Préparatifs des armées de Zurich et de Berne pour le siège de Baden. — Sacconay commande en chef le corps de l'armée de Berne. — Baden bombardé. — Le comte de Trautmansdorf réclame la libre sortie de la ville de Baden pour l'ambassade autrichienne. — Armistice. — Mission de Davel, sous-chef de l'état-major général. — Il engage Baden à capituler. — Des bourgeois et des magistrats livrent la ville. — La garnison se retire. — Baden perd son indépendance. Son château et ses fortifications sont rasés.
Après avoir laissé une garnison à Bremgarten, l'armée rentra le 27 mai dans le camp de Mellingen, où la brigade de Petitpierre de Neufchâtel, et le bataillon de Trembley de Genève, le rejoignirent. On réorganisa les brigades. Les quatre premières, chacune de quatre bataillons, furent placées sous les ordres des colonels Tscharner, de Mullinen, de Gingins d'Eclépens et Hackbret; la cinquième, commandée par le colonel Petitpierre, fut formée de cinq bataillons, deux de Neufchâtel, un de Genève et deux de Vaud.
Le 28 mai, l'ordre du jour suivant annonça la reprise des hostilités :
Les troupes de Zurich passèrent la Limmat à Dietikon, le 28 mai, et se dirigèrent sur Baden, où, dès le lendemain, elles établirent leurs batteries en avant du village de Wettingen, et commencèrent le bombardement. Le 31, Mr de Sacconay, nommé général en chef du corps d'armée de Berne, destiné au siège de Baden, quitta le camp de Mellingen avec les brigades Hackbret, Petitpierre et d'Eclépens, deux escadrons, et l'artillerie de siège, escortée par le bataillon Fanckhauser. Le général suivit la rive droite de la Reuss, bivouaqua à Birminsdorf, avec ses six mille hommes, et, le 1er juin, dirigea la brigade Petitpierre sur les hauteurs qui commandent le château de Baden. Il prit avec lui la grosse artillerie, les brigades Hackbret et d'Eclépens; il suivit la route de Brugg à Baden, sur laquelle il fut arrêté, pendant deux heures, par des abattis d'arbres, et prit position, à trois heures de l'après-midi, à Kappelhoff, où le château de Baden lui envoya quelques coups de canon.
La brigade Petitpierre, qui n'avait point rencontré d'obstacles, était arrivée devant le château deux heures avant le corps principal; mais ne pouvant, avec ses pièces de campagne, répondre au feu d'une redoute extérieure, elle s'était retirée dans un bois voisin. Un bataillon de la brigade d'Eclépens s'emparait des Grands-Bains, et, pendant la nuit, le colonel Monnier1 reconnaissait la place et traçait les parallèles, entre les deux routes de Brugg à Baden, en appuyant la gauche de ces lignes sur les Grands-Bains de Baden.
La garnison de Baden, sous les ordres du colonel Crivelli d'Uri, était composée de deux cents cinquante bourgeois de Baden, de deux cent vingt-cinq hommes du comté de Baden, de trois cents Lucernois, de quatre-vingts hommes d'Uri, de quatre-vingt quinze de Schwytz, de dix-sept d'Underwald, de cent de Zoug, enfin de deux cents Valaisans, qui, malgré la défense apparente de leur Diète, avaient franchi les glaciers de la Fourche, pour marcher au secours de leurs coreligionnaires. La ville et le château était entourés de murailles flanquées de tours casematées et couvertes, et percées d'un grand nombre de meurtrières. Les assiégés avaient cinquante pièces d'artillerie.
L'armée de Zurich, établie sur la rive droite de la Limmat, avait établi ses batteries depuis le pied du Lagerberg jusqu'au chemin du couvent de Wettingen; elle étendait son blocus jusqu'aux Petits-Bains. Trois batteries avaient ouvert un feu à boulets rouges, et bombardaient la ville depuis deux jours, lorsque Sacconay ouvrit le feu sur la gauche de la Limmat. Baden était donc entouré par une armée de dix mille hommes, et canonné des deux côtés de la rivière. Mais sa garnison répondait par le feu d'une bonne artillerie, et déclarait vouloir s'ensevelir sous les ruines de la ville, plutôt que de la rendre. Cependant, le comte de Trautmansdorf, ministre d'Autriche, qui était resté à Baden, sa résidence ordinaire, voyant que les boulets ne respectaient point l'hôtel impérial, envoya un parlementaire au général de Sacconay, pour lui demander une suspension d'armes de quelque heures, afin que l'ambassade pût quitter la place. Le feu cessa, et le général de Sacconay envoya Davel, nommé sous-chef d'état-major, au comte de Trautmansdorf, afin de protéger sa retraite. Le général recommanda à Davel de chercher à reconnaître l'état de la place, les ouvrages de défense des assiégés, ainsi que le moral de la garnison.
Pendant les préparatifs de départ de Trautmansdorf et de la chancellerie, le major Davel fut reçu avec distinction par la magistrature de Baden, qui lui offrit le vin d'honneur. Davel, profitant de cette circonstance, représenta aux Badois que leur résistance était inutile, que l'armé assiégeante était très-nombreuse, son artillerie formidable, et ajouta :
«Après quatre heures de bombardement, il ne restera pas une tuile sur vos toits.... Venez avec moi au camp, vous verrez; vous jugerez de la vérité de mes paroles.... Nous ne sommes pas des ennemis irréconciliables.... Nous n'exécutons qu'avec douleur des ordres qui vont réduire votre ville en cendres.»
Quelques magistrats, et le capitaine Pfyffer de Lucerne, entraînés par les instances de Davel, acceptèrent les propositions du parlementaire vaudois, et l'accompagnèrent au quartier-général. Là, quand ces personnages se furent assurés qu'ils étaient bloqués par plus de dix mille hommes, ils demandèrent une prolongation de la suspension d'armes, afin qu'ils eussent le temps d'engager leurs collégues de Baden à capituler. Le général de Sacconay y consentit; mais le colonel Hirzel, commandant le corps d'armée de Zurich, objecta qu'il avait ordre de ne recevoir Baden qu'à discrétion, et notifia qu'à dix heures du soir il recommencerait le feu. Alors, les Badois qui avaient accompagné Davel, rentrèrent précipitamment dans leur ville, et, par leurs récits, y jetèrent une telle terreur, que l'avoyer Schnorff se rendit en hâte auprès du colonel Hirzel, afin d'obtenir quelques conditions favorables.
Cependant, comme la garnison se préparait à recommencer le feu, et maltraitait les personnes qui parlaient de capitulation, des magistrats, secondés par quelques bourgeois timorés, s'emparèrent d'une des portes de la ville, et y firent entrer les Zurichois. Alors la tumulte fut au comble, un désordre affreux s'empara de la ville; la plupart des soldats de la garnison, profitant des ténèbres, se précipitèrent hors des portes; d'autres, se coulant du haut des murailles et des remparts, s'enfuirent dans la campagne; d'autres, enfin, se rendirent prisonniers.
Le lendemain, 1er juin, les assiégeants entrent dans la place; les bourgeois sont convoqués dans la grande église pour prêter, au milieu des baïonnettes de Berne et de Zurich, le serment d'hommage à ces deux villes. On leur lit la formule de ce serment, mais l'avoyer Schnorff demeure silencieux. Après une nouvelle lecture, même silence; l'avoyer se tourne vers ses concitoyens et leur demande leur avis; mails ils gardent encore le silence. Enfin, pressé par les commissaires, le vieil avoyer prononce le serment qui asservit sa patrie catholique à la souveraineté des deux villes protestantes. Berne et Zurich laissent à Baden ses privilége; ils lui imposent deux cents louis pour le rachat de ses cloches, qui, suivant les lois de la guerre, appartenaient à l'artillerie assiégeante; ils lui laissent sa religion, mais sous la réserve de pouvoir élever, hors des faubourgs, une chapelle protestante, et lui enlèvent cinquante canons, quatre mortiers, et toutes ses munitions de guerre. Cependant, l'humiliation de la bourgeoisie de Baden n'est pas encore parvenue à son comble : les délégués de Zurich, exigent la démolition des remparts. Le général de Sacconay intercède en faveur de Baden; il représente l'utilité de fortifications qui commandent le cours de la Limmat, et couvrent Zurich du côté de l'Allemagne; il propose de les conserver, et de ne détruire que les ouvrages élevés depuis le commencement de la guerre. Mais les Zurichois insistent. Les fortifications sont rasées, le château démoli, et l'on n'épargne que la chapelle de cet antique édifice, siège des Diètes de la vieille Confédération.
Le major Davel, douloureusement affecté d'avoir engagé les Badois à capituler, alors qu'ils pouvaient encore se défendre et obtenir de meilleures conditions, écrivit à son ancien frère d'armes, le général de Sinner, sénateur bernois : «Baden est rudement traitée. Cependant, quand cette ville serait traitée plus humainement, les intérêts du souverain n'en seraient que mieux établis.... La garnison de plus de mille hommes, ne s'est rendue qu'aux sollicitations que je lui ai faites, quand j'étais commissaire dans la ville. J'avais promis aux Badois un traitement plus doux s'ils se rendaient.... Je crains que la grande prospérité de nos armes ne nous engage à une hauteur qui pourrait bien amener des suites dangereuses.... Mais il ne m'est pas permis d'entrer dans des réflexions d'un personnage au-dessus de mon rang....»
Ces lignes font pressentir le major Davel à Lausanne. Dans ces lignes, ce patriote signale au patricien bernois le danger de la hauteur dans le pouvoir; il rappelle les promesses qu'il a faites aux Badois; il intercède en leur faveur; il donne un regret à l'indépendance d'un peuple : à cette cause de l'indépendance, pour laquelle nous le verrons offrir, dans son pays, sa tête en sacrifice.
1Le colonel Monnier, de Grandson, officier d'artillerie et ingénieur distingué, avait suivi le prince Eugène dans ses campagnes d'Italie et de Flandre, où il avait été chargé de la direction de plusieurs travaux dans les siéges nombreux qui signalèrent ces guerres. A la fin de l'année 1711, il quitta le prince Eugène, avec le grade de colonel, et se retira dans le Pays de Vaud, sa patrie.