Nouvelles doctrines religieuses. — Les Arminiens, les Universalistes et les Particularistes. — Les Piétistes et les Anabaptistes. — Berne et Zurich prennent des mesures contre les sectaires et imposent à leurs sujets un formulaire de doctrine appelé le Consensus, et un Serment de Conformité à ce formulaire. — Chambre de Religion. — Persécutions religieuses. — Lettre missive de M. de Treytorrens. — L'Académie de Lausannee accusée d'arminianisme. — Commission d'enquête. — Mesures prises à l'égard du clergé pour rétablir l'unité de doctrine. — Les députés bernois arrivent à Lausane. — Ces députés donnent à l'Académie des explications sur certaines expressions du Consensus. — Concessions mutuelles. — Signatures du Consensus et serment, par les membres de l'Académie. — Réserves du professeur Polier. — L'Académie blamée par le public. — Refus des signatures et du serment par les Impositionnaires. — Déclaration de M. Polier. — Dix-sept Impositionnaires signent et prêtent serment; sept persistent dans leur refus; ils sont destitués. — Réunion des Classes pour la signature et le serment. — Ministres qui refusent. — LL. EE. annoncent que tout Ministre qui persisterait dans son refus sera destitué. — Les baillis donnent de nouvelles explications aux refusants; ceux-ci, à l'exception d'un seul Ministre et de quatre Impositionnaires, signent et prêtent serment. — Manifestations de l'opinion publique au sujet des affaires du Consensus.
Le paix d'Arau commençait en Suisse une ère de soumission pour tous les sujets des villes souveraines, lorsque, en 1716, l'académie de Lausanne et le clergé du Pays de Vaud osèrent résister aux conseils de Berne qui voulaient imposer de nouvelles doctrines à l'Eglise. La résistance fut longue, elle fut vive. Mais enfin, cédant à une volonté toute puissante, l'académie et le clergé durent se soumettre. Néanmoins, cet acte de soumission ne rendit point son unité à l'Eglise, et le clergé, accusé de sacrifier ses opinions à des intérêts temporels, perdit en considération. Bientôt, le clergé compta dans ses rangs moins d'hommes indépendants; les études théologiques furent resserrées dans des limites plus étroites; l'indifférence religieuse se propagea dans la société, laissant un champ libre aux idées philosophiques du XVIIIme siècle.
L'Eglise du Pays de Vaud que Berne, préoccupée des événements du XVIIme siècle, avait laissée libre quant à ses doctrines, offrait à la jeunesse la carrière la plus indépendante. Le gentilhomme enviait pour son fils une chaire de l'académie, ou des fonctions pastorales dans l'Eglise : il ne croyait point déroger, en ouvrant à son fils une profession scientifique. Les fortes études étaient en honneur dans toutes les classes de la société, et la plus louable émulation animait la jeunesse. Aussi, l'Eglise et l'académie voyaient dans leurs rangs des orateurs distingués et des professeurs connus dans les sciences et les lettres. Parmis les orateurs, on remarquait les Bergier, les Saussure, les Hollard, les Treytorrens, les Rosset de Rochefort, et les Clavel de Ropraz. Dans l'académie, Abraham Ruchat, professeur de belles-lettres, publiait son grand ouvrage, l'Histoire de la Réformation de la Suisse; le recteur David-Constant de Rebecque, donnait son Traité de la Providence, qui occupa vivement le monde savant; Jérémie Sterky, auteur d'un Manuel de Philosophie, était appelé comme professeur à Berlin; Charles de Loys de Bochat, professeur de droit et savant historien, écrivait une Histoire de la Réformation au point de vue politique, dont le pouvoir empêcha la publication; il publiait son grand ouvrage, et avec ses savants amis, MM. de Seigneux de Correvon, Bourgeois, Vernet et Ruchat, fondait la Bibliothèque Italique, recueil littéraire et scientifique qui obtint un succès mérité; George Polier de Bottens, professeur d'exégèse, joignait, dit un auteur bernois, «une vaste littérature, une science sublime à un goût juste et délicat»; enfin, dit le même auteur, «Pierre de Crousaz, professeur de philosophie et de mathématiques, philosophe judicieux, bon mathématicien, écrivain spirituel, délicat et poli, remportait plusieurs grands prix à l'académie royale des sciences de Paris1,» il publiait une Logique et un examen du Pyrrhonisme ancien et moderne. A ces savants, on doit joindre Mr Barbeyrac, qui, à la même époque enseignait le droit et fut ensuite appelé à l'université de Groningen.
Alors que ces hommes illustraient la patrie vaudoise, la société n'était point encore préoccupée de ces questions qui bientôt l'agitèrent tout entière. Malgré la condamnation d'un roi par le parlement d'Angleterre, la prééminence royale, celle des nobles et des magistrats n'était point contestée en Europe, et le prestige de la souveraineté n'avait point encore perdu de son éclat. Mais le prestige de l'Eglise romaine pâlissait de plus en plus; l'unité de cette Eglise était brisée par les libertés gallicanes, par le jansénisme et par toutes les sectes chrétiennes, nées du XVIIme siècle. Quant aux Eglises protestantes, leur unité était aussi brisée par l'action irrésistible du libre examen, qui renversait les digues que les premiers réformateurs avaient élevées contre de futurs réformateurs. Les institutions de Calvin, la confession d'Augsbourg, la confession Helvétique, les arrêts des synodes, même les textes des Saintes-Ecritures, sujets sur lesquels les docteurs protestants dirigèrent leur esprit d'examen, n'étaient point épargnés.
Entre ces docteurs, les professeurs de l'école protestante de Saumur eurent le plus d'influence sur le clergé des Eglises de la Suisse romande. L'un d'eux, Cappel, appliquait à l'Ecriture Sainte les règles de critique historique et grammaticale; La Place expliquait le péché original par la corruption héréditaire des générations; Amyrault cherchait entre le dogme d'une prédestination absolue et le mystère d'une grâce universelle une voie qui satisfit la raison et la foi, — il manifestait dans ses écrits des sentiments arminiens, dans ce sens, toutefois, que le sacrifice de Notre Seigneur avait sauvé les hommes, et que tous finiraient par obtenir le bonheur éternel. Les partisans de cette doctrine consolante, désignés sous le nom d'Universalistes, furent combattus par des théologiens qui, n'admettant l'efficacité du sacrifice du Saveur qu'en faveur d'un petit nombre d'élus prédestiné et toute éternité à jouir du salut, étaient nommés Particularistes. L'académie de Lausanne, et la plupart des membres du clergé du Pays de Vaud, de Genève et de Neufchâtel, penchaient pour la doctrine des universalistes. Il en résulta un schisme dans les Eglises de la Suisse romande, où quelques théologiens partageaient les sentiments des particularistes. Cependant, à côté de ce schisme, on voyait surgir dans le Pays de Vaud des sectes diverses, entr'autres celle des Piétistes et des Quiétistes, chétiens mystiques, disciples de la célèbre Madame Guyon. Dans la ville de Berne on comptait un grand nombre de Piétistes, tandis que dans les bailliages allemandes on voyait des villages entiers peuplés d'Anabaptistes.
Les gouvernements de Zurich et de Berne conçurent des alarmes au sujet de ces sectes qui méconnaissaient le pouvoir spirituel de l'Etat. Ils chargèrent Mr Henri Heidegger, savant théologien de Zurich, de rédiger une profession de foi, destinée à rendre l'unité à l'Eglise. Ce docteur maintint le text des Ecritures, le dogme de la prédestination; il condamna les universalistes, les arminiens; il fut plus loin encore que Calvin et Zwingle, et, avec toute la rigueur d'une doctrine absolue, écrivit le formulaire qu'on appela le Consensus. Ce formulaire, acte de foi additionnel à la confession Helvétique, était adopté dès l'année 1679 par tous les gouvernements de la Suisse protestante, celui de Neufchâtel excepté. Genève n'y adhérait qu'avec répugnance, cédant aux instances de Berne et de Zurich, dans un moment où elle avait un pressant besoin du secours de ses alliés.
Bientôt, l'académie de Lausanne recevait de LL. EE. l'ordre que tous les professeurs, les régents du collège, et les ministres impositionnaires signassent le Formulaire de Consentement, ou Consensus. Ces écclésiastiques, n'ajoutant pas une grande importance à cette exigence, signèrent dans faire d'observations. Cependant, le Consensus ne tardait point à alarmer des consciences, et déjà en 1682, un jeune impositionnaire, Mr Clavel, fils du seigneur de Ropraz, faisait précéder sa signature par ces mots : Je signe ce Formulaire, pour autant qu'il est conforme aux Saintes-Ecritures. Mr de Ropraz fut imité dans ses réserves par la plupart des jeunes gens que l'académie consacrait annuellement au St Ministère. Quelques années se passèrent ainsi, lorsqu'en 1698, quatre étudiants de Lausanne, MM. Porta, Arthaud, Terraz et Feygoz, furent accusés de soutenir et de répandre des doctrines arminiennes. LL. EE. ordonnèrent une enquête, et, sur le refus de ces étudiants de rétracter leurs doctrines, de signer le Consensus et de prêter un serment contre les piétistes, les arminiens et les sociniens, ils furent rayés du rôle académique et bannis des terres de LL. EE.
Cette sévérité, loin de diminuer le nombre des dissidents, les augmentait dans tous les rangs de la société. Les chaires du Pays de Vaud retentissaient de l'accent de la controverse, et il devenait du bon ton de s'occuper de questions théologiques et de critiquer les dogmes imposés par l'Etat. Dans les bailliages allemands, le nombre des piétistes faisait de grands progrès, surtout dans la capitale; on en voyait aussi à Yverdon, à Morges et à Lausanne. Alarmé de cet état de l'opinion publique, le sénat, en 1699, convoquait le Deux-Cent et invitait les baillis à venir y siéger. Les mesures les plus rigoureuses étaient adoptées. Ainsi, nous remarquons les dispositions suivantes dans l'arrêt de ce Conseil :
«Tous les sujets de LL. EE. sont tenus de prêter le Serment de Conformité au Consensus. — Le refus de serment est puni de bannissement et de confiscation des biens. — Le banni qui rentre dans le pays est condamné au fouet et à la marque. — Une seconde récidive, aux galères ou à la mort. — Les actes civils contractés par tout sectaire, piétiste ou anabaptiste, sont déclarés nuls.»
L'exécution de cet arrêté souverain était confiée à une commission spéciale, dite Chambre de Religion, composée de quatre membres du sénat, de quatre membres du Deux-Cent, des trois premiers pasteurs et du premier professeur de théologie de Berne. Cette Chambre, présidée par le banneret Tillier, recevait le pouvoir de faire telles enquêtes et informations qu'elle jugerait à propos à l'égard des personnes professant des doctrines contraires à celles de l'Etat. Aussitôt installée, la Chambre dirigeait ses premières enquêtes contre les piétistes et les anabaptistes. On était à la veille d'une promotion pour le Deux-Cent, et, comme entre les prétendants à ce conseil on comptait plusieurs piétistes qui, par leur influence de famille, avaient le plus de chance à être nommés, le Chambre de religion faisait composer par un de ses membres, le professeur Rodolph, un formulaire du serment que devaient prêter tous les prétendants aux emplois civils. «M. Rodolph, dit le ministre Barnaud2, y mit en peu de mots tout ce que son zèle pour l'orthodoxie lui inspira de plus fort. Il n'y ménagea ni les termes, ni la conscience; et pour rendre le piétisme plus odieux, il y joignit le socinianisme, comme deux sectes également dangereuses pour l'Etat et pernicieuses à la religion réformée.... Les Conseils approuvèrent ce Formulaire, et l'on peut dire que l'intrigue, l'intérêt, l'esprit de parti, la politique, et d'autres considérations mondaines, y eurent plus de part que l'amour de la vérité et le zèle pour la bonne cause.» Cependant la Chambre de Religion ne voulait imposer le serment d'association qu'aux laïques, mais le Deux-Cent y soumit aussi tous les théologiens. Voici le serment qui fut imposé au clergé du Pays de Vaud :
Jurent tous ceux qui sont admis au St.-Ministère, comme aussi tous les Professeurs et Régents d'Ecole dans les villes du Pays de Vaud, de maintenir et de défendre la Sainte Religion Evangélique Réformée, et le culte Divin, comme ils ont été introduits par nos Souverains Seigneurs de la Ville et Canton de Berne, et contenus dans la Confession Helvétique; et de s'opposer et tout leur possible à toutes les doctrines contraires à la dite Religion, comme au Piétisme, Socinianisme, Arminianisme, sans nullement supporter, ni favoriser à cet égard les personnes qui en sont ou seront infectées : Ainsi que Dieu nous soit en aide.
La plupart des membres des conseils souverains et des corps de la bourgeoisie de Berne prêtèrent ce serment, appelé le serment d'association. Quelques membres, néanmoins, avant de le prêter, exigèrent des explications; mais suspendus de leurs emplois, ils ne purent y être rétablis qu'en se soumettant à «l'arrêt souverain auquel chacun devait se conformer selon la nature de son emploi et le devoir de sa charge.» Plusieurs magistrats, ajoute Barnaud, aimèrent mieux être exclus de toute prétention aux emplois civils et ecclésiastiques que de prendre de tels engagements contre leur conscience.
On n'exigea le serment, dans le Pays de Vaud, que des candidats du St Ministère, qui, cette année-là, au nombre de vingt-deux, le prêtèrent entre les mains du recteur, Mr Daniel Constant. Quant aux ministres et aux magistrats ils en étaient dispensés, car c'était alors contre les piétistes et les anabaptistes que la Chambre de religion exerçait ses rigeurs. Ainsi :
«Elle défendait la lecture de leurs écrits, elle faisait inviter Genève et Neufchâtel à ne point laisser imprimer de livres «mystiques ou athées»; les conventicules étaient interdits, tout autre prédication que celle du pasteur de la paroisse défendue; des récompenses étaient promises aux dénonciateurs des sectaires; toute correspondance avec des piétistes étrangers était déclarée criminelle, et la poste recevait l'ordre d'ouvrir toute lettre suspecte. Accusé de piétisme, le diacre de la cathédrale de Berne était suspendu de ses fonctions, et le fils du bailli d'Interlacken, qui avait blâmé cet acte, puni d'une amende de cinq cent livres. Un étudiant de Lausanne, Mr Frossard, accusé de piétisme, était traîné dans les cachots de la capitale où il mourut. Les prisons regorgeaient de captifs dont le crime était de professer les doctrines des piétistes ou des anabaptistes. Un grand nombre de ces sectaires furent envoyé aux galères de Naples et de Gênes3.»
Un Vaudois, Mr Nicolas-Samuel de Treytorrens, qui professait les doctrines des piétistes, prit fait et cause pour les persécutés; il les visita dans leurs prisons, les consola, ne craignit point d'élever la voix en leur faveur, et même sollicita de LL. EE. une mission pour visiter et délivrer les piétistes et les anabaptistes qu'elles avaient envoyés aux galères. LL. EE. indignées d'une telle audace, firent arrêter Mr de Treytorrens et le condamnèrent à un bannissement perpétuel. Ces rigeurs ne ralentirent cependant point le zèle de Mr de Treytorrens; il persévéra dans ses efforts en faveur de ses frères, et publia une série de lettres à LL. EE.4. Dans la première lettre, il fait un exposé des maux causés par le serment d'association :
«Avant ce pernicieux serment, dit-il, plusieurs lisaient parfois quelques bons livres spirituels, fréquentaient des gens de bien et pieux, qui leur émouvaient souvent le coeur d'une conversion et amendement de vie. Mais dès que ce serment a été une fois par eux juré, on les a vûs peu à peu se retirer et dire adieu à tous les bons moyens, livres et entretiens désavoués par leurs sçavants. Mon propre pasteur défunct, m'a dit plus d'une fois, que sans ce serment il ne m'aurait jamais fait persécuter. Chacun sait qu'en Sénat, et dans tout le clergé, dès qu'aucun de leurs membres semble vouloir favoriser les persécutés ou leurs écrits, on leur met ce beau serment devant le nez pour les retenir. Ce fut ainsi qu'on l'a vu arriver à l'égard d'un jeune ministre, Mr de Graffenried, d'une des plus illustres familles de Berne, auquel on reprocha dans la Chambre ardente de Religion, d'avoir contrevenu au Serment d'Association, pour avoir envoyé quelque assistance et une lettre consolatoire aux pauvres anabaptistes que LL. EE. avaient envoyés comme de présent au roi de Sicile pour mettre sur ses galères en esclavage perpétuel, et cela, non pour crimes, mais pour leur simple foi au sentiment; là où ces pauvres gens périssaient de misère et d'anxiété de corps et d'âme, comme il est arrivé à l'un d'eux, un très-bon vieillard, qui allant aux galères, fut, aux abois de la mort, forcé par les prêtres romains, à Turin, d'abjurer sa religion pour embrasser la leur; comme les pauvres galériens l'écrivirent au pays. Ce que ce bon ministre, Mr de Graffenried, ayant appris, leur écrivit sa lettre consolatoire et un peu d'assistance.... Ce fut pour cela que Messieurs les Inquisiteurs lui firent reproche, à quoi il répondit : Puisque mon caractère de ministre et mes serments doivent m'empêcher dans la pratique des vertus chrétiennes, je remets mon ministère et mes serments aux pieds de LL. EE. de qui je les tiens, dans l'espoir que Dieu m'en donnera un jour de meilleurs en récompense.»
Dans sa troisième lettre, Mr de Treytorrens parle en ces termes des persécutions éprouvées par les sectaires dans le canton de Berne :
«Qui peut douter que le sang et l'âme de tant d'autres de vos sujets, persécutés pour leur foi, surtout les anabaptistes, avec pleurs, cris et gémissements de leurs femmes et enfants, de leurs veuves et orphelins, dont si grand nombre sont déjà morts dans les prisons et esclavages, ou dans les misères de l'exil, ne crient vengeance à Dieu contre LL. EE. et leur Chambre de religion, et voir contre tout le pays, ne fût-ce que pour le sang et l'âme de ces malheureux esclaves, envoyés en esclavage sur les galères de Sicile, ou de cette troupe vendue il y a quelques années aux galères des Gênois, sans que, depuis lors, on en aie jamais eu de nouvelle d'aucun d'eux.... Sans parler du sang de tant d'autres, et entr'autres de celui auquel on fit trancher la tête il y a quelques années, et de ceux à qui on attribuait de s'être défaits eux-mêmes (suicidé) par dérangement de mélancholie, survenue par la longueur de leur prison.
«Votre Excellence (Mr Tillier), sait bien qu'un d'eux, après une longue prison, ayant été banni, fut à peine conduit hors des frontières, que par son dérangement il s'en retourna sur ses pas, et s'en allant tout droit vers la prison, demandait au géolier d'y pouvoir entrer pour les visiter et les consoler, et qu'aussitôt la Chambre le fit serrer plus fortement, ce que voyant le pauvre homme, pour éviter ce malheur, fit appeler un pasteur de la ville à qui il dit que s'il obtenait sa liberté, il se soumettrait à tous les ordres de religion et serait bon réformé. Ce qu'ayant rapporté à la dite Chambre, on lui fit dire qu'à moins il ne promit cela par serment, on ne le libérerait point. Que lui, frappé d'une telle réponse, s'imaginant qu'il irait faire par là un grand péché, il dit qu'il aimerait autant se pendre que de faire un serment. En effet, peu de jours après, on le trouva pendu à un clou de la porte de sa prison....
«En considérant toutes les rigueurs exercées contre ces pauvres gens, l'on ne sait comment LL. EE. si benins et éclairés, ont pu jamais venir à de telles extrémités envers des enfants du Pays et gens de bien. Si ces gens étaient des loups, l'on ne les poursuivait pas avec plus de rigueur. Car pour un loup, LL. EE. ne donnent que quatre ou cinq écus, et ils promettent jusqu'à des cent écus par tête pour la prise des pasteurs et de ces gens-là, et trente écus pour les autres, soit hommes ou femmes; mais non à prendre dans la bourse de LL. EE. mais de celle de ces pauvres captifs.... LL. EE. établirent un certain nombre d'hommes des plus scélérats du pays, qu'ils nommèrent Chasseurs, afin de chasser ces pauvres gens comme des loups à qu'ils les livreraient à Berne.... S'il arrive que l'un d'eux vienne à mourir dans les prisons de Berne, ou dans leurs maison, LL. EE. autant rigides que les Papistes, ne permettent point qu'on les ensevelisse dans leurs cimetières, comme s'ils devaient infecter leurs morts. L'un d'eux, paysan, eut de la peine, avec soixant écus, d'obtenir la permission d'ensevelir dans le cimetière un sien, parent anabaptiste....
«Dans ce même temps-là, ayant pu entrer dans la prison, ou discipline, où sont renfermés ces pauvres anabaptistes, j'y en trouvais dans une chambre une quarantaine, tant hommes, femmes que filles, assis tous pêle-mêle, travaillant tous en laine, selon la tâche qu'ils avaient. J'y vis entr'autres un bon vieillard, tout blanc et courbé de vieillesse, qui me dit avoir passé huitante ans, lequel travaillait son petit tâche à carder de la laine avec une telle tranquillité, qu'il me semblait voir un ancien Patriarche des temps passés. Comme j'aperçus au millieu de la chambre une femme à genou qui tétait son enfant à terre, dans le berceau. M'étant approché d'elle, je lui demandai si son mari était là aussi? — «Non!» me dit-elle, et, en même temps les larmes commençaient à lui couler des yeux et à en arroser les joues de son petit, «mon mari vient de mourir. Lorsqu'on nous prit, j'était enceinte et mon mari malade à la mort, nous priames tant la Chambre et les Chasseurs, en donnant de l'argent à ces derniers, qu'à la fin ils consentirent à ce que mon mari mourût dans son lit. Mais pour moi, je ne pus obtenir de rester auprès de lui, et on m'amena ici, où peu après j'accouchais de cet enfant. Et, comme la maladie de mon mari a traîné près d'un an, voyant sa mort approcher, il fit supplier la Chambre de religion de lui accorder la grâce de me revoir une seule fois avant de mourir, et surtout son enfant qu'il n'avait jamais vu. Mais ce qu'il ne put obtenir, et il est mort là-dessus. Encore, les Chasseurs nous ont presque tout pris ce qui nous restait pour se payer de leur prise. De sorte que je crains que mes pauvres enfants ne souffrent de la misère, et que mon mari n'y ait été. Il est vrai que pour mes enfants, j'ai espérance en Dieu qu'il y pourvoira, les remettant en tout entre les mains de la Providence...» Ce discours, avec larmes de cette femme, m'émut le coeur, ne pouvant assez m'étonner de la grande dureté qu'on use envers ces gens qui refusent de consentir à des choses qu'on leur demande, par la seule crainte d'offenser Notre Seigneur!... Après cela, je m'en allai dans une autre chambre, où il y en avait d'autres qui y travaillaient. Comme j'y remarquai une invention, faite comme une armoire, posée au millieu de la chambre, je leur demandai ce que c'était. Ils me dirent de l'ouvrir, ce qu'ayant fait, j'y remarquai dedans deux traversins et un gros trou tout rond, à la paroi de derrière. Comme je n'y compris rien, l'un d'eux me dit : — «Monsieur, dès que quelqu'un fait ici quelque faute, le géolier ou ses valets, l'enferment dedans, en l'obligeant de mettre (sauf respect), son derrière à nud dans ce trou, et puis, on lui donne autant de coups de verges qu'on veut, sans qu'il puisse remuer de posture, dès que la porte est une fois fermée.»
«Ce récit me fit horreur d'entendre. Je me dis, est-il possible qu'il se puisse encore trouver parmi les chrétiens des abominations pareilles, telles qu'on en a pas vu parmi les payens. Je m'en allais, dès que j'eus pris congé de ces malheureux, tout triste et gémissant pour les choses que je venais de voir. Ha! que réponderont, je me penais, les auteurs de ces choses, lorsque leur grand Roi et Juge de l'univers, Jésus-Christ, lors qu'il leur représentera ces abominations, et leur demandera s'il n'y avait pas parmi ces malheureux des gens auxquels on donnait le nom de piétistes et anabaptistes, et quelles sortes de gens c'étaient. Alors, je le sçai, LL. EE. et leurs Chambres de religion, ou d'Inquisition, se verront obligées de dire que oui, et que c'étaient en général des gens de bien, droits, sincères, doux, paisibles, obéissant en tout ce qu'ils croyaient n'être contraire à l'Evangile, gens encore ennemis du mensonge, jurement, irognerie, tromperie, orgueil, vanités du monde et autre tels vices....
«A mon égard je fus détenu captif pour m'être chargé d'une mission, autant pénible pour le corps que périlleuse pour la vie, d'entreprendre seul, au plus fort de l'hyver, de passer les hautes montagnes des Alpes et ensuite les mers, pour aller jusque'en Sicile retirer de leurs fers et misères ces pauvres anabaptistes. Mais, comme de tout temps, les grands et sçavants ont méconnu ces esprit de charité, il en arriva de même à mon sujet, à Berne; car le jour que je comparus devant votre Chambre, je rencontrais, au sortir d'icelle, dans l'antichambre, l'officier avec la femme du géolier, qui m'arrêtèrent, et me demandèrent la cause de ma détention. Ce que leur ayant dit, en peu de mots, l'un se mit à pleurer, et l'autre à s'écrier et à dire : «Quoi! est-ce pour cela qu'on vous trait de la sorte? Il ne se trouverait peut-être pas dans le pays une personne qui voulut entreprendre ce que vous faites, pour secourir des gens qui ne vous sont ni de chair ni de sang, et encore à vos dépends, et en hyver. A quoi bon, ajouta la femme du géolier, nous tant prêcher du christianisme, pendant qu'il n'y en a pas tant parmi nous que parmi les payens mêmes.» L'officier à qui on commanda de me mener en prison, où l'on met les criminels, m'en demanda pardon.... Ainsi, étant allé dans vôtre ville de Berne, par le seul motif de charité, pour solliciter la délivrance d'esclaves, selon les prières et réquisitions de leurs parents, à peine y fus-je entré, que je me vis moi-même captif et jeté dans un cachot obscur et puant, avec la perte de me patrie. Mais comme la charité m'avait conduit à Berne, elle m'accompagna aussi dans ma prison, en m'y faisant ressentir le doux effet de sa présence, par la grande joie, la paix, la tranquillité d'âme qu'elle m'y donna.»
Banni des terres de LL. EE. ce vrai disciple de Christ ajoute : «Je suivis le conseil du Seigneur, de tout donner aux pauvres ce que j'avais, et puis de m'en aller où sa Providence me conduirait pour le servir librement sans empêchement. Ce que je résolus d'exécuter, dressant pour cet effet un acte de donation de tout mon avoir en faveur des pauvres....»
Cependant, les Etats-Généraux de Hollande, eux qui toléraient toutes les sectes religieuses de la communion réformée, s'émurent en faveur des victimes de cette odieuse persécution. Ils intercédèrent en leur faveur. Mais LL. EE. furent inexorables. «N'ayant pas de troupes de ligne, répondirent-elles, nous devons employer les moyens qui sont en notre pouvoir, de maintenir nos sujets dans l'obéissance.» Les Etats-Généraux donnèrent alors asile dans leurs provinces aux sectaires. Un grand nombre d'entr'eux s'y rendirent de bonne volonté; d'autres furent exportés en Amérique; d'autres y émigrèrent en grand nombre. L'un d'eux, Mr Christophe de Graffenried, que nous avons vu être renvoyé de ses fonctions pastorales, fonda la colonie piétiste de Neuhourn dans la Caroline du Nord. [Verdeil's reading is incorrect, the colony in North Carolina was called New Bern. Christophe von Graffenried's account of the founding of the new colony is given in English translation on a web site for the State Archives of North Carolina. His account will be of great interest to anyone searching for early Swiss immigrants to North America.]
Cependant, les persécutions paraissaient cesser dans le Pays de Vaud : les préoccupations de la guerre de Villmergen détournaient l'attention des conseils de Berne. Le bailli de Lausanne, Mr Jean-Jaques Sinner, magistrat libéral, laissait l'académie accepter des candidats en théologie, donnant leurs signateurs au formulaire, avec toute espèce de restrictions. Mais cet état de chose eut un terme. Quelques membres de la Classe de Morges, en 1716, accusaient l'académie sur la manière dont les impositionnaires signaient le Consensus, et sur les progrès que faisait l'arminianisme dans le Pays de Vaud. L'académie, pour répondre à cette accusation, chargeait son recteur, Mr Babeyrac, d'écrire à la Chambre de religion.
Mr Barbeyrac représentait dans son mémoire que c'était lui, recteur, qui avait admis les signatures avec les réserves, se fondant sur les considérations suivantes : de semblables réserves avaient été admises depuis un grand nombres d'années; elles sont conformes à la confession de foi; l'Ecriture-Sainte étant l'unique règle de la foi et des moeurs des protestants, admettre une autre règle, dictée par des hommes, ce serait renoncer aux principes protestants et admettre un pape; enfin le Consensus contenait des articles qui ne sont point des articles de foi, mais des questions grammaticales, sur lesquelles on ne saurait prêter serment. Quant à l'accusation d'arminianisme, le recteur Babeyrac s'élevait contre elle avec énergie, déclarant qu'on ne connaissait point d'étudiants qui le professassent; que plusieurs, il est vrai, lisaient les livres arminiens, mais qu'on ne pourrait qu'approuver ces jeunes gens, vu que cette lecture était favorable à leur instruction, en leur faisant connaître le pour et le contre.
Loin d'admettre ces observations, la Chambre de religion donnait l'ordre formel de ne recevoir aucune signature suivie de restrictions. Néamoins, l'académie persévérait et chargeait (1717) le doyen Bergier de présenter de nouvelles réclamations à LL. EE.
«Les Eglises, disait le doyen dans son mémoire, ont bien le droit de faire des confessions de foi; mais ces confessions ne doivent pas rouler sur des choses épineuses, indifférentes : elles doivent être courtes et ne contenir que le suc et la moëlle de l'Ecriture-Sainte; les formulaires ne préviennent pas les disputes; le meilleur moyen d'entretenir la paix est de ne pas permettre que l'on inquiète quelqu'un pour ses sentiments.... C'est l'intolérance qui est la cause des troubles qui agitent le pays.... Exiger une signature donné par pure bassesse d'âme, sans avoir bien examiné, sans être bien convaincu de la vérité; enfin, donnée par un principe de profaneté et d'indifférence pour toutes les matières de religion; exiger de telles choses d'un homme, ce serait exiger de lui qu'il manque à Dieu, à la religion et à son souverain.»
Mais au langage de la raison, le clergé de Berne répondait avec hauteur, dans un mémoire adressé en 1718 à LL. EE., mémoire rempli d'insinuations offensantes pour l'académie, et dans lequel on alléguait que «toute opposition était une offense envers LL. EE. et que le Consensus était une nécessité pour combattre le Libertinisme, l'Arminianisme, l'Indifférence, le Naturalisme, le Socinianisme, enfin l'Athéisme.»
A l'ouïe des troubles religieux du Pays de Vaud, Mr Barbeyrac, qui, fatigué de ces dissensions, avait quitté Lausanne, et accepté une chaire de premier professeur de droit à l'université de Gröningen en Hollande, intercédait, en faveur de la tolérance, auprès de son ami Sinner, ancien bailli de Lausanne : »Un Consensus, lui écrivait Mr Barbeyrac, mal appelé de ce nom, puisque c'est l'ouvrage de quelques peu de théologiens entêtés, est une véritable semence de discorde entre les chrétiens. Tombé en désuétude à Lausanne, ne le signait qui voulait, ou bien avec restriction : le rétablir, cela ne serait pas sans danger.... LL. EE. devraient remarquer que partout, en Angleterre, en Hollande, en Allemagne, les puissances et les particuliers prennent de plus en plus d'esprit de tolérance, ou plutôt l'esprit du christianisme, que des ecclésiastiques voudraient étouffer pour régner eux-mêmes sur les consciences.... Les esprits ont commencé à s'éclairer et à s'adoucir, en Suisse comme ailleurs; et vouloir ramener la contrainte, serait s'exposer à quelque grande révolution, ou du moins, faire bien des hypocrites et des parjures. Je frémis, quand je pense aux fâcheuses suites qu'aurait un arrêt souverain qui donnerait gain de cause à des ecclésiastiques brouillons.... En voulant établir une parfaite uniformité de sentiments, ou va multiplier les dissidents.... Le meilleur moyen de rapprocher autant que possible les esprits, c'est de laisser à chacun une honnête liberté de suivre les lumières de sa conscience : c'est un droit, aussi bien qu'une obligation générale de tous les hommes.... Je vous conjure, Monsieur, par tout ce qu'il y a de plus sacré, par l'intérêt de votre patrie, par votre propre gloire, et plus encore, par votre piété solide et éclairée, de vouloir bien employer tout votre crédit pour maintenir les droits de la tolérance et de la liberté chrétienne, et pour protéger une académie que vous aimez, et qui ne saurait mieux mériter votre estime, qu'en soutenant le bon parti qu'elle a pris.»
Malgré les efforts du parti de la tolérance dans le sénat de Berne, ce conseil persévérait, et envoyait à Lausanne une commission chargée d'examiner la gestion de l'académie, et de faire un rapport sur l'esprit et la tendance de cette institution. Cette commission, composée des hommes les plus prononcés en faveur du Consensus, les bannerets Tillier et de Lerber, Mr Malacrida, professeur de théologie, et Dachs, pasteur de Berne, cette commission, aussitôt après son arrivée, faisait une enquête, non-seulement sur la manière dont l'académie procédait, relativement aux affaires du Consensus, «mais aussi sur l'abandon de l'usage du catéchisme d'Heidelberg par l'académie, sur la part que devaient avoir prise plusieurs professeurs à des écrits peu respectueux envers les seigneurs de Berne, enfin, sur l'autres objets de ce genre. Les explications données par le corps académique, ajoute Barnaud, ne furent point agréées par les députés, qui, après dix-sept jours, quittèrent Lausanne le 30 mai 1718.»
Cependant les années se passaient, et on croyait, dans le Pays de Vaud, que la question du Consensus était abandonnée, lorsq'au commencement de l'année 1722, on apprenait que le Deux-Cent, saisi de cette affaire, avait adopté de nouvelles mesures contre l'académie et le clergé du Pays de Vaud. En effet, après des retards causés par la mort du banneret de Lerber, le rapport de la commission envoyée en 1718 à Lausanne, avait été présenté au Sénat, en janvier 1722. Ce rapport accusait l'académie «de sentiments erronnés et d'hérésie»; des professeurs étaient signalés comme «esprits dangereux qui répandaient en toutes occasions des sentiments contraires aux livres symboliques.» Les débats furent animés dans le Deux-Cent. Quelques membres demandaient une enquête sur la conduite, et sur les écrits, et sur les opinions des professeurs de Lausanne, signalés dans le rapport de la commission. D'autres plus modérés proposaient de laisser ces plaintes contre ces professeurs et l'académie, et d'abandonner une question cause de scandales et de dérision dans l'Eglise. Enfin, l'opinion de l'avoyer régnant, Mr d'Erlach, prévalait dans la séance du 15 avril 1722, et le Deux-Cent, à la majorité de soixante et douze voix contre soixante-deux, prenait la décision suivante :
«Pour établir autant d'uniformité que possible entre l'académie de Berne et celle de Lausanne :
«I. Tous les ministres du Pays Romand, ainsi que ceux du Pays Allemand, seront obligés de signer le Consensus, selon l'explication admise, et de prêter de nouveau le serment d'Association, comme il se prête dans la capitale;
«II. Une commission composée de deux membres du Sénat sera envoyée à Lausanne, avec ordre de congédier sur-le-champ tous ceux qui refuseraient de signer et de prêter serment.»
«La nouvelle de cette décision ne fut pas plutôt annoncée au Pays de Vaud, dit Barnaud dans son ouvrage, que la plupart des ministres se disposèrent à quitter leur emplois, plutôt de signer la formule et de prêter le serment sans aucune explication, ni limitation. Quelques-uns écrivirent même dans les pays étrangers pour y chercher quelque établissement. Cependant il y eut diverses conférences entre ces ministres pour voir ce qu'il y aurait à faire dans cette conjoncture délicate; il y en eut une entr'autre à Lausanne, où se trouvèrent dix-huit ou vingt ministres de diverses Classes, dans laquelle, après bien des discours, on convint de dresser une supplique à LL. EE., après qu'elle aurait été signé de tout autant de ministres que l'on pourrait en trouver, dans les mêmes idées.» Cette supplique, écrite par Mr de Saussure, pasteur de Lausanne, était conçue en ces termes :
ILLUSTRES, HAUTS, PUISSANS, ET SOUVERAINS SEIGNEURS,
C'est dans les sentimens du plus profond respect, que les Pasteurs et Professeurs soussignez, Vos très-obéissans Serviteurs et fidèles Sujets, ont l'honneur de faire leurs très-humbles représentations à VV. EE., sur l'Arrêt, qu'Elles viennent de rendre, et qui les oblige à signer purement et simplement la Formule du Consensus, et à prêter le Serment d'Association.
Ils se flattent qu'Elles ne refuseront pas à des Ministres Publics de la Religion, dans une occasion si intéressante, cette attention favorable, qu'Elles accordent à tant de Personnes, pour des cas d'une moindre conséquence.
Engagez, par leur devoir, à rendre à Dieu ce qui lui appartient, et à VV. EE. les marques de la soumission qui leur est duë, ils n'auront rien tant à coeur que d'exécuter leurs ordres, dès qu'ils ne leur paroîtront pas en opposition avec les Devoirs que la Conscience leur prescrit. C'est dans cet esprit qu'ils sont disposez de prêter ou confirmer le Serment d'Association et de signer la Formule du Consensus; supposans que cette Signature et ce Serment ne les engagent,
1. Ni à persécuter ceux qui sont dans quelques sentiments contraires, commes les termes du Serment semblent l'insinuer;
2. Ni à croire tous les Articles contenus dans le Consensus, non plus qu'à les enseigner tous sans aucune exception;
Mais que cette Signature et ce Serment, ne doivent être regardez que comme un lien et un engagement à s'opposer aux Schismes, aux Doctrines nouvelles, à réprimer les Perturbateurs, à ne dogmatiser jamais contre les Décisions des Livres Symboliques, et à entretenir l'unité de l'Esprit par le lien de la Paix.
Ils auroient crû pouvoir se dispense de cette explication, s'ils s'étoient bornez uniquement au titre du Livre, qui n'indique qu'un Formulaire d'Union, à la Préface qui assûre qu'on reconnoît pour Frères ceux là-même qui pensait d'une manière différente des Auteurs du Consensus, aux Ecrits des Théologiens de la Capitale, à la seconde Conclusion de la Dispute de Berne. Mais la Conclusion du Consensus leur a paru faire une espèce de contraste, et peut jetter dans la Conscience des doutes et des scrupules qu'il est très-nécessaire de lever.
Des Souverains, qui n'ont rien tant à coeur que la Religion, verront sans doute avec plaisir, que des Ministres qui exercent leurs Emplois sous leur Domination, s'expliquent avec cette intégrité et cette candeur, qui convient au caractère dont ils sont honorez; Qu'ils se piquent d'une très-grande exactitude, lorsqu'il s'agit de leurs engagements; Qu'ils n'en contractent jamais que de clairs; Que leurs promesses soient sans équivoque; et qu'ils observent les premiers ce qu'ils proscrivent et qu'ils enseignent aux autres, lorsque l'importance du Serment fait le sujet de leurs Discours.
Il leur importe infiniment, pour le succès de leur Prédication, que les Troupeaux, qui sont confiez à leurs soins, soient convaincus de leur droiture. Comment pourroient-ils se concilier cette confiance si nécessaire pour le succès de leur travaux, s'ils signent quelques Articles que l'on sait n'être conformes à leurs sentiments? Cette démarche ne contribueroit-elle pas à affaiblir la force de leurs Exhortations, à mettre un obstacle presque invincible au succès de leur Ministère, à les envisager comme des Prévaricateurs, qui sacrifient les droits de leur Conscience à un petit Intérêt, et qui ne se déterminent plus par les Règles du juste, mais uniquement par celles de l'utile?
VV. EE. qui ont donné si souvent des marques éclatantes d'une Clémence et d'une Bonté qui ont fait l'admiration de leurs Peuples, qui ont porté mille fois les soussignez à se féliciter de la douceur du Gouvernement, verront-elles sans émotion, que des Pasteurs, qui ont vieilli dans leurs Emplois, qui ont servi les uns vingt, les autres trente ou quarante années, qui ont toujour reçû des marques réelles de leur approbation, ayant le mortel chagrin de se voir obliger de leur déplaire, et peut-être d'interrompre le cours des Instructions qu'ils adressoient à des Personnes qui les recevoient avec plaisir et avec joie; et cela uniquement parce qu'ils veulent conserver une Conscience sans reproche devant Dieu et devant les Hommes, pour pouvoir dire avec S. Paul, C'est ici notre gloire, savoir le témoignage de notre Conscience, que nous avons conversé en toute simplicité et sincérité de Dieu, au milieu de vous?
D'ailleurs, les très-humbles Supplians n'ont jamais causé aucune apparence de Schisme. Les Eglises, confiées à leurs soins, n'ont jamais porté à VV. EE. des plaintes de leurs sentimens erronez. Ils n'ont jamais été déférez comme suspects d'Héterodoxie. Les Chaires qu'ils occupent n'ont retenti par tout que de la doctrine contenuë dans la CONFESSION HELVETIQUE. Il est vrai qu'ils sont assez réservez pour suspendre leur jugement, pour ne pas hasarder leurs conjectures sur des matières délicates, peu importantes, qui leur paroissent impénétrables, qui présent, de part et d'autre, des difficultés accablantes, sur lesquelles ils avouent, sans détour, qu'ils n'ont pas assez de lumières pour pouvoir se déterminer.
Les humbles Exposans finissent en suppliant VV. EE., avec une sincérité qui égale le respect profond qui leur est dû, d'être persuadées, que s'il ne s'agissoit que de leur Repos, de leur Liberté, et de leur Vie, ils en feroient un Sacrifice volontaire, pour témoigner leur zèle et leur obéissance. A cet égard, ils seroient mortifiez de le ceder à qui que ce soit. Mais ils osent aussi déclarer, avec ce respect et cette soumission qui est duë à VV. EE., et cependant avec cette fermeté qu'inspire le témoignage d'une Conscience droite, qu'ils sont prêts à ce qu'ils doivent à Dieu, à la Vérité, à la Religion, à leurs Consciences, et au Salut éternel de leurs Ames.
Ils espéront que VV. EE., touchées de la sincérité de leur exposition, de l'affligeante situation où ils se trouvent, ne jugeront pas indignes de leur Protection et de leur Bienveilllance des Personnes qui n'ont rien tant à coeur que la Prospérité, et l'affermissement de votre florissant Etat, qui se disposent à prêter le Serment d'Association, autant qu'il ne leur impose rien contre la Charité Chrétienne, et à signer le Consensus, autant qu'il peut être considéré comme Formulaire d'Union, et non comme Formulaire de Foi, et qui sont avec tout le zèle, la soumission et l'obéissance que l'on peut attendre de bons et de fidèles Sujets, etc.
Cette requête, celle des Modérés, comme le public la désigna bientôt, était signée par la plupart des membres de la Classe de Lausanne, et par tous les ministres des Colloques d'Orbe et d'Echallens; déjà plus de cinquante signatures étaient réunies, lorsque survenait un ordre souverain, enjoignant aux baillis d'empêcher ces signatures «qui sentaient la cabale»; et de retirer toutes les copies de cette requête que l'on pourrait découvrir. Cependant, «les Rigides, continue l'historien du Consensus, pour opposer une contre-batterie à la requête des modérés, en dressaient une autre toute contraire, et écrivaient à leurs amis des Classes pour la faire signer. Cette anti-requête ne put réunir qu'une demi-douzaine de signatures.»
ILLUSTRES, HAUTS, PUISSANS ET SOUVERAINS SEIGNEURS,
Les Ministres Orthodoxes du Pays de Vaud (c'est-à-dire, qui suivent la Doctrine de l'Evangile telle qu'elle a été établie par la bienheureuse Reformation et qu'elle est contenuë dans la Confession Helvétique, le Catéchisme de Heidelberg, et le Formulaire appellé le Consensus), Vos très-humbles Sujets et fidèles Serviteurs, supplient VV. EE. de leur permettre de se féliciter dans cette rencontre, et de leur témoigner, avec des coeurs pleins de joye et de reconnaissance, leurs très-humbles remerciments et actions de graces, de ce que la signature absoluë du Consensus fut heureusement confirmée dans votre Illustre et Souverain Conseil des Deux-Cens, le 15 Avril. Nous en bénissons Dieu du meilleur de notre coeur. Nous reconnoissons que c'est-là son Ouvrage. Nous remarquons dans les circonstances son doigt et sa main. Oui, SOUVERAINS SEIGNEURS, c'est Dieu qui a présidé dans votre Illustre Assemblée. C'est ce grand Dieu, qui tient le coeur des Princes et des Rois en sa main, et qui les flêchit comme il veut, qui a dirigé la chose, et qui vous a conduit, dans cette rencontre si importante à la Religion et à l'Etat. Ces Gens qui nous troublent par leurs nouveautés, pour tâcher d'enlever cette puissante Barrière, qui les gêne dans leurs vastes desseins, affectent de publier qu'il ne s'agit que de choses de très-petite importance, et qui sont indifférentes pour le Salut. Mais qui pourrait croire que ce fût là leur pensée, au moins par rapport à leurs Projets? L'abolition du CONSENSUS est pour eux une affaire capitale, et de la dernière conséquence. C'est ce qui paroît par les grands mouvements qu'ils se donnent depuis quelques années pour le décrier, comme une espèce d'Inquisition qui gêne les Consciences, pour en éluder la Signature, ou du moins pour le signer d'une manière qui lui ôte toute sa force. Cela paroît encore par la témérité qu'on a eu d'implorer le secours d'un Prince Etranger, pour penser par-là gêner VV. EE. et les obliger à abolir cette Signature5. Cela paroît enfin par le trouble où on les a vûs, par leurs lamentations dans leurs Sermons, et par les remüemens qu'ils ont fait dès le moment qu'ils ont appris qu'il falloit signer sans reserve. Si le Consensus ne les gêne que dans les choses indifférentes, que ne le tolérent-ils? Que ne s'y accommodent-ils? plûtôt que de causer tant de troubles, eux qui l'ont signé, qui l'ont juré, et qui ne prêchent que la Tolérance?
Mais si l'abolition du Consensus leur paroît capitale à leurs desseins, il est sûr, SOUVERAINS SEIGNEURS, que la signature simple et sans réserve, est de la dernière importance pour conserver la pureté de la Religion, défendre la Reformation, et pour éloigner l'erreur et le trouble qui ne commence malheureusement que trop. Doit-on regarder comme des choses indifférentes, qu'enseigner qu'Adam, en péchant, n'a point perdu ses lumières et sa Liberté, que ses Descendans n'ont point de part à son péché? Que les Enfans, quand ils naissent, sont dans l'état où étoit Adam, où Dieu le créa parfaitement libre de choisir le bien ou le mal? Que s'ils sont corrompus dans la suite, cela vient de l'exemple et de l'imitation? Que l'Homme peut croire et obéir à Dieu, en faisant un bon usage de sa Raison, sans que l'Esprit de Dieu aît besoin d'agir pour le convertir? Est-ce une chose indifférente de parler froidement de la Divinité de Jésus-Christ Notre Seigneur, et d'affoiblir, tant qu'on peut, les Passages dont on se sert pour la prover? Est-ce encore une chose indifférente d'établir l'indifférence des Religions, c'est-à-dire, d'enseigner qu'on peut être sauvé dans toutes les Religions, pourvû qu'on use bien de sa Raison, parmi les Payens et les Sauvages même, sans connoître ni Dieu ni Christ, contre ce que dit le Seigneur, C'est ici la Vie Eternelle qu'ils te connoissent etc.? N'est-ce pas-là anéantir la nécessité d'un Médiateur, et d'une satisfaction pour le Péché? C'est renverser l'Ouvrage de la Redemption par Christ. Est-il indifférent de ne prêcher qu'une Morale, dont les motifs ne sont tirès que de la bienséance, de l'honnêteté, et de la Raison Humaine, comme celle de Platon et de Socrate? Au lieu que la Morale Chrétienne doit prendre ses motifs uniquement des grands benefices que Dieu nous donne en son Fils, comme l'ont dit S. Paul et S. Pierre. Est-ce une chose indifférente d'oser, sans le consentement de l'Etat Ecclésiastique, et sans l'autorité du Souverain, introduire une bigarrure de Culte, retrancher, d'autorité privée, des Prieres pleines d'onction, pour y en substituer, qui peuvent convenir à toutes les Sectes d'entre les Chrétiens? Est-il encore indifférent de mépriser le Catéchisme d'Heidelberg, et de le démentir et dire qu'il en vaut rien ce Livre qui est un excellent Abrégé de la pure Doctrine, et qui est si estimé de tous les autres Réformez? Que ne fait pas le Roi de Prusse pour le conserver dans les Eglises du Palatinat, où le Prince veut l'abolir? Enfin, est-il peu importante de conserver la pureté de la Réformation, l'uniformité du Culte, empêcher le Trouble et la Division dans l'Eglise, éviter de scandaliser les autres Reformez et les bonnes Ames, et donner occasion à nos Ennemis de nous décrier, comme des Gens qui ne savent ce qu'ils croyent, et de nous haïr davantage; éloigner les Luthériens de la Réünion, en admettant des sentiments qu'ils abhorrent, sur la Justification et sur les Sacremens? Est-ce enfin peu de chose de conserver la Paix et l'Union qui font le bonheur d'un Etat? Ce qui est arrivé autrefois en Hollande fait voir, qu'on a sujet de craindre toutes ces choses; et par-là il paroît qu'il est de la dernière importance de faire signer le Consensus, de jurer le Serment d'Association, et de conserver le Catéchisme de Heidelberg, et même de prendre de justes mesures, pour que les Eglises ne soient pas fournies de Ministres suspects.
Voilà, ILLUSTRES ET SOUVERAINS SEIGNEURS, ce que notre devoir, l'honneur de la Vérité, et notre attachement à la pure Doctrine, nous obligent de représenter très-humblement à VV. EE. Après l'Arrêt qui confirme le Consensus, qui nous comble de joye, il n'y a rien que nous n'osions espérer de votre zèle, de votre pieté, et de votre attachement à la Vérité. Nous oserons, sous votre puissante Protection, prêcher la pure Doctrine, sans être moquez, méprisez, et inquietez dans nos Emplois, que nous tâcherons de remplir avec zèle pour la gloire de Dieu, et pour le Salut de nos Troupeaux, à qui nous tâcherons toujours d'inspirer une solid pieté, l'obéissance et un fidélité inviolable envers VV. EE.
Veuille ce Grand Dieu, à qui nous servons, conserver Vos Illustres Personnes, dans une vie longue et heureuse, et faire fleurir Vos Etats. Puissiez-vous les transmettre à Vos Descendans, avec la Paix et la pure Religion, jusqu'à la Postérité la plus reculée, jusques à la fin des Siècles, afin que vos Sujets, heureux sous votre Domination, et sous votre haute Protection, puissent, eux et leur Postérité, passer leurs jours en paix, et travailler sans trouble à leur Salut, pour arriver au Souverain Bonheur. Ce sont là, ILLUSTRES ET SOUVERAINS SEIGNEURS, les voeux ardens et très-sincères que font Vos très-humbles Serviteurs, et très-soûmis et fideles Sujets.
Les Ministres Orthodoxes du Pays de Vaud.
Cependant, LL. EE. prenaient des mesures pour metter à exécution l'arrêté du 12 avril, et le Deux-Cent, à la majorité des voix, nommait députés le banneret Tillier et le conseiller Tillier, en leur conférant les pouvoirs énumérés dans cet arrêté. Arrivés le 10 mai à Lausanne, ces députés étaient complimentés par les seigneurs du Conseil de cette ville. La harangue prononcée dans cette circonstance, par le boursier Milot, qui, bientôt après, joua un rôle important dans l'affaire de Davel, a une importance historique; car cette harangue nous apprend que, dans Lausanne, il y avait déjà des personnes qui, affectant obéissance et fidélité, souhaitaient avec passion d'être indépendantes, que d'autres, ne désiraient que des révolutions et des changements :
Tous les peuples connaissent en général qu'ils doivent la fidélité et l'obéissance à leur prince et à leur souverain; mais cette connaissance ne fait pas un véritable et bon sujet, il faut y ajouter l'amour et l'affection qui doivent être la base et le principe qui les anime et les fasse agir. En effet, combien n'y a-t-il pas de personnes qui affectent une fidélité et une obéissance (parce qu'ils sont retenus par la crainte) qui souhaiteraient avec passion d'être indépendants ou de devenir leurs propres maîtres. Ces sortes de sujets méritaient d'être retranchés comme pernicieux à un état, et capables d'infecter la société. Il y en a d'autres qui se trouvant accablés par une dure domination, par des charges et des impôts, par une autorité despotique, ne désirent que des révolutions et des changements, espérant par là que leur condition pourrait devenir beaucoup plus avantageuse et supportable; les uns et les autres sont coupables, les premiers, au suprême degré, parce qu'il n'y a que leur malice et une dépravation de coeur qui les déterminent; les derniers le sont moins, à la vérité, parce qu'il y a quelque apparence de raison, qui les porte à oublier ce qu'ils doivent à Dieu et à leur Souverain : A Dieu, parce que c'est de sa part et par son autorité, que les princes régissent et gouvernent les peuples, parce que c'est lui qui les établit et qu'il veut qu'on leur obéisse : Aux Souverains, parce qu'il semble qu'ils doivent leur rendre raison de ses actions, au lieu qu'ils ne relèvent que de Dieu, de qui ils tiennent le sceptre, par conséquent, ne doivent rendre compte qu'à lui seule. — Illustres et Puissants Seigneurs, je n'ai pas besoin d'apporter des preuves tirées de l'Ecriture-Saint, pour justifier la vérité que je viens d'établir, parce que chacun en est convaincu, mais j'ai formé le dessein de prouver que par la grâce de Dieu, les sujets de Leurs Excellences nos Souverains Seigneurs, ne sont ni de l'un ni de l'autre, des caractères que j'ai préposés, qu'ils sont des sujets fidèles, que cette fidélité est fondée sur l'amour qu'ils portent à leur Souverain, qu'ils connaissent leurs devoirs et qu'ils s'en acquittent avec zèle, non par par crainte, mais par une véritable affection. Il n'y a rien qui attire plus l'amour des peuples et des sujets qu'un gouvernment juste, doux, paisible, et l'affection que les princes et les Souverains ont pour leurs sujets; sur ces principes certains, y a-t-il une peuple plus heureux dans le monde que nous? Leurs Excellences nos Souverains Seigneurs, ne sont-ils pas tout autant de bons pères qui chérissent leurs peuples comme leurs véritables enfants? Leur gouvernement n'a-t-il pas pour fondement la justice et la piété? L'oppression n'est-elle pas bannie de leurs états? On n'y entend parler ni d'Exacteurs, ni d'impôts, en sorte que chacun jouit et possède son bien en tranquillité et avec douceur. Les Illustres membres qui gouvernent ne sont-ils pas comme tout autant d'astres qui brillent par leurs éclatantes lumières, et qui étant tous réunis, composent un soleil, qui par ses heureuses et douces influences, fait du bien à tous ceux qu'il éclaire, et qui sont sous sa domination, qui se répand largement et abondamment en bénéficences, qui est toujours beau, et qui n'a aucun changement ni variation? Entreprendrai-je d'étaler les bontés et les vertus de notre Souverain? Je pourrais commencer, mais j ne finirais jamais, il me suffit donc de dire qu'il les possède toutes au suprême degré, et que pour cet effet, il est chéri de Dieu qui le bénit et qui le protège, en lui conservant la paix et en présidant d'une manière efficace dans tous ses conseils; après les vérités que je viens de dire, que pouvait faire de plus juste notre Magistrat, que de nous ordonner de venir auprès de vous, Illustre et Puissants Seigneurs, pour vous prier d'agréer et de recevoir les hommages que nous rendons à notre Souverain? Hommages qui partent de coeurs pénétrés d'amour et de reconnaissance, remplis d'une fidélité à toute épreuve et toujours prêts à verser jusqu'à la dernière goutte de sange pour soutenir la gloire, l'honneur et l'autorité de ce bon sage, et pieux Souverain. Pour vous, Illustres et Puissants Seigneurs, qui représentez si dignement Leurs Excellences, qui en êtes les modèles parfaits par vos lumières transcendantes, par votre sagesse, par votre justice et par votre douceur pour les peuples, en telle sorte qu'avec raison, vous êtes regardés comme les colonnes de l'Etat, permettez que nous vous assurions de nos profonds respects, de notre parfaite dévouement et de notre entière soumission. Il ne faut que le sujet qui vous conduit ici pour preuve authentique de ce que je viens de dire, car à qui d'autre confier un ouvrage aussi important? Quant à nous, convaincus que Leurs Excellences ne font rien qui n'ait pour but la gloire de Dieu, nous demeurons dans un très respectueux silence. Permettez, cependant, Illustres Seigneurs, que nous vous témoignons que nous serions très-sensibles, s'il arrivent quelque changement dans cette Eglise, nous rendons justice à la vérité, et nous parlons selon les mouvements sincères de nos coeurs, en disant que nos pasteurs et ceux qui composent le Corps Ecclésiastique, nous sont en édification, ils nous édifient par leurs prédications, par leur vie et leur conduite, ils aiment leur troupeau, et les brebis chérissent leurs bergers, mais nous sommes persuadés que toutes les craintes que l'on a, ne sont que des terreurs paniques qui doivent cesser, puisque c'est vous, Illustres et Puissants Seigneurs, qui êtes chargés de cette importante affaire, qui la conduisez avec tant de sagesse, tant de douceur, tant de bonté, que tout se terminera à la gloire de Dieu, au contentement de Leurs Excellences et à la satisfaction de l'Eglise. Veuille le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs, répandre ses plus précieuses bénédictions sur notre Souverain, sur ses Etats et sur ses peuples, en sorte que sa domination, toujours tranquille, ne finisse qu'avec les siècles, qu'il répande ses plus tendres bénédictions, sur tous les Illustres membres qui le composent, et sur vous, Illustres et Puissants Seigneurs, en particulier.
Après les seigneurs des Conseils de Lausanne, l'académie venait présenter ses hommages aux députés de LL. EE., et en l'absence du recteur de Crousaz, le professeur Roy prononçait le discours suivant, qui dut déplaire aux partisans du Consensus.
ILLUSTRES ET PUISSANTS SEIGNEURS,
Ce que nous lisons de la piété du roi Josaphat est très-beau et très-édifiant, entre les marques que l'auteur sacré en rapporte, il touche celle-ci comme étant très-considérable, c'est qu'il envoya aux villes de sa domination des princes de la cour avec des sacrificateurs et des lévites (dont sans doute ces villes manquaient), pour enseigner le peuple, pour pourvoir à son instruction, et pour mettre tout en bon ordre dans l'Eglise, et ils portèrent avec eux pour ce sujet, le livre de la loi.
Rien ne pouvait être plus digne d'un roi sage et pieux, rien n'était plus utile, au moins dans un temps tel qu'était celui-là, un temps de crasse ignorance, de superstition grossière, et même d'idolatrie.
Leurs Excellences nos Souverains Seigneurs, sous la douce domination de qui nous avons le bonheur de vivre, ne cèdent en rien en sagesse, ni en piété, à ce bon roi, leurs sujets en voient tous les jours des preuves. En voici une, à certain égards généraux, semblables à celle qu'en donne ce roi de Judée. Les princes de la cour, c'est-à-dire, les Seigneurs du premier rang, les sacrificateurs et les lévites que nous avons l'honneur de voir maintenant, sont envoyés, non par pour nous apporter le livre de la loi, nous l'avons, grâce à Dieu, entre les mains, dans l'esprit et dans le coeur, mais comme nous croyons, pour voir si les choses qui concernent la religion et l'instruction publique, sont dans un état convenable, en un mot, pour le bien de l'académie et de l'Eglise.
Très Illustres et Puissants Seigneurs, nous nous flattons que cette académie ne se trouvera pas dans un état aussi mauvais que peuvent l'avoir publié ceux qui ne nous connaissent pas, ou qui n'ont pas à notre égard, des dispositions bien favorables, et qu'ainsi il était à souhaiter que les Seigneurs comme vous, pieux, sages, équitables et doux, vissent les choses de près, et les connussent par eux-mêmes.
Nous n'avons garde de nous croire sans défauts, nous sommes bien éloignés de cette pensée, nous bronchons tous, en plusieurs manières, comme dit St Jaques, aussi nous sommes parfaitement disposés à reconnaitre nos manquements, dès qu'on les nous fera apercevoir, et nous nous empressons à les corriger, nous y serons toujours portés par notre désir à nous acquitter de notre devoir et à faire du fruict : c'est à quoi nos consciences nous rendent témoignage que nous nous appliquons; et comme ce fruict est le but que se proposent Leurs Excellences nos Souverains Seigneurs, que c'est celui de vos Illustres Grandeurs, nous ne pouvons douter que tout ne réussisse à l'avantage et à l'honneur de l'académie, ce qui nous remplira de joie.
Nous en avons une bien sensible, très Illustres Seigneurs, d'avoir l'honneur de nous présenter tous devant vos Grandeurs, de leur recommander avec soumission nos intérêts et notre honneur, comme à nos Illustres, nos Bénins, nos Puissants Protecteurs, de prendre la liberté de leur dire que nous nous confions toujours à leur bonté, de leur rendre nos devoirs les plus soumis, de les assurer de notre humble et parfaite vénération et du plus profond respect dont nous soyons capables; et Vous, Messieurs nos très-honorés frères, de vous assurer de nôtre particulière estime et de nôtre considération.
Dès le lendemain de son arrivée, le banneret Tillier, chef de la députation, mandait au château le doyen Bergier, pour conférer avec lui sur la mission dont il était chargé, et, particulièrement, sur les moyens d'obtenir la signature pure et simple du Consensus, exigée par LL. EE. Le doyen Bergier lui déclarait qu'étant lui-même opposé au formulaire, il ne pouvait, sans trahir sa conscience, le signer, ni comme formulaire de foi, ni comme règle de doctrine, et entrait dans l'examen de quelques-unes des doctrines du formulaire pour convaincre Mr Tillier. Celui-ci paraissait approuver les objections du doyen, mais il cherchait à lui faire comprendre qu'il était nécessaire, pour l'édification publique, qu'il n'y eût pas de bigarrures dans les prédications et l'enseignement, que c'était dans ce but qu'un formulaire avait été adopté. Deux jours se passaient en conférences entre les députés et chacun des membres de l'académie et particulier. Aux objections des professeurs et des ministres, les députés répondaient par l'assurance que «LL. EE. ne regardaient pas le formulaire comme une règle de foi, mais comme un formulaire de doctrine, contre lequel on ne devait enseigner, ni en public, ne en particulier.» «Après beaucoup d'autres explications, ils représentaient que la soumission de l'académie aux ordres de LL. EE. était le seul moyen de rétablir la paix et la tranquillité dans l'Eglise, et que, si l'académie et les ministres s'affermissaient dans le dessein de refuser la signature, après les éclaircissements donnés, les gens raisonnables, aussi bien que le souverain, ne manqueraient pas d'imputer aux refusants tous les désordres qui en seraient infailliblement les suites.» Quant au serment d'association, les députés s'efforcèrent d'atténuer la valeur de ses expressions.
Après plusieurs jours de conférences, les députés voyant le bon effet des éclaircissements qu'ils avaient donnés, fixaient le jour où la notification officielle de l'arrêté souverain serait communiqués à l'académie. La réponse de l'académie à cette notification était importante; aussi, le conseiller Tillier convenait avec Mr le recteur de Crousaz, que celui-ci répondrait au nom de l'académie, que ce corps, convaincu par les discours des seigneurs députés, que l'intention de LL. EE. n'étant nullement de gêner les consciences, ni d'obliger à croire le contenu de la formule ou à enseigner ce que l'on ne croirait pas, était prêt d'obéir à ces ordres, par devoir, autant que par inclination pour la paix. Cependant le banneret Tillier, n'approuvant point cette rédaction, il était entendu, après de nouveaux pourparlers, que l'académie ferait une réponse moins positive dans ses réserves.
Enfin, le jour de la séance officielle arrive. Le recteur, les pasteurs, les professeurs et les régents du collège, formant le corps académique, se rendent au château. Les seigneurs députés notifient qu'ils sont chargés par LL. EE. de faire signer le Consensus et de faire prêter le serment d'association de la manière dont cela se pratique dans le capitale, «que l'académie et les régents du collège devaient être instruits des intentions de LL. EE. et qu'il ne s'agissait plus que d'obéir.» — Le recteur de Crousaz répond : «Nos sentiments et le fond de nos coeurs sont distinctement connus de Vos Grandeurs. Nous avons aussi une pleine connaissance des intentions de notre pieux souverain. Voilà pourquoi, dans cette occasion, comme dans toutes les autres, nous lui obéissons et par inclination et par devoir.» Après cette réponse, convenue entre l'académie et les députés, Mr de Crousaz, faisant allusion aux explications que le professeur Ruchat avait données de la part des députés aux régents des collèges qui refusaient de signer, ajoute les paroles suivantes au milieu des marqus d'impatience des députés : «Nous rendons nos actions de grâces à Vos Grandeurs de ce qu'elles viennent de nous réitérer par la bouche de Mr Ruchat, principal du collège, et de l'assurance qu'elles nous donnent que notre honneur leur était cher, et qu'elles auraient soin d'édification publique, qui nous est encore plus chère que notre honneur.»
On procède ensuite aux signatures. Chacun signe sans mot dire. Mais lorsque vient le tour de Mr Polier, professeur d'hébreu et de catéchèse, ce professeur veut faire ses réserves avant d'apposer sa signature. Alors, interrompu par le banneret Tillier, il dépose une protestation sur la table et retourne à sa place. Les signatures terminées, le banneret exhorte Mr Polier à ne pas causer de scandale en se séparant de ses collègues. Enfin Mr Polier se lève, renouvelle ses réserves, au milieu des interruptions des députés, et signe, mais en maintenant ses réserves.
On passait à la lecture du serment d'association, lorsque Mr Polier, prenant la parole, déclare «que son premier serment étant d'obéir Dieu et à Jésus-Christ, le second à son souverain, s'il en fallait un troisième, il ne le prêterait qu'autant qu'il ne serait point contraire à la gloire de Dieu, à la charité chrétienne, au bien de l'Eglise et à celui de l'Etat.» Les députés approuvent ces réserves par leur silence, et chacun solennise le serment.
Cependant, députés et professeurs, pasteurs et régents, tous sentaient que le public, vivement préoccupé de ce qui se passait au château, critiquerait impitoyablement le résultat de cette séance. Aussi, le banneret Tillier engageait les assistants à donner leur avis sur les moyens «d'empêcher le scandale.» Le doyen Bergier observait que quant à lui, «après avoir reçu en particulier les éclaircissements des seigneurs députés, il avait signé en conscience, quoi qu'il fût dans des sentiments contraires au Consensus; mais qu'il était nécessaire de faire connaître ces éclaircissements au public qui, n'ignorant pas l'opinion de l'académie sur le Consensus, ne marquerait pas d'être scandalisé de la signature pure et simple, si on ne l'informait pas du sens dans lequel on avait signé.» Le pasteur de Saussure allait plus loin encore : «Je veux, pour édifier le public, disait-il, je veux déclarer publiquement, comme nous l'avons fait aux seigneurs députés, que la signature du Consensus n'engage ni à croire, ni à enseigner les articles de ce formulaire.»
En effet, ces signatures et le serment produisaient un grand scandale dans le public, chacun blâmait l'académie de sa faiblesse. Le blâme devenait si général dans tous les rangs de la société, que Mr de Saussure, ainsi qu'il l'avait annoncé, déclarait dans un sermon, prononcé le dimanche suivant devant les députés, «que si l'académie s'était rendue à ce que le souverain avait demandé, c'était parce qu'elle avait compris que son intention n'était point de gêner les consciences, ni de blesser les principles de la bienheureuse réformation, en proposant d'autres règles de foi que l'Ecriture-Sainte, mais seulement de conserver la paix de l'Eglise, et de prévenir, s'il était possible, les semences de division et de schisme.»
Cependant, les ministres impositionnaires, qui, eux aussi, devaient signer le Consensus et prêter le serment, déclaraient que «vu le scandale actuel et le peu de foi que le public ajoutait à ce que l'académie publiait sur les explications que les députés avaient données, ils ne pouvaient se soumettre à ce qu'on exigeait d'eux, qu'autant qu'ils eussent un écrit authentique qui fit connaître le sens dans lequel on devait prendre la signature.» Par ce refus, ces jeunes ministres accusaient l'académie d'avoir sacrifié ses convictions. Aussi, les professeurs firent-ils tous leurs efforts pour les engager à céder. Mais ce fut en vain. «Le public, répondait un impositionnaire à Mr Polier, ne veut pas ajouter foi au témoignage que se rendent les uns aux autres les members de l'académie, et cela, dans la ville de Lausanne, où ces choses se sont passées et où ces membres ont leurs parents et leurs amis.» Pour rassurer son jeune collègue, Mr Polier écrivait aussitôt la déclaration suivante :
Je soussigné déclare, en parole de vérité et comme étant en la présence de Dieu, que je n'ai mis mon nom dans le Livre dit Formula Consensûs, que pour conserver la Paix dans l'Eglise, et l'Union avec mes Frères et Collègues, et que j'ai crû pouvoir le faire en conscience, après les Eclaircissements, qui m'ont été donnez en particulier, ou en présence de Mr le Recteur de Crousaz, par les Seigneurs Députés de LL. EE. sur tous les scrupules que je pouvais avoir concernant cette Signature, tant pour moi que pour les autres; par lesquels Eclaircissements j'ai compris clairement que l'intention de LL. EE. n'est point de gêner les Consciences, ni de faire recevoir cette Formule, comme une Règle de Foi, ni comme un Formulaire de Doctrine, qu'il faille enseigner absolument, en tout ou en partie; mais seulement comme un Formulaire d'Union, qui engage ceux qui le signent à adhérer à la Communion Extérieure de l'Eglise, dans laquelle les Articles de cette Formule sont reçûs par le plus grand nombre, et à ne point en troubler l'Ordre et l'Union, en publiant ou répandant des Doctrines directement contraires aux Décisions de cette Formule; pour autant de tems seulement qu'elle restera autorisée par la dite Eglise, ou par le SOUVERAIN. Je déclare encore, de même que ci-dessus, comme je l'ai fait, et de bouche et par écrit, en présence des Seigneurs Députés de LL. EE., que je n'ai prêté le Serment d'Association, qu'autant qu'il ne m'engage à rien de contraire à la Gloire de Dieu, à la Charité Chrétienne, à l'honneur du Souverain, au bien de l'Etat et à l'édification de l'Eglise, et que lesdits Seigneurs ont approuvé ces exceptions, en disant qu'elles se supposoient d'elles-mêmes. C'est ce que j'ai crû devoir faire et déclarer pour l'aquit de ma Conscience, pour l'Edification Publique, et pour la satisfaction de ceux qui y prennent intérêt. En foi de quoi, je me suis signé, à Lausanne ce 19 mai 1722.
G. POLIER,
Professeur d'Hébreu et de Catéchèse.
Les membres de l'académie donnaient leur adhésion à cet écrit. Cependant, un seul excepté, les vingt-trois impositionnaires domiciliés alors à Lausanne, déclaraient qu'ils ne signeraient et ne prêteraient serment qu'autant que les députés donneraient eux-mêmes des explications satisfaisantes sur le sens de certains passages du Consensus et du serment. Voyant cette résistance, les députés mandaient les impositionnaires au château, où le bailli leur faisait l'allocution suivante :
«Je suis chargé de la part de Messeigneurs les députés, de vous exhorter à obéir à l'arrêt de LL. EE. Ils ont été informés qu'il y a parmi vous quelques personnes qui font difficulté de signer le Consensus et de prêter le serment d'association. Vous avez entendu ce que Messieurs de l'académie vous dirent hier, pour vous expliquer l'intention de LL. EE. J'espère que les réflexions que vous aurez faites là-dessus, auront levé tous vos scruples, et que vous ne vous écartez par des traces de vos maîtres. Les raisons qui leur auront paru assez solides pour les engager à se conformer à l'arrêt du souverain, ces mêmes raisons ne doivent pas avoir moins de force pour vous y déterminer. Vous savez que Dieu veut qu'on obéisse au souverain; en qualité de ministres vous exhorter les autres à le faire. Il faut donc aussi que vous soyez les premiers à donner l'exemple de votre soumission aux ordres de LL. EE. Consultez-vous donc, Messieurs, et consultez, aussi, ceux qui ont plus d'âge, plus de lumières et plus de prudence que vous.»
«Magnifique et Très-Honoré Seigneur,» répond un jeune impositionnaire, Mr de Crousaz, fils du recteur, «je suis plein de respect pour LL. EE. et personne n'est mieux disposé que moi à leur témoigner ma parfaite obéissance. Mais dans ce cas important, je suis obligé de déclarer que ma conscience ne me permet pas de faire ce qu'on exige de moi, à moins que je n'aye un acte authentique qui fasse foi des explications qu'on nous a données en vive voix. Je suis prêt à sacrifier tout ce que j'ai de plus cher au monde, plutôt que d'agir contre mes lumières.»
Un autre de ces jeunes ministres, prenant ensuite la parole, déclare en sanglottant, qu'il est disposé à obéir à LL. EE. mais qu'il supplie qu'on donne de explications publiques. «Si nous n'en recevons, comme les seigneurs députés nous l'ont fait espérer, nous serons journellement exposés aux accusations des faux frères qu'il y a dans les Classes, et notre condition sera misérable.»
«Au nom des seigneurs députés, je vous annonce que l'arrêt de LL. EE. ordonne que vous signez le Consensus, suivant la pratique de Berne. Le Souverain n'entend pas que l'on regarde ce livre comme un formulaire qu'il faille enseigner, mais comme un corps de doctrine, qu'on doit, pour maintenir la paix, éviter de combattre, ni en public, ni en particulier. Messieurs! vous entrerez dans la salle où sont nos seigneurs les députés, mais je vous avertis que personne ne dise un seul mot. Car si quelqu'un ouvre la bouche, on le fera incontinent sortir.... Ainsi, vous signerez, et cela cans aucune réserve.»
Bientôt après, le secrétaire de la députation vient ordonner à ceux qui veulent obéir, d'entrer dans la grande salle. Aucun d'eux n'entre, et ce n'est qu'à la troisième sommation que dix-sept sur vingt-cinq se résignent : MM. Vauthey, Fevot, Givel, Panchaud, Favre, Lombard, Bosset, Benjamin Dapples, Combe, Clavel, de Montrond, Roy, de Vevay, Jaquier, Herman, Mottaz et Clerc. Ils reçoivent l'ordre de signer, ce qu'ils font sans dire un seul mot. Cependant, l'un d'eux, Mr de Montrond, dit en prenant la plume, «Je signe suivant les éclaircissements donnés par Mr le professeur Polier.» — «Sortez d'ici, retirez-vous! » s'écrie le banneret Tillier. Mais Mr de Montrond signe, il demeure dans la salle, et, ainsi que ses collègues, prête le serment d'association.
Cette cérémonie terminée, Mr de Willading somme MM. de Crousaz, Crinsoz de Bionnens, Bretton, Sylvestre, Curchod, Barnaud, Thomasset et Carrard, d'obéir aux ordres de LL. EE. Maus tous déclarent qu'ils ne signeront qu'autant que la déclaration de Mr Polier serait admise par les députés et enregistrée dans les actes de l'académie. La déclaration de ce professeur étant désavouée par les députés, les impositionnaires persistent dans leur résolution, et reçoivent les arrêts dans la ville. Alors Mr Polier, ainsi que plusieurs de ses collègues, déclare qu'il retire sa signature.
Le lendemain, 21 mai, les huit impositionnaires sont appelés devant les députés et les professeurs Ruchat et de Loys de Bochat. Le banneret Tillier leur représente que ce sont de vains scruples qui les engagent à désobéir aux ordres de LL. EE. et ajoute : «Cette délicatesse de conscience est, je crains, un prétexte pour colorer votre opinionâtreté. Je crains que vous ne vous soyez laissés emporter à des discours populaires et séditieux que j'apprends que l'on tient de tous côtés dans cette ville.... Mais LL. EE. sauront châtier l'insolence de ceux qui ont la témérité de juger des choses qu'ils n'entendent pas. LL. EE. ont assez de moyens pour mettre à couvert l'honneur de l'académie et des pasteurs, qui n'ont fait qu'obéir aux ordres du Souverain.... En refusant de signer, vous serez cause d'un double mal : vous confirmez le peuple dans la fausse pensée où il est, que ceux qui ont signé ont mal fait.... LL. EE. sont les anciens de l'Eglise. Ils sont établis de Dieu pour maintenir dans l'Eglise l'uniformité de la doctrine, et pour réprimer ceux qui voudraient y causer des troubles et des divisions! Vous touchez au moment de la grâce, ou de la sévérité de votre souverain. Pensez à ce que vous allez faire avant que votre arrêt ne soit prononcé. Nous aurions pu le prononcer; mais comme LL. EE. aiment les voies de douceur, nous avons voulu aussi différer à vous annoncer votre sort, afin que vous n'accusiez que vous seuls de votre propre malheur.»
Comme les jeunes ministres restaient silencieux, le conseiller Tillier leur dit : «Il n'est que trop manifeste que votre refus de vous soumettre aux ordres de LL. EE. vient des discours factieux et rebelles de personnes de tout âge, de tout sexe et de toute condition, qui ont l'impudence de trouver à redire à la conduite sage et prudente de leur Souverain!... LL. EE. feront bientôt cesser ces langues envenimées.... Messieurs! considérez qu'en obéissant à LL. EE. vous vous rendrez dignes de la bienveillance et de la protection de votre Souverain. Vous jouirez des bénéfices pour lesquels vous avez travaillé si longtemps. Vous ferez la joie et le bonheur de vos familles. Au lieu qu'en persistant dans votre désobéissance, vous allez être privés du fruit de vos veilles et de toutes vos espérances. Vous créerez votre propre infortune, et vous serez les auteurs de la misère de ceux qui vous appartiennent. Evitez de si grands maux pendant qu'il en est encore temps.»
Le bailli Willading, engagé par le banneret Tillier à exhorter ces jeunes ministres, répond : «J'ai tout épuisé, je vois avec douleur que ces jeunes gens soient aussi fixes dans leur résolution; mais je ne puis m'empêcher de dire que j'ai été touché par leurs réponses, et je prie Dieu de vouloir les bénir.» — Alors, le banneret interpelle les renitents, comme il les désignait, leur ordonnant de répondre simplement par oui ou non. «Que ceux qui ne veulent pas signer et jurer sortent, et attendent leur arrêt.» Mr de Crousaz proteste de son zèle pour LL. EE. «mais déclare que quant à la signature et au serment, il ne pouvait y consentir en saine conscience.» Mr de Crousaz sort, et six de ses collègues le suivent. Les autres se décident enfin, et se soumettent. Quant aux premiers, MM. de Crousaz, Crinsoz de Bionnens, Carrard, Sylvestre, Barnaud, Thomasset et Curchod, ils sont destitués et leurs noms sont rayés des livres académique.
Cependant, tout le public prenait fait et cause pour les ministres destitués. Les professeurs protestaient qu'ils avaient signé en faisant des réserves; les députés affirmaient le contraire. Enfin, ces derniers, voyant la résistance du clergé, renoncent à faire signer le Consensus, et partit le 23 mai pour Berne, laissant aux baillis l'ordre de convoquer les Classes pour leur intimer l'ordre de signer et de prêter le serment. Les députés arrivés à Berne rendaient compte de leur mission. On approuvait ce qui s'était passé. Mais le Conseil blâmait la déclaration de Mr Polier, cause de la résistance des impositionnaires, et décidait que ce professeur serait obligé de se rétracter, sous peine d'être déstitué. Mais le Deux-Cent, s'étant nanti de cette affaire, révoquait, à la majorité de soixante-deux voix contre trente, la décision concernant Mr Polier.
Pendant que ces choses se passaient à Lausanne, les rois de Prusse et d'Angleterre s'adressaient aux Cantons protestants pour les engager à renoncer à exiger du clergé la signature du Consensus. Le Corps évangélique allemand, rassemblé à Ratisbonne, et composé des députés de quatorze princes souverains des villes impériales, et de plusieurs autres souverainetés protestantes, écrivait, le 22 mai, aux Cantons protestants, pour les engager à rendre le calme aux Eglises réformées, en usant de modération envers les ecclésiastiques qui éprouvaient des scruples à l'égard de la formule du Consensus. Tous les Cantons, Berne excepté, renoncèrent à ce formulaire.
Le gouvernement bernois n'ajoutait pas, dans le fond, une grande importance aux articles de foi renfermés dans le Consensus; mais, blessé de la résistance du clergé vaudois, et outré de la manifestation de l'opinion publique dans le Pays de Vaud en faveur d'un clergé rebelle6, il voulait prouver à ses sujets des pays romand et allemand que tous devaient obéir à ses ordres souverains, et décidait que tous les ministres du Pays de Vaud auraient à se soumettre, ainsi que l'avait fait l'académie de Lausanne. En conséquence, le Conseil de Berne adressait la circulaire suivante à chaque Classe du Pays de Vaud, avec ordre aux baillis d'exécuter les ordres contenus dans cette circulaire.
Aux vénérables et Savans, Nos Chers et féaux, les Doyens, Jurés et Ministres de la Classe de N.N.
L'ADVOYER et CONSEIL de la ville de Berne, Notre Salutation prémise, Vénérables et Savans, Chers et Féaux.
Nos prédecesseurs dans le Gouvernement, d'heureuse mémoire, ayant trouvé, il y a environ 50 ans, bon et nécessaire, pour la conservation de l'Uniformité et de la Paix dans nos Eglises, de faire signer, à nos Ecclésiastiques des Villes et de la Campagne, le Formulaire du CONSENSUS; les choses étoient demeurées sur ce pié-là, jusqu'à quelque temps en çà, que l'on a négligé cette pratique en quelques endroits, et commencé, à cette occasion, à disputer et à écrire sur le sens et la validité de ce Formulaire. Et comme il étoit à craindre qu'il n'arrivât dedans lesquelles nous sommes, en qualité de Souverains, par rapport aux affaires de l'Eglise, à prendre les mesures nécessaires : nous avons ordonné que le Serment d'Association seroit prêté, et ledit Formulaire du Consensus seroit signé derechef par les Membres et les Impositionnaires de notre Académie de Lausanne, COMME UN FORMULAIRE DE DOCTRINE, CONTRE LEQUEL ON NE DEVRA POINT PRECHER, NI ENSEIGNER, SOIT EN PUBLIC, SOIT EN PARTICULIER. Et comme ils l'ont exécuté avec l'obéissance duë, et à notre satisfaction (à l'exception de quelques Impositionnaires, que nous avons privés de leur caractère, à cause de leur résistance mal fondée), nous avons jugé nécessaire de faire connoître aussi notre volonté à toutes les Classes de notre Pays Roman, et à vous, par les présentes; savoir, que personne d'entre vous n'ait à prêcher, ou à enseigner, soit en public, soit en particulier, contre le Formulaire du CONSENSUS, reçû comme Formulaire de Doctrine; et que ceux-là même, qui, lorsque l'occasion s'en présentera, voudroient enseigner publiquement, soit dans les Prédications, soit dans l'Académie, les Doctrines qui y sont contenuës, devront les proposer à leurs Auditeurs, avec toute la prudence, la précaution, et la Charité Chrétienne, afin que cela procure l'édification, et non pas des Disputes et des Querelles. Car notre volonté est, que, sous peine de l'indignation souveraine, on s'abstienne de toutes Disputes et de tous Ecrits sur ce sujet : Ce qui n'est propre qu'à causer des scandales, qui donnent de la joye aux Ennemis de la Foi. Notre intention est donc, que ceux d'entre vous, qui pourraient n'avoir signé ledit Formulaire, le signent aussi de la manière exprimée ci-dessus, et que chaque Membre de la Classe prête le Serment d'Association, comme il a été prêté en l'anné 1699. C'est pourquoi nous avons ordonné, que toutes les Classes s'assembleront à l'extraordinaire le mercredi 1 de Juillet prochain, et exécuteront ce que dessus, sous la présidence de nos Baillifs de notre Pays Roman; suivant quoi vous saurez vous conduire, et nous donner avis de la manière dont notre volonté aura été exécuté. Dieu soit avec vous.
Donné ce 16 Juin 1722.
Les cinq Classes s'assemblaient donc le 1er juillet. Cependant, comme les baillis n'avaient point reçu d'ordres particuliers sur le mode de procéder quant à la signature et au serment, chaque Classe procédait d'une manière différente.
Classe de Lausanne. Le bailli n'exigeait pas de nouvelle signature des ministres que avaient autrefois signé le Consensus, même avec des restrictions, et avant la prestation du serment, il laissait inscrire sur le livre de Classe la déclaration suivante qu'il faisait à la Classe :
«LL. EE. ennemies des persécutions, ordonnent de s'opposer chacun suivant son caractère, avec un zèle chrétien, à tous ceux qui voudront troubler la paix, la tranquillité et l'Union de nos Eglises, et à toutes les sectes contraires à la Confession Helvétique, et à celles qui se trouvent énoncées dans le serment d'association.» Plusieurs ministres demandaient que cette déclaration du bailli fût donné au nom de LL. EE., mais Mr Willading s'y opposait; néanmoins le serment était solennisé. Cependant un des pasteurs de Lausanne, Mr Rosset de Rochefort, se repentant de s'être ainsi engagé, écrivait le même jour au bailli «que ne pouvant demeurer sous la force d'un serment opposé aux sentiments de sa conscience, quoique expliqué par sa seigneurie, mais sans autorisation de LL. EE., il lui remettait son emploi, et le priait d'envoyer à LL. EE. sa démission avec les raisons qui l'y obligeaient.»
Classe de Morges. Deux pasteurs ajoutaient des réserves à leurs signatures. Le 1er signait ainsi : «Hollard, pasteur, à Aubonne, signe la Formule du Consensus, comme une Formule d'Union et de Paix, et comme une Formule de Doctrine, contre laquelle il n'enseignera rien de propos délibéré.» Le second, Mr Dufresne, pasteur de Bursinel, modifiait cette réserve en mettant, il ne prêchera point. Quant au serment, comme le bailli ne voulait ni donner, ni recevoir aucune explication, neuf membres de la Classe refusaient le serment et adressaient la requête suivante à LL. EE.
ILLUSTRES ET SOUVERAINS SEIGNEURS,
Nous n'aurions pas une juste idée des rares qualités de VV. EE. si nous n'étions persuadés de son amour pour l'union et la paix de l'Eglise, et de la bonté avec laquelle elle donnent un libre accès après de leurs Augustes personnes à tous ceux que de bonnes et légitimes raisons engagent à s'en approcher. Dans cette pensée, nous osons nous adresser directement à VV. EE. pour les informer de ce qui s'est passé dans notre assemblée de Classe du 1er juillet, sans craindre que vous condamnier notre liberté.
Après la lecture de l'arrêt que LL. EE. ont eu la bonté de rendre en explication de la manière dont on doit signer le Consensus, tous les ministres de l'assemblée se disposèrent d'acquiescer à leurs ordres, puisque la conscience ne s'y opposait pas. Il n'en fut pas de même lorsqu'il s'agit de prêter le Serment d'Association; il se fit plusieurs remarques, que la seule délicatesse de conscience dictait à ceux qui les firent. Ces raisonnements tendaient à fair voir que leur consciences trouvait de l'incompatibilité entre le Serment d'Association et la signature du Consensus, tel que LL. EE. l'ont modifié dans leur arrêt. Et qu'ils ne croyaient pas que LL. EE. qui, par cet arrêt, laissaient la liberté de foi et de croyance sur les matières contenues dans le Consensus, voulussent la leur ôter dans le serment, qu'ainsi ils étaient prêts de prêter le dit serment, relativement aux explications que l'arrêt donne pour le Consensus.
Mais les seigneurs baillis ne trouvèrent pas à propos de le recevoir de cette manière : ils le demandèrent purement et simplement.
Environ les deux tiers des membres de la Classe prièrent humblement les seigneurs baillis de vouloir expliquer leurs intentions à l'égard de cette apparente contradiction, comme aussi sur la manière de s'opposer aux erreurs. Cependant, les seigneurs baillis continuent à demander un serment pur et simple, il y en eut neuf qui refusèrent de le prêter de cette manière.
Voilà ce que VV. EE. pourront voir pas les lettres de la Classe et par les très-humbles représentations des neuf ministres.
Depuis, nous avons appris que le seigneur bailli de Lausanne avait approuvé cette explication que nous demandons, mais l'avait donnée sans en être requis, qu'il l'avait donné écrite de sa main, et qu'elle avait été inscrite dans le registre de la Classe. Le voici mot à mot :
«Il n'y a personne dans cette vénérable assemblée qui doive croire que LL. EE. ont un esprit de persécution : mais elles ordonnent de s'opposer, chacun suivant son caractère, avec un zèle véritablement chrétien et charitable, à tous ceux qui voudront la paix, la tranquillité et l'union de nos Eglises, et à toutes autres sectes contraires à la Confédération Helvétique, et à celles qui sont désignés dans le Serment d'Association.» [sic: it seems to us the passage should read "qui ne voudront la paix", etc.]
Nous osons nous flatter que VV. EE. entendant que tous les pasteurs de leur Pays de Vaud jurent de la même manière, et dans le même sens que la Vénérable Classe de Lausanne a juré. Alors nous somme prêts à le jurer, et nous jurons actuellement sur les éclaircissements qu'a donné le seigneur bailli de Lausanne.
Pardonnez donc la hardiesse que nous avons de nous adresser à VV. EE. pour protester de notre soumission.
Hollard, pasteur d'Aubonne; Roumier, de Nyon; Grandchamp, de Burtigny; Du Fresne, de Bursinel; Grivel, de Bière; Colladon, d'Etoy; Pampigny, d'Aubonne; Rafinesque, de Lussy; Malherbes, de Vullierens.
Classe de Moudon et Payerne. Les baillis accordaient toutes les réserves à la signature et le serment.
Classe d'Yverdon et Romainmôtier. Tous signaient et prêter le serment, excepté MM. Bourgeois, Gillard et Panchaud, qui refusaient le serment, vu le refus d'explications suffisantes. Ces ministres adressaient la requête suivante à LL. EE. :
Les soussignés prient LL. EE. de croire que s'ils n'ont pu se résoudre à faire le Serment d'Association, après avoir signé le Consensus, ce n'est point par un principe de désobéissance, mais par des scruples de conscience, fondés sur l'ignorance du vrai sens du serment, et de la vraie signification de ses termes, qui paraissent vagues, et qui, pris dans un sens, renferment quelque chose de contraire à la signature ordonnée, laquelle nous avons faite, parce que si, par là, on entendait que l'on fût obligé de dénoncer ceux à qui il arriverait de témoigner dans des conversations particulières des sentiments contraires aux idées du Consensus, ils déclarent qu'ils ne pourraient le faire. Mais si par là, on entend et on exige que nous nous opposions à tous schismatiques mentionnés dans la formule du serment, qui, en dogmatisant, voudraient troubler l'union de l'Eglise et la paix fraternelle, les soussignés le feront, sans répugnance ni réserve.
C'est l'humble représentation que prennent la liberté de vous faire avec respect, etc. BOURGEOIS, pasteur de Rances, GILLARD, pasteur d'Yverdon, PANCHAUD, second pasteur de La Sarra.
Romainmôtier, 1er juillet 1722.
Classe d'Orbe et de Grandson. La Classe de ces deux bailliages, sujets de Berne et de Fribourg, n'étant pas présidée par les baillis, les ministres faisaient eux mêmes toutes les réserves qu'ils jugèrent à propos, soit à la signature, soit au serment.
La mission du sénateur Tillier, dans le Pays de Vaud, n'avait donc point réussi, et les résultats obtenus par les baillis, à l'égard des Classes, étaient loin de répondre aux exigences de LL. EE. La plupart des membres de l'académie et des Classes avaient fait des réserves, soit pour la signature, soit pour le serment. L'autorité de LL. EE. était donc compromise. Aussi, la question ne fut plus regardée comme religieuse, mais comme politique, et tous les partis religieux dans les Conseils de Berne, se réunirent pour étouffer dans le Pays de Vaud cet esprit d'indépendance et de désobéissance dont le clergé donnait l'exemple. Le Sénat résolut donc de donner de nouvelles explications, quant au serment d'association, et d'exiger alors que ce serment serait prêté de nouveau, par tous les ecclésiastiques du Pays de Vaud, sous peine de destitution. Les baillis, en novembre 1722, recevaient la missive suivante :
Très Cher et Féal Bailli. Lorsqu'en l'année 1699, nous fûmes obligés, par rapport aux conjonctures, de faire dresser le Serment d'Association, nous nous étions clairement expliqués que notre volonté était que chacun, selon la nature et l'exigence de son emploi ou profession, et selon le devoir de sa charge, eût à s'y conformer. Et, comme l'été passé, nous trouvâmes à propos de faire prêter de nouveau le dit serment à tous les ministres, professeurs, diacres et régents de notre Pays de Vaud, nous entendions ainsi que chacun, comme du passé, devait s'y conformer suivant le devoir de sa charge et suivant l'exigence de sa profession et de son emploi. C'est ce que vous direz de notre part à tous les ministres de votre bailliage, et en cas qu'il y en eût qui voulussent encore refuser de prêter le dit serment, nous vous ordonnons de l'interdire et de nous en donner avis dans l'espace de quinze jours.
Donné ce 30 novembre 1722.
Cette mesure inattendue produisait un grand mécontentement, non-seulement dans le clergé, mais dans toutes les classes de la société. Les baillies eux-mêmes étaient divisés d'opinions quant à l'opportunité de cette mesure, aussi, ils l'exécutèrent chacun selon leur manière de voir.
Le gouverneur d'Aigle convoquait le Colloque des Quatre-Mandements, composé de dix ministres, et leur signifiait l'ordre de prêter un nouveau serment. Mais ils refusaient, alléguant qu'ils avaient déjà prêté ce serment, le 1er juin, dans l'assemblée de la Classe, à Lausanne.
Les ministres des bailliages de Nyon, de Morges et d'Aubonne, qui avaient prêté serment le 1er juillet, étaient dispensés. Quant à ceux qui précédemment l'avaient refusé, ils prêtaient le serment après avoir obtenu des baillis de nouvelles explications sur le sens de quelques phrases trop explicites. Toutefois, les ministres du Colloque d'Aubonne inscrivaient dans le registre du Colloque, les réserves suivantes : «Ce serment ne nous exgagera point à persécuter ni à dénoncer les personnes infectées d'hérésies dont il est fait mention dans ce serment; et nous ne nous conformerons à la Confession Helvétique, autant qu'elle est elle-même conforme à l'Ecriture-Sainte.»
Les baillis d'Yverdon et de Romainmôtier n'appelaient que les pasteurs Bourgeois, Gilliard et Panchaud; mais ceux-ci déclaraient que les explications n'étaient pas assez explicites. Mr Bourgeois refusait. Mais MM. Gilliard et Panchaud prêtaient enfin le serment. Cependant, Mr Panchaud ayant réfléchi sur cet acte, se rétractait, en écrivant la lettre suivante au bailli de Romainmotier :
Monseigneur!
Pour satisfaire aux mouvements de ma conscience qui me reproche de m'être engagé à prêter avec trop de précipitation, le Serment d'Association, je me vois obligé aujourd'hui de m'en rétracter et de m'en décharger entièrement auprès de votre seigneurie.
Je suis déterminé à cette rétraction par la considération suivante, c'est qu'il n'a pas plû à Monseigneur de m'admettre au sens et à l'esprit auquel je pouvais prêter le serment, quoique ceux qui étaient refusants comme moi, ne l'ont solennisé que sous le bénéfice des explications et des réserves qu'ils se sont données à eux-mêmes, et auxquels les seigneurs baillis n'ont pas fait de difficultés de consentir.
Or, je ne saurais présumer, sans donner atteinte à l'équité de LL. EE. qu'ils entendent que ma condition soit pire, à cet égard, que celle des autres, pire que celle de Messieurs de l'académie, pire, enfin, que celle des impositionnaires qui ont reçu des seigneurs députés de LL. EE. tous les éclaircissements et restrictives qu'ils pourraient souhaiter.
Tel est, Monseigneur, le scruple qui me retient, et qui est le motif de ma rétraction. J'ai l'intention, cependant, de continuer les fonctions de mon ministère, en évitation de scandale, jusqu'à ce que je reçoive la notification de la sentence de LL. EE. Si elles trouvent à propos que je cesse mes fonctions, je n'en serai pas moins fidèle sujet de mon Souverain, et ne ferai pas de voeux moins ardents pour sa constante prospérité, étant, etc.
PANCHAUD, second ministre.
La Sarra, 7 janvier 1723.
Le bailli de Lausanne convoquait le clergé du bailliage, et n'exigeait le serment que de Mr Porta, absent le 1er juillet, lors de la prestation du serment. Mais le bailli ayant refusé de confirmer l'explication qu'il avait donnée à la Classe de Lausanne, Mr Porta refusait, et quatre autre ministres, MM. Bergier de Pont, pasteur du Mont et Romanel, de Loys de Correvon, pasteur de Savigny, de Treytorrens, pasteur des Croisettes, et Polier, pasteur de Dommartin, déclaraient que si les explications données à la Classe, le 1er juillet, n'étaient pas confirmées, ils regardaient leur serment comme annulé.
Quant aux ministres du Colloque du Pays d'Enhaut, ils se distinguaient par leur empressement à obéir. L'un d'eux, le ministre David Faigoz, prêtait le serment, en ajoutant ces mots : «Je promets et je jure de plus, d'observer la formule du Consensus, sans aucune faintise, ni dissimulation, sans réserve ni équivoque mentale. Mais avec sincérité, et de me conformer aux résultats du synode de Dortrecht, contenant l'abolition des dogmes hétérodoxes des arminiens, et, dans cette vue, je renonce par un serment solonnel et corporel aux erreurs dont les sectateurs des arminiens sont imbus, et autres sentiments hétérodoxes contraires à la Confessions de Foi, et de la sainte religion que nous professons dans l'étendue des Etats de LL. EE. de Berne.» — Un autre, le pasteur de l'Etivaz, Mr Malherbe, ajoutait : «Je confirme et réitère le serment que j'ai prêté à Lausanne, tant de signer le Consensus de mon sang, et de prêter le serment d'association.»
Les baillis de Chillon ou Vevey, de Moudon, de Payerne et d'Avenches, ne convoquaient point leurs Colloques, tous les ministres ayant solennisé le serment. Cependant, l'un de ces ecclésiastiques, Mr de Watteville, pasteur allemand à Vevey, persistait dans sa résistance. Mandé devant le bailli de Chillon, il exigeait, avant tout, «qu'on lui expliquât quels étaient les sentiments que l'on promettait de ne point supporter, ni favoriser, et quelles étaient les doctrines contraires à la religion auxquelles on devait s'opposer.» Voici la lettre remarquable que Mr de Watteville écrivait à ce sujet au bailli de Chillon, Mr Tschiffely :
Monsieur!
J'aime ma chère patrie, j'honore et respecte LL. EE. nos souverains seigneurs du plus profond de mon coeur, et si ma vie, et le peu de choses que j'ai dans ce monde pouvaient leur être utiles, je sacrifierais, Dieu le sait, l'un et l'autre avec plaisir pour leur service. Mais en donnant à César ce qui est à lui, je réserverai aussi à Dieu ce qui n'appartient qu'à Lui seul, savoir, Monsieur, ma CONSCIENCE, que je ne vendrai, Dieu aidant, pour aucun intérêt mondain, quelque dure que puisse être ma nécessité.
Je ne suis donc pas résolu de faire le Serment d'Association. Je sais, à la vérité, quelles explications en a données Monsieur le bailli de Lausanne; mais il s'en faut beaucoup que cette explication me satisfasse, puisqu'elle ne dit mot, précisement sur l'article qui me paraît le plus embarrassant, car, comme il n'y a rien de plus vague que les termes de sociniens, arminiens et piétistes, le sens ne s'en déterminant, communément, que suivant le caprice de chacun, ou selon l'humeur et la colère de quelque théologien en crédit, il est dès-lors d'une nécessité absolue, que LL. EE. ayent la bonté de nous apprendre quels gens elles désignent par ces noms, et quelles sont proprement les opinions que l'on doit jurer de vouloir examiner, sans cela, on ne sait à quoi l'on s'engage, le serment n'aboutit à rien, et le nom de Dieu est pris en vain.
Si je ne puis obtenir de LL. EE. la grâce de m'éclairer sur ce sujet, je suis résolu, Monsieur, de leur remettre mon ministère. C'est d'eux que je le tiens, ils sont les maîtres de m'en déposséder. Je ne le quitterai pas avec une si grande répugnance, que j'ai ressentie lorsqu'il m'a fallu le recevoir. Mais j'aurai néanmoins la consolation de l'avoir exercé, autant que mes faiblesses me l'ont permis, en intégrité de conscience devant Dieu, comme je sais que mon Eglise m'en rendre la témoignage.
La volonté de Dieu soit faite! Je me jette dans les bras de sa Providence, et j'attends de Lui tous ce qu'il lui plaira d'ordonner de mon sort.
Voilà, Monsieur, ma résolution, sur ce que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, le 11 de ce mois, et que je ne changerai point, tant que Dieu ne m'abandonnera pas. J'attends, avec un respect profond et une entière soumission, ce qu'il plaira à LL. EE. mes souverains seigneurs, de me faire savoir. Je vous prie, Monsieur, de vouloir me continuer l'honneur de votre bienveillance, et d'être persuadé que j'ai l'honneur d'être avec beaucoup de respect,
V. H. et T. O. S.
Jean-François de WATTEVILLE,
Ministre allemand, à Vevey.
Chardonne, le 14 décembre 1722.
Après avoir fait examiner les rapports des baillis sur la prestation du serment, le Sénat, le 9 février, prenait la résolution suivante :
«Les ministres qui ont prêté le serment d'association dans la Classe de Lausanne, sont laissés au bénéfice de l'éclaircissement donné sur ce sujet par le bailli; bien entendu qu'ils l'observent religieusement, en se conformant à l'arrêt du 30 novembre 1722.
«Le ministre Rosset de Rochefort sera rétabli dans sa charge sous les mêmes conditions. Mais s'il vient encore à hésiter, il sera incessamment pourvu à son remplacement.
«L'impositionnaire Porta, s'il ne suit pas l'exemple de ses frères, sera mis au rang des autre renitents et sera remplacé.
«Quant au ministre Panchaud, le bailli de Romainmôtier le citera, pour lui représenter que l'intention de LL. EE. n'a jamais été de faire prêter le serment aux ministres des Classes, autrement qu'il avait été prêté par l'académie, et qu'il pouvait se régler là-dessus. Selon quoi, s'il voulait le prêter, il y devait être admis, sinon il serait pourvu à sa charge; sous la réserve, néanmoins, que son caractère de ministre ne lui serait pas ôté.
«Le ministre Bourgeois, pasteur de Rances, est admis à prêter serment sur les explications exprimées dans sa lettre.
«Le baillie de Chillon avisera le ministre de Watteville, que LL. EE. lui donnent trois semaines pour réfléchir sur ce qu'on exige de lui, et qu'après lequel temps, s'il presiste dans son refus, les fonctions de son ministère lui seront interdites.»
Les ecclésiastiques renitent, comme on les désignait, voyant que leurs réserves étaient admises, prêtaient enfin le serment d'association. Cependant, Mr de Watteville persistait dans sa détermination, et refusait de se conformer aux ordres de LL. EE., tant qu'elles ne donnerait pas «une déclaration nette et précise des erreurs désignées dans le serment, par des mots piétisme, socinianisme, arminianisme, aussi bien de toutes les doctrines auxquelles ce serment obligeait de s'opposer de tout son possible.» Sommé de comparaître à Berne devant une commission d'ecclésiastiques, chargée de conférer avec lui sur ses motifs de refus, Mr de Watteville, qui partageait les sentiments des piétistes, demeura inébranlable, et fut destitué.
Cependant, les impositionnaires, rayés des rôles du clergé pour refus de serment, voyant que LL. EE. admettaient des réserves, demandaient à être admis au serment, «sur le même pied et de la même manière que la vénérable académie.» LL. EE. admettaient leur requête, et, le 1er mars 1723, adressaient la lettre suivante au bailli de Lausanne.
Nous avons vu par votre lettre, et par la supplique qui y était jointe, des ci-devant impositionnaires Abraham de Crousaz, Benjamin Carrard, Barthélemy Barnaud, Louis-Antoine Curchod, comme quoi ils rentrent en eux-mêmes et offrent de signer le Consensus et de prêter le Serment d'Association; nous priant en même temps de les revêtir du charactère qu'ils avaient ci-devant. Nous avons bien voulu le leur accordé, supposant que leur intention est droite et sincère : cependant, le tout sous cette expresse réserve, que cela se fera uniquement selon les explications données par nos amés collégues, les seigneurs deputés à Lausanne, comme aussi celles que vous, le bailli, avez données, et selon les éclaircissements que nous avons donnés, en date du 16 juin et du 30 novembre dernier. Observant, toute fois, que l'on ne doit admettre aucunes autres explications, ni celles du professeur Polier, ni d'autres. Et cela, d'autant plus que le bruit court, que le recteur de Crousaz a écrit une explication sur le Consensus et sur le Serment d'Association. Nous vous ordonnons de tâcher de recouvrer une copie de cet écrit et de nous l'envoyer. Dieu soit avec vous.
Donné le 1er mars 1723.
Mr de Crousaz avait, en effet, publié plusieurs écrits. Dans l'un, il exposait dans quel sens on pouvait signer le Consensus, et dans quel sens on ne le pouvait pas; dans d'autres, il expliquait ce qu'il pouvait y avoir d'obscur ou d'équivoque dans les arrêts de LL. EE.; il cherchait à édifier le public, «scandalisé de la signature, en apparence pure et simple, des membres de l'académie; il cherchait enfin à calmer les consciences, et à enlever les scrupules qu'on pouvait se faire sur les serment d'association.» Mais de tous les écrits de Mr de Crousaz, celui qui fit le plus de sensation, fut son Mémoire pour servir d'explication à l'arrêt de LL. EE. du 30 janvier 1722 (Voyez Barnaud, p. 359).
Cependant, comme dans leurs arrêts au sujet de la question du Consensus, LL. EE. ne cessaient de faire mention des éclaircissements donnés par les seigneurs députés et par les seigneurs baillis, l'académie, dans le but de lever tous les doutes sur la nature de ces éclaircissements, faisait enregistrer dans le Livre de la Formule du Consensus, toutes ces explications, ainsi que tous les arrêts relatifs à cette affaire; le tous, suivi d'un narré, que le doyen Bergier et les professeurs Polier, Ruchat et de Loys, avaient rédigé dans les termes suivants :
Les éclaircissements donnés par les seigneurs députés sur la signature du CONSENSUS, se réduisent aux articles suivantes :
I. LL. EE. ne proposent point la Formule comme une règle de foi, et n'en exigent pas la signature comme une déclaration que l'on est dans les sentiments qu'elle établit.
II. La signature n'oblige point à enseigner les doctrines contenues dans la dite Formule.
III. La dite Formule ne doit être regardée que comme un Formulaire de doctrine qu'on s'engage à ne point attaquer dans les enseignements publics ni particuliers.
IV. Cet engagement ne regarde point les expressions mêmes, mais seulement la substance des dogmes qu'elle contient; comme l'intégrité du texte sacré dans le premier canon, etc.
Quant au SERMENT D'ASSOCIATION, les éclaircissements donnés par les seigneurs députés, tant en public qu'en particulier, se réduisent aux suivants :
I. LL. EE. n'étant point persécuteurs, n'exigent de personne de le devenir; beaucoup moins veulent-ils y engager par un serment.
II. Les termes du dit serment qui paraissent trop durs, doivent être entendus suivant cette règle générale; et, qu'en particulier, le terme de ne supporter aucunement, ne signifie autre chose, si ce n'est de ne pas prêter aide et assistance.
III. L'engagement où l'on entre, de l'opposer de tout son possible à toutes doctrines contraires, etc., doit être entendu et observé suivant la nature et l'exigence de l'emploi dont on est revêtu.
IV. Cette opposition aux doctrines contraires, regarde les sectaires qui dogmatisent, et qui, par là, peuvent causer des schismes et des troubles dans l'Eglise.
Lesquels éclaircissements les dits seigneurs députés ont appuyés de diverses raisons, et entr'autres ces deux ci : L'une, que LL. EE. étant des princes protestants et réformées, et regardant l'Ecriture-Sainte comme l'unique règle de la foi, ne prétendent point prescrire aucune autre règle de foi. L'autre, que LL. EE. ont toujours tenu à l'égard de leurs sujets, qui étaient dans des idées différents de la doctrine du Consensus, une conduite conforme à ce principe et aux explications ci-dessus.
Lausanne, 16 mars 1723.
Le jour même où cet acte étyait enregistré dans le livre du Consensus, Mr de Crousaz, fils du recteur, signait et prêtait le serment entre les mains du bailli, MM. Barnaud et Curchod suivaient cet exemple; mais Mr de Bionnens presévérait dans sa résolution. Quant à MM. Sylvestre, Thomasset et Carrard, ils s'étaient expatriés.
Le banneret Tillier, ayant été informé que l'académie avait fait enregistrer les explications qu'il avait données, alors qu'il était député de LL. EE. à Lausanne, faisait venir à Berne le registre du Consensus. «Cet enregistrement, observe Barnaud, déplu à Mr de Tillier, qui, sans doute, ne voulait pas que la postérité profitât des éclaircissements qu'il avait donnés. Il porta cette affaire en Conseil, qui trouva mauvais que l'académie, de son chef, à l'insçu du bailli, se fut avisée d'inscrire ces explications.» Ce registre était retenu à Berne, et on l'remplaçait par un autre que l'académie recevait avec la lettre suivante, adressé au bailli de Lausanne :
L'AVOYER ET CONSEIL, etc., Cher et Féal Bailli,
Sur la représentation de MM. les curateurs de l'académie de Lausanne, qu'il se trouve dans le livre académique de Lausanne, de certaines choses qu'on y a inscrites sans permission, le dit livre ayant été envoyé ici, et y ayant été trouvé en le parcourant, diverses explications considérables, concernant la Formula Consensûs; d'autant que ces explications y ont été inscrites sans permission et à votre insçu, de vous, qui en êtes le président; nous avons trouvé que le meilleur était de garder ce livre académique, et au lieu d'icelui d'en envoyer un autre. Savoir, celui qui est ici joint, dans lequel on a inséré la Formula Consensûs, comme aussi le Serment d'Association; item, les éclaircissements que nous avons donnés là-dessus, avec ordre de remettre ce livre à l'académie, et, en même temps, de lui ordonner d'engager les impositionnaires, à l'avenir, à y souscrire tout simplement leurs noms, de leur main propre, et sans y joindre aucune explication. Du reste, vous signifierez à l'académie de n'y plus rien écrire à l'avenir de sa propre autorité, et sans votre consentement, ce que vous saurez faire, en lui faisant aussi savoir que le conduite qu'elle a tenue, en faisant des explications de sa propre autorité, et en les inscrivant dans ce livre, nous a déplû.
Dieu soit avec vous.
Cependant, l'opinion continuait à se prononcer; des écrits contre le Consensus se succèdaient; LL. EE., l'académie, enfin, le clergé, étaient en but à des satires et à maintes épigrammes; chacun se prononçait contre l'oppression bernoise, lorsque soudain, appelé, croyait-il, par un décret providentiel, le major Davel apparaît dans Lausanne, et proclame l'indépendance du Pays de Vaud.
Sources Principales : Barnaud, Mémoires pour servir à l'Histoire des troubles arrivés en Suisse à l'occasion du Consensus, Amsterdam, 1726. — Bibliothèque de la ville de Berne, Mss. Hist. Bibl. Bern, IX. — Archives de l'Etat de Berne. — Bibliothèque de Mr de Müllinen, Miscellanea Helvetica, Mss. — Bibliothèque de Mr le professeur Chappuis, Collection de pièces inédites concernant la question du Consensus.
1Grüner, Fragments historiques, II.
2Mémoires pour servir à l'Hist. des troubles arrivés en Suisse à l'occasion du Consensus.
3Vulliemin, Histoire de la Confédér. Suisse, L. XII, ch. IX.
4Les lettres de Mr de Treytorrens portent le titre suivant : LETTRE MISSIVE escrite à LL. EE. de Berne en Suisse par un de leurs sujets, ou est contenus des choses d'une fort grande importance concernant cet Etat et autres. Divisée en trois parties ou petits Traités. Dans le premier l'on fait voir par divers exemples, arrivés depuis peu dans le Pays, les grands maux d'iceluy par rapport à la vie et aux moeurs. Dans le second les mêmes maux par rapport à la Religion. Et dans le troisième qui est une lettre escrite depuis peu à leur Chambre de Religion, y représente à LL. EE. divers faits rigoureux, exercés jusques icy dans leur persécution faite à l'encontre de leurs pauvres sujets Anabaptistes et autres. Imprimé cette année 1717.
5Ces MM. les Auteurs de cette Anti-Requête ne sont pas les seuls qui ont voulu rendre l'Académie de Lausanne odieuse à LL. EE. à l'occasion de Lettres écrites par les PUISSANCES PROTESTANTES. Le Clergé de Berne n'a pas manqué de dire par tout, avec un grand air de confiance, que toutes ces Lettres Etrangères avoient été mandiées, que les Princes, mal-informez, les avoient accordées à l'importunité de quelques Particuliers, et que l'Académie de L. en étoit d'autant plus punissable, qu'elle manquoit ainsi à la soumission duë à son SOUVERAIN. Mr. de Crousaz, Recteur de l'Académie, apprenant que l'on affectait de publier et de soutenir de pareilles calomnies, ne manqua pas d'écrire à quelques Seigneurs de l'Etat pour s'en plaindre, au nom de l'Académie, et la justifier. (Barnaud.)
6A cette époque, la presse périodique ne pouvait en Suisse critiquer les actes des gouvernements, et prendre le parti des opprimés. Les gazettes étrangères se chargeaient de cette tâche, entr'autres la Gazette d'Amsterdam, qui consacra, en 1722, plus de dix articles sur le Consensus, sous la rubrique de Troubles en Suisse. Mais un autre genre d'écrit remplaçait le silence de la presse Suisse. Voici une de ces pasquinades. «Eh! bonjour mon cher, dit Pasquin à Marfore, vous ne craignez donc pas de venir à Berne? — Je ne crains, répond Marfore, ni Consensus, ni magistrat politique ou ecclésiastique, j'ai souscrit, cher Pasquin. — Comment, vous aussi? — Hé parbleu! pourquoi pas? La formule du Consensus n'est qu'une formule d'union! — De quel union? — Entre ma pension et moi! — Mais vous parlez trop librement. — Point du tout, c'est la mode. — Vous êtes donc calviniste? — Moi, calviniste! A Dieu ne plaise! Je suis Lausannois. — Qu'est-ce que cela veut dire? — C'est que je puis croire et enseigner tout ce que je veux, et me moquer de Dieu et de Leurs Excellences....» (Manuscrits de la bibliothèque de Berne.)