Conférences d'Olten. — Diète d'Arau. — Conférences de paix. — Lucerne et Uri acceptent la paix. — Les autres Cantons catholiques la rejettent. — Camp bernois à Mouri. — Sacconay général en chef. — Schwitz, Unterwald et Zoug réunissent leurs troupes. — Le peuple de Lucerne se prononce contre la paix. — Berne, pour intimider Zoug et Lucerne, fait occuper le village de Sins. — Levée en masse des paysans catholiques. — Surprise de Sins. — Héroïsme du colonel Monnier et des défenseurs de Sins.
La victoire de Bremgarten, la paix de Baden, la soumission des Bailliages-Libres, et la dissolution complète de l'armée catholique, engagèrent Lucerne à demander la paix. Des conférences s'ouvrirent à Olten, et l'armée de Berne et celle de Zurich reprirent leurs positions; la première au camp de Meiengrun, la seconde à celui de Maeschwanden, entre Zug et la Reuss, et ne laissèrent à Baden qu'une garnison de deux bataillons, l'un de Nyon, l'autre de Zurich. De nouveaux changements eurent lieu, à cette époque, dans l'état-major de l'armée. Le général Tscharner, grièvement blessé depuis l'affaire de Bremgarten, et souffrant d'une fièvre tierce, quitta l'armée, et fut remplacé provisoirement par le lieutenant-général de Sacconay. Le banneret Frisching, jusqu'alors représentant de Berne à Zurich, fut nommé président du conseil de guerre, composé des colonels de camp (Feldobersten), des deux lieutenants-généraux de Sacconay et May, et du major général Manuel. De fait, comme l'observe Mr de Rodt, le général de Sacconay remplissait les fonctions de général en chef, puisqu'il exécutait les décisions du conseil de guerre, dont lui-même était membre. Le général May, outre ses fonctions de membre de ce conseil, conservait celles de quartier-maître général de l'armée, et le major Davel celles de sous-quartier-maître, ou sous-chef d'état-major.
Lorsque les cantons neutres connurent les résultats de la campagne dans les Bailliages-Libres, ils demandèrent la convocation d'une Diète générale à Arau. Bâle et Schaffouse, dans l'intérêt de l'équilibre de la Suisse, rompu par les victoires de Berne et de Zurich, se hâtèrent d'intrevenir en faveur des catholiques. Quant au comte du Luc, cet ambassadeur était tellement pénétré de l'importance, pour la France, que Berne et Zurich ne devinssent pas trop puissants, que, dès le commencement des hostilités, il avait engagé le cabinet de Versailles à faire quelques mouvements de troupes sur les frontières de la Suisse. Louis XIV entra dans les vues de son ambassadeur, et lui répondit le 3 juin : «J'écris à l'intendant d'Alsace de manière à donner lieu de croire que je pourrais faire rassembler les milices de cette province, et au maréchal Berwick de visiter les postes de la frontière suisse, afin de donner quelques inquiétudes aux Bernois.... Procurez une apparence de paix; il est d'une extrème importance d'arrêter les entreprises des protestants jusqu'à la paix générale....» Le compte du Luc répondit : «Sire, je plàtrerai une paix, espérant que Votre Majesté pourra un jour rétablir l'équilibre.»
Tout le corps diplomatique assistait à la Diète d'Arau, où les partis s'agitaient. Le comte de Trautmansdorf continuait à soutenir l'abbé de St Gall, et à faire valoir les droits de ce prince-évêque sur le Tockenbourg. Par les insinuations de ce ministre de l'Empereur, le cercle de Souabe, et le duc de Wurtemberg, prenaient des mesures militaires et faisaient avancer des troupes à Constance et dans le Frickthal. Fribourg, excité par l'ambassade française, manifestait son mauvais vouloir pour Berne, en frappant d'une amende de vingt mille florins les bailliages médiats de Morat et d'Echallens, dont les milices avaient marché sous les drapeaux de Berne. Déjà, alors, Echallens et Morat étaient victimes de leur position en matière de religion.
Mais c'était de Rome que venait la plus grande opposition aux prétentions ambitieuses de Berne et de Zurich. Le nonce du Pape à Lucerne paralysait les intentions pacifiques des gouvernements des cantons catholiques, et, au moyen du clergé, engageait dans ces cantons le peuple des villes, et surtout celui des campagnes, à prendre les armes et à combattre pour la patrie, et pour la foi menacée par les hérétiques. Le nonce faisait adresser à Rome, pour la Suisse catholique, des prières à tous les saints. On distribue des balles bénites qui devaient sûrement donner la mort aux hérétiques; on donnait des amulettes et des rosaires qui devaient préserver de la mort celui qui en serait revêtu, en combattant pour la foi; des zélateurs parcouraient les campagnes et les appelaient aux armes.
Cependant, la Diète d'Arau cherchait à pacifier la Suisse, et les gouvernements des cantons catholiques eux-mêmes, inclinaient pour la paix, et surtout celui de Lucerne. Mais, au milieu des clameurs de leurs populations, ces gouvernements n'osaient accepter des dures conditions que Berne et Zurich leur imposaient. Alors, voyant que toutes les discussions étaient sans résultat, Berne et Zurich recoururent aux voies d'intimidation. Leurs armées reprirent une attitude offensive; les Tockenbourgeois firent un movement sur Uznach; les Zurichois s'approchèrent des frontières de Schwytz; les Bernois dirigèrent quelques bataillons sur le Brunig et l'Entlibuch, et le général de Sacconay reçut l'ordre de se porter avec dix mille hommes sur Mouri.
Mais ce n'était point seulement dans le but d'intimider Zoug et Lucerne que Berne fit cette démonstration contre Mouri. C'était aussi pour occuper les troupes qui, pendant la saison des récoltes, demeuraient dans l'inaction, campées au Meinengrun. Les soldats, et même les officiers, commençaient à manifester, d'une manière inquiétante, le désir de rentrer dans leurs foyers. La plupart des officiers désiraient la paix, et plusieurs d'entre eux, qui appartenaient à des familles patriciennes, manifestaient énergiquement leur mécontentement pour cette guerre, et se déclaraient contre la reprise de nouvelles hostilités. Ce mécontentement était encore augmenté par le manque de fourrages, la mauvaise qualité des vivres et le mauvais état des effets de campement.
L'annonce de la reprise des hostilités avait donc aussi pour but de mettre un terme à cette fâcheuse disposition des troupes; car le gouvernement de Berne, qui savait très-bien que le découragement et l'indiscipline gagnent les milices, lorsqu'elles sont dans l'inaction, savait aussi que les milices suisses deviennent troupes obéissantes et disciplinées, aussitôt qu'on leur annonce de nouveaux combats. En effet, lorsqu'un ordre du jour leur annonça un mouvement sur Lucerne et Zoug, tout mécontentement disparut; la discipline régna de nouveau dans l'armée; le pâtre oublia son troupeau, et le laboureur sa moisson; officiers et soldats, tous se réjouirent à la nouvelle de nouveaux combats et de nouvelles victoires.
Le colonel Monnier, détaché sous Bremgarten, avec un bataillon et cent cinquante dragons, reçut, le 25 juin, l'ordre d'occuper le couvent de Mouri, d'y tracer un camp, et de construitre des baraques pour cinq mille hommes, de rassembler à Bremgarten des bateaux en assez grande quantité pour jeter un pont de bateau sur la Reuss, au-dessus de cette ville, et faciliter ainsi les communications entre le camp de Mouri et le village de Mettmensläten, à deux lieues de Zoug, où l'armée de Zurich devait camper. Le 29, l'armée quitta le Meiengrun, traversa Villmergen et s'établit dans le camp de Mouri. Le conseil de guerre et l'état-major s'installèrent dans le couvent.
Toutes ces démonstrations parurent remplir leur but; car Lucerne et Uri signèrent la paix sur les bases suivantes :
«Baden, Bremgarten, Mellingen et la partie des Bailliages-Libres, située au nord d'une ligne tirée d'Hermetschwyl à Sarmensdorf, sont cédés à Berne et à Zurich. Berne et Zurich s'engagent à respecter, dans ces contrées, la religion catholique romaine, à protéger les couvents et les justices. — Les droits des deux religions sont déclarés égaux dans la Thurgovie et le Rhinthal. — Les achats en main-morte ne sont permis qu'au gouvernement. — La paix de 1531 est abolie; et la présente paix de 1712 doit seule porter le nom de Paix-de-Religion. — Les cinq Cantons s'engagent à ne point appuyer l'abbé de St Gall, s'il refuse d'accéder à la paix.1»
Lorsque l'on apprit que Lucerne et Uri avaient signé ce traité de paix, la plus vive indignation s'empara de toutes les populations catholiques de la Suisse. Schwytz, Zoug et surtout Underwald, se signalèrent par leur résistance. Des landsgmeinds furent partout convoquées; Akermann fit un appel aux armes dans l'Underwald, et Trinkler à Zoug. L'agitation gagne les campagnes de Lucerne, et lorsque le général de Sonnenberg rassembla ses troupes, campées à Roth, et leur annonça la conclusion de la paix, une foule de soldates sortirent des rangs, et protestèrent, avec les plus violentes vociférations, contre une paix aussi ignominieuse pour les cantons catholiques. Une levée en masse fut partout demandée, non-seulement pour marcher contre les Bernois, mais aussi pour renverser les patriciens de Lucerne qui, disait-on, s'étaient concertés avec les patriciens de Berne et de Zurich, pour opprimer la liberté, et réduire les démocraties des Cantons primitifs.
Ces circonstances engagèrent les conseils de Berne à faire une démonstration sur Lucerne et Zoug, pour intimider les populations de ces cantons. Le général de Sacconay reçut, dans ce but, l'ordre d'occuper, avec quelques cents hommes, Sins, village sur la Reuss, à deux lieues de Zoug et à cinq de Lucerne. Sacconay avait déjà fait explorer cette contrée, et l'officier envoyé en reconnaissance, avec cent cinquante dragons et trois cents fusiliers, lui avait fait rapport que le pont de Sins, entièrement sur le territoire de Zoug, était défendu par un poste de cinquante hommes de ce canton, que le terrain, entre Mouri et Sins, avait de très-mauvais passages, et n'offrait aucune ressource pour la subsistance des troupes. Le général de Sacconay informa LL. EE. de l'état des choses, et leur représenta que si elles voulaient faire occuper Sins, il fallais, vu l'état d'exaspération de tout ce pays catholique, y envoyer une forte division, avec de l'artillerie et des vivres. Mais les représentations du général en chef demeurèrent sans effet; car le conseil de Berne était tellement persuadé qu'une démonstration sur Lucerne et Zoug, suffirait pour intimider les populations de ces cantons, qu'il décida de faire occuper Sins par un seul bataillon.
Toutefois, le colonel Monnier reçut l'ordre d'occuper Sins avec six cents hommes d'infanterie et de cavalerie. Pour former ce détachement, chacune des cinq brigades fournit cent hommes. Chaque soldat dut porter avec lui pour deux jours de vivres, et, vu les difficultés des communications et l'effervescence de la contrée, le général de Sacconay obtint du conseil de guerre qu'un second détachement et une brigade seraient échelonnés entre Mouri et Sins. Le colonel de Mullinen partit donc pour Auw avec une partie de sa brigade, et le colonel Petitpierre le suivit avec la cinquième brigade. Le colonel de Mullinen devait commander en chef toutes ces troupes, et rejoindre Monnier à Sins, lorsque Petitpierre arrivait à Auw. Toutes ces opérations furent terminées dans la journée du 19 juillet.
Cependant, l'orage grondait dans les campagnes de Zoug et de Lucerne. Les levées des Petits-Cantons arrivaient en masse et campaient à St Wolfgang, à une lieue de Sins. Ces levées, composées des contingents de Schwytz, d'Underwald et de Zoug, étaient commandées par le colonel Réding, stathalter de Nidwald, Akermann et le landammann Muller de Zoug. Elles présentaient un effectif de quatre mille hommes. Les chefs de cette armée improvisée résolurent de faire un coup de main sur le poste avancé de Sins, bien persuadés qu'ils étaient que leur succès entraînerait dans leur cause tous les gouvernements des cantons catholiques. Comme le colonel Monnier venait d'occuper Sins, et qu'il était probable qu'il était en mesure d'en défendre le pont, les chefs des Petits-Cantons résolurent de surprendre Sins, en l'attaquant d'un autre côté. Ils levèrent leur camp de St Wolfgang, le 19 juillet dans la soirée, passèrent le pont de Gislikon, et arrivèrent à minuit à Kleindietwyl, à une lieue et quart de Sins, où, pendant le reste de la nuit, ils reçurent les renforts des villes et des campagnes de Lucerne, ainsi que les Bailliages-Libres. Après trois heures de repos, cette armée prit les armes, et se dirigea sur Sins, dans le plus grand silence, cachée dans sa marche par d'épaisses forêts.
C'était le 20 juillet. Le colonel Monnier, arrivé la veille à Sins, ignorait ce qui se passait si près de lui. Le pont levis sur la Reuss était levé, tous les bateaux étaient retirés sur la rive droite; Sins était désert, les hommes étaient en armes avec les Petits-Cantons, les vieillards, les femmes et les enfants avaient fui dans les forêts, à l'approche des troupes bernoises. Cependant, Monnier, prévoyant que s'il était attaqué, ce serait du côté du pont, il le fit garder par les compagnies Roch de Nyon, Warnéry de Morges et Bordier de Genève, sous les ordres du lieutenant-colonel Damond de Nyon; il mit des avant-postes sur les chemins de Gislikon et de Wangen, et un poste principal sur le cimetière de Sins, qui entoure l'église et domine le village. Outre les compagnies Roch, Warnéry et Bordier, on voit dans les relations du combat de Sins, que le colonel Monnier avait encore sous ses ordres une compagnie de chasseurs de Vallorbes et de la Vallé de Joux, capitaine Roguin, et une compagnie de fusiliers de Romainmôtier, capitaine Duplessis d'Ependes. Le reste de la brigade de Mullinen, dont le corps de Monnier faisait partie, bivouaquait dans des vergers, entre Sins et Auw; ses cent cinquante dragons, sous Wattewille, s'établirent sur un plateau voisin, avec deux pièces d'artillerie; enfin, la brigade Petitpierre était cantonnée à Auw, petit village à une lieue de Sins, sur la route de Mouri.
A quatre heures du matin, le 20 juillet, l'adjudant Fischer visitait les avant-postes sur la route de Gislikon, lorsqu'il vit sortit d'un bois une troupe de soldats qu'il prit d'abord pour les Lucernois, que l'on venait de licencier depuis la paix. Tout-à-coup ces soldats se jetèrent sur trois domestiques d'officiers, qui faisaient paître leurs chevaux, et les firent prisonniers; d'autres soldats survinrent, leur masse augmenta, et bientôt l'adjudant vit flotter les étendarts des Petits-Cantons. Aussitôt, il crie aux armes, et les tambours battent la générale. Le colonel Monnier monte à cheval avec deux dragons, pour reconnaître l'ennemi, et envoie en éclaireur l'adjudant Fischer et le capitaine Duplessis, chacun avec un détachement de trente hommes. Fischer met en fuite une avant-garde, et lui fait quelques prisonniers, qu'il ramène à Sins; quant au capitaine Duplessis, il est entouré, et doit se dégager à coups de baïonnette. Monnier, dans cette conjoncture, double le détachement du cimetière, et se porte en avant avec cent cinquante hommes et quelques dragons.
Tandis que chacun courait à son poste dans le village de Sins, le colonel de Mullinen rassemblait sa brigade et prenait position derrière les haies des vergers, à quelques cents pas au nord de Sins, afin d'appuyer, par un feu de file, la retraite de Monnier, et appelait à lui la brigade de Petitpierre. Cependant, les masses catholiques arrivaient de toutes parts, le tocsin sonnait dans tout le pays, et une levée en masse de plus de cinq mille hommes se précipitait comme un torrent sur le village de Sins. Le pont levis sur la Reuss s'abat, et une foule l'envahit. Le colonel Damond, ayant à ses côtés son jeune fils âgé de dix-sept ans, reçoit ces milices de Zoug à coups de fusil, et les repousse deux fois; mais, voyant qu'il ne peut résister, et que les bateaux chargés de nouveaux assaillants traversent la Reuss, il songe à la retraite. Il ordonne à la compagnie Roch de Nyon de faire un dernier effort, tandis qu'il rassemble les compagnies Roguin et Bordier. Le brave Roch, usant d'un audacieux stratagème pour couvrir la retraite de ses camarades, réunit tous les tambours, leur fait battre la charge sur le pont, les précède à la tête de quelques hommes déterminés, simule une attaque qui met en fuit les gens de Zoug, et permet ainsi à son colonel de réunir son monde et de battre en retraite sur Mouri, en suivant les taillis et les sentiers de la rive gauche de la Reuss.
Cependant, le colonel de Mullinen, et même la brigade de Petitpierre battent en retraite, voyant que le village de Sins était envahi de tous côtés, et que les milliers de paysans armés de fourches, et piques ou de mousquets, couvraient le pont de la Reuss, que Roch avait abandonné en y laissant plusieurs tués. Le colonel Monnier restait donc seul dans Sins, avec cent cinquante hommes, cernés de toutes parts sur la levée en masse. Monnier abandonne les avenues du village, et se retire dans ce cimetière de Sins, qui nous rappelle le cimetière de St Jaques. Bientôt, le colonel Réding de Schwytz, le stathalter Akermann d'Underwald, le landammann Muller de Zoug, arrivent en tête des levées catholiques, et, donnant l'exemple, montent les premiers à l'assaut des faibles murailles du cimetière.... Immobiles, de braves Bernois, d'intrépides Vaudois attendent le commandement de leur chef, et ne lâchent leur feu que lorsque Monnier le commande. Le colonel Réding, le landammann Muller tombent morts au pied du la muraille, et le stathalter Akermann, blessé, tombe avec l'étendard de Zoug qui flotte dans ses mains. La mort de ces chefs transporte de rage leurs soldats; les uns tentent de nouveaux assauts, qui tous sont repoussés par des feux à bout portant, et, comme dans une revue, toujours exécutés au commandement d'officiers, aussi calmes qu'ils sont intrépides; d'autres montent sur les toits et aux fenêtres des maisons qui dominent le cimetière, et ouvrent un feu meurtrier sur les défenseurs. Alors, Monnier, cerné de toutes parts, voyant ses braves réduits à un petit nombre, et bientôt sans munitions, veut s'ouvrir un passage au travers des rangs ennemis. Soixante hommes, le capitaine Roguin en tête, se précipitent les premiers hors du cimetière, Roguin tombe frappé d'un coup mortel; plusieurs de ses soldats succombent; les autres parviennent à se faire jour, et à rejoindre l'arrière-garde de la brigade. Le cimetière est envahi; Monnier se retire dans l'église, en barricade les portes, et du haut du clocher et des fenêtres fait un feu tellement meurtrier, que les assaillants se retirent. Mais les cartouches s'épuisent; le clocher est de nouveau entouré, la porte en est enfoncée, les assaillants apportent de la paille, y mettent le feu et la mouillent pour étouffer les hommes qui défendent la tour. Suffoqués par la fumée, ceux-ci se retirent dans l'église, où Monnier et une poignée de braves, se défendent à coups de crosse et de baïonnette.
Là, n'ayant plus de munitions, écrasé par le nombre, et voyant que ses intrépides soldats allaient être massacrés, Monnier, dangereusement blessé, fait signe qu'il se rend, et tend son épée au stathalter Akermann, qui, malgré sa blessure, est resté au premier rang. Akermann, le landammann Schorno de Schwytz, et quelques braves officiers, s'élancent, et, au peril de leur vie, font un rempart de leurs poitrines contre la furie de leurs gens, et arrêtent ainsi le carnage, mais ne peuvent sauver le lieutenant Manuel, qui est massacré sur l'autel. Cependant, le carnage cesse, et la poigné de braves qui suivit, faite prisonnière, est épargnée. Akermann prend avec lui le colonel Monnier, le fait placer sur un chariot, et le conduit à Zoug où son illustre prisonnier est comblé d'honneurs et entouré de soin.
Beaucoup de Vaudois succombèrent dans cette sanglante journée. Au nombre de leurs officiers tués, on compte le capitaine Roguin, et les lieutenants Thomasset d'Orbe, Roland de Romainmôtier et de Crousaz. Les Genevois perdirent le lieutenant Chenevière; les Bernois le capitaine Kilchberger, et les lieutenants Manuel et Stürler. D'après des renseignements bernois, la perte totale fut une centaine d'hommes tués et autant de prisonniers. Les catholiques affirment avoir tué trois cents hommes. Les dragons, dans leur retraite, perdirent vingt-un hommes et trente-sept chevaux.
La défense héroïque de Sins nous rappelle celle du château des Clées, en 1475, par Pierre de Cossonay, et sa prise par les Bernois. Mais, aux Clées, les chefs bernois furent aussi féroces après leur victoire, que les chefs des bandes catholiques furent généraux à Sins, dès que Monnier rendit son épée. Aux Clées, Pierre de Cossonay et cinq de ses officiers sont décapités le lendemain de l'assaut; dix-neuf de ses soldats sont étouffés dans un cachot. A Sins, Monnier et les siens sont respectés par le vainqueur.
1Les protestations des délégués des Tockenbourgeois à la Diète demeurèrent sans effet. Ils demandaient d'être admis comme Canton; mais l'avoyer Villading leur répondit : Nulle part il n'est d'usage de faire les paysans seigneurs. Même le promoteur de leur insurrection, Nabholz, les trahit; probablement vendu à Berne et à Zurich, il leur représenta qu'incapable de se donner une constitution, le Tockenbourg ne pouvait se gouverner. La question du Tockenbourg, qui avait servi de prétexte de la guerre, fut oubliée. L'ambition des patriciens de Berne et de Zurich était satisfaite; il ne fut donc plus question des libertés de Tockenbourg.