Retraite de deux brigades sur le camp de Mouri. — Mesures de défense prises par Sacconay. — Davel envoyé au secours des défenseurs de Sins. — Retraite de l'armée sur Wohlen et Villmergen. — Lucerne rompt la paix. — Manifeste de Berne. — Passage du défilé de Villmergen. — Le colonel Cerjat tué dans la défilé, en couvrant la retraite avec la bataillon de Moudon. — Bravoure de Davel. — L'armée prend position dans la plaine. — Le corps d'armée de Lucerne suit les côteaux. — Le corps d'armée des Petits-Cantons suit les bords de la Bunz, pour tourner l'aîle gauche. — Brillante manoeuvre de Sacconay. — Sa bravoure. — Déroute des Petits-Cantons. — Furieuse attaque des Lucernois. — Retraite. — Mêlée meurtrière. — L'ennemi, tourné par la brigade de Mullinen, prend la fuite. — Victoire de Villmergen.
Tandis que Monnier succombait sous le nombre dans l'église de Sins, Damond se retirait en suivant les bords de la Reuss, les dragons de Watteville se faisaient jour en perdant vingt-un hommes et trente-sept chevaux; de Mullinen se repliait sur Moerischwanden, et la brigade de Petitpierre, cantonnée à Auw, faisait une retraite précipitée par la grande route de Mouri. Damond n'était pas inquiété dans sa retraite; c'était sur de Mullinen et Petitpierre que se portait l'ennemi. Aussi, de Mullinen laissait cinquante-quatre morts et deux canons dans sa retraite, et Petitpierre perdait son matériel et ses bagages.
Cependant, tout était tranquille à Mouri. Les soldats préparaient leur repas et l'état-major se mettait à table, lorsque des dragons en védettes, accoururent annonçant que l'on entendait la fusillade et le tocsin du côté de Sins. Aussitôt, la générale est battue; chacun court aux armes; le général de Sacconay envoie le bataillon de piquet, Frankhauser, prendre position sur la route de Sins, avec ordre de rallier les troupes en retraite. Bientôt, Petitpierre arrive en désordre, puis de Mullinen. Celui-ci, rallié par Fankhauser, prend position sur le plateau de Bergenschwyl, à vingt minutes du camp, et reçoit l'ordre de s'y défendre jusqu'au dernier homme, afin que le gros de l'armée puisse prendre son ordre de bataille.
Sacconay voulait marcher à l'ennemi, mais, lié par les instructions du gouvernement, le Conseil de guerre se bornait à des mesures défensives, en laissant s'apaiser de lui-même ce qu'il croyait être un orage passager. Il était donc décidé qu'on se bornerait à l'envoi d'une fort reconnaissance sur la route de Sins, tandis que deux brigades couvriraient l'armée du côté du Lindenberg, que l'ennemi paraissait vouloir occuper. Suivant cette décision, Sacconay envoyait une brigade renforcer de Mullinen à Bergenschwyl, et formait une colonne de deux mille hommes, dont il donnait le commandement au sous-chef d'état-major Davel, l'un des meilleurs officiers de l'armée. Vingt années de grandes guerres avaient fait apprécier au général la présence d'esprit, la prudence et la froide intrépidité de son ancien adjudant. Il était trois heures de l'après-midi, lorsque Davel était sur la route de Sins.
Davel ne rencontre point d'ennemis. Il traverse des villages déserts. L'armée catholique, se précipitant sur les pas de Petitpierre et s'éloignant de la grande route, se dirigeait du côté du couchant, et les villageois, craignant des représailles pour les cruels traitements qu'ils avaient fait éprouver aux prisonniers et aux malheureux blessés tombés entre leurs mains, fuyaient dans les forêts, à l'approche de Davel. A Sins, même solitude. Le sol du cimetière, les marches du clocher, les dalles de l'église, le sanctuaire, sont jonchés de cadavres nuds et horriblement mutilés. Les abords et l'aire du pont sont couverts de corps sans vie de leurs défenseurs.... Pendant que de nombreuses patrouilles explorent les environs de Sins, et qu'un détachement garde l'entrée du pont, la colonne Davel rassemble les restes glorieux de ses camarades, et, dans une nuit profonde, sous les torrents d'une pluie incessante, elle leur rend les derniers devoirs, et les honneurs de la guerre. Après cette nuit solennelle, passée sous les armes, la colonne reprend le chemin de Mouri, où son absence causait l'inquiétude la plus vive.
A son retour au camp, le 21, à huit heures du matin, Davel trouvait l'armée, restée sous les armes depuis la veille, et dans l'attente d'une attaque prochaine. L'ennemi, cependant, ne paraissait point; mais, bientôt, de Mullinen, posté à Bergenschwyl, annonçait qu'il entendait le tambour de l'ennemi, défilant du côté du Lindenberg. Alors, plus de doutes, l'ennemi, gagnant de vitesse, veut occuper les défilés de Villmergen, et enfermer l'armée dans un pays ennemi. Dans ces conjonctures difficiles, le Conseil de guerre décidait d'abandonner Mouri, et de prendre position sur une ligne qui s'étendait dès les passages de Wohlen aux défilés de Villmergen.
Le même jour, à midi, le camp était levé; l'artillerie et les bagages filaient sur la grande route de Mouri à Lenzbourg, et les brigades étaient en marche. Cette retraite, couverte par la brigade de Mullinen, était exécuté dans un ordre admirable, mais par des chemins affreux et pendant une pluie continuelle. Toutefois, elle n'éait pas inquiétée, car les avant-gardes de l'ennemi se jetant sur le camp de Mouri, s'y arrêtaient pour piller ce que l'armée y avait laissé. A huit heures du soir, l'armée occupait ses nouvelles positions. Ses bivouacs s'étendaient dès le hameau de Bulisacker jusqu'à la lisière d'une forêt, à quelques minutes au sud de Villmergen. Le capitaine Polier de Bottens occupait le château d'Hilficon avec deux cents hommes de Lausanne; le lieutenant-colonel Cerjat de Féchy gardait le village de Villmergen avec le bataillon de Moudon; le colonel Petitpierre, à un quart de lieue à la droite du camp, observait les hauteurs de Sarmensdorf avec cinq bataillons.
Tandis qu'à la nouvelle d'une paix humiliante, les Petits-Cantons et les populations lucernoises se levaient en masse et se précipitaient sur l'armée bernoise, le gouvernement de Lucerne se voyait menacé dans son existance par cet ouragan populaire. Mais les chefs de cette république n'abandonnèrent point leur poste. Ils se mirent à la tête du peuple, et, en sacrifiant leur opinion, ils sauvaient la république d'un bouleversement imminent. Au lieu d'abdiquer, les premiers magistrats de la république surent prendre l'épée du combat. L'avoyer Schweizer, lui qui, dans les conseils, s'était si fortement prononcé pour la paix, recevait le commandement en chef de l'armée, et, suivi du général de Sonnenberg et du grand état-major lucernois, il était déjà, le 22 juillet, au camp de Sarmensdorf, où il se mettait à la tête de l'armée.
Là, tout était dans un désordre déplorable. Les compagnies, les bataillons étaient désorganisés, et commandés par des officiers nommés par les soldats. Chacun voulait commander, mais personne ne voulait obéir. Toutefois, l'avoyer convoquait un conseil de guerre pour arrêter un plan d'opérations. Alors, des officiers, nommés la veille par la levée en masse, prenaient les places d'honneur au Conseil, et, par leurs vociferations, couvraient la voix d'officiers que leur bravoure et leur dévouement à la patrie rendaient dignes de respect, et traitaient ces chefs de «traîtres, de coquins, de lâches et de têtes à perruques.» Même, alors que l'avoyer donnait un avis plein de sagesse, un de ces hommes, aussi lâche qu'il était grossier, insultait ce chef d'Etat et de l'armée, et osait le saisir aux cheveux. Cependant, au milieu de cet affreux tumulte, malgré ces scènes déplorables, l'avoyer, fidèle à son mandat, restait à son poste, conjurait l'orage par son calme et son énergie, et parvenait enfin à obtenir que le conseil discutât régulièrement. Alors le colonel de Sonnenberg était chargé de réorganiser les bataillons et les brigades des Lucernois, campés à Sarmensdorf; le colonel Pfyffer, campé à Mouri avec une brigade lucernoise et les Petits-Cantons, recevait le commandement de ces troupes. Enfin, il était décidé que le lendemain 23 juillet, à la pointe du jour, Pfyffer, venant de Mouri, attaquerait le camp bernois à Villmergen par son front de bandière, tandis qu'à la même heure, Sonnenberg, descendant de Sarmensdorf, l'attaquerait sur la droite et lui couperait la retraite. Peu d'heures après cette délibération, la générale battait dans les cantonnements catholiques; mais la pluie, qui depuis vingt-quatre heures ne cessait de tomber, faisait ajourner la bataille.
Cependant, l'armér de Berne, sous les armes depuis quarante heures, se voyait à la veille d'être cernée de toutes parts. Affaiblie par de nombreux congés et par les maladies, elle ne comptait que huit mille hommes sous les armes. Ses chefs, sans nouvelles de Berne et entravés dans leurs opérations par des instructions données avant la reprise des hostilités, n'osaient prendre une vigoureuse résolution, qui seule pouvait tout sauver, et ils se bornaient à des mesures défensives. Découragés, les soldats, et même les officiers, commençaient à murmurer. Des pluies incessantes, des marches et des contre-marches sur des routes défoncées et sur des terrains fangeux, des privations de tout genre et la perte des objets de campement, démoralisaient ces milices jusqu'alors si admirables par leur courage, leur résignation et leur discipline. Cet état de choses était insupportable. Aussi, le conseil de guerre adressait les plaîntes amères au gouvernement, et renouvelait sa demande de pouvoirs illimités, afin que l'armée pût agir suivant les éventualités.
«Les chevaux des dragons, mandait à Berne le conseil de guerre, sont bientôt tous hors de service; les hommes sont à moitié nuds et décidés à déserter en masse. Nous manquons de vivres, de fourrages. La troupe souffre de toute espèce de maladies. Le terrain, sur lequel nous campons, est tellement détrempé, que les hommes enfoncent dans la boue jusqu'à mi-jambe, et que c'est à peine si on peut en tirer les canons et les bagages.»
Le courrier, porteur de ces doléances, venait à peine de partir, lorsque le sénateur Steiguer arrivait de Berne, avec des pouvoirs illimités pour le conseil de guerre. Ce sénateur qui, malgré les représentations du général de Sacconay, avait fait refuser les moyens suffisants pour occuper le pont de Sins, descend chez Sacconay et se jette dans ses bras, s'écriant : «Général! vous voyez un homme désolé de ne vous avoir pas cru; je ne m'en consolerai jamais.... Mais, Messieurs, dit-il aux généraux qui survenaient, je vous apporte des pouvoirs illimités. LL. EE. ont toute confiance en vous.... Elles sont décidées à pousser vigoureusement la guerre. Voici le manifeste qu'elles viennent de publier.» :
Nous l'Advoier, Petit et Grand Conseil de la ville de Berne savoir faisons par ces présentes à tous et à un chacun, etc.
Les manifestes publiez ci-devant ont fait connaître que les habitants du Comté de Toggenbourg avaient reçu des Comtes leurs Seigneurs de beaux Priviléges, des Libertez et des Franchises, et que depuis que le dit Comté a été vendu à l'abaie de St Gall, on a dès lors donné de violentes atteintes aux priviléges de ces habitants, de sorte que la domination de M. l'abbé de St Gall, aujourd'hui et de ceux qui l'exerçaient en son nom avec beaucoup de violence et de tirannie, leur était devenue insupportable. Ce qui a obligé ces pauvres habitants de l'une et de l'autre religion, après avoir consumé inutilement bien de temps et supporté de grands fraix, d'implorer avec de fortes instances le secours et la protection des louables Cantons de Zurich et du Nôtre, pour les délivrer de cette injuste oppression.
Sur quoi, Nous, les cantons de Zurich et de Berne, avons employé tous les moiens imaginables pour prévenir les suites dangereuses que cela pourrait avoir, et fait de propositions justes et équitables, afin de terminer à l'amiable toutes ces difficultés, et de procurer à chache partie une possession paisible et tranquille de tout ce qui peut lui appartenir légitimement.
Mais M. l'abbé de St Gall a non-seulement toujours su rendre infructueux tous les moyens d'accommodement, il a encore en dernier lieu tenté, par toutes sortes de raisons capcieuses, de promesses et de menaces, de faire rentrer les Toggenbourgeois sous sa domination, après en avoir étrangement abusé et même de les engager à s'entre-détruire eux-mêmes. Tellement que se voiant poussez aux dernières extrémitez, ils ont enfin prié très-instamment les dits deux louables Etats de leur prêter un secours réel et effectif, que leurs consciences ne leur ont pu permettre de refuser à un peuple opprimé.
Aiant là-dessus résolu d'envoier quelques troupes au secours des Toggenbourgeois de l'une et de l'autre religion, Nous fimes auparavant assurer, tant par écrit que par députez, les autres louables Cantons de Corps helvétique que leurs païs, ni leurs sujets, n'en souffriraient aucune imcommodité ni dommage.
Cependant, les cinq louables Cantons catholiques, savoir : Lucerne, Uri, Schwitz, Unterwalden et Zug n'ont pas laissé, nonobstant la sincérité de nos assurances, de s'opposer avec force au passage des troupes auxiliaires destinées uniquement pour le Toggenbourg, s'étant pour cet effet emparez à main armée de la ville et du comté de Baden, comme aussi des villes et des passages des environs. Par cette violente occupation, ils ont blessé d'une manière très-sensible les droits de souveraineté et de seigneurie que nous avions aussi bien qu'eux sur ces villes, sur le comté de Baden et sur tous les autres endroits qui en dépendent. Ils ont encore fait plus, ils ont armé nos communs sujets, et les aiant mêlez avec les troupes qu'ils avaient assemblées, ils les ont employés contre Nous.
Mais notre dessein aiant été à tous égards très-bon et très-juste, le Tout-Puissant a tellement béni nos armes, que la justice Nous avait fait prendre, que, par la bravoure de nos troupes, nonobstant la vigoureuse défense de nos ennemis, Nous avons remporté sur eux de signalées victoires, qui ont été suivies de la conquête des villes de Mellingen, de Baden, du Comté de ce nom et des Bailliages libres. De sorte qu'après avoir obtenu de si grands avantages, Nous aurions pu, avec toute sorte de justice, porter nos armes dans les païs propres des dits cinq louables Cantons catholiques, mais Nous n'avons pas voulu le faire par l'inclination que Nous avons toujours eu pour la paix. Nous avons au contraire respecté leurs frontières et empêché qu'on n'y ait causé aucun dommage.
Pour rendre encore plus sensible notre penchant à la paix, Nous avons accepté avec promptitude la Diète convoquée à Baden, par le louable canton de Basle, pour la pacification des troubles survenus d'une manière si fâcheuse, et Nous avions dessein d'y assister avec nos députés, demandant seulement que les dits cinq louables Cantons catholiques en retirassent la garnison qu'ils y avaient mis contre tout droit, afin que tous les députez y eussent toute la seureté convenable à une telle négociation.
Quoique cette demande fût fondée sur l'équité même, on n'a pu cependant en obtenir l'effet des dits cinq louables Cantons catholiques. Le refus prorogeant les choses, on a été obligé de faire d'autre préparatifs de guerre et de passer à des voies de fait.
Cependant, les députés de quelques louables Cantons neutres s'occupaient toujours avec soin à moienner la rétablissement d'une paix glorieuse, juste et durable. Dans cette vue, ils proposèrent une nouvelle Diète à Arbourg et à Olten. Nous l'acceptâmes sans délai et Nous y envoiâmes d'abord nos députez, de même qu'à Arau, où elle fut transférée d'un commun consentement pour la plus grande commodité de l'Assemblée, où Nous avons fait continuer les conférences pendant six semaines, recevant favorablement toutes les propositions de paix qui nous étaient faites, et contribuant de notre côté à tout ce que la raison pouvait exiger de Nous pour procurer une paix bonne et équitable. De manière que par la diligence, les soins et les mouvements continuels de Messieurs les dits députez, et après toutes les représentations faites de part et d'autre, on avait conduit les choses à ce point que MM. les députez des louables Cantons intéressez s'étaient chargez de rapporter ce dont on était convenu à leurs Supérieurs, et de retourner dans le temps marqué à Arau avec leur approbation.
Mais le canton d'Unterwalden aiant entièrement rejetté par écrit les dites propositions de paix, et ceux de Schwitz et de Zug aiant gardé le silence là-dessus, MM. les députés des louables cantons de Zurich et de Berne d'un côté, et ceux de Lucerne et d'Uri et l'autre, en vertu des pouvoirs et des ordres qu'ils en avaient les uns et les autres de leurs Supérieurs, ont déclaré respectivement que leurs Supérieurs acceptaient et agréaient les articles dont on était convenu. Ce qui fut ensuite rédigé par écrit et reduit en Traité de paix, accepté de part et d'autre le lundi 18 du courant, signé le même jour par MM. les députez et scellé de leurs sceaux. On en expédia un double à chaque partie, et depuis toute la teneur de ce Traité a été approuvée et ratifiée souverainement par les dits deux louables cantons de Zurich et de Berne.
Dans cet état, les dits deux louables Cantons se reposaient entièrement sur un Traité de paix conclu de cette manière, et surtout après les protestations fortes et extraordinaires que MM. les dits députés de Lucerne et d'Uri firent devant Dieu sur leur bonne foi et la sincérité de leurs intentions pour la paix.
Cependant, il est arrivé contre toute attente que le 19 du courant, jour auquel les dits louables cantons de Lucerne et d'Uri devaient sceller de leur Sceau souverain le dit Traité de paix, pour sa plus grande corroboration, non-seulement on fit sortir en plein jour de la ville de Lucerne plusieurs pièces d'artillerie, avec les munitions de guerre nécessaires, qu'on envoia à nos ennemis, mais on sonna encore le tocsin dans tout le païs de Lucerne et on assembla quantité de troupes, qui, avec celles d'Uri, joignirent le lendemain 20 de ce mois celles de Schwitz, d'Unterwalden et de Zug, qui avaient refusé d'accepter le dit Traité de paix, conclu et arrêté avec tant d'équité. Parmi ces troupes se sont trouvez les principaux de l'état de Lucerne et d'Uri, outre divers hauts et bas officiers des mêmes Cantons, lesquels, contre la foi publique et la conclusion de la paix, tombèrent à l'improviste, le même jour 20 de ce mois, avec un corps de 6000 hommes, sur un de nos détachements d'environ 1400 hommes, posté au pont de Seisse (Scins), envahirent et pillèrent un quartier de nos païs. Mais nos troupes, quoique fort inférieures en nombre, les reçurent avec tant de vigueur, qu'elles leur tuèrent ou blessèrent plus de monde qu'elles n'en perdirent, et, sans être vaincues, elles se retirèrent en bon ordre devant cette infidèle multitude.
Comme cette horrible perfidie et détestable trahison des Lucernois et de ceux d'Uri crie vengeance devant Dieu, et que c'est une action jusqu'à présent inouïe parmi les louables Cantons du Corps helvétique, Nous avons cru être obligez d'en informer le public et de lui mettre devant les yeux tout ce qui s'est passé sur le sujet dont il s'agit.
Nous ne doutons point que les louables Cantons qui se sont emploiez à procurer le rétablissement de la paix, ne se ressentent vivement et d'une façon particulière d'un procédé si faux et si perfide, et qu'ils ne voient clairement que pendant que la bonne foi de la sincérité sont bannies du Corps helvétique, il est impossible de faire à l'avenir aucun traité avec nos ennemis.
Il est sans doute que ceux qui apprendront ces choses en auront une véritable horreur, et détesteront une si enfâme et noire trahison. Nos bourgeois et nos sujets et soldats en seront assurément touchez et émûs, et ne négligeront pas de Nous aider à Nous en venger et à défendre courageusement, avec l'assistance divine, contre toute violence, notre liberté temporelle et spirituelle, notre païs et nos sujets acquis avec tant de peine, de sueur et de sang par nos louables prédécesseurs. De notre côté, Nous n'épargnons ni soins, ni peines, ni aucunes sortes de préparatifs nécessaires, pour détourner de dessus notre chère partie le péril dont elle est menacée, et pour en augmenter et affermir la prospérité.
Nous déclarons devant Dieu et devant les hommes que nous prétendons être entièrement innocens des malheurs qui pourront provenir des opérations de cette guerre, auxquelles Nous Nous voyons forcez, et que Nous en rendons responsables les perfides auteurs de tous ces maux.
Nous prions le Tout-Puissant qu'il lui plaise de vouloir continuer à répandre ses bénédictions sur nos justes armes, de Nous diriger lui-même, et de conduire toutes ces choses à une prompte et heureuse fin pour l'avancement de sa gloire et le bien commun de notre patrie.
Donné en notre Grand Conseil, le 22 du mois de juillet 1712.
CHANCELLERIE DE BERNE1.
Les nouvelles apportées par le sénateur Steiguer, bientôt répandues dans le camp, y ramenaient la confiance. «Nos braves généraux, disaient les soldats, nous sortiront d'ici; ils ne nous laisseront pas mourir de misère dans la boue. Et s'il faut se battre pour que cela finisse, on se battra!....» Pendant que les officiers supérieurs étaient appelés à un conseil de guerre général, où un plan de campagne devait être arrêté, Sacconay, inquiet sur les mouvements de l'ennemi, envoyait une forte reconnaissance sur Bosswyl, par la route de Mouri, et faisait un appel à des volontaires pour reconnaître les environs. Le capitaine Delessert se présentait avec sa compagnie de Cossonay; quelques cents hommes imitaient son exemple, et, à deux heures du matin, Delessert était en marche avec son détachement. Mais la même tempête qui, dans le même moment, le 23, faisait rentrer l'armée des cinq Cantons dans ses cantonnements, arrêtait dans leur marche les volontaires Delessert.
Chacun, dans le Conseil de guerre, reconnaissait que la position occupée par l'armée n'était plus tenable, qu'elle était d'un danger extrême, et qu'à tout prix, il fallait en prendre une autre, où la nature du terrain serait plus favorable, et où les communications seraient assurées avec la vallée de l'Aar. On choisissait le plateau du Meiengrun, qui commandait le cours de la Bunz et de la Reuss, ainsi que les débouchés des vallons de Villmergen et de Wohlen, et couvrait la route de Lenzbourg à Mellingen et à Baden. Le Meiengrun, depuis l'affaire de Sins, était occupé par le bataillon d'Arnex, détaché de la garnison de Baden. Enfin, on décidait que la retraite aurait lieu le 25 juillet, et chaque chef de corps recevait l'ordre de tout préparer, afin qu'elle se fit avec ordre. La brigade de Mullinen, forte de huit cents hommes, devait former l'arrière-garde, occuper le cimetière et l'église de Villmergen, pour couvrir l'armée dans son passage du défilé de ce village. Le lieutenant-colonel Cerjat de Féchy était posté, avec le bataillon de Moudon, dans le bas du village qu'il ne devait quitter qu'après la brigade de Mullinen, et en faisant des feux de retraite pour contenir l'ennemi. Après ce Conseil de guerre général, les généraux se distribuaient les commandements. Le général Diesbach prenait le commandement de l'aîle droite, et le général Manuel celui de la gauche, qu'il avait déjà si habilement conduite dans le combat de Bremgarten. Le président du Conseil de guerre, le vieux banneret Frisching, et le lieutenant-général de Sacconay, conservaient le commandement en chef. Le banneret Frisching refusait cet honneur, puis, sur les pressantes sollicitations des trois généraux, il acceptait enfin, mais pour la forme seulement. «Vous dirigerez la bataille, leur disait-il. Quant à moi, Messieurs, je marcherai en tête de l'armée, donnant l'exemple. Je ne puis mieux employer le peu de jours qui ne restent à vivre qu'en les sacrifiant à la patrie. Si je succombe, ma mort sera utile : elle excitera nos braves soldats à la venger.»
Le 25 juillet, à l'aube, la générale retentissait dans le camp de Villmergen, et un brillant soleil s'élevait, annonçant une belle journée. Le camp était levé, les avant-postes se repliaient; à cinq heures l'armée s'ébranlait, se mettait en marche, et, malgré les difficultés d'un terrain détrempé par quatre jours de pluie, elle suivait, dans le plus grand ordre, les défilés de Villmergen. Ces défilés franchis, la brigade de Mullinen quittait sa position, effectuait sa retraite, soutenue par le bataillon Cerjat, déjà fusillé par les coureurs ennemis. Mais Cerjat, fidèle à sa consigne, tenait dans Villmergen, qu'il ne devait évacuer qu'après la brigade de Mullinen. Aussi, il avait bientôt à soutenir le feu de Sonnenberg, qui arrivait en colonne serrée. Mais le brave bataillon de Moudon se sacrifiait pour l'armée, et son chef, le lieutenant-colonel Cerjat, tombait mort, frappé d'une balle. Cependant, ce bataillon continuait ses feux de retraite; déjà il atteignait la sortie du défilé, lorsque deux pièces d'artillerie ouvraient leur feu sur son arrière-garde, lui tuaient plusieurs hommes, entre autres le lieutenant Demière, de Moudon. Le sous-chef d'état-major Davel, qui dirigeait la retraite, prend avec lui une cinquantaine de dragons, charge les tirailleurs ennemis qui débordaient dans la plaine, les chasse, sabre les artilleurs lucernois sur leurs pièces, que les dragons vaudois emmènent en triomphe sous une grêle de balles. «Au premier choc, dit l'inventaire des prises faites à Villmergen, au premier choc, sous la conduite du major Davel qu'on a fait mourir à Lausanne, pris deux canons, où il est imprimé St Paul et St Philippe.»
Il était dix heures, lorsqu'après avoir franchi le défilé, l'armée prenait son ordre de bataille dans la plaine de Villmergen, à une portée de canon de la sortie du défilé et à la hauteur du petit village d'Hemmbrunn. Cette plaine, longue de trois quarts de lieue, bornée au couchant par les côteaux boisés de Dintikon et au levant par la Bunz, s'étendait jusqu'à Lenzbourg et à Ottmarsing, village sur la Bunz et dominé par le plateau du Meiengrun. C'était dans cette plaine que le Conseil de guerre voulait attirer l'ennemi, qui, supérieur en nombre, mais mal armé et sans cavalerie, devait perdre l'avantage que lui donnait le nombre, devant une bonne cavalerie et une infanterie très-manoeuvrière. L'armée, rangée sur trois lignes, chaque ligne à deux cents pas l'une de l'autre, faisait tête au défilé, déjà occupé par l'ennemi, et d'où il soutenait, avec nous, un feu assez vif, mais sans effet, vu la trop grande distance. Comme l'ennemi n'avançait pas et paraissait ou refuser le combat ou attendre que les brigades de Sonnenberg descendissent des hauteurs de Dintikon ou d'Ammerswyl, pour nous prendre par le flanc droit, l'armée faisait un à droite, et se mettait en marche, comme si elle battait en retraite sur Lenzbourg. Ce mouvement, couvert par la cavalerie, s'opérait dans le plus bel ordre; les colonnes marchaient en parade au son du tambour, et les canons dételés étaient traînés à la prolonge par des hommes pris dans les bataillons. Toutefois, Pfyffer restait immobile dans sa position, attendant que Sonnenberg eût effectué son mouvement. Mais, cédant aux clameurs de ses troupes qui demandaient à marcher sur un ennemi en retraite, il débouchait dans la plaine en avant d'Hemmbrunn. Alors, l'armée faisait face à l'ennemi et ouvrait le feu de toute son artillerie sur les colonnes de Pfyffer, qui se rejetèrent sur Hemmbrunn. Mais toujours menacée sur son aîle droite par Sonnenberg, qu'on voyait filer par les hauteurs dans la direction de Lenzbourg, l'armée faisait un second mouvement en retraite, puis un troisième pendant un quart de lieue. Enfin, elle faisait front, et se formait sur une ligne coupant toute la largeur de la vallée, dès les côteaux de Dintikon jusqu'aux marais de la Bunz, vis-à-vis du village de Dotikon. Le général Diesbach commandait l'aîle droite le général Manuel la gauche; l'artillerie et six escadrons étaient en seconde ligne.
Cependant, Pfyffer restait immobile. Inquiet sur cette inaction et encore plus sur la marche de Sonnenberg, le Conseil de guerre se réunissait, à cheval, sur le front de bataille, et déliberait sur les opérations qui devaient terminer la journée. Il était une heure de l'après-midi; il n'était pas probable que l'ennemi acceptât la bataille, et il était d'une haute imprudence que l'armée passât la nuit dans cette vallée, où elle serait exposée à se voir enveloppée. Le général de Sacconay proposait de renoncer à attendre plus longtemps l'ennemi, mais de prendre position au sortir de la vallée de Villmergen, sur une ligne en avant de Lenzbourg, d'Hendschikon et du plateau du Meiengrun, sur lequel les bagages de l'armée avaient été conduits en remis à la garde du bataillon d'Arnex. Le plan de Sacconay était adopté. Le sous-chef d'état-major Davel recevait l'ordre de placer la brigade de Mullinen et deux bataillons sur le Herrliberg, afin de couvrir Lenzbourg, et d'empêcher Sonnenberg de tomber sur l'aîle droite.
Sur ces entrefaites, Pfyffer faisait un mouvement en avant d'Hemmbrunn; il prenait position sur deux colonnes dans un champ assez étroit, plaçait entre des chênes quatre pièces en batterie, et ouvrait une forte cannonade sur la gauche de Manuel. Celui-ci répondait avec le feu de quatre canons, lorsque tout-à-coup on voit une colonne ennemie se glisser le long des marais de la Bunz, et menacer l'extrémité de l'aîle gauche. Dans ce moment critique, Sacconay, pour isoler les deux corps de l'armée ennemie, fait faire un oblique à droite à Diessbach, pour contenir Sonnenberg, tandis qu'il envoyait l'ordre à Manuel d'obliquer à gauche et d'attaquer Pfyffer, vivement, avec l'aîle gauche. Manuel exécute cette manoeuvre avec rapidité, sous le feu de l'artillerie ennemie; mais il ne peut conserver l'ordre dans ses bataillons, lancés au pas de course. Aussi, les Petits-Cantons, croyant que notre aîle gauche prend la fuite, se précipitent sur elle avec une telle furie, qu'ils culbutent la brigade Petitpierre. Vainement l'artillerie redouble sa feu, en vain Portefaix, avec ses grenadiers, essaye-t-il de former une second ligne, pour arrêter la fougue de l'ennemi; une déroute est imminente. Mais le général de Sacconay accourt avec deux escadrons et quatre bataillons, et décide le sort de la journée. Il rallie la division Manuel, et, oubliant le poids de ses soixante-huit années, il charge l'ennemi à la tête des dragons, tue de sa main plusieurs artilleurs et ne s'arrête que lorsqu'il est renversé par une balle. Pfyffer ne peut soutenir ce choc; ses troupes se débandent; elles prennent la fuite, et, poursuivies par les dragons et l'infanterie, elles sont jetée dans les marais et les flots de la Bunz. Là, onze cents hommes trouvent la mort; les uns, pris dans la vase, sont mitraillés et fusillés; d'autres sont noyés dans la rivière.
Postée sur les hauteurs de l'Herrliberg, l'armée lucernoise voit la déroute des Petits-Cantons. Elle se précipite des collines, traverse le village de Dintikon, en abandonnant son artillerie qui ne pouvait suivre. Diesbach, voyant venir à lui les Lucernois, forme sa division en une ligne au pied des vignes, qu'il garnit de tirailleurs, et attend de pied ferme le choc de l'ennemi. Ce choc est sanglant. Pendant une demi-heure, une mêlée s'engage, fatale à bien des braves. Le capitaine Jenner, chargeant les Lucernois avec ses dragons, tombe mort le premier; le général Sonnenberg, blessé, tombe sous son cheval, qui est tué; le capitaine Métral, de Payerne, est tué; le général Diesbach tombe blessé et allait être achevait à coup de pique, lorsque le capitaine Sturler, son aide-de-camp, le couvre de son corps et le sauve, en recevant trois blessures.
Cependant, le général de Sacconay, ne pouvant arracher les soldats de Manuel au butin qu'ils se partageaient sur le champ de bataille, conquis sur les Petits-Cantons, accourait, avec ses escadrons victorieux, au secours de la division Diesbach, et se jetait au plus fort de la mêlée, lorsqu'un coup de feu lui fracassait l'épaule. A ses côtés, tombait mortellement blessé, le quartier-maître-général Tscharner. Alors, la division Diesbach, voyant ces généraux tomber, tués ou blessés, reculait sur toute la ligne; toutefois, combattant en bon ordre et gardant ses rangs. Il était trois heures de l'après-midi; la chaleur était extrème; les soldats, sous les armes depuis douze heures, mouraient de faim et surtout de soif.... «Nous étions perdus,» écrivait le lendemain de la bataille un sergent de Vevey, Abram Viard, «Nous étions perdus, si notre capitaine Hugonin, Monsieur le major et tous nos autres officiers n'avaient fait leur devoir, et ne s'étaient hasardés tant qu'il se peut.» Au milieu de la mêlée, M. Schiffely, secrétaire de la généralité, dit à Davel : «Nous sommes perdus, nous reculons.» Mais Davel, calme comme dans une revue, en comptant sur la division Manuel et sur l'arrivée de la brigade de Mullinen, qui devait prendre à dos les Lucernois, Davel répondit à Schiffley : «Monsieur, ce n'est rien.... attendez.... tenons ferme, et vous verrez tout d'abord que la bataille est gagnée.»
Cependant, quelques bataillons de l'aîle gauche, que Manuel avait pu arracher au butin, arrivaient au secours de la droite; mais ils étaient colbutés par l'impétuosité des Lucernois. Alors, les soldats du train croyant le bataille perdue, coupaient les traits de leurs chevaux, abandonnaient leurs pièces et fuyaient à bride abattue sur le chemin de Lenzbourg, lorsque le colonel Damond, l'épée au poing, parvenait à les arrêter. Mais un autre secours arrivait. Le lieutenant-colonel d'Arnex, posté avec quatre cents hommes de Nyon sur le Meiengrun, voyant que la lutte se prolongeait, avait l'heureuse inspiration de quitter son poste et de marcher là où le canon l'appelait. Il descend du Meiengrum, passe le pont d'Hendschikon, rallie les fuyards qu'il rencontre, arrive battant la charge dans la plaine, et, par sa bonne contenance, arrête les Lucernois dans leurs attaque. Ce chef intrépide reçoit une blessure mortelle, mais donne le temps à la division Diesbach de reformer ses lignes et de battre en retraite2.
Cette retraite était forcée par le découragement des soldats, qui, épuisés de fatigue, refusaient de recommencer le combat. En vain «les chefs, joignant les gestes aux paroles, empoignaient les soldats par leurs larges manches et cherchaient à les pousser en avant, en vain des officiers menaçaient de sabrer leurs soldats s'ils continuaient à reculer,» en vain le banneret Frisching leur criait, au milieu du feu : «Courage, mes enfants, ne m'abandonnez pas, marchez avec moi, je veux vous conduire à la victoire et à l'honneur!....» Toutes ces instances, tous ces efforts sont inutiles. L'armée était en pleine retraite, déjà elle franchissait les haies des vergers d'Hendschikon, lorsque le colonel Portefaix parvient à électriser deux cents grenadiers vaudois, s'élance avec eux, traverse les haies qui le séparent des Lucernois en criant : Sins! Sins! point de quartier! lâche son feu à dix pas de l'ennemi et l'aborde à la baïonnette. Des compagnies, des bataillons suivent l'exemple des braves grenadiers, et se précipitent «sinon avec ordre, du moins avec énergie.» L'ennemi s'arrête, et à son tour, se retire en désordre sur Deutikon et sur les côteaux de l'Herrliberg.... Cependant, réuni en masse, il se défend en désespéré et nous fait essuyer des pertes sensibles, lorsque les côteaux de l'Herrliberg retentissent du pas de charge battu par les tambours de la brigade de Mullinen, venant des hauteurs de Lenzbourg. Ces mêmes côteaux retentissent aussi du canon du colonel May, accourant des bords du lac de Hallwyl, par la route de Seengen, avec cinq cents hommes, les bannières au vent.
Alors, l'ennemi n'a plus de retraite possible que lar ces défilés de Villmergen que, le matin, il avait franchi, certain qu'il était de la victoire. Il tente un dernier effort; il renverse un bataillon qui s'oppose à son passage, et parvient à se faire jour au prix de la vie de ses meilleurs officiers. Le colonel Pfyffer, commandant de l'aîle droite, anéantie dans les caux de la Bunz, le fils de l'avoyer Schweizer, le fils du colonel Réding, mort à l'attaque de Sins, les deux Balthazar, de Lucerne, le colonel Crévelli, d'Uri, ancien commandant de la garnison de Bremgarten : tous ces officiers supérieurs sont tués en forçant le défilé.
A six heurs du soir, les Lucernois étaient rejetés sur la route de Mouri, les Petits-Cantons étaient en pleine déroute, et la bataille de Villmergen était gagnée.
Trois mille et quelques cents cadavres jonchaient le champ de bataille. Les corps de onze cent hommes de l'aîle droite de l'ennemi étaient noyés dans les eaux de la Bunz. Parmi les morts, les officiers vaudois comptaient les lieutenants-colonels Cerjat de Féchy, et Quisard, seigneur de Crans et d'Arnex; les capitaines Métral, de Payerne, et de Pailly; les lieutenants Langin, Jacquiéry, Demière, Challand, de Mestral, Martin et Savigny de Rolle. Parmi les blessés : le lieutenant-général de Sacconay, trois blessures; le major Demorzier; le capitaine de Saussure; Clavel, lieutenant des dragons; les lieutenants Prélaz, Martin, Bourgeois, Estoppey, Muret, Vuilleumier, Quisard d'Arnex; enfin bien d'autres dont l'histoire aurait dû nous conserver les noms3.
Le soir de la bataille, les blessés étaient transportés à Lenzbourg, et le lendemain, après des actions de grâces prononcées sur le champ de bataille, les restes des officiers tués étaient inhumés dans les souterrains de l'église de cette ville.
Les cinq Cantons, vaincus à Villmergen, signèrent la paix à Arau. Les bourgeois de Berne rentrèrent dans la capitale avec leur gloire et des trophées qu'il déposèrent dans leur arsenal. Les Vaudois rentrèrent dans leur patrie, aussi avec la gloire, mais laissant dans Berne, leur souveraine, les trophées arrosés de leur sang. Les canons pris par Davel, à la tête des dragons vaudois, et les drapeaux, conquis par les Vaudois, ornèrent l'arsenal de Berne. Les célèbres trompes d'Uri, présent de Charlemagne, et qui jadis, dans les grandes journées de Grandson et de Morat, avaient sonné la charge et la victoire sur Charles-le-Téméraire, et sur les ancêtres des Vaudois, ces trompes d'Uri, devenues trophées de la valeur vaudoise à Villmergen, restèrent à Berne.... Berne, dans son orgueil, crut faire beaucoup, pour le Pays de Vaud, en daignant accorder au général de Sacconay la grande bourgeoisie, au héros de Sins la petite bourgeoisie, à un capitaine vaudois le titre de baron, à quelques officiers de modiques pensions, à d'autres de l'argent on bien une médaille frappée en l'honneur de la ville souveraine et victoirieuse, aux soldats, le pillage d'un malheureux village4.
Sources Principales : Em. de Rodt, Histoire du Militaire Bernois. — Pesme de St Saphorin, Correspondances. — Relation de la guerre des Suisses en 1712, particulièrement des démarches des troupes de Berne, tirée de l'original du Journal de M. le général de Sacconay. — Descriptiones belli Togg. — Manuscrits déposés à la Bibliothèque cantonale, etc. — Journal manuscrit d'un ancêtre de M. Jordan, de Granges, membre du Grand-Conseil du canton de Vaud. Jordan faisait partie de la compagnie Polier de Bottens. Voici comment il raconte la bataille de Villmergen, à laquelle il assista :
«Le dimanche 24 juillet, on eut tout le jour des allarmes, et toute la nuit du dimanche, tirant au lundi, on eut les armes au poing. Le matin étant venu, on détanta toutes les tantes, et l'armée se mit en une marche avec tout le train de guerre. Quant on eut passé le village de Philemergue du côté de la ville de Lantzbour, les ennemis commencèrent à tirer des coups de canon sur notre arrière-garde. Quant on se vit attaquer comme cela, on fit se mettre toute l'armée, tant infanterie que cavalerie, en bataille, en une fin, entre Lantzbour et le dit village de Philemergue. Là les ennemis ne manquèrent pas de venir à la grande haste sur note aile gauche, d'une telle furie qu'ils semblaient nous vouloir manger tout vif, et tout d'abord firent un si terrible feu sur nous, qui n'est pas croyable que à ceux qui ont vu le tout. Mais cependant, avec l'aide du grand Dieu, ne firent pas un grand effect. Car après leur feu faict, ils ont eu aussi leur tour. Ayant dont faict feu sur eux, on les mit d'abord en une fuite dans un bois de chesnes, où, en entrant au bois, les dragons les atteignirent, et joignant l'infanterie, on en fit là un grand carnage, où il en demeura là sur la place plus de 400, et le reste étant toujours en fuite, on les poursuivit jusqu'à ce qu'ils eurent passé le bois. Ils s'en allèrent à vouloir passer une rivière qu'ils avaient étanchée, à dessein de nous y fait noyer. Mais on peut bien dire alors, comme le roi Daniel dit : Leurs pieds s'est venu prendre au lac qu'il nous pensait tendre. Car il en demeura tant que l'eau en put noyer. On tient qu'il en demeura plus de mille hommes. On a eu beaucoup de butin qu'on a tiré dehors de cette eau. Ayant fait cette poursuite, il a fallu aller au secour de l'aile droite, que ainsi, avec l'aide de Dieu, on eut, après un rude combat qui dura, le tout, dès depuis les 10 heures du matin jusqu'aux 6 à 7 heures du soir, une entière victoire sur eux.... On tient qu'ils y ont perdu dans cette action plus de 4 mille hommes. Des nostres, on tient qu'il en resté au plus mille hommes. Après cette victoire, on campa sur le dit champ de bataille, où on a demeuré jusqu'à ce qu'on vint camper en une fin après d'un village qui se nomme Chouachebact (Schwarzenbach), pendant 25 jours, que la paix fut conclue, et après on décampa....»
1Lamberty, VII, 650 à 653.
2Nicolas Quisard, seigneur de Crans, d'Arnex, de Borrex, descendant du jurisconsulte Quisard de Crans, auteur de nos premiers codes, entra très-jeune au service des Etats-Généraux; il assista à la plupart des batailles de la guerre de succession d'Espagne; il fut blessé à Senef et à Moncassel, et perdit un oeil dans cette dernière affaire; il se couvrit de gloire dans la sanglante bataille de Mohaez. De retour dans le Pays de Vaud, sa patrie, il suivit l'exemple de ses ancêtres, en se distinguant dans les affaires militaires, dans les sciences et dans la pratique des vertus. A la tête du bataillon des fusiliers de Nyon, il contribua à la victoire de Villmergen, et mourut de ses blessures le 10 août 1712, à Lenzbourg, quatorze jours après cette bataille.
3«La compagnie de Vevey, écrit Abram Viard à ses parents, à part les tués, au nombre de sept, et le sergent Catélaz, le caporal Callié et Paul Odoz, Decloux et David Capt, tués au pont de Sins, a eu Pierre Stouqui, assommé à coups de masse. Le petit Ormond, de la Tour, a été tué d'un boulet de canon. Le fils d'Augustin Cortay est blessé assez dangereusement. Plusieurs de Moutruz sont blessés dangereusement. Enfin, c'est une compassion de voir la quantité des blessés. Mais, Dieu soit loué, tous ceux du Bourge-du-Vieux-Mazel5 se portent bien, et ils saluent le voisinage.»
4»Le lendemain de la bataille, écrit un sous-officier, on commanda aux soldats d'aller piller pendant deux heures de temps le village de Villmergen, dont ils sortirent un gros butin, que les soldats portaient vendre à Lenzbourg. Il semblait que c'était une foire. On y trouvait tout ce qu'on voulait, et à bon marché. Car les soldats donnaient à bon marché pour avoir de l'argent. Il ne faillait qu'à avoir de l'argent et alors on aurait pu avoir une paire de boeufs pour vingt francs, qui auraient valu le double à Vevey. Plusieurs soldats sont allés au clocher de Villmergen, et en ont emporté l'horloge qui frappait les heures, et l'ont vendue pour la commune de Noville, qui dépend du gouvernement d'Aigle. Un autre parti de soldats enlevèrent un tonneau de bon vin et le menèrent sur la plaine ou l'on s'est battu, et y mirent la boëtte. Le vin fut vendu, dans moins de deux heures de temps, à quatre batz le pot. Le tonneau pouvait tenir environ neuf septiers.
«Celui qui aurait eu de l'argent aurait pu gagner la moitié sur les soldats, en leur achetant de toutes sortes de choses. Des chaudières, qui vaudraient ici trois écus blancs, on les auraut eu pour un écu blanc. Il y avait de belles serviettes fines et d'autre linge, des coëttres, des ports d'étain et d'autres vases. Enfin, ils en ont sorti un gros butin.... Pour excuser ce pillage, le bon sergent ajoute : Je crois que ceux de ce village ont été des traîtres à la guerre précédente.»
5Vieux-Mazel, séjour du sergent de Villmergen, Belles-Truches, Bourg-aux-Favres, Bourg-Blonay, enfin, touts les noms des quartiers et des rues de Vevey, innocentes victimes de préventions qui ne devraient plus exister, — touts ces noms ont disparu. Le Sauveur, de tous les noms le plus vénéré, devient la Rue du Lac... St Martin, souvenir d'un pieux cénobite, qui, au VIe siècle, ramena la civilisation dans nos vallées, le vieux St Martin reçoit le nom de Panorama... Bourg-aux-Favres, séjour de l'industrie naissante dans Vevey, est la Rue de Lausanne.... Bourg-Franc, berceau de ces vieilles franchises origines de nos libertés modernes, est la Rue Entre-deux-Marchés... Bourg-de-Blonay, souvenir d'une féodalité patriote, disparaît et fait place à la Rue de Simplon.