Histoire du Canton de Vaud

Par Auguste Verdeil (1795-1856)

(Lausanne, Martignier et Compe., 1849-1852)

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LIVRE QUATRIEME


LE PAYS DE VAUD SOUS LA DOMINATION DE BERNE.

XVIe, XVIIe ET XVIIIe SIECLES.


Chapitre XXI.

Réveil national.

1790-1797.


Griefs du Pays de Vaud. — Résistance de Morges contre un impôt arbitraire. — Commencement de la révolution française; enthousiasme qu'elle produit. — Les aristocrates et les démocrates. — Club des Suisses à Paris. — Mesures de LL. EE. contre la propagande des clubs. — F.-C. de la Harpe; ses Lettres de Philanthropus. — Le 14 juillet célébré à Rolle en 1790. — Réclamations des officiers vaudois aux services de France et de Hollande, appuyées par les villes du Pays de Vaud et rejetées par LL. EE. — Troubles dans le Bas-Valais; expulsion des gouverneurs du Haut-Valais; plantations d'arbres de liberté. — Sympathie des Vaudois pour les révolutionnaires du Valais. — Les troupes vaudoises envoyées dans le gouvernement d'Aigle, hésitent, mais la discipline l'emporte. — Commissaires bernois en Valais. — Etat des partis dans le canton de Berne. — Influence des émigrés. — Le pasteur de Mézières, dénoncé comme révolutionnaire, est enlevé et conduit à Berne. — Progrès de la révolution française. — Fuite de Louis XVI; manifestation de joie des aristocrates, joie tumultueuse des patriotes, à la nouvelle de l'arrestation du roi. — Fête du 14 juillet au Jourdil et à Ouchy. — Banquet des Abbayes de l'Arc de 14 juillet à Rolle, et démonstrations tumultueuses. — Berne lève des troupes contre le Pays de Vaud. — Camp de Perroi. — Envoi d'une Haute-Commission à Rolle. — Enquêtes sur les fêtes d'Ouchy et de Rolle. — Arrestation de l'assesseur baillival Rosset et du capitaine Muller de la Mothe. — Tumulte à Lausanne. — Protestations des Conseils de Lausanne contre les actes de la Haute-Commission. — Arrivée des troupes allemandes à Lausanne. — Nouvelles arrestations arbitraires. — Humiliations infligées par la Haute-Commission aux députés des villes du Pays de Vaud. — Condamnations prononcées par le Deux-Cent de Berne. — Le dix-août, le deux-septembre; réaction contre la révolution française produite par ces massacres. — La Savoie envahie par les Français. — Montesquiou menace Genève; il est prévenu par les bataillons vaudois qui se jetent dans cette ville. — Le parti de la guerre l'emporte dans les Conseils de Berne. — Une armée bernoise menace le Pays de Gex. — Les victoires des Français donnent la prépondérance au parti de la neutralité. — Retraite simultanée des Français et des Suisses. — Mort de Louis XVI. — La Confédération Suisse reconnaît la République Française. — Le gouvernement bernois expulse les réfugiés français; les Vaudois les accueillent.

Les travaux des penseurs, élèves de l'école philosophique de Jean-Pierre de Crousaz et de Loys de Bochat; les ouvrages historiques d'Abraham Ruchat; les oeuvres de nos économistes, les frères Bertrand d'Orbe, MM. Bourgeois d'Yverdon, Loys de Cheseaux, Muret de Vevey, Seigneux de Correvon; les travaux de nos sociétés scientifiques et littéraires; les écrits de nos romanciers; enfin l'esprit qui dirigeait la rédaction des journaux littéraires de Lausanne et d'Yverdon : — toutes ces circonstances réunies disent assez quelle était, dans la dernière moitié du XVIIIme siècle, la tendance générale des idées dans toutes les classes du Pays de Vaud. Cependant ces idées, qui, par l'effet de la nullité politique à laquelle LL. EE. de Berne avaient condamné tout Vaudois, restaient stériles pour la prospérité et la liberté du Pays de Vaud. Elles n'eurent d'autre résultat que d'attirer l'attention de quelques esprits philosophiques et éclairés, jusqu'au moment où, reprises par des hommes d'action, ceux-ci cherchèrent à les appliquer, d'abord pour rendre ses droits au Pays de Vaud, puis, pour lui donner l'indépendance.

Les grief des Vaudois, déjà signalés par Davel dans son manifeste, puis par Gibbon, dans sa lettre écrite quarante années après l'entreprise de Davel, ces griefs n'avaient fait qu'augmenter en raison des abus qui se succédaient sans cesse.

Ces abus étaient nombreux.... Ainsi que nous l'avons rapporté dans le cours de notre écrit, Berne, pendant sa longue domination, avait cherché à étouffer tous les sentiments de la nationalité vaudoise, et avait réussi à isoler les bailliages, en excitant la jalousie des villes entr'elles et la haine des villages contre les villes. Les Assemblées des Quatre-Bonnes-Villes, cet unique souvenir des Etats de Vaud, n'existaient que de nom; et, lorsqu'en 1728 ces assemblées voulurent se réunir, LL. EE. interdisaient ces libres réunions, même pour affaires juridiques. En 1733, les Quatre-Bonnes-Villes recevaient la défense de citer dans leur intérêt des chartes dont LL. EE. n'auraient pas reconnu l'authenticité. En 1738, les seigneurs-justiciers et les vassaux du Pays de Vaud, voulant former un acte d'association pour garantir leurs droits, LL. EE. annulaient cet acte en faisant la déclaration suivante :

«Il nous appartient à nous seuls, comme au gouvernement établi de Dieu, de reconnaître les différends qui naissent entre nos sujets et autres ressortissants... Ces sortes d'assemblées extraordinaire et signatures sont interdites partout. Nous ne reconnaissons jamais que les seigneurs-justiciers et les vassaux forment un corps particulier1.

Non satisfaite d'éteindre tout esprit national, Berne, par des entraves de tout genre, arrêtait les progrès de l'agriculture, ceux des arts, du commerce et de l'industrie. La demande des Bonne-Villes de rétablir l'ancien prix du sel, si nécessaire à l'agriculteur, était repoussée avec hauteur par le mandat souverain de décembre 1738. Une ordonnance défendait, la même année, à tous les sujets du Pays de Vaud, de posséder des tonneaux de la contenance de plus de trois chars, et statuait qu'en cas de commerce de vin, un Vaudois n'aurait droit, dans la faillite d'un Bernois, qu'à la somme de deux cent cinquante francs.

Mais ce qui indignait plus que toute autre chose, c'était la hauteur et la morgue de certains baillis, remarquables par leur ardeur à s'enrichir, par leur dureté hautaine. Ces baillis étaient investis d'un immense pouvoir, puisqu'ils avaient la juridiction civile et criminelle, l'administration de la haute police, de la police inférieure, et la surveillance du culte et du militaire.

Comme un secret impénétrable entourait tous les actes de LL. EE., on ignorait les revenus qu'elles tiraient du Pays de Vaud; néanmoins, on supputait ses revenus et on calculait les dépenses. Ainsi, on évaluait que les douze bailliages de première classe rendaient aux douze baillis, pendant six années, plus de deux millions de livres tournois; que les douze billiages de seconde classe rendaient près de quinze cent mille livres; que les trente-trois bailliages de troisième classe rapportaient aussi en six ans plus de seize cent mille livres, et que les quatorze de quatrième classe ne rendaient pas moins de six cent mille livres à leurs baillis. On calculait encore que les soixante-sept employés de la première classe, et les quatre-vingt-quatorze de la seconde classe recevaient en dix ans, les premiers, un revenu moyen de près de quinze cent mille livres tournois, les seconds, un revenu moyen de plus d'un million2. On remarquait aussie que deux cent quatre-vingt-dix-neuf patriciens, choisis dans les soixante et seize famillies patriciennes composaient à eux seuls le Deux-Cent, qui fournissait seul tous les membres du sénat et des divers départements de l'administration, tous les baillis, tous les employés supérieurs; que la ferme des postes était entre les mains d'une seule famille patricienne; que tous les offices de la chancellerie et des administrations étaient dévolus, sans exception, aux membres du Deux-Cent, ou aux deux cent trente-six familles bourgeoises de Berne; que les trois quarts des compagnies et des emplois dans les quatre régiments que Berne fournissait à la France, aux Etats-Généraux de Hollande, et au roi de Sardaigne, appartenaient exclusivement aux bourgeois de Berne. On voyait enfin que, dans le Pays de Vaud, non-seulement le patriciat avait tout envahi, mais qu'il était parvenu à se rendre inviolable, en faisant insérer dans les Coutumiers, l'exception que les bourgeois de Berne ne seraient point soumis à la juridiction des cours de justice du Pays de Vaud pour leurs causes personnelles.

En effet, conformément à cette exception, qui adjourd'hui nous paraît inouïe, si un patricien bernois refusait d'exécuter un engagement, pour l'y contraindre, il fallait s'adresser à un tribunal à Berne, séjourner dans cette capitale, y prendre domicile, ou y constituer un procureur, et recourir à un avocat bernois. L'honneur d'un Vaudois était-il attaqué par un bourgeois de Berne? c'était aux juges de cette ville qu'il devrait recourir. Un bourgeois de Berne commettait-il dans le Pays de Vaud une infraction aux réglements de police? les autorités du Pays de Vaud n'osaient point le citer devant elles : aux baillis seuls était réservé la connaissance des délits commis par un bourgeois de Berne. Un bourgeois de Berne commettait-il un délit, un crime? le magistrat vaudois demeuraut impuissant : le criminel privilégié était transféré à Berne et remis au juge bernois, qui instruisait seul le procès, prononçait la sentence et la faisait exécuter, non point dans le lieu du délit ou du crime, mais à Berne. Cette juridiction exceptionnelle fut signalée à l'Europe par le célèbre avocat français Loyseau de Mauléon, dans un mémoire qu'il écrivit, dans le milieu du XVIIIme siècle, en faveur du comte de Portes, seigneur de Genollier. Ce brave militaire, ayant essayé d'empêcher la dilapidation des biens du jeune Desvignes, seigneur de Givrins, intenta un procès au secrétaire-baillivale de Nyon, tuteur de ce mineur et protégé par le bailli de Nyon. L'intervention du bailli, en faveur de son secrétaire, força Mr de Portes à lui intenter une action par devant les tribunaux de Berne. Mais l'influence du patriciat prit fait et cause pour le bailli de Nyon. Mr de Portes, menacé dans sa liberté, dut s'expatrier; mais, pour venger son honneur outragé, il publia le mémoire de son défenseur, qui signalait à l'Europe l'iniquité de la législation bernoise3.

Cependant, au milieu de la soumission générale, les actes arbitraires de LL. EE. rencontraient, enfin, quelques obstacles dans la fermeté de la ville de Morges, qui, par sa résistance, réveillait l'attention des Vaudois sur leurs libertés.

«L'Etat de Berne, dit Mr Cart4, voulant faire rétablir les routes du Canton, y employa bien des années; aucune règle uniforme ne fut annoncée ni suivie à cet égard; dans de certains endroits le gouvernement n'exigea point de contributions, dans d'autres, il en exigea; ici il fit rétablir à ses frais les murs des vignes que la nouvelle route traversait, là en laissait la dépense sur le compte des propriétaires. Ailleurs, celui dont le domaine fut endommagé, soit par une extraction de cailloux, soit autrement, reçut un dédommagement; dans tel autre endroit il n'en reçut point. En un mot, une autorité absolument arbitraire fut développée dans cette occasion, comme dans tant d'autres. L'ouvrage ne se faisant que partiellement et avec lenteur, l'intérêt qu'il pouvait produire suivit cette progression et ne put se manifester d'une manière générale et imposante. Le tour du bailliage de Morges vint enfin. En 1781, Berne exigea de chaque commune de ce bailliage un cadastre de ses terres, sans annoncer l'usage qu'il se proposait d'en faire. Le 29 avril 1782, il les assujettit de sa propre autorité à un impôt, variant depuis dix batz par pose jusqu'à une moindre somme. LL. EE. ne fixaient ni le nombre de fois qu'elles lèveraient cet impôt, ni pendant combien d'années elles l'exigeraient. L'ordre de payer fut annoncé avec un ton dur et humiliant, bien plus propre à irriter les esprits qu'à les calmer. Le bailli déclara par son mandat du 6 février 1781, que s'il découvrait quelque inexactitude dans la tabelle qui lui serait donnée des biens-fonds, il y pourvoirait aux frais de la ville de Morges et dénoncerait le cas à LL. EE. Bientôt après, il fit la menace d'action exécutoire si on ne se soumettait pas incontinent.

«La ville de Morges osa résister à cette innovation dangereuse et à des menaces indirectes. Elle députa deux de ses membres à Berne. Ces députés présentèrent avec une requête les titres fondamentaux de notre droit public; ils prouvèrent qu'en général les Deux-Cent de Berne, successeur des ducs de Savoie, barons de Vaud, n'a pas à nous imposer un droit que son devancier n'aurait pu exercer lui-même. Ces députés prouvèrent, pour le cas particulier, et entr'autres, par un titre du 27 février 1430, que le Pays de Vaud s'était engagé à payer les péages à ses anciens barons, à condition qu'ils entretiendraient les chemins et pourvoiraient à leurs frais à la sûreté des voyageurs; ce que l'Etat de Berne avait reconnu lui-même par un acte du 2 septembre 1575. Ils se fondèrent sur un moyen du plus grand poids parmi tous les peuples, sur une possession de quelques cents ans, ou si éloignée, qu'il était impossible d'en fixer le terme.

«Que répondit-on à cela? On ne le croira pas, ajoute Mr Cart, la postérité ne voudra pas le croire, mais j'en ai la preuve en mains, — l'on répondit : Payez, et vous direz vos raisons après!... Effrayés d'abord à l'idée d'un impôt forcé, quelle impression ne dut pas faire cette maxime perverse, mise en oeuvre par le premier département de l'Etat; il ne nous restait que la ressource du faible et du juste, celle de la loi... Nous l'implorâmes donc : nos députés retournèrent à Berne; ils demandèrent d'être entendus avant d'être obligés de payer; ils demandèrent, en un mot, l'instruction d'une procédure legale... Ils ne purent jamais l'obtenir.

«Cependant, huit années écoulèrent, et pendant ces huit années l'on n'eut aucun égard, ni à la promesse qui nous avait été fait d'examiner nos titres, ni à nos réclamations souvent réitérées, ni au paiement auquel on nous contraignait en attendant un jugement. Nos avances pour le territoire de Morges montèrent à 9,394 florins, payés par la ville, qui ne voulut pas lever un impôt arbitraire, et c'est seulement lorsque la chaussée à l'orient de la ville a été finie, lorsque la durée de l'impôt a été à son dernier terme, que LL. EE. affectèrent de nous annoncer un examen, par lequel, d'après ce qui est loi et conscience, l'on aurait dû commencer. LL. EE. du sénat, le 6 février 1790, rendirent en effet le décret suivant :»

L'Avoyer, etc. Comme l'examen de la requête présentée, déjà en 1782, par la ville de Morges...., a été renvoyé jusqu'à présent par des circonstances et des empêchements survenus dans l'intervalle, et que les Très-Honorés Seigneurs, les Seigneurs Trésorier Romand et Bannerets sont à présent occupés de l'examen de cette affaire, ils ont trouvé bon de vous en aviser, Très-Honoré Seigneur Bailli, afin de communiquer à la ville de Morges et à ses préposés, et de leur déclarer que si la dite ville de Morges a quelque chose de plus à présenter à cet égard que ce qui est contenu dans les requêtes et mémoires fournis à cet égard, elle peut les remettre, comme les précédentes..... Mais que cela se fasse avec toute la diligence possible.

Cependant, les Conseils de Morges, voyant la fermentation qui règnait alors, non-seulement dans le Pays de Vaud, mais dans toute la Suisse, au spectacle de l'étonnante révolution qui venait d'éclater en France, et craignant que la discussion des droits du Pays de Vaud n'y occasionnât une commotion violente, les Conseils de Morges déclinèrent le droit que LL. EE. leur offraient, et, dans la lettre suivante, proposèrent de laisser tomber la question de l'impôt des routes :

Tit. Aujourd'hui que la contribution est finie, les Conseils de Mourges se voient en conséquence obligés de parler, les circonstances sont telles qu'elles semblent cependant défendre aux exposants de faire renaître une question qui ne les intéresse pas seuls (elle intéresse tout le Pays de Vaud). Ces circonstances leur défendent également de s'adresser à leurs ressortissants pour se faire rembourser; car, outre que ce serait renoncer à leur priviléges, ce serait d'exposer à des difficultés qu'ils ne peuvent se dissimuler. — Ainsi : qu'ils plaident contre leur auguste Souverain pour leur rembours et l'obtiennent, ils sent qu'ils donneraient lieu à des réclamations; qu'ils plaident pour ce rembours et ne l'obtiennent pas de VV. EE., ce qu'ils osent à peine supposer, ils sentent qu'ils auraient besoin de votre autorité pour l'obtenir, alors, de leurs ressortissants.

Dans cet état de choses, les Conseils de Morges, se contentant de regarder leurs priviléges comme imprescriptibles et sacrés, comme les exceptant de toute imposition, soit contribution involontaire, les Conseils de Morges, persuadés que LL. EE. n'ont pas même voulu attaquer ces priviléges, aux-quels ils tiennent comme à leur existence et au gouvernement paternel sous lequel ils vivent; les Conseils de Morges, en un mot, croient devoir à leur Souverain, comme à leur ville, de mettre simplement leurs droits sous ses yeux, comme ils viennent de le faire, pour que, dans aucun temps, on ne puisse tirer parti contr'eux de leur silence. Ils croient d'ailleurs ne devoir pas aller plus loins. Ils ne demandent donc actuellement rien à votre justice et ne sollicitent point de droit pour leur rembours. Ils osent croire, Souverains Seigneurs, que leur conduite, en méritant l'approbation de leurs concitoyens, leur méritera également celle de VV. EE., auxquelles ils ne désirent rien autant que de témoigner leur respectueux attachement.

La fermeté de cette réponse et la dignité de son style, ainsi que l'absence de toutes ces expressions serviles avec lesquelles les sujets s'adressaient naguère à LL. EE., les irritèrent au plus haut point. Aussi, le sénat adressa-t-il, le 24 avril 1790, la missive suivante aux Conseils de Morges :

Quoique sous la réserve solennelle de ses droits, la ville de Morges déclare qu'elle ne sollicite aucune décision, le Sénat trouve, suivant la nature de la chose et la dignité du Gouvernement de LL. EE., nécessaire d'y mettre le plus tôt la main, et de faire soigneusement examiner ces griefs et représentations. Aussi, LL. EE. ont chargé les Seigneurs Trésoriers et Bannerets de faire assigner les députés de la ville de Morges à leur audience, à un temps fixé, afin qu'ils soient entendus dans leurs raisons, et ensuite les oppositions qui se présentèrent, suivant l'état des choses, seront communiquées tant aux dits députés qu'à la ville de Morges.

Toutefois, cette missive resta sans effet. LL. EE. de Berne, ainsi que tout le public, nobles et bourgeois, citoyens et sujets, citadins et paysans, – tous étaient préoccupés des événements inouïs qui se succédaient en France, où une monarchie de quatorze siècles était ébranlée dans sa base, par la réalisation des doctrines des philosophes et économistes.

Louis XVI, en montant sur le trône, dans l'année 1774, trouva les finances épuisées et le crédit anéanti. Les impôts s'élevaient à 365 millions inégalement répartis. Les dîmes, les rentes féodales, les redevances des serfs, les rentes sur l'Etat, n'étaient point atteintes par l'impôt; le clergé s'en exemptait par des dons gratuits, tandis qu'il jouissait d'un cinquième de toutes les récoltes de la France. La noblesse payait l'impôt, mais le gouvernement s'en rapportait à sa déclaration. Le clergé et la noblesse étaient exempts de la taille, à laquelle les autres classes de la société étaient soumises. Les contributions indirectes étaient perçues par des Fermiers-Généraux qui, pour cette perception, obtennaient un pouvoir souvent arbitraire et despotique. D'autres charges pesaient encore sur le peuple, comme les corvées pour les travaux des routes. Tout était monopole dans l'industrie, tout se trouvait entravé par les maîtrises; les provinces étaient séparées entr'elles par des lignes de douanes; dans quelques provinces on payait le sel huit livres tournois le quintal, seize livres dans d'autres, et jusqu'à soixante-deux livres dans quelques autres. Louis XVI voulut remédier à ces abus et appela Turgot au ministère. Turgot, qui professait les principes des économistes, rendit une foule d'édits où il proclamait la liberté du commerce et de l'industrie; il diminua les droits de consommation, en les réduisant à un seul, dont ne furent exempts, ni le clergé, ni la noblesse. Il abolit les corvées, il supprima plusieurs monastères, et voulut rendre leur culte aux protestants, affranchir l'autorité civile et l'autorité ecclésiastique, réformer l'instruction publique, et donner un code civil à la France. Mais un orage se forma contre Turgot, que le jeune roi dut sacrificer aux clameurs des privilégés. Le désordre et les prodigalités s'accrurent plus que jamais, et pour les réprimer, le roi plaça le banquier Necker, de Genève, à la tête de ses finances. Ce fut à cette époque que la guerre de l'indépendance éclata dans les colonies anglaises de l'Amérique. Franklin entraîna le cabinet de Versailles dans la cause de la liberté; la jeune noblesse, imbue des principes philosophiques, répondit à l'appel d'une république naissante, et, après une guerre à laquelle prirent part les armées françaises, l'indépendance des Etats-Unis fut reconnue, en 1783, par l'Europe.

Cependant la guerre d'Amérique avait augmenté l'embarras des finances. Appelé à les rétablir, Mr Necker proposa l'égalité des charges comme moyen. Mais la noblesse et le clergé, qui voulaient en demeurer exempts, firent renvoyer Mr Necker, qui fut remplacé par Mr de Calonne. Celui-ci fit convoquer, en 1787, l'Assemblée des Notables, à laquelle il proposa la subvention territoriale, impôt direct qui devait être payé sans priviléges ni exemptions. Mais les Notables, exclusivement composés de privilégiés, s'opposèrent à cet impôt et firent tomber le ministre. Mr de Brienne, archevêque de Toulouse, appelé à le remplacer, voulut faire enregistrer au Parlement de Paris un impôt territorial. Mais le Parlement rejeta cet impôt, et proposa la convocations des Etats-Généraux. Afin d'abaisser les Parlements, le ministère forma le projet de diviser le royaume en bailliages, et de créer une Cour-plénière, composée de grands fonctionnaires, et destinée à enregistrer les édits. Mais le Parlement de Paris protesta. Cependant, la détresse financière augmentant, Louis XVI, en 1788, rapellait Mr Necker et convoquait les Etats-Généraux. Mais le Parelment refusait d'enregistrer l'édit de convocation des Etats-Généraux, s'il ne l'était dans les formes de 1614, qui connaient de nouvelles garanties aux privilégiés, en annulant les droits du Tiers-Etat. Alors, les philosophes, les savants, les hommes de lettres, une foule de publicistes, déclarèrent une guerre de pamphlets aux priviléges. Des nobles faisaient cause commune avec eux dans cette guerre, ils avaient pour chef le duc d'Orléans et les gentilshommes revenus d'Amérique. Dans son livre, Qu'est-ce que le Tiers-Etat? l'abbé Sieyes démontrait qu'il faisait la prospérité du royaume. «Cependant, disait-il, le Tiers-Etat a été frappé d'interdit, et on lui a dit : Quels que soient tes services, quels que soient tes talents, tu iras jusque là et pas au-delà; il n'est pas bon que tu sois honoré. Les rares exceptions ne sont qu'une raillerie, et le langage usité en de telles occasions est une insulte de plus. Le Tiers-Etat ne fut rien; il veut être toute chose; il doit être tout

Ce fut au milieu de cette fermentation générale que les élections commencèrent, et qu'à l'imitation de l'Angleterre on fonda des clubs politiques pour diriger les élections. Les députés des trois ordres formant les Etats-Généraux, s'assemblèrent le 5 mai 1789 à Versailles. Là les députés du Tiers-Etats reçurent toutes les humiliations de l'étiquette. Les députés du clergé et de la noblesse ne vinrent point à la salle des séances pour le vérification des pouvoirs, et après d'inutiles instances pour la réunion des trois ordres, le Tiers-Etat, trouvant la salle des réunions occupée par la force armée, ses députés se rassemblèrent dans la salle du Jeu de paume de Versailles, où, sous le présidence de l'astronome Bailly, ils se constituèrent en Assemblée Nationale, et jurèrent de ne se séparer qu'après avoir accompli la régénération politique de la France. Une partie de la noblesse et le majorité du clergé se réunit à l'Assemblée Nationale. Cependant, une réaction se manifestait dans les conseils du roi, Necker était renvoyé, et vingt mille hommes marchaient sur Paris. L'Assemblée Nationale demande en vain le renvoi des troupes; un engagement a lieu entre un régiment étranger et le peuple de Paris. Celui-ci, appuyé par les Gardes Françaises, enlève la Bastille qu'il rase de fond en comble. La cour terrifiée rappelle Necker; le peuple nomme Bailly, maire de Paris, et le marquis de Lafayette chefs de la Garde Nationale. Les deux frères du roi, qui, sous le nom de Louis XVIII et de Charles X, régnèrent sur la France, prirent le parti de fuir et donnèrent le signal de l'émigration. Quant à Louis XVI, il brava l'orage et se présenta à l'Assemblée Nationale sans gardes et sans cortége, puis, se rendant au voeu du peuple, il vint à Paris, suivi d'une foule de gens de la campagne, traversa cent mille gardes nationales, aux cris de vive la nation, fut reçu à l'Hôtel-de-Ville par le maire Bailly, et prit la cocarde tricolore. Tous les pouvoirs s'effacèrent alors devant l'Assemblée Nationale, qui se déclara Constituante. Dans la nuit à jamais mémorable du 4 août 1789, la Constituante, après avoir entendu l'énumération de certains droits des classes privilégiés, droits, il est vrai, tombés en désuétude par les progrès de la civilisation, décréta l'égalité entre les nobles et les plébeiens. Une fièvre du générosité s'empara des députés de la noblesse et du clergé, qui renoncèrent, eux aussi, aux droits féodaux et à leurs titres.

Ces événements, qui se succédaient avec une incroyable rapidité, frappaient d'étonnement tous les esprits dans la Suisse entière. Même à Berne, nombre de patriciens partageaient l'enthousiasme que causait la réalisation des doctrines de la philosophie et des principes du contrat social de Rousseau; à Berne, la bourgeoisie limitée, oubliant, elle aussi, qu'elle avait des privilèges, applaudissait à l'avènement de l'abolition des privilèges.

Dans notre Pays de Vaud, l'enthousiasme était plus grand encore.... Maint gentilhomme se voyait bientôt égal en pouvoir au bourgeois de Berne. Certains magistrats de nos petites aristocraties des villes et des campagnes voyaient arriver le moment où ils héritaient une partie de la puissance et des honneurs, partage des seuls seigneurs de Berne. Nos hommes de loi, nos avocats, voyaient arriver le moment où, du haut de la tribune nationale des Etats de Vaud, ils proclameraient les droits du Pays. La jeunesse des villes, toujours turbulente et exaltée, pérorait dans les cabarets, et répétait les refrains patriotiques de la France émancipée. Quant aux paysans, toujours réservés et méfiants, ils commencaient à s'émouvoir à l'idée que les droits féodaux pourraient bien être abolis un jour5. «Bientôt, dit Mr de Rovéréa, on vit se former dans nos campagnes et dans nos villes un parti royaliste et un parti républicain, improprement qualifiés alors d'aristocrate et de démocrate : l'un, s'exagérant les prérogatives de la couronne, l'autre, profanant les droits de la liberté; l'un accueillait avec transport la noblesse fugitive, tandis que l'autre affectait de l'humilier dans sa détresse. Beaucoup de gens, séduits par les sophismes des sectateurs du nouveau système, identifiaient leurs passions ou leurs intérêts au succès de cette cause6

Des Suisses, proscrits et réfugiés à Paris, propageaient parmi leurs compatriotes les principes de la révolution. Des Genevois, exilés en 1784, et dont plusieurs secondèrent les travaux de l'Assemblée Nationale, Duroveray, Clavière, Dumont et Reybaz; des Fribourgeois, échappés à la proscription qui suivit la tentative de Cheneaux, en 1781, Castelaz, Rey et Guisolan; des Vaudois, animés contre la domination bernoise, réunissaient les Suisses, toujours nombreux à Paris, et répandaient les nouveaux principes dans leur pays, par leurs correspondances, leurs brochures et leurs journaux7. Comme dans des libelles ou des feuilles volantes, on appelait les sujets à la révolte, et que des projets de constitution leur étaient envoyés, le Conseil de Berne en donnait avis, le 16 décembre 1789, à Zurich, et l'invitait à prendre des mesures contre la circulation de ces écrits. Le 10 et le 13 août, et le 17 septembre de la même année, le Conseil de Berne avertissait les baillis de surveiller la presse dans le Pays de Vaud, de chercher à découvrir l'auteur d'un passage révolutionnaire dans les Etrennes Helvétiennes de Mr Bridel. En janvier, il ordonnait aux libraires de livrer tous les écrits révolutionnaires qui leur seraient envoyés, et blâmait le bailli de Lausanne, qui, en août 1789, a laissé imprimer, chez Jean Mourer, le Projet d'une déclaration des droits de l'homme et des citoyens, par Mr de Servan. Enfin, «la saisie d'imprimés et des correspondances, leur suppression, puis la violation du secret des lettres, devinrent des moyens usuels8

Un des écrits qui donna le plus d'inquiétudes à LL. EE. était dû à la plume d'un homme destiné à jouer un grand rôle dans l'indépendance de son pays, Mr Fréderic-César de la Harpe, à qui l'impératrice de Russie avait confié l'éducation des grands ducs, ses petits-fils. Mr de la Harpe publiait, en 1789, dans les journaux anglais, les Lettres de Philantropus sur une révolution arrivée dans le canton de Berne.

Parmi les oligarchies de la Suisse qui ont été menacées d'une chute complète, dit la première lettre, aucune n'a essuyé un coup plus terrible que celle de Berne, dont le territoire a été divisé en trois ligues, savoir : la ligue de l'Argau, chef-lieu Berne; la ligue de l'Oberland, chef-lieu Thoune; la ligue Lémanique, ou Vaudoise, qui comprend le Pays de Vaud, Bernois et Fribourgeois, les communes françaises de Sanen et le gouvernement d'Aigle, chef-lieu Moudon, jadis lieu d'assemblées des Etats de Vaud.» — Le nouvel état de choses, ajoute Philantropus, repose sur les bases suivantes : Indépendance des trois ligues, relativement à leur administration, sauf les monnaies et le militaire; garantie des lois et usages; les trois ligues ne forment qu'un seul corps politique; elles sont gouvernées chacune par une Assemblée Représentative; tous citoyen de l'une des trois ligues acquiert le droit de cité dans les deux autres ligues, par un domicile de six mois; il peut voter et est éligible. Dans une seconde lettre, Philantropus donne la nouvelle constitution du Pays de Vaud, décrétée par l'Assemblée Représentative, et précédée de l'énumération des griefs des Vaudois.

Cependant, la révolution française faisait des progrès en France, et, le 14 juillet 1790, jour anniversaire de la prise de la Bastille, la fête de la Fédération était célébrée. Les Gardes Nationales et les députations de toute la France se réunirent au champ de Mars, où plusieurs étrangers, au nombre desquels nous comptons de nos compatriotes, demandèrent, au nom du genre humain, à y être admis.

L'engouement pour ce qui se passait en France était tel, que partout dans les pays voisins on célébra cet anniversaire. Dans le Pays de Vaud, les Sociétés de l'Arc se réunirent dans un banquet, à Rolle, le jour de l'anniversaire de l'abolition des priviléges de la noblesse et du clergé en France. Des propos exaltés, des toasts patriotiques, des processions, l'élévation du chapeau de Guillaume-Tell sur une pique, animèrent cette fête, qui irrita au plus haut point LL. EE. et leurs adhérents. «Quelques personnes, dit Mr de Rovéréa, saisirent l'occasion de ce nouvel anniversaire pour agiter des questions politiques et les accompagner d'allusions et d'allégoires au moins répréhensibles, propres à donner l'éveil sur la dangereuse tendance que des agitateurs cherchaient à exciter...... On prévoyait à Berne la conséquence de la fermentation dont on était environné; on hésitait sur les moyens à prendre pour s'en garantir. Il fut question d'ériger un corps de volontaires soldats : ce projet échoua par l'opposition qu'y mirent les jeunes membres du Deux-Cents, imbus la plupart d'idées libérales qu'ils avaient puisées dans les universités d'Allemagne. On se borna à interdire l'entrée des gazettes françaises, alors pleines de diatribes contre l'aristocratie bernoise, et à prémunir le peuple contre elles, en l'instruisant des vues paternelles du gouvernement par une proclamation qui eut un grand succès dans les campagnes9

Cependant l'esprit révolutionnaire gagnait l'armée en France, et atteignait nos régiments. A la fin du mois d'août 1790, le régiment de Chateauvieux, formé de Vaudois, de Genevois et de Neuchâtelois, prit à Nancy une part active à un soulèvement populaire. Les Cantons demandèrent au roi la punition des coupables, et qu'il réprimât les séductions du club helvétique à Paris. Un soldat de Chateauvieux fut roué, vingt-deux pendus, et quarante-un envoyé aux galères. Déjà après la prise de la Bastille, des soldats du régiment des Gardes-Suisses abandonnaient leurs drapeaux pour prendre rang dans la Garde de Paris, et trois cent-quarante-huit d'entre'eux, ayant exigé leur congé, coururent en armes s'unir au peuple parisien10.

A cette même époque, en 1790, les officiers vaudois aux services capitulées avec l'étranger, réclamèrent contre l'inégalité de leurs droits à l'avancement. Les trois quarts des compagnies et des grades dans les quatre régiments que Berne donnait à la France, à la Hollande et au roi de Sardaigne, appartenaient exclusivement aux bourgeois de Berne. Ainsi, en France : le régiment d'Ernst, de dix-huit compagnies, dont six seulement pour les non-bourgeois de Berne; quelques compagnies du régiment des gardes, dont une seule pour les non-bourgeois de Berne. En Hollande : le régiment de May, de douze compagnies, ne comptait que quatre capitaines non-bourgeois, quoique ceux-ci eussent le droit de concourir pour huit compagnies; le régiment de Goumoëns, de douze compagnies, auxquelles les seuls bourgeois de Berne avaient le droit de prétendre; trois compagnies dans le régiment des gardes, dont une seule pour les non-bourgeois de Berne. Au service du roi de Sardaigne : le régiment Stettler, ci-devant Rochmondet, de douze compagnies, dont trois pour les non-bourgeois de Berne. Il fallait de plus être bourgeois de Berne pour devenir colonel du régiment d'Ernst, ou pour parvenir à certains grades de son état-major. C'était pis encore au service de Hollande, puisque le colonel, l'état-major et tous les capitaines du régiment de Goumoëns devaient être nécessairement bourgeois de Berne. Cependant, les périls et les travaux étaient communs, mais le bourgeois de la capitale était constamment préféré à son concitoyen de la caste sujette. Les officiers vaudois de ces régiments firent appuyer leurs réclamations auprès de LL. EE. par les Conseils de leurs villes natales, qui présentèrent de nombreuses pétitions. Mais elles restèrent sans réponse. Cependant, un ordre de traduire au conseil de guerre pour fait d'insubordination quiconque oserait encore réclamer, et la certitude d'être condamné par ce conseil, dont les membres étaient personnellement intéressés au maintien de ce monopole, étouffèrent la voix des officiers du Pays de Vaud.

LL. EE. cherchaient, cependant, à calmer l'agitation qui se propageait de jour en jour, et, dans ce but, envoyèrent des commissaires dans le Pays de Vaud avec la mission avouée de parcourir les communes, d'écouter les remonstrances et d'accueillir les requêtes tendant à faire connaître les abus. Mais la véritable missions de ces commissaires était de gagner les personnes accréditées, en leur faisant espérer des faveurs, et de former un parti qui, au besoin, pût seconder les projets du gouvernement. Les commissaires promirent beaucoup, mais le gouvernement ne fit rien. «La marche des événements fut telle, dit un auteur opposé à toute innovation, que l'Etat de Berne n'eut pas le temps, ou jugea dangereux d'effectuer les améliorations qu'il projetait dans telles circonstances. En suivant un système de modération, il crut donner la mesure de sa sécurité et un gage de ses intentions paternelles. Cette conduite fut envisagée comme un signe de faiblesse; elle ne fit qu'enhardir les chefs du parti révolutionnaire, qui se sentaient soutenus par la France...11»

Toutefois, ni les mesures que les gouvernements de la Suisse prenaient contre l'invasion des idées révolutionnaires12, ni la garde redoublée aux frontières, ni la surveillance des Français, et des Suisses revenus de France, des étrangers, en général, et de leurs domistiques, ni la vigilance secrète pour découvrir les émissaires du club des Suisses, ni les correspondances entretenues à grands frais à Paris et ailleurs, n'arrêtèrent le torrent révolutionnaire. Un esprit nouveau se manifestait par une fermentation générale. Dans le canton de Schaffouse, à Unter-Hallau, en 1790, les habitants repoussant la qualification de sujets de la ville de Schaffouse, prétendaient au titre de libres confédérées. Mais l'intervention armée de Zurich les comprima, et le bannissement des chefs fit justice de ce premier mouvement révolutionnaire. Dans l'été de cette même année, un grand nombre des habitants d'Arau se réunissaient, demandant aux conseils de cette ville le libre achat des denrées. Dans le tumulte, quelques coups de fusil furent tirés; Berne sévit, et le mouvement fut comprimé. Dans le Bas-Valais un mouvement plus sérieux éclatait, il menaçait de se propager dans le Pays de Vaud, et donnait à Berne l'occasion de déployer un imposant appareil militaire.

La partie du Bas-Valais, qui s'étend depuis St Maurice à St Gingolph, était Savoyarde, jusqu'à l'époque de l'invasion du Pays de Vaud par les Bernois, en 1536, alors il fut la proie des dixains du Haut-Valais. «Les Bas-Valaisans devinrent sujets des dixains du Haut-Valais, qui les régirent sans lois écrites, les dispensèrent, à la vérité, d'impositions directes, mais les abandonnèrent, pour l'exercise de la justice et de la police, à l'arbitraire de châtelains élus par l'assemblée du peuple souverain, qui mettait ces places à l'enchère. Or, leur durée n'étant que deux ans, et leur traitement minime, les magistrats qui les desservaient se croyaient autorisés à s'indemniser, par leur vénalité, de celle dont avaient usé leurs commettants à leur égard. La faculté de punir les délits à prix d'argent leur était une grande ressource. A ce genre d'exaction il s'en joignait d'autres. Ainsi on accusait le châtelain de St Maurice de se faire payer la permission de fumer du tabac; le châtelain de Monthey, de favoriser les contrebandiers savoyards, en leur vendant du sel, et de les dénoncer aux autorités sardes, pour obtenir de celles-ci une part aux confiscations. Le Bas-Valais ne pouvait obtenir justice de ces iniquités13.» Aussi, ce malheureux pays n'avait d'espoir que dans la révolte. Une première émeute eut lieu à Monthey et à St Maurice, le 18 septembre 1790. Les châtelains prirent la fuite, sans avoir été maltraités. En peu d'heures, tout le pays arborait la cocarde nationale française, et partout on plantait des arbres de liberté. Quelques notables appelés à la tête de ce mouvement prévinrent des excès. Le Conseil de Berne, instruit de cet événement, envoya deux députés à St Maurice, MM. Fischer et de Watteville, et ordonna la levée de deux mille et six cents hommes, et tint prêt un nombre double, pour défendre le gouvernement d'Aigle de toute tentative révolutionnaire, et, au besoin, pour comprimer le soulèvement du Bas-Valais.

Ce soulèvement eut un grand retentissement dans le Pays de Vaud. Le joie des Patriotes, comme l'on désignait alors tous les partisans des réformes, fut au comble; la terreur des Aristocrates, comme l'on désignait les partisans des institutions bernoises, excessive. A Aigle, à Vevey, à Lausanne, dans la plupart des villes, des symptômes de révolte se manifestaient. On peut en juger par les passages suivants des Mémoires de Mr de Rovéréa, l'un des chefs militaires envoyés à Aigle, et partisan dévoué de coeur, de principes et d'action à LL. EE. de Berne.

«Un courrier m'apporta l'ordre de rejoindre les députés. (Mr de Rovéréa était major du département militaire d'Aigle.) Je les atteignis pendant la nuit à Vevey, où l'on fit les dispositions nécessaires pour réunir quelques troupes à Aigle, où nous nous rendîmes. Le gouverneur, ou bailli, Mr de Diesbach, était inquiet de la rumeur qui gagnait parmi ses ressortissants, et qui aurait pu se manifester, si l'on eût tardé à la contenir. L'apparition inopinée des députées bernois, le respect qu'on leur montait, rassura les honnêtes gens, calma les têtes échauffées et intimida les factieux. Néanmoins, la crise était vive. Un incident pouvait l'aggraver. On avait mis sur pied des compagnies de Lavaux, district réputé très-attaché au gouvernement. Ces compagnies essuyèrent, à leur passage à Vevey, toutes sortes de séductions, tendant à les dissuader de prêter main-forte contre une cause qui, leur disait-on, allait devenir la leur. — Le soldat tint ferme; mais plusieurs officiers se laissèrent ébranler, et s'excusèrent de servir. Leurs supérieurs usèrent envers eux d'une condescendance déplacée. — Ces compagnies prirent ainsi, incomplètes, le chemin du château de Chillon, où de nouveaux essais de corruption les attendaient. Il s'y commit des désordres qui furent tièdement réprimés, et ce ne fut qu'avec peine qu'on parvint à passer outre. — On eut, à Aigle, un faux avis, sans doute semé à dessein, que cette troupe s'était révoltée et dissoute. Le danger de cet état de choses prescrivait de tout risquer pour y remédier. Mettant donc de côté toute crainte, je partis seul d'Aigle à neuf heures du soir, et rencontrai un faible détachement, conduit par un officier d'état-major. Tout était ivre. L'officier affirma que le gros des gens, épuisé de fatique, se reposait le long de la route. On fit halte, je mis pied à terre, et donnai de bonnes paroles aux hommes présents, en attendant les traînards. Dès qu'il y en eut une centaine réunis, on se remit en mouvement et le reste suivit. — De cette manière nous entrâmes à Aigle à minuit, tambour battant, à l'étonnement du public, qui supposait cette troupe dispersée, et à la grande satisfaction du gouverneur, Mr de Diesbach, qui croyait déjà son bailliage insurgé. — Le lendemain, je fis prendre les armes à deux compagnies, les organisai, les exhortai et les contins, en attendant que celles du Pays-d-Enhaut, qui avaient été commandées, et sur la fidélité desquelles on pouvait compter, débouchassent de la montagne. Elles arrivèrent en bon ordre, à l'heure convenue, et donnèrent confiance aux autres. Le même soir ce bataillon entra à Bex, et y causa autant de surprise aux habitants, que d'effroi aux insurgés, en interrompant toute communication de notre pays avec eux. — Dès cet instant l'ordre et la discipline furent établis, le service se fit régulièrement. Une chaîne de postes dès le pont de St Maurice à Chillon assura la tranquillité intérieure; la révolte du Valais s'amenda, et l'esprit de sédition qui commençait à percer chez nous, y fut alors étouffé sans voie de rigueur14

Les insurgés du Bas-Valais, voyant que le mouvement révolutionnaire, dans le Pays de Vaud, était comprimé par la présence des commissaires bernois et des troupes, implorèrent l'intervention bernoise, et à la première sommation, non-seulement ils supprimèrent les signes d'insurrection qu'ils avaient adoptés, mais ils dénoncèrent les auteurs de leurs troubles. Plusieurs de ceux-ci furent arrêtés, pendus, ou bannis. Un agent des clubs français, le comte Charles de Perrigny, fut livré aux commissaires bernois et transféré à Berne, où il fut condamné à une réclusion de quelques années. «De son côté, dit Mr de Rovéréa, la diète du Valais ayant réclamé la médiation de Berne, le sénateur Fischer reçut l'exposé des griefs que les députés des insurgés lui présentèrent. Le voeu secret des insurgés était de passer sous la domination bernoise.... Mais à Berne, les avis étaient partagés sur cette proposition. Un parti proposait d'offrir une somme à la diète de Valais pour l'acquisition des dixains de Bas-Valais; tandis que l'autre voulait que les insurgés fussent contraints de rentrer simplement sous l'autorité arbitraires qu'ils avaient secouée.»

Ce dernier parti l'emporta, et LL. EE. se contenèrent de recommander les dixains insurgés à la clémence des dixains souverains. Cependant, ajoute Mr de Rovéréa, les commissaires bernois, «au lieu d'atteindre le but qui leur était prescrit, de sonder les dispositions des Bas-Valaisans, ne réussirent qu'à agiter les esprits et à répandre des germes de défiance, ou le désir d'innovations, et dévoilèrent, ainsi, aux regards perçants des factieux, l'inquiétude du gouvernement, que ces factieux visaient à détruire.» De l'aveu de Mr de Rovéréa, si parfaitement instruit des plans de l'oligarchie bernoise, l'arrivée à Berne du comte d'Artois et du prince de Condé, fut la cause de la ligne de conduite que suivirent les commissaires bernois dans le Bas-Valais. «Le comte d'Artois, dit-il, et le prince de Condé, avaient à coeur d'engager les Suisses, et surtout le canton de Berne, à entrer dans la coalition qui se formait pour le soutien de la cause royale. L'avoyer Steiguer y inclinait, et cela, peut-être, autant par ambition personnelle que par ce valeureux patriotisme, qui, depuis, l'a si glorieusement illustré. Mais connaissant la répugnance de ses collègues pour une entreprise, selon eux, trop téméraire, et dont le but était d'ailleurs contraire à plusieurs d'entr'eux, l'avoyer Steiguer se flatta de les y entraîner, en prolongeant l'état de trouble du Valais, qui, en nécessitant le maintien de quelques milices sur pied, familiarisait insensiblement avec l'idée d'armements plus considérables. — L'avoyer se trompa : ses antagonistes, pénétrant ses projets, se hâtèrent de les déjouer, en faisant licencier subitement (décembre 1790) les troupes d'occupation, quoique de nouveaux indices de fermentation aux environs d'Aigle rendissent sa présence encore utile15

Cette coalition, dont fait mention Mr de Rovéréa, coalition qui se formait en Suisse et en Allemagne, avait pour cause l'inimitié des rois et de tous les gouvernements contre les dogmes révolutionnaires, la déclaration des droits de l'homme, l'abolition de l'aristorcratie, les restrictions apportées au pouvoir royal, et la représentation nationale, qui en France absorbait tous les pouvoirs. Une foule d'émigrés quittaient la France, non par intérêt individuel, mais par esprit de corps. Des émigrés avaient leur quartier général à Coblentz, auprès des frères du roi et du prince de Condé, d'où ils entretenaient les intelligences en France. D'autres, se confiant dans leur épée, s'organisaient en Piémont, en Espagne, en Suisse, pour pénétrer en France les armes à la main. Dans leur aveuglement, les émigrés se voyaient déjà maîtres de la France et les restaurateurs de la monarchie, et se mêlant des affaires des pays qui leur donnaient asile, ils accablaient de leur mépris quiconque osait manifester le moindre sympathie pour la cause populaire, et se déclaraient les adversaires de quiconque voyait dans les principes de la révolution française un moyen d'obtenir la reconnaissance de ses droits de citoyen. Il en résulta dans le Pays de Vaud une profonde scission. Le pays se partagea en deux partis. Quiconque se déclarait pour une réforme dans le système du gouvernement bernois, n'était plus un patriote, mais un jacobin, aux yeux d'un parti, tandis que celui qui maudissait les excés de la révolution était, aux yeux de l'autre parti, un aristocrate, un enragé, un vil suppôt des tyrans. Même, dans le Deux-Cent de Berne, dans le sénat de cette république, celui qui proposait quelques concessions en faveur des sujets passait bientôt dans la pure oligarchie pour un jacobin, un sans-culotte. Aussi les membres des conseils de Berne qui opinaient pour que l'on fît quelques concessions à l'esprit du moment, furent réduits au silence; la modération fut remplacée par la violence. Le pasteur de Mézières fut la première victime de cette voie déplorable, dans laquelle LL. EE. s'engagèrent alors.

Ce pasteur, Mr Martin, à l'issue du consistoire, devisait avec plusieurs de ses paroissiens sur la prétention que Mr de Diesbach, seigneur de Mézières, avait élevée pour prélever la dîme sur la récolte des pommes de terre, et concluait que «puisque la pomme de terre n'était pas une graine, elle ne devait point la dîme.» Le secrétaire de la consistoire, le châtelain Reymond, dénonça pour ce fait le pasteur Martin au seigneur de Mézières, Mr de Diesbach. Prévenu du crime de haute trahison, le pasteur Martin est arrêté au milieu de la nuit par une escouade envoyée de Berne, jeté dans les prisons de cette capitale, et soustrait à son juge naturel. Des voix indépendantes dans le Deux-Cent accusèrent cet acte arbitraire; on le blâma dans le public de Berne, mais il excita surtout une grande rumeur dans tout le Pays de Vaud. Les conseils d'Yverdon, de Morges, réclamèrent dans des mémoires le respect de la loi et sa garantie. Après quatre mois de captivité, le Deux-Cent reconnut l'innocence de Mr Martin, et lui décerna un dédommagement de cent louis. Les Vaudois fêtèrent son retour avec éclat. A Lucens, à Moudon, à Bressonnaz, il fut reçu avec des discours, des rafraichissements, des festins, des salves d'artillerie. Ses paroissiens firent venir de Lausanne un char transportant la musique des Hoffmann pour rendre la fête plus brillante. L'accusateur du pasteur fut censuré et destitué. L'intérêt qu'inspira Mr Martin, les représentations sévères que firent les villes et le clergé du Pays de Vaud, montrèrent combien l'opinion publique était animée contre Berne. «Cet acte de violence, ce procédé sans exemple jusqu'alors, dit Mr de Rovéréa, excita les frondeurs, jeta de la défiance entre les gouvernés et les gouvernants, et laissa dans le pays de nombreuses traces de mécontentement.»16

Tandis que les partis étaient tour à tour abattus ou exaltés par les vicissitudes qui accompagnaient la révolution française dans sa marche menaçante, des nouvelles inattendues donnaient lieu, dans le Pays de Vaud, à des manifestations significatives.

Le malheureux Louis XVI, abandonné par sa famille, par la noblesse, captif dans le château des Tuileries, privé de l'amour d'un peuple égaré, et que la violence des factions rendait furieux, prenait la fuite, non point pour son propre salut, mais pour celui de la reine son épouse et de ses jeunes enfants. La nouvelle de la fuite de la famille royale transporta d'allégresse les partisans de la royauté et ceux des priviléges. «Le contraste de l'effroi que causa cette évasion aux partisans du nouveau régime, et de l'allégresse à laquelle ceux de l'ancien se livrèrent, dit Mr de Rovéréa, le revirement subit qu'occasiona l'arrestation de l'infortuné monarque, à Varennes, ne pouvait qu'irriter violemment l'esprit de parti déjà si exalté. Cette funeste tendance se fit surtout ressentir à Berne et dans le Pays de Vaud. On s'y livra sans mesure à la joie de la déliverance du roi; on paraissait ainsi narguer la consternation des adhérents de la révolution, qui, à leur tour, célébrèrent par des fêtes insultantes pour leurs antagonistes, et notamment pour le gouvernement bernois, la captivité du malheureux prince17

«La loie insultante des émigrés, dit un écrivain du parti révolutionnaire18, les menaces inconsidérées qui leur échappèrent dans ce premier moment contre les partisans de la liberté, et la certitude d'une banquroute qui allait ruiner les familles dont la fortune se trouvait placée dans les fonds de France, avaient répandu l'alarme, dans le Pays de Vaud, lorsque la nouvelle de l'arrestation du roi vint donner aux esprits une impulsion contraire. On ne peut d'abord y ajouter foi, on se défie des pièges de l'aristocratie, on craint de s'abuser. Lorsqu'un horloger, nommé Jequier, court au devant du courrier de Paris, et revient à Lausanne avec une gazette dont le contenu est écouté avec une joie d'autant plus bruyante que les letters étaient retenues à la poste.»

Le Conseil de Lausanne, invité par le bailli à sévir contre les auteurs de cette manifestation, prenait le délibération suivante : «A l'occasion des bruits, attroupements et cris, pétards et fusées, qui ont eu lieu en cette ville la nuit dernière, nous n'avons cependant pas cru devoir ordonner des informations, afin de connaître les auteurs des dits bruits, attroupements et cris, que nous estimons n'avoir été causés que par la joie excessive que les intéressés dans les affaires de France ressentaient de l'événement survenu. Mais nous chargeons une commission afin d'avoir une conférence à ce sujet avec nôtre Magnifique Seigneur-Bailli.» (Registres du Conseil de Lausanne, 125, 1er juillet 1791.)

Ce fut dans ce moment d'enthousiasme que, dans le Pays de Vaud, on fêta le 14 juillet, anniversaire de la prise de la Bastille, à l'imitation de ce qui avait eu lieu l'année précédante à Rolle. L'une de ces fêtes, célébrée près d'Ouchy, attira un concours inaccoutumé.

Dans une salle de maronniers du Jourdil, maison de campagne du banquier Dapples, cent-cinquante personnes, magistrats des Conseils de Lausanne, seigneurs de fiefs, négociants, avocats, médecins, officiers de la milice, propriétaires domiciliés à Lausanne et dans les villes voisines, prennent place, le 14 juillet, à un banquet préparé autour d'une tribune couronnée par le chapeau de Guillaume-Tell. Des décharges d'artillerie annoncent le festin. Le fils du professeur Durand, libraire à Lausanne, prononce un discours dans lequel il invite l'assemblée à l'affection, à l'union, et à observer la loi et l'ordre. «Le plaisir d'une réunion dont Lausanne n'avait point encore offert d'exemple,» écrit Mr Rosset au bailli qui l'invitait à rendre compte de ce qui s'était passé dans cette journée, «nous anima d'une gaîté que la plus forte pluie ne put ni abattre, ni interrompre. Cette gaîté fut bruyante, mais sans excès et sans désordre. Les santés des Suisses du Canton de Berne, des villes et communautés du Pays Allemand et Romand, furent portées. Celle des villes et communautés excita le plus vif enthousiasme et fut bue à la ronde dans une coupe dont Liberté, Fraternité, Egalité étaient la devise. Quelques ronds terminèrent le repas, après lequel les convives, précédés de la musique Hoffmann, se rendirent deux à deux à Ouchy, où une barque les attendait. Le spectacle de feu d'artifices et d'un peuple immense que le désir de voir cette réunion d'amis et de compatriotes avait attirés à Ouchy, ce spectacle était beau et imposant. Le feu d'artifice terminé, nous descendîmes à terre à neuf heures, à la clarté des flambeaux et au milieu d'une foule immense, dont je ne crois pas exagérer le nombre en le portant à trois mille âmes. L'idée de danser encore un rond au milieu de ces braves gens ne put être mis à l'exécution qu'un instant, à raison de la foule, qui était telle qu'on risquait d'être étouffé. Ensorte qu'après bien des cris de joie, pour lesquels le peuple se joignait à nous, ou plutôt criait seul et de lui-même, avec une ardeur inconcevable, on reprit le chemin de la ville accompagné de la foule. Le plus difficile restait encore à faire. C'était d'empêcher que cette foule prodigieuse, venant à rentrer en ville avec les flambeaux et la musique, ne troublât par l'excès de sa joie le repos de ceux de ses habitants qui n'avaient pu, ou n'avaient pas voulu y prendre part. C'est ce dont quelques-uns d'entre nous vinrent à bout, en arrêtant la colonne à la croisée du chemin de Morges, à six cents pas d'Ouchy, en prenant les flambeaux des mains de ceux qui les portaient, et en renvoyant les musiciens avec leurs instruments en poche ou sur le dos19

Tandis que cette fête bruyante animait les environs de Lausanne, les patriotes de Vevey célébraient le 14 juillet, et leurs feux d'allégresse répondaient à ceux qui brillaient sur les eaux d'Ouchy, et annonçaient que le lendemain la fête continuerait à Rolle, où les Abbayes de l'Arc s'étaient donné rendez-vous.

A Rolle, la réunion fut nombreuse et composée de personne des deux partis. On y voyait Mr de Bonstetten, bailli de Nyon, Mr de Kirchberguer, baron de Rolle et de Mont, le lieutenant-colonel Arpeau et Mr Desvignes, seigneur de Givrens, et d'autres personnages dévoués à LL. EE. de Berne. Après le tir de l'arc, les convives se réunirent sous les tilleuls de la promenade de Rolle, dans un banquet dirigé par Mr Amédée de la Harpe, seigneur de Yens et des Uttins. Le chapeau de Guillaume-Tell est arboré au bout d'une pique; des toasts patriotiques sont portés; la coupe de la Fraternité, qui, la veille, avait figuré au banquet du Jourdil, circule sous les tilleuls de Rolle. On entonne le fameux ça ira, les refrains Temps glorieux, Vivre libres ou mourir. Le jeune Durand répète son discours de la veille, et harangue des enfants, auxquels il annonce qu'un jour ils seront des hommes libres et des soldats de la liberté; l'avocat Marc-Antoine Miéville porte un toast à la grande nation. Le délire gagne l'assemblée et un peuple immense qui l'entoure. Des hommes calmes, ou plutôt timorés, protestent par leur silence contre ces exagérations; le bailli de Nyon et les adhérents de LL. EE. se retirent indignés. Bientôt, les convives restés au banquet se lèvent et se rendent en procession au château des Uttins, chez Mr de la Harpe, qui leur remet un drapeau d'Abbaye, surmonté du chapeau de Guillaume-Tell orné de rubans tricolores; des officiers, en uniforme et l'épée nue, entourent ce trophée et dirigent une procession qui, aux cris de Vive l'Egalité, parcourt la ville et ne suspend sa marche que pour danser des ronds et se livrer aux démonstrations de la joie la plus turbulente. Le soir, cette fête est terminée par un bal.

Ces bruyantes manifestations émurent les Conseils de Berne, et les décidèrent à prendre les mesures les plus rigoureuses pour étouffer, dans le Pays de Vaud, ces symptômes d'une prochaine révolution.

Sur la proposition du Conseil-Secret, le Deux-Cent de Berne, dans sa séance du 21 juillet, arrête des mesures de rigueur et confère des pouvoirs étendus au Conseil-Secret et au Conseil de la Guerre. Toutes célébrations d'événements étrangers sont interdites sous les peines les plus rigoureuses; quarante-cinq mille francs sont sortis du trésor pour frais de guerre; toutes les troupes de la république sont de piquet; huit compagnies d'élite du Pays de Vaud, en escadron de dragons, et de l'artillerie, sont mis sur pied, et, pour les appuyer au besoin, l'on forme près de Berne un camp de deux mille cinq cents hommes, levés dans les bailliages allemands, et commandés par le général d'Erlach d'Hindelbank. Les troupes du Pays de Vaud, choisies, l'infanterie sur ses sept départements militaires, les chasseurs et les dragons, levés dans le département d'Yverdon, et l'artillerie, dans celui d'Aigle, sont placées sous le commandement du colonel du Fès de Moudon, ayant sous ses ordres : le major de Loës d'Aigle, pour l'artillerie; le major Rusillon d'Yverdon, pour les dragons; le capitaine Pillichody pour les chasseurs. Le général de Goumoëns commande en chef. LL. EE. notifient en même temps à la cour de Turin et au gouvernement français que cet armement n'avait d'autre but que le maintien de la tranquillité intérieure20.

Cependant, le sénateur Fischer, revêtu de pouvoirs étendus, se rendait au Pays de Vaud et appelait auprès de lui le major de Rovéréa, dont le dévouement dans les affaires du Bas-Valais et celles d'Aigle, lui avait valu sa nomination à la grande bourgeoisie de Berne. «J'accompagnais le sénateur Fischer à Bex, dit cet officier, où l'on soupçonnait une connivence insurrectionnelle avec le Bas-Valais. Les têtes y étaient effectivement échauffées, et les voies de douceur insuffisantes pour les calmer : la présence de la force armée les contint.»

Le général de Goumoëns se réunissait à Mr Fischer à Bex, et le suivit à Lausanne pour y conférer sur les mesures à prendre avec le bailli, Mr d'Erlach, récemment revêtu de la haute police et du commandement du Pays de Vaud. Mais au lieu d'attendre, pour prendre une décision, le résultat de la conférence de Lausanne, le Deux-Cent chargeait une commission de quatre de ses membres, MM. Fischer, Haller, Tscharner et Frisching, de faire une enquête sur les désordres commis dans le Pays de Vaud. «Cette innovation déplut, avoue Mr de Rovéréa. La saine partie du public aurait préféré que ces enquêtes eussent été confiées aux tribunaux ordinaires. Le baron d'Erlach, bailli de Lausanne, proposa que l'on adjoignît à ces commissaires un nombre égal de commissaires du Pays de Vaud; mais on objecta, à Berne, la crainte de les exposer à des ressentiments.»

Cette démonstration militaire, l'arrivée de la Haute-Commission, les menaces proférées par les partisans, quand même, du gouvernement bernois, frappaient de terreur les communes rurales. Un grand nombre d'entre elles envoyaient des adresses à LL. EE. Comme au temps de Davel, les Quatre-Paroisses de Lavaux désavouaient les manifestations révolutionnaires du Jourdil et de Rolle, «et protestaient contre l'esprit de faction et d'indépendance, savourant, disaient-elles, la liberté dont elles jouissaient et le bonheur de vivre sous un sage gouvernement, pour lequel elles étaient prêtes à verser jusqu'à la dernière gouttte de leur sang.» La députation de Lavaux présentait, le 23 juillet, cette adresse au bailli de Lausanne, et proposait de célébrer à Cully le jubilé de la fondation de Berne, ville souveraine du Pays de Vaud. LL. EE. daignèrent accepter cette offre et accorder une douceur aux fidèles sujets de Lavaux. Le jour séculaire arrivé, le bailli, baron d'Erlach, se rend à Cully pour veiller aux préparatifs du festin, où ont indistinctivement appelés des patriotes et des aristocrates. Mais le zèle des dévoués à LL. EE. faillit amener un conflit. Ces dévoués proposent des santés anti-patriotiques; les patriotes de Lavaux, se sentant insultés, ripostent par des injures qui sont suivies d'une mêlée, où les coups ne sont point épargnés, et à laquelle le bailli lui-même, Mr d'Erlach, échappe à grand peine21.

Cependant la troupe du général de Goumoëns, après avoir laissé de faibles garnisons à Bex, à Chillon et à Lausanne, campait à Perroy, d'où elle fournissait une garde nombreuse à la Haute-Commission qui s'installait au château de Rolle, et commençait l'enquête sur les journées du 14 et du 15 juillet (1791). Dans ce même moment les baillis publiaient la notification suivante à chacun des Conseils de leurs bailliages :

J'ai ordre de vous annoncer que, sur ce sujet qui est revenu LL. EE. de ce qui s'est passé le 14 et 15 juillet en différents endroits du Pays de Vaud, elles se croient dans l'indispensable nécessité de prendre des mesures sérieuses pour faire cesser ces scandales et pour maintenir la tranquillité publique et la sûreté de l'Etat. En conséquence, LL. EE. ont pris la résolution d'envoyer au Pays de Vaud une Commission pour prendre des informations exactes sur ce qui s'y est passé. Elles ont cru nécessaire de prendre quelques arrangements militaires, non-seulement pour le maintien de l'autorité, mais surtout pour la conservation de la tranquillité publique et de la patrie. LL. EE. ont la plaine confiance que non seulement la très-grande partie des habitants du Pays de Vaud ont vu avec mécontentement ces actions répréhensibles, mais qu'ils concourront à tout ce qui pourra contribuer à maintenir l'ordre, la paix et la conservation de la république. — J'ai ordre de témoigner le contentement, et de les assurer de leur spéciale bienveillance et protection. — LL. EE. déclarent encore qu'elles regardent comme perturbateur du repos public, tout individu qui se permettra d'en insulter un autre, quel qu'il soit, étranger ou du pays, de paroles, de fait, ou de quelque manière que ce puisse être. 1er août 1791. (Registre de Mémoires pour la ville de Lausanne, VIII, 238).

La Haute-Commission commençait son enquête en interrogeant sous le sceau du secret les partisans de LL. EE., et employait ainsi une partie du mois d'août, toutefois, sans ordonner aucune arrestation. Cependant, le 16 août, un garçon voiturier, Jean-Pierre Cuendet, arrivant de Paris, est accusé d'avoir répandu une Adresse de la Société des amis de la Constitution, séante à Dijon, au peuple de Lausanne, fut arrêté par l'ordre du bailli. Cette arrestation causa une vive rumeur et un attroupement tumultueux, qui manifestait l'intention de délivrer Coendet, et même, selon Mr de Rovéréa, d'incendier le château. Mais cet attroupement fut bientôt dispersé par l'intervention de magistrat de Lausanne, et Coendet, soustrait à son juge naturel, était transféré dans les prisons du château de Rolle, en vertu des ordres de la Haute-Commission. Alors, vingt membres de la magistrature de Lausanne présentèrent une requête au Conseil des Vingt-Cinq, afin que le Deux-Cent fût convoqué «pour être par lui délibéré si la saisie et l'incarcération de Coendet est dans la règle ou non?» Cette demande ayant été pris en considération, le Deux-Cent était convoqué pour le 24, dans le but de nommer une commission qui devait donner un préavis le 29.

La nouvelle de ces symptômes de résistance parvenue à Berne, LL. EE. ordonnèrent au général d'Erlach d'Hindelbank, commandant la division allemande, de prendre position à Payerne et de marcher sur Lausanne, à la première nouvelle d'une résistance quelconque aux ordres de LL. EE.

Cependant, la Haute-Commission, sous la présidence du sénateur Fischer, continuait ses opérations et mandait à Rolle les personnages accusés d'avoir pris une part active aux journées du 14 et 15 juillet. Plusieurs d'entr'eux, prévoyant les rigueurs qui les menaçaient prirent la fuite, entr'autres, MM. de la Harpe seigneur d'Aubonne. Le lieutenant-baillival Rosset-Cazenove, ayant reçu par la poste une lettre anonyme conçue en ces terms : «Partez, ou vous êtes perdu! Ne perdez pas un instant et croyez à cet avis : tout est dévoilé, » remettait cette lettre au bailli d'Erlach, et, fort de son innocence de tout complot contre l'Etat, offrait de se constituer prisonnier. Mais le bailli lui répondit : «Ne faites aucune attention à tout cela!» Néanmoins, le 29 août Mr Rosset et le capitaine Muller de la Mothe recevaient du bailli de Lausanne des mandats pour comparaître le lendemain, 31 août, devant la Haute-Commission à Rolle.

«J'avoue que je suis fort satisfait, dit Mr Rosset22, de voir arriver ce mandat, comme un moyen de faire cesser tous les bruits et rapports auxquels j'étais depuis si longtemps en butte. Qu'on le demande à tous ceux qui me virent le 29 et le 30 : jamais je ne fus plus gai et plus joyeux; je regardai cette citation comme un bien pour moi, et je ne concevais pas comment elle pouvait être envisagée par beaucoup de mes amis comme quelque chose de fâcheux. Encore le 31, en nous rendant à Rolle, Mr Muller de la Mothe et moi, nous nous félicitions de pouvoir, enfin, tout éclairer à notre égard. Arrivés à Rolle, on m'apprend qu'un détachement est commandé, qu'il s'agit d'arrêter quelqu'un, on nous offre des moyens de fuir. Mais, loin de penser que cet appareil militaire pouvait nous regarder, nous refusons ces offres, et à huit heures du matin nous nous présentons au château.

«Peu après je fut interrogé par Mr le conseiller Fischer sur les fêtes du 14 et du 15 juillet, sur ce qui s'y était passé, sur des boutons d'habit que je devais avoir distribué, sur mon voyage à Pontarlier, sur ma prétendue affiliation au club de cette ville, enfin, sur les rubans aux couleurs nationales que j'étais accusé d'avoir donnés à l'aubergiste d'Echallens. Cet interrogatoire dura une heure et demie. Je fus conduit dans une pièce, où je ne trouvais pas Mr de la Mothe. Après une attente de plus de deux heures, on vint me prendre pour me ramener auprès de la Haute-Commission. Mr le sénateur Fischer me dit qu'il était fâché, ensuite de mes déclarations et celles d'autres personnes, d'être obligé de me faire arrêter comme prisonnier d'état. Il me demande mon épée que je posai sur une table. Je voulus protester de mon innocence, déclarer que je n'étais d'aucun complot, d'aucune association... Mr Fischer m'imposa silence, et je fus ramené dans le chambre où j'avais passé seul quelques heures. Un instant après il fallut partir. Je trouvai Mr de la Mothe dans le corridor au milieu de soldats que se formèrent sur deux lignes. Nous fûmes mis entre ces deux lignes à distance l'un de l'autre, et conduits ainsi au bord du lac. Nous entrâmes avec de détachement d'environ quarante hommes dans une barque, sur laquelle une douzaine de matelots n'attendaient que nous pour partir. On nous fit descendre au fond de la barque, où nous trouvâmes, aux deux extrémités de la cale, de la paille pour nous coucher. Une sentinelle nous séparait, et il nous fut enjoint de ne point nous parler. Mr de Tavel et Mr Pillichody, commandant du détachement, firent tout ce qui pouvait s'accorder avec leurs ordres pour rendre la traversée la moins fâcheuse que possible. Cependant elle fut affreuse. L'idée d'une épouse chérie allaitant un enfant de six mois; les craintes de la révolution que ne pouvait manquer d'occasionner sur elle, dans un moment aussi critique, la nouvelle de mon arrestation, — cette idée, ces craintes, me mettaient au désespoir! Les cris menaçants par lesquels on éloignait les bateaux que le hasard ou la curiosité approchaient de nous, ajoutaient à l'horreur de notre situation. Non! jamais je n'oublierai ces vingt-quatre heures. Car, grâces au calme plat, ce ne fut que le jeudi 1er septembre, à une heure après-midi, que nous arrivâmes à Chillon, La garnison était sous les armes et la foule considérable. Je fus conduit au cachot No 12. On ferma les trois portes de ce cachot. A peine avais-je assez de jour pour en voir l'intérieur. Il était voûté et carronné, et avait douze pieds sur huit. Un lit, une chaise de bois et un vase de nuit, étaient tout ce qu'il renfermait. Pour lire, je devais monter et me tenir debout sur ma chaise, pour saisier le peu de jour que donnait, à la naissance de la voûte, un guichet de dix pouces de long sur trois de hauteur. Deux heures après mon arrivée on m'apporte à manger, mais inutilement : cela m'était impossible. Enfin, privé de lumière, et malgré l'horreur de ma situation, je dormis sans interruption pendant près de neuf heures. Le 4 septembre on m'accorda une heure de promenade dans la cour, avec l'officier de semaine pour m'accompagner, et des sentinelles pour me surveiller... Le 11 septembre j'eus la permission d'écrire à ma femme, en présence de l'officier de semaine qui portait mes lettres ouvertes à Mr de Joffrey, commandant de Chillon, qui les faisait parvenir, tantôt à Mr le bailli de Vevey, tantôt à la Haute-Commission.»

La nouvelle de l'arrestation de MM. Rosset et Muller, arrivée dans la soirée du 31 août à Lausanne, y produisait une vive sensation. Un nombreux attroupement se formait sur la place de la Pont, lieu de réunion des ouvriers après leurs travaux. Des cris menaçants étaient proférés. Un appel Aux armes! au Château! au Signal! se faisait entendre. Une foule exaspérée parcourait les rues, se portant vers les clochers pour y sonner le tocsin. Mais le bailli avait pris ses précautions et fait occuper par la troupe les portes des clochers et fermer grilles du château. Les magistrats péroraient la foule, l'engagaient à se disperser, lui promettant que le Deux-Cent, convoquée pour le lendemain, prendrait des mesures pour que justice fût rendue aux deux citoyens victimes d'une arrestation arbitraire.

Le lendemain, 1er septembre, le Deux-Cent, après une discussion orageuse, dans laquelle les protestations les plus énergiques étaient proposées par la minorité, prenait la détermination suivante :

Communication nous ayant été donnée par les seigneurs du Conseil des Vingt-Cinq, des ordres qu'ils ont reçus hier, par le canal de SS. baillivale, de la part des seigneurs de la Haute-Commission, siégeant à Rolle, relativement à Mr l'assesseur-baillival Rosset et à Mr Muller de la Mothe, nos concitoyens et membres de notre noble corps du Deux-Cent, à leur arrestation, incarcération et autres opérations faites à leur sujet; prenant le cas en sérieuse considération, nous avons trouvé que comme nos droits et priviléges peuvent avoir été enfreints en cette occasion, et que nous sommes dans l'ignorance à cet égard, parce que le mandat de citation notifié à ces messieurs ne contenait pas le sujet pour lequel ils ont été appelés, il était indispensable d'en faire un article à part, distinct de la représentation que nous résolûmes hier d'adresser à LL. EE., concernant Coendet, pour les prier qu'au cas que les faits pour lesquels nos deux concitoyens sont incarcérés se fussent passés dans l'enceinte de notre Juridiction, LL. EE. daignassent nous maintenir au bénéfice des priviléges de notre justice criminelle. Et trouvant nécessaire de faire appuyer cette représentation de commissaires de notre part, nous avons nommé MM. Seigneux banneret de Pont, Henri Pollier conseiller, Juge de Saussure, Louis de Saussure, qui devront partir sans retard pour Berne, nous remettant à leur zèle et à leurs lumières pour le succès de cette affaire.

Quant à la saisie et à l'arrestation de J.-P. Coendet, considérant : 1o que Mr le bourgmaître, compétent pour accorder une saisie dans des cas graves, etc., ne l'est jamais pour accorder la translation hors de la Juridiction; 2o que Mr le bourgmaître le pouvait d'autant moins, que le susdit Coendet, dans le moment de sa saisie, avait la ville pour arrêts, et que le tribunal était déjà saisi de la personne et du cas; 3o que le délit quelconque que peut avoir commis le dit Coendet, rière la Juridiction de Lausanne, devait être connu et jugé par les tribunaux de Lausanne, soit en vertu de notre Constitution, ou Plaict-Général, soit par la connaissance spéciale que LL. EE. en ont faite par leur rescript du 15 avril 1723, qui porte, à l'occasion du major Davel, que le crime, même de haute-trahison, ne fait pas exception à cette loi 257e du Plaict-Général. Nous avons trouvé que, sans réclamer le dit Coendet, il y a cependant lieu à faire de respectueuses représentations à LL. EE. pour leur demander acte comme quoi le fait actuel ne tirera point à conséquence, etc.

Entendu, aussi, la représentation de Mr le capitaine Meyn, seigneur de Vennes, et membre du Deux-Cent de Lausanne, renfermant l'acte de réserve qu'il a faite pour la conservation de nos droits, en paraissant par devant la Haute-Commission, devant laquelle il avait été cité, et dont acte lui avait été donné le 27 août 1791, avant qu'il répondit à son interrogatoire, nous avons ordonné que sa représentation et cet acte de réserve pour lesquels nous témoignons notre satisfaction au dit Mr Meyn de Vennes, soient insérés dans nos registres, et fassent aussi partie des représentations que nos commissaires, selon leur prudence, pourront faire à LL. EE.

Mr le lieutenant-baillival, agissant de la part de SS. baillivale, nous ayant exposé qu'à raison de l'attroupement, qu'il avait appris ce fait hier, dans la place du Pont, le dit Seigneur Bailli avait cru devoir prendre des précautions pour arrêter tout tumulte, et qu'en conséquence il avait ordonné une garde militaire, etc.; mais qu'il était prêt à révoquer ces précautions, moyennant que nous nous rendissions garants de sa sûreté personnelle, et de la sûreté et tranquillité de la ville. Comme aussi que qui que ce soit ne pût s'introduire auprès des cloches. Remerciant le Seigneur Bailli, etc. etc., nous lui déclarons que nous sommes disposés à nous porter garants, etc., et remettons aux soins des Seigneurs du Conseil à employer les moyens qu'ils jugeront convenables pour maintenir la sûreté et la tranquillité, et pour éviter tout attroupement et tumulte23.

Cependant, la Haute-Commission, inquiète des manifestations du peuple de Lausanne, envoyait le major de Rovéréa auprès du bailli de cette ville. «Tout y étant calme, dit-il, j'allai rendre compte au président de la Haute-Commission de l'état des choses et du désir du bailli, qu'on n'aggravât pas le mal en faisant avancer la division allemande. — A peine eus-je achevé mon rapport que je fus dépêché au général d'Erlach d'Hindelbank, à Payerne, pour l'engager à y rester. Il m'écouta attentivement, parut ajouter foi à l'assurance que je lui donnai : — que le moment critique était passé; qu'il existait à Lausanne, au plus six cents malveillants; qu'ils étaient contenus par la classe des gens aisés; qu'on redoutait la présence d'un corps de troupes, qui, en s'avançant dans un pays censé révolté, pourraient, sous ce prétexte, s'y livrer à des excès. — Tout en feignant d'adhérer à cette manière de voir, le général ne pouvait dissimuler son impatience de marcher sur Lausanne, excité d'ailleurs par quelques-uns de ses principaux officiers, qui prétendaient qu'une démonstration à main armée était indispensable pour étouffer entièrement l'esprit révolutionnaire dans le Pays de Vaud.»

Cependant, les députés du Deux-Cent de Lausanne arrivaient à Berne, et y protestaient contre les procédés arbitraires de la Haute-Commission. «Cette députation, dit Mr de Rovéréa, le ton noble et décent qu'elle prit, firent sensation. On en inféra qu'on était résolu au Pays de Vaud, d'opposer la force à la force.... Deux membres du Conseil-Secret furent chargés d'aller conférer avec la Haute-Commission sur les griefs de Lausanne, et d'examiner les travaux des Haut-Commissaires : travaux qui étaient loin d'avoir l'assentiment général du Conseil souverain, où la minorité seulement penchait à soumettre l'opinion, plutôt qu'à la ramener. Le danger de ce principe était évident; nos mécontents étaient trop assurés de trouver un prompt appui et un refuge en France.» (Mém., I. 70).

Néanmoins, la violence de la minorité l'emportait dans les Conseil de Berne; le général d'Erlach quittait le 15 septembre ses cantonnements de Payerne, et le lendemain, à la pointe du jour, le tonnerre des décharges de soixante pièces d'artillerie, en batterie sur les hauteurs de Montagibert, et les feux de bataillon, annoncent l'approche des Allemands, qui entrent dans Lausanne comme dans une ville ennemie. L'arrogance, la grossièreté, la brutalité des officiers bernois, n'ont point de bornes. Chachun doit s'arrêter, chapeau bas, à leur passage. Le colonel Morlot, quartier-maître général, insulte grossièrement un passant qui ne le salue point. Mais ce passant n'était pas un Vaudois : c'était le ministre d'Angleterre à la cour de Turin. Aussi, Mr Morlot, renvoyé de ses fonctions, fut remplacé par Mr de Rovéréa.

Mais passons sous silence les avanies qui durent supporter les habitants de Morges et de Lausanne de la part de la soldatesque du camp de Perroi et de la division allemande, exaspérées par leurs officiers, et suivons la Haute-Commission dans ses procédés arbitraires. Elle quittait Rolle le 19 septembre, et venait siéger au Champ-de-l'Air à Lausanne. Là, dans cette ville soumise au régime militaire, elle continuait ses enquêtes et ses arrestations, et ne craignait pas d'employer des menaces et même des mesures de rigueur pour arracher des dénonciations à quelques malheureux, contre leurs amis, ou contre leurs maîtres. Enfin, la Haute-Commission terminait sa mission, et couronnait les actes déplorables, auxquels elle n'avait pas craint de se livrer, en cherchant à avilir aux yeux de leurs concitoyens les conseils de Lausanne, de Vevey, de Morges, de Moudon, d'Yverdon, de Cossonay, de Rolle et de Nyon. «La Haute-Commission,» dit Mr de Rovéréa, éluda la promesse de rendre sa «procédure publique, ce qui fournit à de malignes interprétations, qu'aggrava l'impolitique cérémonie ordonnée par le gouvernement, qui, en cette occasion, oublia que l'amour-propre outragé ne pardonne jamais.»

En effet, le 30 septembre, les députés des villes du Pays de Vaud, mandés à Lausanne, se rassemblaient, au nombre de vingt-sept, au Champ-de-l'Air, que la Haute-Commission, entourée d'un appareil militaire, quittait pour se rendre au château au milieu d'une double haie formée des deux divisions de Goumoëns et d'Erlach. Bientôt, les députés des villes de Vaud suivaient cette même haie de soldats, «mais tête nue, précédés d'huissiers bernois, exposés aux insultes des paysans et de la soldatesque, tandis que des décharges d'artillerie, répétées de minute en minute, annonçaient au loin la triomphe insultant de l'oligarchie, et l'asservissement du Pays de Vaud... Après cette procession scandaleuse, dont la honte, écrivait alors F.-C. de la Harpe, «dont la honte ne peut être lavée que par la punition de ceux qui l'ordonnèrent, les huissiers bernois, avec leur brutalité accoutumée, introduisent les députés au château, où, en présence des officiers de l'armée, le Tribunal Révolutionnaire (Haute-Commission), ordonne à son greffier de lire une dépêche bernoise, remplie d'invectives et de menaces24...» «Ces députés,» écrit, après trente années, Mr de Rovéréa, présent à cette humiliante cérémonie, «ces députations furent sévèrement admonestées sur les désordres et les provocations insultantes pour l'autorité souveraine, qui avaient été dans leur ressort, les menaçant, en cas de récidive, d'un châtiment exemplaire.... Aucun de ces vingt-sept députés ne répliqua, ni ne proféra une seule parole.... Mais tous emportèrent et transmirent à leurs collègues un sentiment d'amertume, dont le souvenir n'est pas encore effacé.» (Mémoires, II. 76.)

Pour comble d'humiliation, le Conseil de Lausanne dut accorder la salle du Deux-Cent aux généraux et aux officiers des deux divisions pour terminer cette sinistre journée, comme la désigne Mr de Rovéréa, par un repas splendide et bruyant, pour lequel le Conseil de Lausanne eut la faiblesse d'offrir les vins, que ce Conseil osait encore appeler vins d'honneur.

Le lendemain, l'armée d'occupation était licenciée; mais les officiers et les soldats du Pays de Vaud conservaient la demi-solde, afint d'être prêts à se rassembler au premier signal.

La Haute-Commission, de retour à Berne, soumit ses enquêtes au Deux-Cent qui, sans avoir entendu les prévenus, prononça les condamnations dont nous rappelons ici les principales.

Amédée-Emmanuel de la Harpe, seigneur de Yens et des Uttins, membre du Deux-Cent de Lausanne, capitaine de milice, actuellement fugitif, condamné à être exécuté de la vie à la mort par le glaive, au cas qu'il puisse être appréhendé, et sa fortune confisquée au profit du fisc. Celui ou ceux qui livreront le dit de la Harpe à la Justice recevront deux mille écus de récompense (Arrêt du 6 juillet 1792). Mr de la Harpe était accusé d'être «l'auteur et le fauteur d'un système pernicieux de politique; d'avoir cherché par des propos de mépris contre son légitime souverain à lui ôter l'amour de ses fidèles sujets; d'avoir, au moyen d'une fête publique, où plusieurs se sont hasardés à porter des signes de sédition et de ralliement, d'avoir cherché à engager et à séduire d'autres de nos fidèles sujets; d'avoir pris part à des projets qui tendaient à soustraire le Pays de Vaud à son souverain, ou à renverser le gouvernement légitime; d'avoir répandu et fait part à d'autres de ces projets, et entretenu, et formé lui-même des associations par serment pour la réussite de ces projets.»

Ferdinand-Antoine-Henri Rosset, citoyen et membre du Deux-Cent de Lausanne, capitaine de milice, assesseur-baillival, condamné à être destitué de tous ses emplois civils ou militaires, et à être enfermé au château d'Arbourg pendant vingt-cinq ans, à ses frais, et aux dépends de sa procédure. (Arrêt du 19 mars 1792). Mr Rosset était accusé «d'avoir laissé ignorer des projets dangereux et attentatoires à notre Constitution, dont il avait eu connaissance; que loin de s'arrêter à cet oubli de ses devoirs (comme assesseur-baillival), il a partagé en assistant au rassemblement qui se fit à Ouchy, le 14 juillet, le crime de ceux qui l'avaient notoirement convoqué dans le dessein d'attaquer par des paroles et par des faits l'autorité de notre gouvernement, et qui tentèrent d'égarer nos fidèles sujets, en distribuant sous ses yeux des signes de révolte, et en répandant des chansons séditieuses; que le lendemain du dit même mois de juillet, le dit Rosset a assisté à Rolle à une séance pareille, mais beaucoup plus tumultueuse; qu'il a pris la part la plus active à des projets qui devaient y être exécutés, soit aux insultes qui y ont été faites à notre autorité, et qu'il y a distribué lui-même des signes de railliement et d'insurrection; qu'en voulant protéger la fuite de deux personnes incuplées (MM. Lardy et Durand), il a tenté de soustraire deux coupables à la Justice; que le dit Rosset est allé à Pontarlier et s'y est associé à un club dont les principes destructeurs ne lui étaient point inconnus; qu'à son retour, il n'a pas craint de porter et de distribuer dans notre pays des signaux séditieux qu'il avait apportés de Pontarlier25.» (Arrêt du 19 mars 1792)).

George-Albert Muller, seigneur de la Mothe, membre du Deux-Cent de Lausanne, capitaine de milice, condamné à la même peine que Mr Rosset et pour les mêmes motifs.

NB. 20 voix prononcèrent la peine de mort contre MM. Rosset et Muller; 134 pour la détention; 57 pour la détention à perpétuité; 107 pour 25 ans; 63 pour la confiscation des biens; 80 contre.

Samuel de Martines, seigneur de St-Georges, bourgeois et membre du Deux-Cent de Lausanne, condamné à être destitué de sa place de membre du Deux-Cent, à subir six années de détention dans la forteresse d'Arbourg, et aux frais de sa procédure et détention (arrêt du 4 mai 1792). M. de Martines était accusé d'avoir pris part aux fêtes du Jourdil et de Rolle, et d'y avoir «chanté des chansons séditieuses, sans avoir voulu dire ni qui était l'auteur de ces chansons, ni de qui il les tenait.»

Victor Durand, libraire à Lausanne, condamné à quatre années d'arrêts dans sa maison et aux frais de sa procédure (arrêt du 1er juin 1792). Il était accusé d'avoir, au Jourdil et à Rolle, «entretenu la multitude par un discours composé exprès, et concouru à proclamer les santés qui se sont bues; que, peu de temps après, il s'est trouvé à un repas à la Rasudaz, au-dessous de Lausanne, dont les convives, lui compris, se sont réunis en société ou en club, et se sont liés sous serment à se soutenir mutuellement, comme aussi à garder le secret; mais qu'il est vrai que le dit Durand n'a pas voulu prendre part à cette union sous serment, et qu'il a confessé sa faute. Nous avons bénignement prononcé quatre années d'arrêts, etc.»

Antoine Miéville, de Grandson et Moudon, docteur en droit, «Vu que le 14 juillet il a assisté à Ouchy à un rassemblement, etc., etc.; que de plus il s'est rencontré à un repas à la Rasudaz, où les convives, lui compris, se sont réunis en société fermée ou un club, et se sont liés sous serment, d'une manière très-punissable, à se soutenir mutuellement, comme aussi à garder le secret; mais qu'outre, le dit Miéville s'est laissé établir l'un des chefs de cette association, s'est chargé de l'écrit fait à ce sujet et l'a porté chez lui pour l'insérer dans son protocole; que même il a cherché à engager quelques personnes à entrer dans cette société; néanmoins, considérant que cet écrit a été anéanti dès le lendemain et que par là la société s'est dissoute. Nous avons, à ces causes, bénignement prononcé que le dit Antoine Miéville devait être détenu pendant durant cinq ans dans l'hôpital de l'Isle, à Berne, à ses fraix et aux dépends de sa procédure» (arrêt du 1er juin 1792).

Isaac-Auguste Joseph, bourgeois, membre du Deux-Cent et Grand-Voyer de Lausanne, condamné à la même peine que le docteur Miéville, et pour les fêtes et le repas de la Rasudaz (arrêt du 8 juin 1792).

Jacques-Antoine Lardy, natif d'Auvernier, dans le comté de Neufchâtel, dernièrement bourgeois de Rolle et commissionnaire à Ouchy, condamné à être déchu de son droit de bourgeoisie à Rolle, à celui de sa naturalization, à subir six mois d'arrêts, et ensuite à être banni à perpétuité des terres médiates et immédiates de Berne, et à payer les frais de sa procédure (arrêt du 8 juin 1792). M. Lardy était accusé d'avoir pris une part active aux fêtes du Jourdil et de Rolle, et d'avoir assisté au repas de la Rasudaz.

Charles-Samuel-Jean Dapples, banquier, citoyen de Lausanne, membre des Soixante de Lausanne et contrôleur-substitué, condamné à la censure et à deux années d'arrêts dans son domicile (arrêt du 18 mai 1792). M. Dapples était accusé d'avoir prêté sa campagne du Jourdil pour la fête du 14 juillet, et d'y avoir pris une part active; «qu'enfin, dans la vue de répandre une feuille française périodique renfermant des principes dangereux à la tranquillité de notre pays et à la sûreté de notre gouvernement, il a fait passer aux éditeurs de cette feuille une somme pour en répandre la distribution gratuite, la lettre de Dapples ayant été insérée dans la dite feuille.»

Mandat de prise de corps envoyé aux baillis contre onze fugitifs, accusés d'avoir pris part au repas de la Rasudaz et d'Ouchy.

Nous, L'Avoyer, etc.

Très-Noble, Cher et Féal Bailli, salut!

En continuant l'instruction de la procédure, relative aux scènes d'Ouchy et de Rolle, on a découvert une association sermentale de quinze personnes, qui, à cette occasion, se sont rendues plus ou moins coupables.

Or, comme onze de ces associés ont dernièrement pris la fuite, savoir :

1o Amédée-Emmanuel de la Harpe, de Rolle, seigneur de Rolle et des Uttins;

2o Emmanuel Joseph, négociant à Lausanne;

3o et 4o Les frères Auguste et Baptiste Penserod, négociants à Lausanne;

5o Louis Kuhn, de Treycovagnes, chirurgien à Lausanne;

6o André-Louis David, négociant à Lausanne;

7o Charles-Emile-Noé Mercier, négociant à Lausanne;

8o Louis Chabaud, de Paudex, joailler à Lausanne;

9o Jean-Jacques Jequier, de Fleurier, horloger à Lausanne;

10o Louis Fabre, négociant à Lausanne;

11o NN. Bouet, distillateur à Lausanne;

Nous vous enjoignons de faire veiller sur eux, et avec soin, non-seulement dans votre bailliage, mais encore au piquet dont vous avez le commandement sur la frontière, et de donner order à ce que s'ils sont aperçus, ils soient aussitôt arrêtés et qu'on vous en avise sans délai.

Ce prescrit devra aussi être observé et exécuté à l'égard de l'avocat Jean-Jacques Cart de Morges, et de Boinod d'Aubonne, appelé l'Américain, lesquels se sont rendus fugitifs, déjà depuis quelque temps. Dieu soit avec vous!

Donné ce 31 mai 1792.

Chancellerie de Berne.

Prévenus d'avoir pris part aux séances d'Ouchy et de Rolle, ou à d'autres menées prétendues révolutionnaires, d'autres personnes furent condamnées à des peines diverses.

André Crousaz de Prélaz. — «Nous, l'Avoyer, Petit et Grand Conseil, etc., ayant entendu le rapport sur la procédure que notre Commission d'Etat, siégeant à Lausanne, a instruite contre André Crousaz de Lausanne, officier dans notre régiment de May au service des Etats-Généraux, nous avons vu par cette procédure :

«Qu'il s'est rendu coupable d'avoir écrit dès Bergopzoom, sous la date du 23 août dernier, à son ami et parent, Muller, seigneur de la Mothe, une lettre que le Juge a ouverte, en raison que le dit Muller était arrêté, et dans laquelle il manifestait sa façon de penser sur les mesures militaires qui se prenaient pour la sûreté de nos Etats, en termes qui exprimaient la résistance et la rébellion, et sous un point de vue dès là très-punissable, et que néanmoins le dit Crousaz a attribué ce langage aux nouvelles erronées qui lui étaient parvenues à l'égard de ces mesures : c'est pourquoi nous avons par gracieuses considérations prononcé :

«Que le dit André Crousaz doit être sévèrement censuré par notre bailli de Lausanne sur cet acte répréhensible;

«Que jusqu'à son départ pour le régiment, il gardera les arrêts qui lui ont étés imposés par notre Commission d'Etat le 12 novembre;

«Qu'ensuite, à dater de l'époque où il arrivera au régiment, il sera quatre années sans pouvoir rentrer dans sa patrie, et condamné, au surplus, aux frais de sa procédure.

«Donné ce 11 mai 1792.

Chancellerie de Berne.»

Voici cette lettre au sujet de laquelle il dut, par ordre de son colonel, quitter Bergopzoom pour se présenter à LL. EE. :

«Les papiers nous apprennent les préparatifs des Bernois pour faire ressentir les effets de leur colère aux habitants du Pays de Vaud. Cela finera d'aliéner contre eux ceux même dont ils se servent pour cela dans ce moment, et qu'ils n'ont pour eux, j'ose me le persuader, que dans un moment d'erreur.

«Mais ce qui n'entre pas dans mon imagination, c'est que l'on puisse laisser approcher des troupes pour vous surveiller et menacer vos vies et vos biens, et qu'on ne les fasse pas rétrograder par la force et par le désespoir qui, si j'était en Suisse, m'inspireraient les moyens d'y parvenir. J'aime à me persuader que les choses ne tournent pas aussi mal pour nous qu'on aime à nous le persuader, et que peut-être vous armerz vos bras, ce qui complerait de joie votre, etc.

Bergopzoom, 25 août 1791.

Crousaz, lieut.»

Samson Reymondin de Pully, dit de la Péraudette, commis libraire à Genève, fut livré à LL. EE. par le gouvernement de cette ville, comme coupable d'avoir envoyé à quelques personnes de Lausanne une chanson sur un certain vice dont on accusait Messieurs de Berne. Reymondin fut condamné à vingt ans de fers.

Bachelard de Nyon, condamné à la détention pour une lettre adressée au bailli, Mr de Bonstetten.

Cand, maître d'école à Moudon, prévenu d'avoir copié et distribué des papiers réputés séditieux, condamné à dix ans de détention.

Blanc, Chanson et Payard de Bex, condamnés à dix ans de détention pour menées révolutionnaires.

Louis Testuz de Nyon, cassé de ses fonctions pastorales et condamné à être censuré par le bailli en présence de la Classe de Morges, pour avoir pris part à la fête de Rolle.

Le ministre Chatelannat, suspendu de ses fonctions comme prévenu du même délit.

De la Fléchère de Nyon, destitué de tous ses emplois civils et militaires et condamné à deux années d'arrêts pour le même délit.

Jean-Marc Gex et Marc Byrde, commis négociants à Lausanne, condamnés à la censure pour leur conduite aux fêtes de Jourdil et de Rolle.

Louis Will, natif de Heidelberg, bourgeois de Rolle, et commissionnaire à Ouchy, condamné aux arrêts pendant trois mois, et menacé du bannissement pour avoir pris une part active à la fête du Jourdil, et pour avoir porté à Rolle, dans sa voiture, le prétendu chapeau de la liberté, et avoir fait partie de la procession.

François Verdeil, docteur en médecine, bourgeois et membre du Deux-Cent de Lausanne, condamné par contumace, le 23 janvier 1793, aux arrêts et à la censure devant la cour baillivale assemblée, pour avoir pris une grande part à tout ce qui s'était passé le 15 juillet à Rolle, tant en général qu'en particulier, comme l'un des membres du Comité des santés.

Jean-Abraham Meyn, de Spambroek, seigneur de Vennes, capitaine de dragons, bourgeois et membre du Deux-Cent de Lausanne, condamné aux arrêts pendant trois mois, à la censure, et à prêter un nouveau serment de fidélité, pour avoir pris une grande aprt aux désordres du 14 et du 15 juillet à Ouchy et à Rolle.

Les frères Alfred-Berthoud Van-Berchem, et Jacob-Berthoud Van-Berchem, natifs de la Brille en Hollande, et domiciliés rière Lausanne, «convaincus d'avoir non-seulement assisté avec leur père, le 15 juillet, à la fête qui a eu lieu à Rolle, mais d'y avoir pris une part active, en portant les boutons nationaux français, et en se rencontrant aux processions; les dits Van-Berchem père et fils, sont bannis du pays, avec injonction de n'y plus rentrer, vu que, dit-on, ils sont déjà sortis du pays26.» Le colonel Antoine Polier27, gendre de Mr Van-Berchem le père, suivit son beau-père dans l'exil, indigné qu'il était des vexations auxquelles la police de Berne exposait les habitants du Pays de Vaud.

Beaucoup de personnes suivirent l'exemple du colonel Polier. «Dans le temps des dragonades de 1791, dit Mr Monod dans ses Mémoires, il y avait eu ordre, sous-main, d'arrêter divers individus; la plupart en ayant eu avis eurent le temps de se mettre à couvert par la fuite; ils étaient exilés, quoiqu'il ne fût intervenu contre eux aucun acte juridique ou légal.»

Ces actes plongèrent dans le découragement le plus profond, ceux des Vaudois qui avaient conçu l'espoir que la patrie rentrerait bientôt dans la jouissance de droits dont Berne l'avait spoliée. Mais ce découragement ne connut plus de bornes, lorsque la cause de la liberté fut souillée, en France, par des excès qui rappelaient les temps les plus mauvais de la monarchie : les massacres de la St Barthélemi, ordonnés par le roi Charles IX, les proscriptions des protestants, ordonnées par le roi Louis XIV; les dragonages exécutées contre des populations paisibles, par leur roi Louis XV. Mais les excès de ces sinistres époques de la monarchie, où, au nom de la religion, des rois faisaient égorger, ou jetaient dans l'exil l'élite de la nation française, ces excès étaient surpassés par les fureurs auxquelles, au nom de la liberté menacée, le peuple se livrait contre les ennemis de sa liberté, contre quiconque lui était désigné comme tel, ou même comme suspect de l'être. Au temps des proscriptions des protestants, le pouvoir royal, alors tout puissant, les dirigeait; il pouvait les arrêter à son gré; tandis qu'en 1792, et dans les deux années qui suivirent, les massacres devenaient plus affreux, alors que le peuple voyait sa liberté menacée par les rois de l'Europe et par la noblesse émigrée, dont on lui exagérait le nombre et la puissance, et surtout les projets de vengeance. Rien alors ne pouvait arrêter dans ses sanglantes fureurs la multitude, le pire de tous les despotes. Quiconque tentait de l'apaiser, aussitôt déclaré modéré, était envoyé à la mort.

Les drames sanglants de la révolution; la journée du dix août, dans laquelle nos compatriotes des gardes Suisses mouraient en héros, au pied d'un trône abandonné de tous, nobles, prêtres et royalistes; les massacres de septembre et les flots de sang qui inondèrent la France, indignèrent les peuples de l'Europe, qui, tous, avaient salué avec enthousiasme l'aurore de la révolution. Cette indignation ne reconnut plus de bornes dans nos campagnes, alors qu'y apparurent les glorieux débris de nos régiments, échappés aux poignards des assassins.

«Alors plus d'esprit de parti, s'écrie Rovéréa, l'esprit de parti se tut devant un généreux ressentiment, dont la noble impulsion, si elle eût été suivi, aurait peut-être ajouté aux trophées que signalent tant de pages de notre histoire.... Mais bientôt ce premier feu se ralentit : les gouvernements se bornèrent à des plaintes, à exiger des réparations impossibles...» Celui de Berne, au lieu de répondre à l'élan du peuple qui demandait à marcher, se bornait à restaurer et à charger les signaux d'alarmes. «On me remit le soin des soixante-deux signaux au Pays de Vaud, dit Mr de Rovéréa, j'appris ainsi dans une tournée qui me prit six semaines, j'appris à juger de l'exaspération générale qu'avaient excitée les sanguinaires fauteurs de la catastrophe du 10 août.»

Cependant, une coalition formidable se formait contre la France. Les souverains parents de Louis XVI, les premiers, déclarèrent la guerre. La France répondit par d'énergiques mesures. Trois cent mille hommes prirent les armes et coururent aux frontières. Tandis que dans le nord, ces soldats improvisés disputaient aux vieilles bandes de l'Autriche, et à une armée d'officiers émigrés, l'entrée du territoire français, le roi de Sardaigne dirigeait son armée sur le midi de la France, où, ainsi que l'assuraient les émigrés qui encombraient les états-majors sardes, les populations n'attendaient qu'un signal pour se lever en masse en faveur de la royauté. Mais, vaines illusions, l'armée sarde fut chassée de Nice, et la Savoie fut envahie à son tour.

L'alarme se répandit aussitôt dans toute la Suisse. Déjà le 24 septembre 1792, le bailli de Lausanne, baron d'Erlach, apprenait, d'un émigré français, que le général Montesquiou, commandant l'armée française des Alpes, forte de quarante mille hommes, venait de recevoir ordre de s'emparer du Faucigny et du Chablais, et de sommer Genève. Aussitôt, Mr d'Erlach, chargé depuis les derniers événements du commandement du Pays de Vaud, mis toutes nos troupes de piquet, élite et réserve, et commanda quatre bataillons des départements de Morges, de Nyon, de Vevey, d'Aigle et de Moudon, avec l'ordre d'être le 29 septembre à Nyon.

Que firent alors ces bataillons vaudois, ces officiers du Pays de Vaud, ces jacobins, ces sans-culottes, ainsi que Messieurs de Berne les désignaient naguère à leurs paysans allemands? que firent ces révolutionnaires vaudois, ces Welches, prêts à ouvrir aux Français les portes de la Suisse? Ils coururent en armes défendre la frontière. Et les Conseils des villes, oubliant les avanies qu'ils avaient reçues de la Haute-Commission, dans la journée de septembre quatre-vingt-onze, ces Conseils ouvrirent leurs caisses pour compléter l'équipement et l'armement des soldats, et pour fournir aux premiers besoins de l'armée vaudoise... Mais laissons raconter à Mr de Rovéréa la conduite de nos bataillons, auprès desquels ils remplissait alors un commandement supérieur :

«Ces bataillons reçurent l'ordre du Conseil de la Guerre de se trouver le premier octobre à Nyon... Mais leur zèle accélérant leur formation, ces bataillons forçant leur marche, furent le 29 au soir à Nyon... Il n'y avait pas un moment à perdre. Les rapports des émissaires, dépêchés en Savoie, s'accordaient à affirmer que l'armée française s'approchait sans obstacle de Genève, proférant hautement l'espoir du pillage de cette ville opulente. – Une émigration nombreuse précédait cette armée, et, en traversant Genève, elle y avait porté la terreur à son comble. Aussi, la route de Versoix à Lausanne était-elle couverte de fugitifs de tout âge et de tout sexe. Les uns, emportant des effets précieux; les autres se traînant dans la misère : spectacle peu propre, assurément, à disposer nos gens à s'enfermer dans une place presque abandonné de ses habitants, et qui, de fait, nous était étrangère. Nous n'étions pas sans inquiétude sur la soumission de la troupe, quand on lui annoncerait sa destination, et cela d'autant moins, qu'elle n'apercevait nul appuy, nul soutien autour d'elle : les corps qui venaient de la partie allemande du Canton, et ceux que l'on se promettait des confédérés, étant encore éloignés. Nous nous concertâmes donc immédiatement sur la manière de décider nos gens à s'embarquer pour aller affronter les périlleux hasards d'un siège à soutenir. — Les opinions circonspectes furent écartées. La troupe, quique harassée, fut rassemblée le dimanche 30 septembre, à deux heures du matin, et à cinq heures elle était formée en potence sur la prairie voisine du château de Coppet.

«Le jour commençait à poindre; un silence profond règnait, et aurait pu intimider des chefs habitués à réprimer le défaut contraire. — Le baron d'Erlach, bailli de Lausanne, présenta le colonel de Watteville pour commandant de l'expédition. Celui-ci, dans une courte et mâle harangue, montre à ses soldats Genève menacée qui implorait leur assistance contre les meurtriers des Gardes-Suisses... Je lis la formule du serment. Soudain, les cris unanimes retentirent : Je le jure! A cet instant le soleil parait derrière la cîme des monts, comme pour apposer son sceau à cet acte de dévouement, digne des hauts faits de nos ancêtres. — Seize barques attendaient au rivage... On s'y élance en bon ordre; elles mettent aussitôt à la voile, aux acclamations de la foule étonnée et attendrie. Une brise nous conduit au port, au moment où, par un hasard d'heureuse augure, les cloches sonnaient pour le service religieux, qui, sans doute, fut un service d'actions de grâce pour un secours, gage d'un salut inespéré. En effet, la sommation que l'on redoutait, et devant laquelle on aurait indubitablement fléchi, aurait en lieu le soir même, la tête des colonnes françaises ayant atteint Carouge dans le même moment où nous débarquions à Genève...

«J'avais été ostensiblement chargé, deux jours auparavant, d'examiner la place, et, en secret, de sonder ses habitants. J'avais trouvé dans la bourgeoisie, de la tiédeur, et peu de confiance dans ses moyens de défense. Les autorités, en revanche, vantaient le courageux dévouement de leurs concitoyens, ne parlant que de s'ensevélir, s'il le fallait, sous les ruines de leurs demeures. Quant au matériel, il était défectueux, l'artillerie des remparts, insuffisante, paraissait mal servie. Nos gens, auxquels les Genevois auraient dû prodiguer des témoignages de reconnaissance et d'affection, en reçurent peu. Ils furent immédiatement casernés, et médiocrement pourvus du nécessaire. Cependant, ils ne proférèrent aucune plainte, montrèrent la meilleure volonté, et ne démentirent point l'enthousiasme qui les avait arrachés à leurs familles et à leurs occupations pour revêtir l'habit et remplir les pénibles devoirs du soldat. La surprise des Français égala leur dépit, de ce que malgré le secret et la rapidité de l'invasion de la Savoie, les Suisses les eussent prévenus à Genève, avec une diligence qui annonçait la résolution de s'y maintenir. Or notre réputation étant encore intacte, ils jugèrent qu'une sommation serait inutile, et ils attendirent de nouveaux ordres, tout en protestant de leurs intentions pacifiques à notre égard28

Cependant, LL. EE. poussaient avec la plus grande activité leur préparatifs militaires, et le parti qui, dans les Conseils des cantons, voulait faire cause commune avec la coalition et les émigrés, proposait une guerre dont il croyait le succès infaillible. «Mais dans la plupart des Cantons le zèle s'était déjà ralenti; et leurs gouvernments, pour excuse de leur inertie, alléguaient leur pénurie d'argent. En réalité, ils se reposaient sur le succès des coalisés qui croyaient bientôt aux portes de Paris.» Zurich et Fribourg firent une exception, ils envoyèrent chacun deux bataillons.

Le trésorier de Muralt, nommé commandant en chef, établissait son quartier général à Nyon, et confiait à quatre bataillons la défense de Genève, dont la seule communication avec la Suisse ne pouvait avoir lieu que par le lac, Versoix étant occupé par les Français. Selon le plan arrêté par le Conseil de Guerre, le général de Muralt, à la nouvelle d'une attaque sur Genève, devait se porter rapidement avec quatorze bataillons et sa cavalerie, dans le Pays de Gex, occuper le fort de l'Ecluse qu'on savait être mal gardé, et couvrir ainsi la rive droite du Rhône jusqu'à Genève. Ce mouvement devait être appuyé par douze mille hommes d'élite des bailliages de Berne, allemands et vaudois, restés de piquet dans leurs communes.

En attendant le moment d'agir, l'armée, avec deux pares d'artillerie de campagne et quatre escadrons de dragons, établissait sa position sur une ligne de Nyon à Bonmont, défendue par des redoutes, à Eysins et à Chéserex; cette ligne était couverte par une chaîne d'avant-postes sur l'extrême frontière, entre Coppet et la Rippe. Un fort détachement et une redoute fermaient, à St Cergues, le passage du Jura. Enfin, deux bataillons surveillaient les rives du lac et du Rhône, depuis Rolle à St Maurice.

Cependant, une ère nouvelle s'annonçait. La Convention Nationale commençait son règne sanglant, et au retentissement des canons de l'Argonne et de Valmy, le 22 septembre 1792, elle proclamait la République Une et Indivisible. Dumouriez, à la tête des volontaires français qui accouraient un foule en chantant la Marseillaise, répondait au Manifeste du duc de Brunswick, en refoulant dans les forêts de l'Argonne, et en battant à Valmy, quatre-vingt mille Prussiens qui s'avançaient sur Paris. Les Prussiens découragés, moissonnés par la famine et par les maladies, battaient bientôt en retraite. A Jemmapes, les républicains bravaient les canons de l'empereur d'Autriche, battaient son armée et envahissaient les frontières de ses états.

Ces nouvelles, arrivées coup sur coup, consternèrent les gouvernements de Berne et de Genève. Elles dissipèrent les illusions, anéantirent les espérances du parti de la guerre qui, la veille encore, demandait à grands cris de faire cause commune avec la coalition. L'état-major bernois qui, la veille aussi, songeait à prendre part à la conquête de la France, était frappé de stupeur.

«Alors, dit Mr de Rovéréa, on sentit le danger de la situation de notre armée, l'impossibilité de tenir sur la défensive, avec l'énorme disproportion de nos forces, avec des frontières ouvertes du côté du lac et dominées par le Jura, que trois chaussées traversaient de St Cergues à St Croix, enfin, avec le front de notre ligne d'opération, séparée de Genève par deux lieues de territoire ennemi. Le gouvernement de Genève suivit, de l'aveu des représentations de Berne et de Zurich, aux négociations avec Montesquiou. Ce général, que des vues d'intérêt personnel portaient à sauver Genève, souscrivit à un projet de convention qui fut rejeté avec dédain à Paris.» La convention mit le général Montesquiou en accusation, et le pouvoir exécutif donna au général Kellermann, nommé au commandement en chef de l'armée des Alpes, l'ordre de commencer les hostilités le premier décembre, si, à cette époque, les Suisses étaient encore dans Genève. La convention déclarait en même temps accorder fraternité et assistance à tous les peuples qui voudraient recouvrer leur liberté. Les journaux annonçait l'arrivée prochaine au Pays de Gex d'une artillerie de siège, de munitions et d'un corps d'armée. Montesquiou, voyant l'orage qui le menaçait et craignant d'être mis en accusation, quittait son armée le 2 novembre, traversait Genève, et se réfugeait à Rolle chez Mr Necker, l'ancien ministre du malheureux Louis XVI.

La consternation se répandit dans Genève, et ses gouvernants qui, alors que le duc de Brunswick, dans son manifeste, annonçait à l'Europe son entrée prochaine dans Paris, voulaient s'ensevélir sous des monceaux de ruines plutôt de se rendre, aujourd'hui que les temps étaient changés, «ils se hâtaient de se débarrasser des bataillons suisses.» Ils se hâtaient d'autant plus qu'ils recevaient de Paris les avis les plus menaçants. Leurs agents secrets leur mandaient, en effet, qu'il n'entrait point dans les plans de la République de commencer avec la Suisse des hostilités qui auraient pour résultat d'étendre le théâtre de la guerre sur toutes les frontières de l'Est, depuis l'Océan à la Méditerrannée; mais que la République Française n'hésiterait cependant point à en finir avec Genève et Berne, si une armée suisse continuait par sa présence à agiter les mécontents dans l'intérieur. Ces menaces, toutefois, ne pouvaient point, alors, être suivies d'hostilités réelles, car la France, quoique victorieuse, avait besoin de toutes ses ressources pour soutenir la guerre dans les Basses-Alpes, dans les Pyrénées, dans le Nord, et sur le Rhin, enfin pour étouffer les insurrections royalistes qui éclataient dans l'Ouest et le Midi. En effet, le général Dornac, qui, depuis la fuite de Montesquiou, commandait par interim l'armée des Alpes, recevait l'ordre de concentrer son armée sur la Savoie méridionale, toutefois, après avoir obtenu la retraite de l'armée suisse. Les ouvertures de Dornac furent chaudement appuyées par Genève; et les états-majors français et suisses convinrent que, dans les deux armées, la retraite commencerait simultanément, dès le 3 décembre. Dans le milieu de ce même mois, l'armée des Alpes avait terminé son mouvement, et nos bataillons étaient licenciés.

Le Pays de Vaud, par son zèle à courir au secours de Genève menacée, et à couvrir la frontière, avait bien mérité, non-seulement de Genève et de Berne, mais de la Suisse toute entière. Comment fut-il recompensé de son dévouement et du zèle de ses bataillons du vignoble, qui, abandonnant leurs récoltes et devançant leurs ordres, sauvaient Genève, ainsi que leurs ancêtres l'avaient déjà sauvée, lorsque LL. EE. de Berne abandonnaient Genève au duc de Savoie29? Genève, si nous en jugeons par le silence de ses historiens, ne tint aucun compte aux Vaudois de leur dévouement. Quant à Berne, elle agit, ainsi qu'elle l'avait fait après Villmergen. «Elle adressa des remerciements aux communes pour le dévouement dont elles avaient fait preuves. Deux officiers, le major Rusillon et le capitaine Pillichody, furent agrégés au patriciat; des grades, des médailles, et quelques sommes, furent distribués à d'autres individus30...» En agissant ainsi, Berne commit une faute. L'appel au patriciat de MM. Rusillon et Pillichody, dont le titre à cet honneur était leur aveugle obéissance aux ordres arbitraires de la Commission de Rolle, la part active qu'ils venaient de prendre aux arrestations de nos meilleurs citoyens, et l'enthousiasme qu'ils avaient manifesté à la vue des députés de nos villes, humiliés dans la journée du 30 septembre, par des commissaires bernois, cet appel fut une nouvelle blessure infligée à notre sentiment national.

Cependant, ainsi que le déclare lui-même Mr de Rovéréa, le gouvernement de Berne devait à la généralité du pays de sa domination un témoignage éclatant de sa gratitude. «Mieux avisé, dit-il, il aurait dû saisir cette occasion unique de s'affermir, en concédant à ses sujets des prérogatives qui les eussent attachés aux principes de l'aristocratie, en atténuant ce qu'avait de mortifiant pour le grand nombre, le contraste choquant de bourgeois d'une ville, souverains absolus d'un peuple réputé libre, dont les premières classes présentait un choix d'hommes, qui, par leurs talents, leur naissance ou leur fortune, auraient pu figurer honorablement parmi les premiers dignitaires de l'état. — De sages magistrats, dont l'opinion avait du poids, sentaient l'urgence d'une mesure qu'exigait d'ailleurs l'esprit du siècle. Ils en émirent l'idée, la répandirent, la soutinrent. Mais d'anciens préjugés, un peu de morgue, de la jalousie, et un intérêt personnel mal calculé, prenant le masque du danger des innovations, firent perdre l'instant propice et ajournèrent une détermination qui aurait pu assurer à jamais l'affection et le dévouement public dont on venait de ressentir l'heureuse influence.

«Si un libre élan de magnanimité avait alors dicté ce sacrifice, il est permis de croire, que non-seulement on aurait étouffé les germes du mécontentement, mais qu'on eût fermé tout accès aux intrigues externes, qui, en revanche, aidées de la malveillance intérieure, préparèrent la dissolution d'un corps politique, devenu trop incohérent pour résister à la commotion sociale qui s'annonçait et qui l'aurait probablement respecté, si elle l'eût trouvé sur des bases plus conformes aux maximes qu'elle proclamait31

Cependant, les armées coalisées, battues par Kellermann, Dumouriez et Custine, se ralliaient et tentaient un nouvel effort. A l'intérieur de la France, les provinces de l'Ouest s'agitaient, et la famine faisait affluer dans Paris une foule affamée de pain, de sang et de pillage. Alors on proclamait que le seul remède à tous les maux, même à l'invasion, était la mort de Louis XVI, qui seule pouvait étouffer les insurrections dans leurs foyers, et frapper les rois d'épouvante. Pendant l'hiver de 1792, la Convention faisait le procès du monarque, qui, le 21 janvier 1793, montait sur l'échafaud et mourait martyr de la cause royale. L'Europe entière déclara une guerre à mort à la France. L'Espagne et la Hollande se joignirent à l'Angleterre, la Prusse à l'empire d'Allemagne, et le roi de Sardaigne affronta tous les périls pour rester fidèle à ses devoirs envers son parent, Louis XVI. La France accepta le défi, en appelant les peuples à la révolte. «Partout, dit le conventionnel Cambon, où pénètreront les armes de la République, le pouvoir révolutionnaire sera établi, la féodalité et les autres abus abolis, la souveraineté du peuple proclamée. Point de demi-révolution, que tout peuple qui ne voudra pas ce que nous proposons soit ennemi. Paix et fraternité à tous les amis de la liberté; guerre à tous les vils partisans du despotisme; guerre aux châteaux, paix aux chaumières.»

Les hostilités commençaient formidables. Quatre-vingt mille Prussiens et Bavarois, Hessois et Saxons, s'avancent de Mayence. Soixante et dix mille Autrichiens et Prussiens paraissent sure la Meuse, et quarente mille Anglais, Hanovriens et Hollandais envahissent la Belgique. La Convention vote une nouvelle armée, et le drapeau noir est arboré en signe du danger de la patrie. La terreur, et l'enthousiasme de la liberté, firent courir aux armes un million deux cent mille citoyens; la science et l'industrie fournirent par des procédés nouveaux, les armes, les munitions et tout le matériel à cette immense armée. Bientôt la bataille de Hondschoote refoulait les Anglais hors du territoire de la République; les Allemands était partout repoussés, et Kellermann chassait les Piémontais au-delà des Alpes, tandis que Toulon était repris sur les Anglais.

Cependant, la Suisse restait immobile au milieu de ces catastrophes qui bouleversaient l'Europe. Comme aux temps des guerres de Louis XIV, le relâchement de ce lien fédéral qui devait unir les Cantons entre eux, sauvait la Confédération, mais il apprenait aux puissances que l'égoïsme cantonal rendait désormais impossible la défense du territoire fédéral. La France ne l'oublia point, en 1798.

La Convention, en entrant en lutte avec l'Europe, envoyait Barthélemi représenter la République en Suisse. C'était avant les victoires de Jemmapes et de Valmy. Aussi l'ambassade française ne fut-elle point reconnue, et ses relations se bornèrent à la correspondance avec le bourgmaître de Zurich, président du Vorort. Mais après la victoire des armes de la République, le système changait. Berne, nous l'avons vu, traitait avec la France devant Genève, en automne 1792, et licenciait ses troupes. La majorité des Cantons reconnaissait l'ambassadeur de la Convention; mais Uri, Schwytz, Unterwald, Fribourg, Soleure et le Valais, s'y opposaient. Même Berne, malgré sa précédente opinion, malgré l'horreur produite par l'exécution de Louis XVI, malgré les efforts de l'avoyer Steiguer et des ministres de l'Angleterre et d'Autriche, pour obtenir du Deux-Cent une déclaration hostile à la France, Berne reconnaissait la République Française, la Convention Nationale, le Comité de Salut Public, et traitait avec Robespierre. «A la fin du mois de novembre 1793, l'ambassadeur anglais, lord Fitzgérald somma la Confédération de rompre toute relation amicale avec la France, alors victorieuse de toutes parts. Le Vorort, par le Conseil de Berne, fit une réponse habilement évasive. Et lorsque la Suisse eut échappé aux dangers de cette formidable année, 1793, elle célébra au printemps de l'année suivante une solennité religieuse d'actions de grâces. Quoique inquiétée plus que jamais par les émissaires des clubs français, par les émigrés royalistes, et par les frottements diplomatiques qui naissaient de leurs intrigues, elle reçut la communication d'un décret de la Convention, du 17 novembre 1793, assurant aux Cantons suisses le maintien de leurs traités avec la France, et l'amitié du peuple français. On prit des mesures contre les émigrés français. Vers la fin de l'année 1794, les Cantons retirèrent une bonne partie de leurs troupes de la frontière de Bâle. Avant cela, la Diète avait admis Genève et le comté de Neuchâtel au bénéfice de la neutralité. Lord Fitzgerald quitta la Suisse dans les premiers jours de 1795. L'ambassadeur Barthélemi conclut à Bâle, au nom de la France, le 5 avril 1795, une paix avec la Prusse, et le 22 juillet de la même année, avec l'Espagne. Enfin, en mai 1796, les Petits Cantons reconnurent, seulement alors, la République Française, grâces aux persévérants efforts de Zurich et de Berne. Les ministres de France et d'Autriche assurèrent à la Suisse qu'on respecterait sa neutralité, et le Directoire, qui avait succédé à la Convention, déclara qu'il ne nourrissait aucune intention hostile envers la Confédération32

Pendant ces déchirements dont il était la témoin, le Pays de Vaud jouissait d'une profonde paix, et voyait affluer une foule d'émigrés qui recevaient dans ses villes et ses châteaux les consolations dues au malheur. Mr Necker et sa fille, madame de Staël, dans leur résidence de Coppet, donnaient un asile aux victimes de la Terreur. Le duc de Noailles à Rolle, les Gingins de Lassara et d'Orny, les Vasserot de Vincy, les Senarclens de Vufflens, les Mestral d'Aruffens et de St Saphorin, exerçaient la plus généreuse des hospitalités. Aussi, les fugitifs les nommaient-ils la Providence des émigrés. Mais ces réfugiés n'étaient plus ces émigrés de quatre-vingt-neuf et de quatre-vingt-dix, tous nobles et privilégiés. C'était en quatre-vingt-treize, une foule de tout rang et de toute opinion : nobles, prêtres, bourgeois, ouvriers, paysans, qui fuyaient la Terreur, la mitraille du tribunal révolutionnaire de Lyon, et les proscriptions en masse. Aussi, les Vaudois de toutes les classes se dévouaient-ils alors pour de grandes infortunes. On voyait nos négociants, nos marchands, nos paysans, utiliser leurs passeports pour chercher en France des victimes désignées à la mort, et au péril de leur vie, les arracher à leurs bourreaux. Même, nos contrabandiers du Jura, après leurs expéditions aventureuses dans les départements voisins, enlevaient par des sentiers, que seuls ils connaissaient, des femmes, des enfants et des vieillards, proscrits par ces hideux comités, qui, au nom de la patrie en danger, versaient le sang de leurs concitoyens. Ces émigrés de toutes les classes, royalistes, constitutionnels de quatre-vingt-onze, modérés, terroristes, qui, dans le seul canton de Berne, étaient au nombre de sept cents, suscitaient à ce Canton des embarra toujours renaissants. «On ne soupçonnait, on ne découvrait aucun complot contre la République, dit Mr Monnard, sans prétendre qu'il avait été tramé ou du moins connu d'avance en Suisse.» A chaque fois, nouvelles réclamations. Le nombre croissant des émigrés, leur rassemblement sur les frontières du Jura, attiraient à la Confédération des notes et même des menaces. «La Comité du Salut Public ne peut regarder que comme une hostilité l'asile qui est accordé aux émigrés,» écrivait au Vorort, en mai 1795, l'ambassadeur Barthélemi, qui demandait ensuite «de repousser hors du territoire de la Confédération toutes les classes de ces étrangers, aussi dangereux pour la tranquillité de la France que pour celle de la Suisse, tant ceux qu'une fausse pitié y avait tolérés jusqu'alors, que ceux qui venaient de s'y réfugier en dernier lieu.» A ces demandes, à ces menaces, Berne répondait par de nouvelles assurances de bon voisinage, et renvoyait plus de cinq cents réfugiés.

«La crainte des maux qui accablaient la redoutable République, dit Mr Monod dans ses Mémoires33, rapprochait les peuples et les souverains, et en même temps que les premiers se montraient plus dociles, ces derniers auraient dû se monter moins absolus. Mais Berne ne suivit pas cette marche. Elle avait promis des réformes, des améliorations; elle avait nommé une commission pour s'en occuper; mais cette commission ne s'assembla point, et ne fit rien. On donnait pour motif, que faire des concessions dans un moment où les armes des sans-culottes jetaient partout l'épouvante, c'eût été afficher la peur et rendre le peuple insolent. Cependant, ajoute Mr Monod, la Convention eut ses revers, et la retraite des Français sur le Rhin était regardée en Suisse comme l'avant-coureur de l'asservissement de la France. Aussi, je crus devoir profiter de cette opinion pour dire à un membre du gouvernement bernois, Mr Thorman, bailli de Morges, dont je connaissais le désintéressement et les vues étendues, que si LL. EE. étaient dans l'intention de remédier aux abus dont les Vaudois se plaignaient, il paraissait que le moment était venu.» Mr Monod représentait à Mr Thorman le danger de repousser plus longtemps les voeux légitimes des Vaudois, et de prolonger plus longtemps l'exil de plusieurs d'entre eux, qui, ainsi que Mr de la Harpe d'Yens, brillaient dans les rangs républicains, tandis qu'une amnistie qui les rappellerait tous, leur ferait oublier les douleurs de l'exil. Mr Thorman entra dans les vues de Mr Monod; il demanda que la commission de révision remplit enfin sa mission, et fit un rapport. Mais cette démarche lui attira les reproches les plus amers. Les oligarques de Berne espéraient que leur règne serait bientôt affermi par les triomphes de l'Autriche; les patriotes de Vaud n'espéraient plus, de leur côté, que dans le triomphe de la France.

Ce fut au milieu de ces espérances si opposées, que l'on vit apparaître sur les champs de bataille de l'Italie, un jeune général qui devait bientôt faire triompher la France, et commencer une nouvelle ère dans l'histoire.


Sources Principales : Archives de l'Assemblée Provisoire du Pays de Vaud.

16 mai 1738. Lettre aux baillis de Moudon, d'Yverdon et de Nyon.

2Lorsqu'après la révolution de 1798, les archives de l'état de Berne furent rendues plus accessibles, on put évaluer d'une manière plus certain quels étaient les revenus et les dépenses de LL. EE. dans le seul Pays de Vaud. Voici ce nous lisons à cet égard dans les Mémoires de M. Henri Monod.

«Les revenus de LL. EE. dans le Pays de Vaud consistaient :

    1o En Denrées :
3675 muids de froment, à 22 1/2 batz le quart. Fr.   396,900
2415 muids de méteil, à 12 1/2 batz le quart. 144,900
4415 muids d'avoine, à 6 1/4 batz le quarteron. 132,480
736 chars de vin blanc, à 180 fr. le char (prix moyen du vin du vignoble de Mont). 132,480
39 chars de vin rouge, à 120 fr. le char. 4,680
    2o En Sel :
19349 quintaux, produit des salines, à 4 fr. 77,398
    3o En Argent :
Lauds et Ventes. 187,860
Foccages, Usages. 11,500
Maréchaussée, Omgelt. 7,827
Fermes, Domaines et Pêche. 38,873
Péages, frais déduits. 100,129
Commerce du sel. 60,000
Poste, un tiers de la ferme. 25,000
Monnaies et Poudres. 8,000
Parties casuelles : échutes fiscales, corvées, etc. 22,003
___________
Fr. 1,350,000

«A cette somme payée par le Pays de Vaud, on doit ajouter l'intérêt d'un rentier du capital de 948,648 fr., dû à l'Etat de Berne par différents publics ou particuliers du Pays de Vaud; les revenus des forêts, des domaines des baillis et les obventions dont ils ne rendaient pas compte; enfin, les dépenses des communes pour le militaire : somme évaluée au moins à 50,000 francs.

«A côté de ces revenus, on doit ajouter les droits féodaux dus aux villes ou aux particuliers, montant à la somme de 284,800 francs. En résumé, le Pays de Vaud payait annuellement 1,800,000 francs, dont environ 1,400,000 perçus au profit de l'Etat et plus d'un million sur les terres.

«Quant aux dépenses annuelles, elles montaient, environ, à la somme de 500,000 frances, savoir :

Culte et Instruction publique. Fr.   240,000
Pauvres et Secours. 50,000
Militaires, Bâtiments, Ponts et Chaussées. 100,000
Justice, Police, Receveurs, Perception d'impôts. 110,000

«Il nous restait donc, ajoute M. Monod, un peu plus du tiers de ce que nous payions; le surplus, montant à 900,000 francs, servait à l'embellissement de la capitale, était enfoui dans les caves de l'hôtel de ville, ou se répartissait entre les membres de l'Etat et leur famille...... 400,000 francs étaient ainsi retirés annuellement par des individus bernois sur les 900,000 francs payés par le Pays de Vaud.»

3Loyseau de Mauléon. Défense apologétique du comte de Portes. Vol. III des Plaidoyers et Mémoires.

4Jean-Jaques Cart. Lettres à Bernard De Muralt, trésorier du Pays de Vaud, sur le droit public de ce pays, etc. Paris, 1795.

5«Les questions d'argent semblaient seules toucher les campagnes : elles n'étaient guère touchées que des droits féodaux dont elles étaient chargées.» (Monod, Mémoires, I, 75.)

6F. de Rovéréa, Mémoires, 2 vol. in-8o. Berne, 1848. Tome I, page 46.

7Ch. Monnard, Hist. de la Conf. Suisse, liv. XIV, ch. VIII. — Tillier, Hist. de la Ville et Rép. de Berne, V, 481-483.

8Ch. Monnard, Hist. de la Conféd. Suisse, liv. XIV, chap. XII.

9F. de Rovéréa, Mémoires, I, 38.

10Manuel du Conseil de Berne, 17 septembre 1789. — Monnard, Liv. XIV, ch. VIII.

11G.-H. de Seigneux, Précis historique de la révolution du Canton de Vaud, etc. Lausanne, 1831, vol in-8o. T. I, p. 94.

12Un Vaudois, soldat du régiment de Chateauvieux, tient, dans le Pays de Vaud, des propos dangereux; on l'emprisonne. — Le bailli de Lausanne consigne à la frontière la comtesse de Genlis, dont les opinions subversives sont connues. «Ses principes sont dangereux pour la tolérer.» — LL. EE. donnent mille francs par mois à M. Mallet-Dupan pour sa correspondence et quatre mille francs à un agent dans le Pays de Gex. (Ch. Monnard. Hist. de la Conf., liv. XIV, ch. VIII. — Archives du Conseil secret de Berne, 1790.)

13F. de Rovéréa, Mémoires, I, 42.

14Rovéréa, Mémoires, I, 42-46.

15Rovéréa, Mémoires, I, 50.

16Monnard, Livre XIV, ch. XII. — Tillier, 489. — Cart. Lettres à B. de Muralt, 143-149. — Rovéréa, I, 57. — Précis de l'arrivée de Mr Martin. — Protocole du Conseil Secret de Berne.

17Rovéréa, Mémoires, I, 59.

18F.-C. Laharpe, Essai sur la Constitution du Pays de Vaud.

19Rosset. Mémoires inédits. Lettre de l'assesseur-baillival Rosset au bailli de Lausanne, 18 juillet 1791.

20Archives de Berne. — Rovéréa, Mémoires, I, 61-63.

21F.-C. Laharpe. Essai sur la Constitution du Pays de Vaud, I, 153. — Le baron d'Erlach de Spiez, sénateur de Berne. A ses amis, sur les écrits du colonel de la Harpe. Berne, 1797, 6-7.

Mr J.-J. Cart, dans ses Lettres à Bernard de Muralt, trésorier du Pays de Vaud, page 151, parle en termes facétieux du banquet de Cully. «Nous fêtons volontiers dans le Pays de Vaud, dit-il, et nous fêtâmes le 14 juillet à Vevey, à Lausanne, à Rolle et à Coppet... Les aristocrates voulurent avoir leur tout; ils se réunirent en grand nombre à Cully; comme nous, ils dinèrent en public. Ils portèrent des toasts à l'aristocratie, et arborèrent plus d'une cocarde blanche; mais ce que nous ne fîmes pas, ils finirent par se battre. Un des convives, sans fiel, et riant entre les deux partis, proposa le toast des patriotes; son voisin, courtisan, y répondit par un coup de poing. Ce fut le signal du combat. Bientôt, les poings, les cannes, les sabre, tout est en l'air : l'on se frappe à qui mieux mieux; celui-ci empoigne son voisin et le traîne dans le lac, tandis que monseigneur le bailli d'Erlach, président de la fête, monte sur la table, harangue, et harangue en vain. Sa voix se perd dans le tumulte, et la table renversée avec fracas, ajoute à tous les regrets celui de n'avoir plus à boire. Le prognostic n'était pas bon pour les aristocrates.»

22Mémoires inédits.

23Registres du Deux-Cent de Lausanne, 31 août et 1er septembre 1791, 63-65.

24F.-C. la Harpe, Essai sur la Constitution du Pays de Vaud, II, 115.

25Mr Rosset démontre dans ses Mémoires la fausseté de ces accusations. Il n'a point assisté au club de Pontarlier, où il est arrivé le matin avec Mr Muller, et en est parti dans l'après-midi du même jour, et c'est depuis son arrestation que la police a saisi à la poste de Lausanne les diplômes des membres du club de Pontarlier, adressés à MM. Rosset et Muller par l'avocat Bon. Quant aux prétendus signes de railliement, ils consistaient en rubans tricolores, achetés à Pontarlier, où chacun était obligé d'en porter pour éviter d'être insulté. MM. Rosset et Muller donnèrent ces rubans à l'aubergiste Paschoud, d'Echallens et à madame de Biolay, dans le château de laquelle ils passèrent la journée. Quant aux boutons, ils avaient été achetés à Morges dans un magasin où ils étaient ouvertement mis en vente.

26Voyez, pour les sentences rapportées ci-dessus, le Registre des Mandats et Ordonnances Souveraines; les Registres du Deux-Cent de Lausanne; les Archives baillivales déposées aux Archives de l'Etat de Vaud.

27Voyez pages 313-314 de ce volume sur le colonel Polier.

28Rovéréa, Mémoires, I, 88-94.

29Voyez pages 175-180 de notre 2e volume.

30Rovéréa, Mémoires, I, 126.

31Rovéréa, Mémoires, I, 126-127.

32Ch. Monnard, Hist. de la Conf. Suisse, liv. XIV, ch. VIII, 466-469.

33H. Monod, Mémoires, I, 92.


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