Histoire du Canton de Vaud

Par Auguste Verdeil (1795-1856)

(Lausanne, Martignier et Compe., 1849-1852)



LIVRE QUATRIEME


LE PAYS DE VAUD SOUS LA DOMINATION DE BERNE.

XVIe, XVIIe ET XVIIIe SIECLES.


Chapitre XVI.

Les Vaudois à Villmergen.

1712.


§ 1. Préludes de guerre.

Intervention de la Diète dans les affaires du Tockenbourg. — Deux partis dans les conseils de Berne. — L'avoyer Villading. — Le parti de la guerre l'emporte. — Manifeste du Tockenbourg. — Les cinq Cantons catholiques se déclarent pour l'abbé de St-Gall. — Vains efforts des Cantons médiateurs. — Mesures militaires. — Belle organisation des milices bernoises. — Quinze mille Vaudois prennent les armes. — Le Pays de Vaud mis en état de défense. — Troupes vaudoises à l'armée de l'Aar. — Le général de Sacconay et son état-major. — Passage de l'Aar. — Le bataillon de Nyon à l'affaire du Meiengrun. — Prise de Mellingen.

La question du Tockenbourg, agitée depuis si longtemps, n'était point résolue. Cependant, grâce aux efforts du gouvernement de Lucerne, cette question paraissait vouloir tendre enfin à un solution pacifique. Une Diète, convoquée à Baden, à la fin de l'année 1709, décida que l'abbé de St Gall et les Tockenbourgeois seraient appelés devant la Diète, et que leurs différends seraient terminés par un arbitrage prononcé par six députés des cantons catholiques réunis à six députés protestants; les autre députations à la Diète demeurant pour être sur-arbitres, en cas de besoin. L'Abbé chargea le baron de Ringk et le chancelier Puntiner, de le représenter et de défendre sa cause; le Tockenbourg se fit représenter par six délégués et l'avocat Nabholz, de Zurich. Après treize séances, employées à entendre les plaidoyers, les arbitres voulurent prononcer. Mais, une question préalable fit évanouir tout espoir d'arrangement amiable. Les arbitres protestants voulaient une médiation, tandis que les arbitres catholiques prétendaient prononcer en dernier ressort. Les députés de Berne, voyant que l'Abbé allait l'emporter, engagèrent les députations protestantes à quitter la Diète. Néanmoins cette assemblée, malgré le départ de ces députations, rendit un jugement qui aurait tout pacifié, si l'Abbé avait voulu s'y conformer. Suivant ce jugement, «l'abbé conservait la souveraineté du Tockenbourg. — La Confédération garantissait au Tockenbourg ses imunités. — Les garnisons des châteaux de l'abbé devaient être retirées.»

Cependant, les mois s'écoulaient, et l'Abbé ne retirent point ses garnisons des châteaux. Enfin, d'accord avec Zurich et Berne, les Tockenbourgeois résolurent de s'emparer de ces châteaux. Le 3 mars 1710, pendant la nuit, ils les surprirent à leur tour, y mirent des garnisons, ainsi que dans les couvents. Profitant de ces succès, ils se réunirent en une Landsgemeind générale, dans laquelle ils confirmèrent toutes leurs résolutions antérieures, et principalement le décret par lequel ils avaient proclamé la liberté des deux cultes. Ils nommèrent un grand-conseil de deux cent quarante membres, placèrent l'avocat Nabholz à la tête du conseil exécutif; ils mirent le séquestre sur les biens de l'abbé, décrétèrent une taxe pour les frais du militaire, et adoptèrent un code civil, rédigé par Nabholz.

Les cantons catholiques ne pouvaient supporter de pareils actes, après toutes leurs manifestations en faveur de l'Abbé. Aussi, ils se réunirent en Diète, à Lucerne, où une déclaration de guerre à Zurich et à Berne, auteurs de l'insurrection du Tockenbourg, fut proposée. Cependant, comme Fribourg et Soleure, entourés de territoires protestants, reculaient devant une guerre dont ils seraient les premières victimes, il fut décidé, qu'avant de prendre une détermination, le comte de Luc serait consulté sur les intentions du roi de France, dans le cas d'une rupture entre les cantons des deux confessions. Louis XIV, épuisé par la guerre qu'il soutenait depuis dix ans, et craignant que les troupes que la Suisse avait continué à lui fournir, en vertu de l'alliance, fussent rappelées, dans le cas d'une guerre entre les Cantons, avait enjoint à son ambassadeur de mettre tout en oeuvre pour prévenir cette guerre. Aussi, le comte de Luc déclara au chancelier Puntiner et au colonel Fleckenstein, envoyés à Soleure par la Diète catholique, qu'ils ne devaient point compter sur les secours de la cour de Versailles; il les engagea à se défier du Nonce et du comte de Trautmansdorf, et, dans le but de gagner du temps, il leur fit entrevoir l'espoir d'une médiation de la France.

Cependant, le parti de la guerre faisait des progrès dans les Petits Cantons et à Lucerne, où un nouveau Nonce, l'archevêque d'Ephèse, excitait les populations contre les hérétiques. A Berne et à Zurich, il en était de même, le clergé protestant adressait des prières en faveur de l'Evangile menacé dans le Tockenbourg par l'Eglise Romaine. A Berne, néanmoins, le parti de la guerre rencontrait une forte résistance. L'avoyer Villading et le trésorier Steiguer, chefs de ce parti, étaient contrariés dans leurs projets par le Sénat. Le Deux-Cent, quoique en majorité pour la guerre, n'osait se prononcer, dans la crainte du Sénat, distributeur des riches bailliages. Pour soustraire le Deux-Cent à cette influence du Sénat, l'avoyer voulut enlever à ce dernier la nomination aux bailliages, et, dans ce but, proposa la réforme de la loi sur les élections. Mais il échoua devant la ligue des sénateurs, de leurs parents et de leurs clients. La loi électorale demeura intacte, et les quatre-vingt-neuf places, vacantes dans le Deux-Cent, furent données aux fils de quarante-sept familles régnantes, entre autres : six Watteville, cinq Fischer, quatre Graffenried, quatre Tscharner. Des plaintes s'élevèrent alors dans la petite bourgeoisie; mais elles furent punies par la censure, par l'exil et la déposition. Samuel Zehender et F. Wagner furent bannis pour trois ans; R. Zehender et N. Wagner pour un an. Néanmoins, l'avoyer Villading ne perdit pas courage; mais voyant l'inutilité de songer à une réforme plus complète, il essays du moins d'introduire le sort dans les élections. Les jeunes membres du Deux-Cent, heureux de s'affranchir du pouvoir du Sénat, l'appuyèrent; et, le 17 décembre 1710, le Deux-Cent décréta que les bailliages se donneraient désormais par le sort. Alors, sûr de la majorité du conseil souverain, l'avoyer écrivit à son ami, le bourguemaître Escher de Zurich : «Que les Tockenbourgois trouvent maintenant quelque moyen honnête de piquer l'abbé; puis, qu'ils se hâtent de nous faire part, nous sommes prêts.»

Le bourguemaître et l'avoyer se réunirent en secret, ils s'assurèrent de l'accord de leurs vues, ils tracèrent un plan de guerre, non point pour défendre la liberté et l'indépendance du peuple du Tockenbourg, mais pour augmenter la puissance des villes de Berne et de Zurich, aux dépends des petits états, leurs voisins. Pour y parvenir, ils employèrent les mêmes moyens que le nonce du Pape : ils exaltèrent les sentiments religieux des sujets des deux villes souveraines. De toutes les chaires des villes et des campagnes de Zurich, d'Argovie, de Berne, de Vaud, de Neufchâtel et de Genève, s'élevèrent des prières pour le peuple du Tockenbourg, exposé aux mêmes persécutions que les protestants de la France enduraient encore depuis la révocation de l'édit de Nantes.

Bientôt une circonstance, survenue dans le Tockenbourg, fit éclater la guerre. Pendant les fêtes de Pâques 1712, sept paroisses catholiques, cédant aux instances de leurs curés, envoient leur soumission à l'abbé de St Gall. Ce prélat délègue des commissaires à Wyl pour recevoir le serment de ses anciens sujets, et leur promet le secours de ses armes. Aussitôt, le tocsin sonne dans les paroisses protestantes. Le Haut-Tockenbourg court aux armes; les paroisses soumises à l'abbé son envahies, et leurs curés arrêtés. Après cet acte désespéré, le Tockenbourg publie son manifeste, et l'adresse à tous les cantons et aux ministres des puissances étrangères :

Nous l'Advoier, Ammann et Conseil général du Païs de Togenbourg savoir faisons et déclarons, non-seulement à nos fidèles et amez habitants et communautez du Païs de Togenbourg, mais aussi à tous ceux qui se trouvent hors de notre dit Païs, de quel état et condition qu'ils puissent être, et qui aiment la justice et l'équité, qu'en suite des différends survenus depuis longues années entre nous et le Révérendissime Couvent de St Gall, en ce que celui-ci, contre la teneur des Traitez, Documens fondamentaux, Serment du Païs, Droit des Communautez établi en 1440, et les Priviléges dont nos prédécesseurs ont joui, par ses vexations, nous a réduite d'une manière impitoiable au point d'un triste esclavage, ainsi que le tout a été par nous suffisamment démontré, tant de bouche que par écrit, dans les déductions à ce sujet faites, nous étant vus par là contrains de nous vouloir remettre en possession de nos justes et légitimes Priviléges, sous la déclaration constante de nous vouloir soumettre volontiers à tout ce qu'un médiation impartiale pourra trouver être de la justice et de la raison, aiant attendu un long temps, avec patience, le résultat d'icelle, nous étant cependant contenus en repos et tranquillité dans notre Païs, pendant que le Révérendissime Couvent de St Gall a évité tous les moiens propres à une pacification équitable et finale de tous ces différends, dans l'espérance que par le moyen de nos dissensions intestines et par les menaces des forces extérieures, mettant tout en confusion, il viendrait à bout de tout et nous soumettrait de rechef sous sa domination despotique, aiant à ces fins, non-seulement dés quelque temps en ça, incité, par plusieurs personnes ecclésiastiques et autres, les honnêtes gens du Païs à s'opposer au Conseil général; mais aussi tâché publiquement de lui ôter toute son authorité et tout le respect qui lui est dû, mettant sous les pieds ses mandats, traitant les membres du dit Conseil de Frippons, de Larrons, de Dissipateurs des Revenius publics, de Traîtres et autres telle injures, leur imputant de refuser une paix équitable, les menaçant ouvertment de les faire mourir comme des scélérats et malfaiteurs, cherchant cependant par ses émissaires, surtout dans le Ressort inférieur, de faire de leur propre authorité des assemblées illicites, contre les défenses du Conseil général, afin de disposer, par toute sorte de moyens et sans fondement, l'esprit des gens du Païs à se désister de leurs Droits, forçant les Communautez entières et les personnes privées de souscrire à une soumission sans bornes, menaçant d'exterminer par le fer et par le feu tous ceux qui la refusent, leur donnant les arrêts dans leur Communauté, défendant aux membres du Conseil général de les fréquenter, et lorsqu'on les a voulu ranger les uns et les autres à leur devoir, on y a porté le peuple à s'y opposer par la force ouverte, sonné le tocsin, et promis de les assister de toutes leurs forces des Paîs de leur ancienne domination, aiant à cet effet découvert les ponts, gardé les passages; on a même poussé les choses si loin qu'ils en ont conçeu l'espérance que pouvant suborner encore une seule Communauté et s'en rendre maîtres, ils pourraient ensuite attaquer et accabler de vive force, et par une cruelle effusion de sang, une partie du Paîs par l'autre, avec le secours qu'on leur a promis. Cela a non-seulement été secrètement tramé, mais par une audace sans exemples, ces dernières Pâques, au lieu d'appliquer au peuple chrétien les utilitez et avantages qui lui résultent du mérite infini de notre Seigneur, ils ont poussé en chaire leur fureur d'un manière si énorme, que chacun, sans différence de religion, a été scandalisé et soupire après le remède. Pour cet effet, nous, ne pouvant plus endurer un mal si dangereux, capable de percer l'âme, ni demeurer davantage dans un danger si visible, nous avons été obligez de pourvoir à notre sûreté, et de nous metter en état de pouvoir, d'un côté, donner quelques corrections à ces malheureux boutefeux, et, d'un autre côté, de pouvoir instruire in informer les honnêtes gens du Paîs qui se sont laissé entraîner par fausses insinuations, et détourner par là, avec l'assistance divine, notre ruine toute évidente.

Mais autant que le dit Révérendissime Couvent de St Gall a poussé les choses si loin et provoqué de telle sorte à la jalousie le peuple, de divers instrumens et par ses artifices dangereux, que le Conseil même, le Conseil général n'ôsait plus se trouver dans ces endroits-là, ni leur représenter le véritable état des affaires, et sans prendre par un préable toutes leurs précautions suffisantes.

Outre cela, les ecclésiastiques se sont encore vivement appliquez à mettre encore le Ressort d'en haut en une pareille confusion. Ils se sont figurez que la situation des deux Couvents Nouveau de St Jean et Magdenau leur pourrait donner le moïen, comme il était arrivé précédemment, en y mettant des commandans, de mettre sans peine un frain au dit Ressort d'un haut, en leur coupant, par ce moien, la communication, et remplissant de cette manière tout de terreur et de confusion.

C'est dans cette extrème nécessité que nous nous sommes vus forcez de pourvoir, contre une telle force, à la seureté de Nous, de nos femmes et de nos enfants, et de nous rendre Maîtres des dits deux Couvents, et de les munir d'une garnison convenable, comme l'unique moyen pour éviter, avec l'aide de Dieu, le péril, et pouvoir ramener les rebelles et redresser les simples dans la droite voie par une suffisante information.

Nous protestons donc tous sans exception et sans distinction ou différence de religion, Nous protestons, dis-je, en public et devant Dieu, que l'occupation de ces deux Couvents n'est aucunement dans la vue d'opprimer la religion catholique; que, pour cet effet, nous avons donné les ordres convenables qu'une telle expédition se fit, s'il était possible, sans pillage et sans effusion de sang, à moins que les religieux, par une indue résistance, n'en donnassent quelque sujet, ne voulant faire aucun tort ni violence à leurs personnes, ni à aucun d'eux, ni à tout ce qui dépend du service devin, ni les empêcher dans l'exercise d'icelui; mais cherchant tant seulement à conserver notre seureté nécessaire, admonestant tous et un chacun de nos chers Compatriotes, priant et requérant aussi tous ceux du dehors à qui ces choses peuvent parvenir, de n'ajouter aucune foi ni créance à tout ce qui peut être dit au contraire, mais de demeurer persuadé que tout ce qui est ci-dessus est conforme à la vérité.

Ne désirant au reste rien plus, sinon de finir cette affaire par des moyens justes et légitimes, nous déclarons par les présentes que si le Révér. Couvent de St Gall veut traiter sincèrement de cette pacification avec le Conseil général, sans distinction de religion, comme il a été machiné jusques à présent, ou laisser décider entièrement cette difficulté par la médiation ci-devant établie, Nous nous soumettrons à tout ce qu'avec justice et autant qu'il sera convenable à nos priviléges, pourra être requis de nous. Mais si au contraire on cherche l'oppression, nous sommes résolus, avec l'assistance divine, de nous deffendre, nous et nos Priviléges, jusqu'à la dernière goutte de sang. Ce que nous voulons bien publier par ces présentes pour l'instruction d'un chacun et pour notre justification.

CHANCELLERIE DU PAIS DE TOGGENBOURG.

Donné le 12 avril 17121.

Ce manifeste, répandu à profusion dans la Suisse protestante, devient le signal de la guerre. Schwytz, le premier, envoie du secours à l'Abbé; les Petits-Cantons prennent les armes, et Lucerne, entraîné par ses paysans, envoie quatre cents hommes occuper les passages de la Reuss. Zurich, de son côté, dirige quatre mille hommes sur la frontière du Tockenbourg.

Cependant, tout était prêt à Berne, pour soutenir une guerre désirée depuis si longtemps par ses chefs. Aussi, dès que le Tockenbourg demanda des secours, les milices, de piquet depuis quelques semaines, furent mobilisées; trente-cinq mille hommes entrèrent en campagne, et le manifeste de LL. EE. de Berne et de Zurich, donna le signal de la guerre civile, sous le prétexte de défendre la liberté de sujets opprimés, mais dans le but réel d'augmenter le nombre des sujets des familles patriciennes de ces deux villes souveraines.

Nous les Bourguemaitres, Advoiers, Petits et Grands Conseils des villes de Zurich et Berne, sçavoir faisons par les présentes, Qu'étant de notoriété publique que les habitants du païs de Toggenbourg ont depuis longues années souffert de si dures et exorbitantes exactions de la part des officiers de M. le prince et abbé de St Gall, qu'ils n'ont pu en attendre que la totale extinction de leurs anciennes franchises et libertez acquises avec honneur et réputation; à cause de quoi, ils se sont vu contraints d'en faire grief et porter plainte amère auprez des louables cantons de Schwitz et Glaris, avec lesquels ils ont un droit de combourgeoisie ou de compatriotes, qu'on appelle le Land-Recht. Mais parce que M. le prince et abbé de St Gall n'a pas voulu reconnaître le droit et titre susdit, qui est de l'an 1440, prétendant d'évoquer la chose à Bade par devant les treize louable Cantons, où elle a été pendante plusieurs années, il s'en est ensuivi que ceux de Toggenbourg s'y sont aussi présentez avec des remontrances respectueuses sur leur triste état, toutefois sans trouver ni remède, ni consolation, de sorte que se voiant si inutilement trainez, ils ont enfin eu recours à Nous, implorant notre conseil et assistance. En effet, nous n'avons pu les voir davantage dans une situation si déplorable sans leur prêter main! En quoi nous n'avons fait que notre devoir à procurer le bien du louable Corps helvétique, à l'exemple de nos prédécesseurs, qui ont à ce même sujet interposé leur authorité et leurs bons offices, assavoir nous de Berne l'an 1463, pour le maintien du Land-Recht, et nous de Zurich l'an 1538, pour le maintien de ce qu'on appelle le Landts-Friden, soit la paix du païs. Nous sommes d'autant plus incités à cette manière, l'an 1706, après la tenue de la Diète générale à Baden et après le départ de nos députez, les louables Cantons catholiques, assemblez chez les capuchins, ont dressé entre eux un acte dangereux et particulier, tendant uniquement à réunir le dit Prince Abbé avec les deux cantons de Schwitz et Glaris, et à renvoier ceux du Toggenbourg à sa mercy et discrétion. C'est pourquoi, ensuite d'une meure et exacte connaissance de leurs Titres fondamentaux, qu'on appelle le serment du païs et la paix du païs de l'an 1538, lesquels se trouvent munis de beaux et précieux priviléges et immunités, Nous avons conclu, arrêté et déclarons par ces présents de vouloir les y maintenir, protéger et soutenir envers et contre toute violence et oppression, sans y chercher aucun avantage ni intérêt particulier, comme nous l'avons déjà fait voir en acceptant la médiation aimable du canton de Basle d'une, et des cantons de Lucerne, Uri et Soleure d'autre part, aiant contribué de tout notre pouvoir à la faire réussir. Mais il est connu de quelle manière elle a été rompue et rendue infructueuse. Cependant Nous étions dans quelque espérance que le Toggenbourg serait laissé en paix dans la tranquille jouissance de ses priviléges et de l'administration d'une justice impartiale, jusqu'à ce que Dieu, par sa grâce, fit naître des moiens propres à une décision finale, lorsqu'à notre grand regret nous avons appris que des personnes ecclésiastiques et autres haîneux et pertubateurs du repos public ont poussé le peuple à une désobéissance contre le Conseil du païs, cherchant d'anéantir le respect qui lui est dû et de le décréditer par paroles ou par actions ouvertes, foulant aux pieds ses mandats et diffamant les principaux membres qui le composent, jusque-là qu'ils ont entrepris d'assembler de leur propre authorité les communes de la Préfecture inférieure, afin de se soustraire à la punition qu'ils méritaient, en se faisant un parti, en semant une division fatale parmi des compatriotes, qui jusqu'ici ont été de bon accord, nonobstant la diversité de la religion, et pour exécuter d'autant plus sûrement leurs pernicieux desseins à l'entière destruction du païs et de ses libertez, en faisant de longue main des préparatifs de guerre d'une dangereuse conséquence, avec menaces grièves et insupportables. Pour ces raisons et autres, mus d'une juste affection pour la paix et l'équité, et d'une juste douleur à la vue de toutes leurs tribulations, nous n'avons pu de moins que d'accorder notre aide et secours aux vives instances de ces peuples malheureux, et de nous résoudre enfin de faire advancer des troupes vers nos frontières de Toggenbourg, afin que si une telle démarche ne produisait son effet, nous fussions en état d'entreprendre ce que nous jugerons nécessaire, sans prétendre d'offenser aucun des louables Cantons, mais seulement de rétablir le calme dans le païs de Toggenbourg et de maintenir une véritable tranquillité dans le louable Corps helvétique, voulant bien que par ces présentes tous et chacun soient informez de notre sincère intention, attendu que nous serons toujours portez à donner les mains à une médiation acceptable et honorable, aiant même désiré que M. le prince et abbé de St Gall proposât des moiens au Conseil du païs, propres et convenables à terminer ces longues et fâcheuses difficultez par une bonne paix, que Dieu veuille nous donner par sa grâce. En foi de quoi et pour l'instruction du public, nous avons fait expédier et imprimer le présent manifeste.

CHANCELLERIE DE LA VILLE DE ZURICH.
Au nom des deux louables Cantons,
ZURICH ET BERNE.2

Cependant, comme le parti de la paix paraissait l'emporter à Lucerne sur l'enthousiasme religieux des campagnes, on présumait à Berne que le gouvernement lucernois se bornerait à quelques démonstrations sur la Reuss et les Bailliages-Libres, pour calmer les populations catholiques. Aussi, on envoya le général Tscharner occuper l'Argovie avec deux seules brigades, quelques canons et un escadron de dragons, pour tenir en respect le Comté de Baden et les Bailliages-Libres. Déjà le général Tscharner, ancien major général en Hollande, dans l'armée du duc de Marlborough, établissait son quartier-général à Lenzbourg, lorsqu'il reçut de Berne l'ordre de marcher, avec quatre mille hommes, dans le canton de Zurich, pour secourir le Tockenbourg. Comme on croyait à Berne que le général Tscharner ne recontrerait pas de résistance, le Conseil, par motif d'économie, décida que les troupes marcheraient en quatre colonnes, dont la première, composée d'Argoviens, devait passer à Lenzbourg le 17 avril, les deux suivantes, composées de Bernois, le 20 et le 24, et la dernière, formée de Vaudois, le 28. Ceux-ci se rendaient, à marche forcée, en Argovie, en passant sur le territoire neufchâtelois, afin d'éviter toute contestation avec Fribourg. Chacune de ces colonnes de marche était formée de deux bataillons, d'une compagnie de cavalerie et d'une batterie de quatre pièces de petit calibre, ou de deux gros canons. Suivant l'état envoyé au général Tscharner, il devait avoir sous ses ordres quatre bataillons de fusiliers de cinq compagnies chacun, quatre bataillons d'élite, l'escadron des cavaliers d'hommage du Pays de Vaud, commandé par le major de Loys, deux compagnies de dragons, douze pièces d'artillerie, dont quatre pièces de 6, et huit de 3½, et cent quarante-huit chevaux de trait, formant un effectif de quatre mille cinq cents hommes de pied, deux cent trente-sept cavailiers et cent quarante-sept artilleurs.

Cependant, comme il était urgent de fortifier et d'occuper d'autre points du canton de Berne, exposés aux attaques des Lucernois, tels que l'Argovie et l'Oberhasli, le colonel May fut chargé de défendre ces frontières avec un corps d'armée; le colonel Tillier occupa le passage du Brunigg; le commandant d'Erlach couvrit Frutigen et le Haut-Simmenthal contre le Valais; le major de Wattewille reçut le commandement des troupes de réserve des mandements d'Aigle, pour empêcher la jonction des Valaisans avec les Fribourgeois. Enfin, comme on ne pouvait pas compter sur la neutralité du duc de Savoie, et que l'on apprenait que ce prince faisait filer des troupes par le Mont-Cenis dans la Savoie, le général de Sacconay fut appelé au commandement supérieur de toutes les troupes du Pays de Vaud, et chargé de la surveillance générale de Fribourg, du Valais et des rives du lac. Les districts allemands de Fribourg furent observés par quelques bataillons placés sur la Sarine, à Laupen, à la Neueneck et à Guminen. Un bataillon et une compagnie de cent quatre-vingts étudiants, formèrent la garnison de Berne. Enfin, le colonel May d'Arwangen, avec quelques mille hommes, occupa le Munsterthal pour s'opposer aux entreprises de l'évêque de Bâle, et le colonel Sinner, aussi avec un corps de quelques mille hommes, fut chargé de garder les passages de l'Aar et les points frontières de Wangen, Arwangen et Bipp, de même que la forteresse d'Arbourg. Il devait aussi observer les Lucernois, depuis son quartier-général de Langenthal, et empêcher leur jonction avec Soleure.

Ces dispositions militaires en imposèrent à Fribourg, à Soleure et au Valais, et prévinrent ainsi une guerre civile générale, mais rendirent nécessaire une levée de quinze mille hommes dans le Pays de Vaud, tant pour l'armée active d'Argovie que pour le service sédentaire : élite et réserve, tout fut mis sur pied. Romainmôtier, Yverdon, Morges, Nyon, Lausanne, Aubonne, Vevey, Chillon, reçurent des garnisons, et toutes les communes frontières du Valais et de Fribourg eurent des troupes en cantonnement. Si cet armement considérable, et fait en peu de jours, a lieu de nous étonner aujourd'hui, il dut surprendre à un plus haut degré les étrangers qui en furent les témoins. Aussi, l'ambassadeur anglais, le chevalier Stanian, dans son Tableau historique et politique de la Suisse, qu'il publia peu de temps après la guerre de Villmergen, donne l'organisation militaire de Berne comme un modèle digne d'être suivi :

«Dans le canton de Berne, dit-il, tous les hommes, depuis seize jusqu'à soixante ans, sont enrôlés dans la milice; un tiers est enrégimenté sous le nom de Fusiliers et d'Electionnaires; les deux autres tiers forment le Réserve et fournissent les recrues. On forme le corps des fusiliers au moyen d'hommes tirés de l'élite du peuple, tant pour l'âge que pour la taille; on n'y reçoit point de gens mariés, afin qu'ils soient prêts à marcher au premier ordre. Les électionnaires sont des hommes mariés, de taille et d'âge convenables pour le service. Chaque régiment de fusiliers est composé de dix compagnies de cent hommes, qui forment deux bataillons; chaque régiment d'électionnaires est composé de douze compagnies de deux cent dix-huit hommes. Tous les hommes sont obligés de se fournir d'armes et de munitions à leur propres dépends, et de se conformer à l'uniforme, qui consiste pour l'infanterie en un habit gris avec des revers de couleurs différentes pour distinguer les régiments.

«Les régiments de dragons sont composés de dix compagnies de soixante hommes, et chaque régiment de cinq escadrons. Le dragon est obligé de se pourvoir d'un cheval, et l'on ne reçoit dans cette arme que des paysans aisé qui ont toujours des chevaux pour faire valoir leurs fermes.

«L'Etat fournit aux soldats des haches, des chaudières, des tentes; il donne une tente pour cinq hommes, et toutes ces choses sont déposées dans l'arsenal de Berne. Quoique la milice soit tenue de se pourvoir d'armes à ses frais, on garde néanmoins dans l'arsenal de Berne un assortiment complet d'armes pour la milice du Canton et toujours prêtes à être distribuées à tout événement. Chaque bailliage a aussi son arsenal particulier, où l'on consacre un assortiment d'armes diverses, et cet arsenal est dans le château, résidence du bailli. On tient en réserve, dans chaque baillaige, une somme suffisante pour solder pendant trois mois la milice du bailliage, mais on ne peut disposer de ce trésor particulier sans le consentement des différentes communautés3. On trouve dans l'arsenal de Berne une superbe artillerie, prête à marcher au premier ordre, sans compter un grand nombre de canons distribués dans les châteaux des baillis; il y a pour le service de cette artillerie plusieurs compagnies d'artillerie et une de bombardiers. Toutes les communes sont chargées de fournir des chars et des chevaux pour l'usage de l'artillerie et le transport des munitions. Une compagnie de cent cinquante hommes de métiers, charrons, forgerons, etc., est attachée au service de l'artillerie; il y a de plus une compagnie de guides qui ont un parfaite connaissance du pays.

«Le Canton est divisé en huit districts militaires, qui ont chacun un officier appelé Grand-Major, chargé de veiller à ce que les milices soient toujours prêtes à marcher et que leurs armes, leurs munitions et leurs uniformes soient en bon état et conformes à l'ordonnance. Chaque major fait en conséquence des revues fréquentes et a sous ses ordres des Commis, qui font exercer les troupes de chaque commune, au moins dix fois pendant le courant de l'année, le dimanche et après le service divin. Outre ces exercices, il y a des avant-revues et des revues, et certains jours de l'année, on fait tirer le peuple avec des mousquets, afin de lui apprendre dans ces jours de fête à bien viser et en faire de bons tireurs. On observe la même chose pour les canonniers et les bombardiers, qui sont exercés environ pendant un mois tous les ans, en tirant à un but avec de la grosse artillerie, canons et mortiers, etc.

«Cette milice, ajoute l'ambassadeur anglais, est ainsi ordonnée avec tant de soins, on a pris tant de précautions pour être muni dans des cas imprévus de toutes les choses, qu'elles ont l'air de troupes régulières. Outre cela, elles retirent un grand avantage de l'usage établi parmi la jeunesse d'aller servir trois ou quatre ans dans les troupes suisses au service étranger. Par ce moyen, la plupart des laboureurs ont servi, ensorte que le tiers des hommes de la milice peut être regardé comme de vieux soldats et sont commandés par des officiers expérimentés.»

Le général Tscharner, arrivé à Lenzbourg le 19 avril, s'occupa des dispositions à prendre pour la marche des trois collonnes destinées à entrer dans le canton de Zurich, mais cette marche par étapes devint impossible, car les troupes des Cantons catholiques, prévenant les Bernois, occupaient déjà Mellingen, Bremgarten, Baden, Klingnau et Kaiserstuhl, et fermaient ainsi tous les passages. Il fallait donc forcer le passage sur un des ponts de la Reuss. Cependant, comme on voulait éviter un conflit avec les troupes des Petits-Cantons et de Lucerne, on décida de forcer le passage de l'Aar à Stilli, à une lieue en-dessous de Brugg et près du confluent de l'Aar avec le Limmat, passage gardé par un détachement de milices de la ville de Baden. Le capitaine Effinger de Willdegg, officier d'état-major, reconnut le passage; on fit retirer le bac du côté de la rive gauche de l'Aar; le maître pontonnier d'Arau, Schmidt, rassembla des bateaux et mit en état le bac. On espérait ainsi pouvoir jeter neuf cents hommes à la fois sur la rive droite, pour en chasser les milices de Baden, et protéger le passage du matériel et du gros de la colonne. Lorsque ces mesures furent exécutées, les troupes bernoises firent un démonstration au-dessus de Brugg pour y attirer l'ennemi; le colonnel de Watteville, chef de la colonne d'expédition, sortit secrètement de Brugg, pendant la nuit du 24 au 25 avril, avec quatorze compagnies de fusiliers et deux pièces de campagne, et, à l'aube, arriva à Stilli. Après l'embarquement des troupes sur le bac et douze barques, le commandant de la milice de Baden fut sommé de laisser librement passer les troupes de Berne. Sur son refus, douze pièces d'artillerie4 ouvrirent leur feu. Les milices de Baden se retirèrent; le colonel de Watteville effectua son passage, occupa la rive droite de l'Aar, et à quatre heurs de l'après-midi, opéra sa jonction avec deux mille hommes de Zurich entre Tagerfelden et Würenlingen.

Tandis que la brigade de Watteville marchait sur les troupes de l'abbé de St Gall, réunies près de Wyll, les députés des Cantons neutres, convoqués en une Diète à Baden pour prévenir la guerre, voyant échouer tous leurs efforts, se séparaient le dix de mai.

Cependant, les Cantons catholiques concentraient leurs troupes dans les Bailliages-Libres, dont toutes les populations s'armaient et embrassaient la cause catholique. Ils traçaient des retranchements sur le Meiengrun, plateau situé sur la rive droite de la Bunz, et fortifiaient Mellingen et Bremgarten. M. de Sonnenberg, leur général, couvrait avec douze mille hommes Baden, Millingen et Bremgarten. C'était donc dans les Bailliages-Libres, sur la Reuss et la Limmat, que la question devait être résolue; c'était encore sur les mêmes champs de bataille que les catholiques et les protestants devaient se mesurer, ainsi qu'ils l'avaient fait en 1531 et en 1656, à Cappel et à Villmergen.

Il était donc urgent de prendre de nouvelles mesures pour rétablir les communications avec Zurich, et enlever à l'ennemi des positions qui le rendaient maître du cours de la Limmat et de celui de la Reuss. Dans ce but, le général Tscharner conserva le commandement de l'armée d'Argovie; mais on lui adjoignit, comme premier lieutenant-général, M. de Sacconay-Bursinel, alors commandant en chef de l'armée du Pays de Vaud. Le colonel May fut nommé général-quartier-maître, et le colonel Manuel, major-général. De toutes parts, on dirigea des renforts sur Lenzbourg, quartier-général de l'armée. «Les troupes filent, écrit à sa cour le comte du Luc; elles ne paraissent pas avoir une grande envie de se battre pour le droit d'autrui. Cependant, elles sont belles. Nous avons vu hier passer à Soleure une compagnie de dragons du Pays de Vaud, qui est des plus belles. Tous ces dragons sont uniformes et bien faits; ils paraissent tous avoir servi.»

Sacconay arriva le 19 mai au quartier-général avec son état-major, composé d'hommes éprouvés : le major Davel, son ancien adjudant dans les batailles de Hochstetten et de Ramillies; le colonel Monnier, de Grandson, officier supérieur d'artillerie dans l'armée du prince Eugène; les majors de Crousaz, de Lausanne, et Damond, de Nyon; le lieutenant-colonel Portefaix, d'Yverdon.

Le 22 mai, le mouvement de concentration était terminé, et l'armée comptait neuf mille et six cents hommes; on en attendait encore onze cents des contingents de Neufchâtel et Genève. Le colonel Petitpierre, chef des deux bataillons neufchâtelois, attendait avec ses huit cents hommes l'autorisation de son gouvernement de marcher contre les troupes de Lucerne, ville combourgeoise de Neufchâtel; le lieutenant-colonel Jean Trembley était encore en marche avec un bataillon de trois compagnies genevoises, capitaines Rigaud, de la Rive et Bordier5.

Les bataillons vaudois formaient la force principale de l'infanterie; ils étaient commandés par les lieutenants-colonels ou capitaines6 Polier de Bottens, de Saussure de Bercher, Régis de Morges, Henri de Gingins d'Orny, d'Arbonier de Dizy, d'Arnex de Nyon, Gabriel de Gingins d'Eclépens, de Champvent, de Mézery, de Gingins-Lasarra, Charrière de Sévery, Cerjat de Féchy. Le Pays de Vaud avait encore envoyé quatre compagnies de dragons et un escadron de cavaliers d'hommage. Les dragons étaient sous les ordres des capitaines Cerjat de Bressonnaz, de Gingins-Lasarra, Ducoster de Nyon et de Mollens. Le major de Loys était à la tête d'un escadron de cavaliers d'hommage, chargé de fournier les escortes des états-majors, de l'artillerie, du matériel et du trésor. Le colonel de Gingins, baron de Lasarra, commandait en chef la cavalerie du corps d'armée. Lorsque toutes ces troupes furent rassemblées, on réunit en bataillons les compagnies isolées et on forma des brigades de quatre ou cinq bataillons chacune. MM. Gabriel de Gingins d'Eclépens et Régis de Morges commandaient, chacun, une de ces brigades.

Une brigade de deux mille hommes fut dirigée sur Stilli, où elle passa l'Aar, le 19 mai, et entra sur le territoire de Zurich, et, le soir même, passa la Limmat à Diétikon, où elle opéra sa jonction avec le corps d'armée de Zurich, fort de trois mille hommes, commandés par le général Wertmuller. Ce général, outre ces cinq mille hommes, avait un matériel de siège : douze gros canons, quatre mortiers et six cents bombes de cinquante livres, destinés aux sièges de Mellingen, de Bremgarten et de Baden.

Les deux divisions bernoises, également destinées à marcher sur Mellingen, quittèrent Lenzbourg le 19 au matin, en même temps que la brigade bernoise passait l'Aar à Stilli, pour se mettre sous les ordres du général Wertmuller, à Diétikon. La première division, sous les ordres du général-quartier-maître May, prit position à Ottmarsingen, sur la route de Lenzbourg à Mellingen, et la seconde, commandée par le lieutenant-général de Sacconay, se porta en avant, d'Hendschikon sur la Bunz, pour tenir en échec Bremgarten, occupé par sept ou huit mille hommes de l'armée ennemie. Au signal convenu, une colonne de fumée sur le mont Brunegg, la division May, le 21 au matin, quitta Ottmarsingen, marchant sur la route de Mellingen. La division Sacconay, renforcée d'une brigade détachée de la division May, passa la Bunz sous le feu d'une batterie de Lucerne, perdit deux hommes et eut quatre blessés. La compagnie de dragons du capitaine Ducoster, de Nyon, chargea la batterie lucernoise, dont elle massacra les artilleurs et les conducteurs, en s'emparant de leurs pièces. Cependant, une brigade lucernoise, retranchée sur le Meiengrun, plateau entre la Reuss et la Bunz, menaçait et fusillait la gauche de Sacconay. Ce général forma ses troupes en colonne et donna l'ordre au chef de bataillon Quisard d'Arnex, de Nyon, de déloger les Lucernois. D'Arnex forme son bataillon en trois colonnes, et ses Vaudois, après avoir orné leurs chapeaux de rameaux verts, gravissent le plateau au pas de charge et culbutent les Lucernois, qui se retirent en désordre sur Bremgarten. Ce fait d'armes accompli, le général de Sacconay se dirige sur Wohlenschwyll, où il rejoint la division May, venant d'Ottmarsingen. Puis, toute l'armée réunie établit ses bivouacs dans la plaine entre Wohlenschwyll et l'escarpement que couronne les ruines du château de Brunegg. Le conseil de guerre, assemblé à Wohlenschwyll, résolut d'attaquer Mellingen dès le lendemain 22 mai, après avoir donné, du haut du Brunegg, le signal convenu à l'armée de Wertmuller, pour qu'il quittât les bords de la Limmat à Diétikon; le signal donné, on se mit en marche sur Mellingen.

Cependant, le commandant de cette place, le colonel Göldlin, de Lucerne, apprenant l'approche des armées combinées, sortit de la place pendant la nuit du 21 au 22. Quatre cents hommes de Berne et de Zurich, sous les ordres du colonel Morlot, prirent donc paisiblement possession de Mellingen, et les armées dressèrent leurs camps sur les deux rives de la Reuss.

«Une visite que les officiers bernois rendirent ce jour-là à l'état-major zurichois, dit de Rodt, donna à ces premiers une petite idée des connaissances militaires des Zurichois; le général Wertmuller raconte lui-même que le camp de Zurich, faute d'un quartier-maître-général, était mal disposé, et que, lorsqu'on eut réuni quinze compagnies pour la parade, les officiers bernois ne pouvaient dissimuler leur étonnement sur le misérable état de l'équipement et de l'armement des soldats de Zurich. Au lieu d'armes convenables, ils étaient encore munis de massues, d'hallebardes, de piques de longeurs différents et de mousquets hors de service. Quelques rares et mauvais fusils, de différents calibres et sans baïonnettes, se laissaient voir ça et là dans les mains d'hommes chargés de gibernes impraticables, d'hommes mal exercés et encore plus mal accoutrés. On peut d'autant mieux s'expliquer le mécontentement des officiers bernois, quand on put comparer notre camp au leur. Non-seulement le camp bernois était tracé d'après toutes les règles, mais tout y avait été organisé et arrangé militairement; les hommes étaient armés d'excellent fusils à baïonnettes et avaient de bonnes gibernes. La manière amicale dont les officiers bernois traitaient le moindre soldat, frappa aussi nos officiers.»


1Lamberty, VII, 639.

2Lamberty, VII, 637.

3C'est le gîte de guerre fourni par les communes du Pays de Vaud.

4Six de ces pièces appartenaient à la ville de Brugg. «Nous servions si bien nos canons, dit un bourgois de Brugg, que chacun tirait au moins sept coups dans une demi-heure.»

5Ce bataillon était tiré des réguliers de la garnison, formée à Genève dans le but de contenir la bourgeoisie dans l'obéissance.

6A cette époque, les colonels, ainsi que les autres officiers supérieurs, conservaient leurs compagnies, qui étaient alors commandées par des capitaines-lieutenants. Dans le service étranger, c'était un moyen de s'enrichier, dans la milice, un moyen de patronage et d'influence. Aussi, ces officiers supérieurs prenaient souvent le titre de capitaines.


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