. — Archives de la Corporation des Français réfugiés à Lausanne pour la cause du Saint-Evangile. — Arnaud, Pasteur et Colonel des Vaudois, Hist. de la glorieuse rentrée des Vaudois dans leurs Vallées, 1710. — De Lamberty, Mém. pour servir à l'Hist. du XVIIIe siècle, contenant les Négociations, Traités, Résolutions et autres Documents authentiques, concernant les affaires d'Etat. 14 volumes in-4o, 2e édition, Amsterdam, 173517.

1Mémoires de Ludlow, III, 296.

2Mémoires de Ludlow, III, 294 à 334.

3Sinner, Voyage historique et littéraire dans la Suisse occidentale, II, 248.

4Ce Dupré, quelque temps après, ayant attiré à Evian son beau-frère M. de la Fléchère, l'un des amis les plus dévoués du général Ludlow, l'assassina. Dupré continua ses tentatives contre Ludlow; mais, saisi près de Ballaigues, il fut traduit devant la justice d'Yverdon. Huit juges le condamnèrent au bannissement et quatre à la peine de mort. Berne cassa le jugement, et Dupré fut condamné à perdre la tête, pour avoir, dit la sentence, «ravi et enlevé Mlle de la Fléchère, qu'il avait épousée depuis, et qui était née et résidait dans les dominations de LL. EE., et pour avoir tenté d'assassiner un ou plusieurs gentilshommes anglais qui s'étaient placés sous la protection de LL. EE.» Dupré ne s'attendait pas à cette sentence, car plusieurs magistrats d'Yverdon, liés avec lui, le rassuraient, et, chaque jour, venaient boire et jouer aux cartes avec lui dans sa prison. Aussi, il fit une résistance désespérée, lorsque le bourreau vint pour le conduire à l'échafaud. Après deux heures de lutte, le cortège funèbre atteint l'échafaud; le bourreau parvint à lui mettre le fatal bonnet sur les yeux, et veut le faire asseoir sur la chaise. Mais Dupré arrache et jette le bonnet, et, d'un coup de pied, lance le chaise sur le peuple, pressé autour de l'échafaud. Alors, l'exécuteur lui attache les mains entre les genoux, et lui déclare que s'il continuait dans sa résistance, il le hâcherait en cinquante morceaux. Enfin, après une lutte qui dura plus d'une heure sur l'échafaud, la tête de Dupré tomba sous la glaive du bourreau.

5Voltaire, Siècle de Louis XIV, Chap. XXXVI.

6Archives de la Corporation des Français réfugiés à Lausanne.

7R. de Rodt, Hist. du milit. Bernois.

8E. H. Gaullieur, professeur d'histoire à l'Académie de Lausanne, Une Expédition de Savoie en 1689, page 121 des Etrennes Nationales, ou Mélanges Helvétiques d'Histoire, de Biographie et de Bibliographie, Année 1845.

9M. de Prangins appartenait au parti qui, dans le Pays de Vaud, était dévoué à la France. Son père avait déjà partagé cette opinion, et fut du petit nombre des Vaudois qui avaient du mauvais vouloir contre les réfugiés anglais. Même Ludlow l'accuse dans ses mémoires (III, 406) d'avoir recueilli à Prangins plusieurs agents de la duchesse d'Orléans, chargés d'assassiner ou d'enlever les réfugiés anglais. «Le colonel Balthazard de Prangins, dit-il, avait vécu quelques temps fort pauvre dans le Palatinat; mais entré ensuite dans les armées du roi de France, il s'y était enrichi par les rapines et le pillage (407)!!!

10Vulliemin, Hist. de la Conf. Suisse pendant le XVIe et XVIIe siècle, Livre XII, Chap. V.

11Bourgeois, capitaine au service de France, était un officier très-distingué. Il appartenait à la famille Bourgeois d'Yverdon, quoique Arnaud prétende qu'il était de Neufchâtel.

12Réfugiés de la vallée protestante de Luzerne en Piémont.

13De Lamberty, Mém. pour servir à l'Hist. du XVIIIe siècle, III, 238.

14Mém. de Lamberty, III, 231.

15Mém. de Lamberty, III, 235.

16Mém. de Lamberty, III, 232.

17G. de Lamberty, ancien attaché à la diplomatie, vécut à la Haye, d'où il se retira à Nyon après la paix d'Utrecht. Il y mit en ordre sa riche collection de matériaux et publia ses mémoires, qu'il dédia à LL. EE. de Berne. «Pour jouir du repos, dit-il dans sa dédicace, j'ai dû renoncer à mes longues occupations politiques, et choisir une retraite éloignée. J'ai choisi pour cela les Terres de VV. EE. par deux raisons : la bonté salutaire de l'air et le doux et incomparable gouvernement de VV. EE. J'ai séjourné en divers Royaumes et Etats de l'Europe. J'y ai remarqué avec soin diverses formes de gouvernement. Celle de votre République m'a le plus paru conforme à la douceur de la vie civile; d'autant qu'elle est fondée sur la bonté et la débonnaireté, etc.» Lamberty mourut à Nyon en 1736.


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