Convocation des Etats de Vaud. - Nomination des députés. - Conférences préliminaires à Morges. - Assemblée des Etats à Payerne. - Les Etats demandent que le Pays de Vaud jouisse des droits reconnus aux bailliages allemands. - Refus de Berne fondé sur la diversité des coutumes des villes vaudoises. - Huit villes font rédiger leurs Us, Coutumes, Libertés et Franchises, et présentent un projet de Statuts. - Berne donne force de loi à ces statuts, connus sous le nom de Coutumier de 1577, ou de Coutumier de Moudon. - Lausanne et les anciennes Terres-de-l'Evêché conservent le Plaict-Général. - Orbe, Echallens, Grandson, Vevey, Aigle, le Pays-d'Enhaut et Payerne, suivent des coutumes particulières.
Le traité de Lausanne imposait à Berne un indemnité de trente mille écus d'or en faveur du duc de Savoie, pour la cession du Pays de Vaud. Les sommes énormes que Berne avait retirées de ce pays, par la confiscation des biens de l'Eglise, par la Rançon du pays, et par d'autres exactions, lui donnaient les moyens de payer. Mais elle préfera garder ses richesses, et fit payer par les Vaudois eux-mêmes le prix moyennant lequel Berne était reconnue leur souveraine légitime. Pour donner à cette iniquité une apparence de légalité, le conseil de Berne convoqua dans le ville de Payerne les députés des villes, de la noblesse et des communes, en leur adressant le mandat suivant :
L'Avoyer et Conseil de la ville de Berne, aux nobles, honnorables et discrets, nos chers et féaux Châtelains, Bannerets, Conseillers, Gouverneurs et Communautés de notre ville et bailliage de .... et tous son ressort en général et particulier, salut!
Ayant considéré les grandes charges qu'à l'occasion des engagements pris par les ducs de Savoie, nous avons du supporter à cause du Pays de Vaud, depuis la saisie et d'icelui, et les charges que nous supportons encore, en vertu du traité que nous venons de passer aved le duc actuel, ce qui n'est point sans une grande diminution et affaiblissement du bien commun de notre République :
Nous avons par cette cause avisé par quel moyen nous pourrions nous décharger de cette charge et débriguer le dit Pays de Vaud. Ayant alors trouvé que ce ne pouvait être que par le moyen d'un impôt et contribution générale à fournir par nos chers, bien aimés sujets du dit pays, nous avons à cet effet avisé de convoquer les Etats de notre dit pays. C'est à savoir : deux commissaires et députés au nom, et de la part de chaque bailliage et le ressort d'icelui, à se trouver en notre ville de Payerne le 28e jour du prochain mois de mai, par devant nos ambassadeurs, que nous y déléguerons de notre part, pour vous y faire connaître la résolution de notre bon vouloir et plaisir, et afin que connaissant icelui bon vouloir et plaisir, vous sachiez vous conduire en conséquence.
En conséquence, nous vous mandons et ordonnons qu'ayez à choisir deux commissaires de votre part et deux des autres communes et villages ressortissables de notre bailliage de .... à se trouver le jour sus-indiqué à Payerne, au nom de tous les autres en général et particulier, avec charge et commission requise et nécessaire.
Si vous ferez ce devoir, à nous ferez singulier et grand plaisir. A Dieu soyez.
Berne, 8 avril 15701.
Les baillis convoquèrent, chacun dans leur résidence, les délégués des villes, ceux des communes et les seigneurs, pour procéder à la nomination de quatre députés par bailliage. Les réunions des délégués furent orageuses; car chaque ville et plusieurs communes rurales prétendirent avoir leurs députés aux Etats, comme cela avait lieu aux temps de la maison de Savoie, et firent des réclamations à ce sujet. Les registres des villes baillivales, entr'autres ceux de Nyon, nous donnent quelques renseignements sur ce qui se passa dans cette circonstance :
«Du 15 avril 1570. Suivant la lettre de nos souverains seigneurs, se sont assemblés ce jour d'hui, au poële de la maison de ville de Nyon, les personnes sous-escrites :
«De la part de la ville de Nyon : MM. Quisard de Crans, le châtelain Barge, Jeandoz, Pierre Desvignes, Jaques Bouffard, Claude Balaison et Baud, conseillers;
«Pour les bourgeois nobles : MM. Pierre Quisard, Jean Paccot, Claude Favre et François Fumaud;
«De la part de la noblesse : MM. Quisard de Crans, du Martheray, nobles Pierre Quisard et de Gingins;
«De la part des vingt-trois communes du bailliage de Nyon, (ici suivent les noms).
«Les honnêtes villagiens Barillet et Vulliet, délégués de la commune de Bonmont, demandèrent d'élire un député aux Etats de Payerne et refusèrent de consentir aux élections si leur demande n'était pas approuvée. Sur quoi, le seigneur bailli, les seigneurs bannerets, et les gentilshommes des villes et des communes, ne voulurent consentir à cela, puisque dans les lettres de Berne, il n'est parlé que de quatre députés par bailliage; savoir, deux gentilshommes et deux députés pour les villes et les communes. Il y eut alors un désordre, parce que les uns voulaient élire le châtelain Baratte, les autres le commissaire Barge, et M. Grillon, banneret de Coppet.
«Les villagiens se sont disputés ainsi jusqu'au tantôt. Mais ils se sont rassemblés et ont ensuite nommé pour eux Ami Barge de Nyon et M. Claude Grillon. Leur avis était, si toutefois il plaisait à la noblesse et aux nobles, et bourgeois de Nyon, de nommer au nom des gentilshommes, M. de Luxurier pour la ville, et pour les nobles ressortissans du bailliage, M. de Chatillon, seigneur de Begnins.»
Quelques seigneurs et des nobles bourgeois, blessés des prétentions des villagois, se retirèrent de l'assemblée, qui, néanmoins, procéda à la nomination des députés. Cependant, le conseil de Nyon protesta contre cette nomination, et, le jour de l'ascension, prit la résolution suivante :
«Puisque, en l'absence et contre la volonté des seigneurs du conseil et des commis de la part des seigneurs bourgeois, une partie des bourgeois ont fait contre leur volonté, une élection des députés qui doivent aller aux Etats de Payerne, et quoiqu'ils aient choisi le commissaire Barge, qui est propre, capable et suffisant pour se rendre aux Etats, nonobstant cela, et afin de faire entendre aux dits villageois que ce n'est pas à eux d'élire le député de la ville, mais à Messieurs du Conseil, il sera fait une autre élection, à savoir : M. de Luxurier de la ville et conseiller, pour la part des gentilshommes, avec M. de Chatillon et M. le Châtelain, qui est syndic et banneret de la ville, avec M. le châtelain de Coppet. Cette élection sera montrée aux dits villagiens cette après-dinée, qu'ils seront tous ensemblés2.»
Les délégués des communes rurales du bailliage de Nyon, «réunis dans l'après-dinée,» virent annuler les nominations qu'ils avaient faites. M. de Luxurier, premier député, se rendit à Morges, pour conférer avec d'autres députés de Vaud sur la question de l'impôt, pour prendre connaissance des intentions des autres villes, enfin, pour protester contre les subsides demandés par LL. EE. Nyon fondait son refus «sur une certaine lettre de 14 juillet 1550, que les seigneurs de Berne avaient adressée à Nyon, et par laquelle les dits seigneurs «avaient promis de ne faire plus gites, ni impositions, mais de les entretenir comme leurs anciens sujets, sans plus les charger, ni à eux rien demander.»
M. de Luxurier fit ses protestations devant le conseil de Morges et les délégués des autres villes de Vaud, mais inutilement, si l'on en juge par les instructions suivantes, données dans l'assemblée de Morges aux députés des villes :
«On ne fera pas, à Payerne, grande harangue ni dispute aux redoutés seigneurs de Berne. - On se soumettra à leur bonne volonté et plaisir. - On les remerciera de ce qu'ils ont bien voulu retenir le Pays de Vaud et ne pas le rendre au duc de Savoie.
«Les députés aux Etats feront des observations sur le mode du charriage des vins. - Ils demanderont une ordonnance sur les subastations du bétail. - Ils prieront les seigneurs de Berne qu'ils mettent ordre contre la cherté du sel, et que, dans ce but, ils ordonnent que dans chaque ville baillivale il y ait un homme préposé à vente du sel3. - Les députés prieront les dits seigneurs de Berne qu'ils donnent des ordres au sujet des pâturages des montagnes, et afin que ces pâturages soient surveillés et maintenus en bon état4.»
Les Etats, réunis à Payerne, consentirent donc à payer l'indemnité des trente mille écus d'or. Cependant, avec la réserve suivante : «LL. EE. de Berne n'en tireront aucune conséquence, ni préjudice, contre les Libertés, Franchises, Exemptions, et Immunités pour l'avenir, et dans l'espérance que les seigneurs de Berne voudront bien tenir à l'avenir ceux de Vaud au même dégré et qualité que leurs anciens sujets des pays allemandes.» A cette réserve, les Etats ajoutèrent plusieurs voeux. Ainsi : la vente des sels mise en régie, le délai de quatorze jours, au lieu de vingt-quatre heurs, accordé aux débiteurs dans le case de saisie de leur bétail ou de leurs meubles.
Les réserves et les voeux des Etats furent pris en considération par le Deux-Cent de Berne. Toutefois, quant à la demande que firent les Etats de mettre le Pays de Vaud sur le même pied que les bailliages allemands, Berne répondit que, «vu la diversité des Libertés et Priviléges des villes et des communes du Pays de Vaud, on ne saurait accorder cette demande que préalablement on eût vu leurs lettres de Libertés et Franchises5.»
Aussitôt les villes s'occupèrent de la recherche de leurs titres; partout on compulsa les chartes, et l'on mit par écrit les coutumes, qui, jusqu'à cette époque, n'étaient conservées que par tradition. Un savant jurisconsulte, M. Pierre Quisard, seigneur de Crans, co-syndic de Nyon et commissaire des fiefs, donna l'impulsion. Quisard s'était déjà occupé des recherches sur l'ancienne législation du Pays de Vaud; il avait écrit un code féodal, et fait paraître, en 1562, un ouvrage intitulé : Le Commentaire Coutumier, soit les Franchises, Priviléges et Libertés du Pays de Vaud, ès Helvétie, jadis ès seigneurs de Savoie, et de présent réduit sous la présidence des Hauts et Honorés les Seigneurs de Berne et de Fribourg6.
Après plusieurs années de travail, M. Quisard et les jurisconsultes, ses collaborateurs, présentèrent leur projet de statuts, dont la charte de Moudon de 1359 avait été prise pour base. Huit villes, Moudon, Yverdon, Morges, Nyon, Cossonay, les Clées, Ste-Croix et Grandson, adoptèrent ce projet, et envoyèrent leurs députés le présenter à la sanction des conseils de Berne, auquels ces députés remirent préalablement la déclaration suivante des droits du Pays de Vaud :
Le Pays de Vaud a été environ quatre cents ans sous la domination des comtes et ducs de Savoie, et pendant ce temps l'administration de la justice n'y a pas été réglée par le droit romain, comme dans les autres pays de la maison de Savoie, la France, la Bourgogne et l'Italie, mais la justice y a toujours été réglée par les Coutumes du dit Pays de Vaud, dans le but d'y obtenir bonne et brêve justice, et y éviter la longueur des procès, parce que la coutume du pays était que celui qui perdait l'accessoire, perdait le principal. Toutefois, depuis l'heureuse conquête du Pays de Vaud, cela a été heureusement aboli par nos souverains seigneurs, à cause des grands abus qui en résulteraient. La coutume était aussi au dit Pays de Vaud que chacun devait suivre sa cause, sans user de procureurs; que l'on ne payait aucun émolument de sentence, si non les droits de la présentation en droit. Les Etats du Pays de Vaud reconnurent les Coutumes, lesquelles de père en fils avaient été suivies au dit pays; et, dans le cas d'un jugement, on ne se servait par de témoins particuliers, s'il survenait quelque discorde sur la coutume; mais on en prenait information aux conseils des bonnes villes, suivant la résolution desquelles on regardait la Coutume comme prouvée; ce qui évitait les grandes coustanges de faire venir de loin des témoins coutumiers, et le danger des dispositions de témoins choisis par la partie qui allègue une Coutume.
Pas ces raisons, il est chose utile au Pays de Vaud que les Coutumes soient réduites par écrit, ou au moins les principales; et dans le cas que quelques-unes de ces coutumes resteraient en dehors, comme cela se pourra voir dans les procès futurs, alors la preuve de ces Coutumes ne se fera pas par témoins, mais par la déclaration des Conseils des bonnes villes.
Lorsque ces Coutumes seront écrites, elles seront approuvées ou corrigées par nos souverains seigneurs, et feront réglé à l'avenir.
Le Deux-Cent de Berne confirma les Us, Coutumes et Libertés, telles qu'elles lui étaient présentées sous la forme de Loi écrite, et la promulgua par le mandat du 12 mai 1577, rendu en ces termes :
Nous l'Avoyer, Petit et Grand-Conseil de Berne, etc.
Désirant gratifier nos sujets, en une chose si salutaire pour eux et leur posterité, nous avons bénignement consenti à cette forme de Statuts et de leurs usances, lesquelles confirmons, approuvons, homologuons avec promesse de les maintenir; nous réservant toutefois autorité que, si à l'avenir, entre nos baillis et officiers et nos sujets du Pays de Vaud, il surgissait quelque difficulté sur l'intelligence ou l'interprêtation des dits Statuts, il y aura recours à notre Conseil pour entendre sur les passages contentieux notre souveraine déclaration et changement si la nécessité et utilité publique le requiert. Nous mandons à nos baillis, châtelains, gens de justice et autres officiers, et à nos gentilshommes et sujets du Pays de Vaud, de quelque qualité qu'ils soyent, de garder, observer les dits Statuts sans aucune altération, s'abstenant de faire rien, directement ou indirectement, de contraire aux dits Statuts, sous peine d'en être chatiés à notre discrétion7.
Serment de nos Baillis, et nos Bourgeois et de nos Sujets. Toutes fois que nous établirons un Bailli en une de nos villes ou bailliage, il devra faire et prêter serment solennel dans les mains de celui de nos conseillers qui sera député de notre part pour le conduire et le mettre en possession de l'office de bailli : d'observer à nos dits féaux et sujets, leurs libertés, franchises, lois et bonnes coutumes, ci-après spécifiées, sans que nos dits féaux et sujets soient tenus autrement.
Au réciproque, et par le même moyen et au même instant, nos féaux bourgeois et sujets des dites villes et bailliages, devront faire serment dans les mains du dit bailli, et en présence de notre député et sa suite, d'observer et garder fidèlement nos droits et maintenir notre honneur et autorité en tant qu'en eux est.
Réception des Bourgeois et Habitans des villes ou des villages. Si quelque personnage se présente pour être reçu bourgeois ou habitant, les conseillers et bourgeois pourront le recevoir, soit l'accepter pour leur bourgeois, en payant à la dite ville et communauté pour leur bien public, le droit ou impôt de bourgeoisie; ou bien pour habitant seulement en payant l'émolument d'acceptation d'habitation, et satisfaisant ainsi et contribuant aux prestations nécessaires comme les autres habitants, mais sous la condition que le personnage, qui veut être reçu habitant, soit de bonne fâme et réputation, de franche et libre condition, et non taillable. Les conseillers et bourgeois peuvent éconduire et renvoyer ce personnage sans qu'ils soient contraints de l'accepter ou recevoir contre leur gré, excepté si d'aventure il se présentait quelque personnage suffisant et mettable qui fût de la ville de Berne ou d'ailleurs, et duquel nous en pourrions tirer service méritoire, alors nonobstant que les conseillers et bourgeois voulussent faire difficulté de le recevoir pour habitant, nous nous retenons pour les pouvoir induire, par effet de notre autorité souveraine, à le recevoir pour leur habitant.
Nul ne doit être saisi dans les limites de la ville et bailliage, fors par connaissance des conseillers, excepté les criminels. Personne ne doit être pris, saisi au corps, ni incarcéré dans les bornes de la ville et bailliage, sinon par connaissance et adjudication des conseillers et bourgeois, ayant l'administration de la justice, excepté les larrons, traitres, voleurs, brigands, homicides manifestes, les sorciers, faux témoins et pratiqueurs de faux témoins, et autres entachés de semblables crimes; de même, les transgresseurs et contrevenans à nos lois, statuts et ordonnances de réformation portant l'emprisonnement.... Pour accusation de choses non confessées et non prouvées, nous voulons et entendons qu'il soit procédé par clause et instance judiciale par nos baillis, leurs châtelains et officiers, et non par saisie de corps ni emprisonnement; mais que cela soit premièrement vidé et terminé par justice, connaissance et adjudication du droit. Mais dans le cas où nos baillis trouveraient que la dite adjudication du droit ne fût pas conforme à l'offense commise, nous entendons qu'ils aient à protester de la dite sentence et nous avertir de ce qui s'est passé, afin que nous puissions aviser et imposer les bamps et amendes plus amples, suivant l'exigence du cas.
Les baillis ne doivent imposer bamps sur les bourgeois, excepté pour fautes ci-après spécifiées. Il ne sera licite à nos baillis et officiers de faire cries ou incantations publiques portant imposition de bamps, ni d'imposer sur nos bourgeois et sujets aucun bamps ou amende arbitraire de leur propre mouvement et autorité, sinon par le conseil et connaissance des bourgeois, excepté pour infraction à la chevauchée et prise de bourgeois. Dans le cas où il se commettrait quelque faute ou acte méritant d'être plus grièvement puni et châtié que par les bamps spécifiés dans les articles contenus dans les présents Statuts, nous retenons et réservons à nous seulement de pouvoir, d'autorité souveraine et selon l'importance du cas, imposer plus grand bamp, mais seulement après avoir ouïes les parties et en avoir délibéré en notre conseil privé.
Les conseillers, bourgeois et communautés règlent les bouchers, fourniers, taverniers, meuniers et autres vivandiers. Ils ont plein pouvoir et autorité de les régler par commandemens et défenses sans imposition de bamps et amendes, enjoignant aux susdits vivandiers de tenir bonne chair vendable, les boulangers et fourniers du pain recevable; le tout à prix raisonnables, selon la saison et cours du temps, et selon la règle qui leur sera imposée par les bourgeois et la communauté; les meuniers useront en leur moulage et éminage en toute rondeur et fidélité, au soulagement et commodité du peuple; autrement les susdits défaillans à tel que les conseillers, bourgeois et communautés leur imposeront. Nous nous réservons néanmoins la moitié de tous les bamps de soixante sols. Nous n'entendons nullement par cet article et autorité attribués aux dits conseillers, bourgeois et communautés, déroger aux droits de fiefs que nous ou nos vassaux pourrions avoir sur les fours et moulins.
Intammation des causes et poursuites d'icelles par appellation. Toutes procédures, causes et actions judiciales, se doivent intenter en première instance par devant le châtelain et douze conseillers jurés ou justiciers inférieurs pour cet effet établis, suivant la forme usée et pratiquée jusqu'à présent depuis la conquête et réduction du Pays de Vaud à notre obéissance. Si l'une ou l'autre des parties litigantes se trouve grévée de leur sentence, elle pourra appeler plus outre par devant notre bailli, ou devant qui il appartiendra, et dès là par devant les Extrêmes Appellations de notre Pays de Vaud, en notre ville de Berne.
Service et devoir de guerre. Nos sujets, tant médiates qu'immédiates, sont tenus de nous servir et rendre leurs devoirs en fait de guerre, un chacun en sa qualité, chaque fois que nous le sommerons comme nos autre sujets.
Election de gens de guerre. L'élection des gens de guerre appartient à nos châtelains du pays et à six bourgeois, suivant l'ancienne coutume. A condition, toutefois, que les hommes de guerre ainsi choisi soient présentés à nos baillis. Ceux-ci ne trouvant pas capables les hommes de guerre qu'on leur présente, pourront les casser et en élire d'autres en leur lieu et place.
Personne ne doit être distrait de son juge ordinaire, sinon d'autorité souveraine. Ainsi, dans le cas que, pour quelque circonstance, nous voudrions appeler par devant nous ou notre conseil privé quelque personne, alors nous le ferons par mandement, et ce d'autorité souveraine.
Exemption des tailles et impôts. Quant aux tailles, subsides, impôts et gabelles, nous entendons laisser demeurer nos chers et féaux sujets de notre Pays de Vaud au bénéfice des deux lettres de concession qu'ils nous ont présentés, dont l'une en faveur de Moudon, de l'an 1328, et l'autre en faveur des bonnes villes du Pays de Vaud, de l'an 1451. Nous ne les chargerons d'aucune tailles et impôts, excepté pour l'acqui et paiement du reste des charges et dettes dont notre Pays de Vaud s'est trouvé chargé et affecté. Toutefois, dans le cas ou quelque urgente nécessité nous contraindrait à imposer tailles et subsides tant à notre ville de Berne qu'à nos pays allemands, alors nos sujets du Pays de Vaud devront rendre leur devoirs de contribution et aide, selon leur qualité, quantité et prorata.
Tout ce qui concernait les fiefs et les seigneuries, soit le droit féodal, fut revu et confirmé. Ainsi : les fiefs restèrent aliénables et disponibles par testament, donation entre vifs ou à cause de mort. Berne, probablement pour diminuer l'influence des gentilshommes, donna à chacun le droit d'acheter la noblesse, en «permettant aux non-nobles, aux roturiers et aux rustiques d'en faire l'acquisition sans payer la Cape ou Capacité, soit le droit de Franc-Fief.» Les seigneurs de fiefs furent tenus envers Berne à la fidélité et au service de guerre, sous peine de privation de leurs fiefs s'ils y contrevenaient.
La promulgation des statuts, connus sous le nom de Coutumier de Moudon, et sous celui de Lois et Statuts du Pays de Vaud, fut un progrès pour la législation, et une garantie pour les droits et les libertés du pays. Malheureusement, plusieurs bailliages préférèrent leurs coutumes particulières. Lausanne, qui jouissait de grands priviléges reconnus par la Largition de 15369, conserva son Plaict-Général, vieux monument de ses libertés aux temps des rois de Bourgogne, de l'Empire et des Princes-Evêques. Les Quatre-Paroisses de Lavaux et Avenches, anciennes terres de l'Evêché, suivirent aussi le Plaict-Général de Lausanne. Orbe, Echallens, Grandson, bailliages médiates, sujets des cantons de Berne et de Fribourg, préférèrent leurs anciennes coutumes. Payerne et ses terres, formant, non un bailliage, mais un Gouvernement, imita l'exemple des bailliages médiats. Les Quatre-Mandements d'Aigle, d'Ollon, de Bex et des Ormonts, qui jusqu'en 1844 avaient fait partie du Chablais, continuèrent à suivre les coutumes de cette province de la Savoie. Rougemont, Rossinières, partie des dépouilles de la maison des comtes de Gruyères, adoptèrent les statuts en 1577, en prenant le code de la ville de Berne comme supplément à ces statuts. Enfin, Château-d'Oex refusa les nouveaux statuts et suivit exclusivement le code bernois. Cette diversité de législation augmenta le nombre des procès, les compliqua, et fut un obstacle à l'unité nationale. Elle divisa les Vaudois et favorisa ainsi le règne de la bourgeoisie de Berne sur la Patrie de Vaud.
Sources principales : Archives de l'Etat de Vaud, de Lausanne, de Nyon, de Morges. - Grenus, Documents. - Coutumier de Pierre Quisard. - Olivier, avocat, châtelain de La Sarra et bourgeois de Lausanne, Cours du Coutumier du Pays de Vaud, 1708. - Boyve, Remarques sur les Loix et Statuts du Pays de Vaud.
1Archives de Morges.
2Registres du Conseil de Nyon, 1570.
3Des marchands s'étaient emparés du monopolie du sel, et en profitaient pour le vendre à des prix si excessifs que, déjà en 1565, plusieurs villes de Vaud demandèrent à Berne qu'elle taxât cette denrée.
4Archives de Morges.
5Mandat de LL. EE. de Berne du 17 août 1570, expédié à M. de Blonay, représentant de la noblesse du Pays de Vaud.
6Cette ouvrage, resté manuscrit, est précédé d'une dédicace dont voici un fragment :
«Aux Nobles, Sages et Honorés Seigneurs d'Etats, et Patriotes du Pays de Vaud, mes Honorés Seigneurs! Pierre Quisard, qui requiert salut et prospérité en Jésus-Christ!
«Comme j'estime qu'il n'y a aucun de vous lequel voulut prendre à malpart et déplaisir, si sans votre commandement et conseil, je suis par jeunesse été si outrecuidé de réduire en écrit vos Loyales Franchises, Libertés et Coutumes, lesquelles j'ai pu appercevoir vous ont été permises par tous princes quelconques, même chrêtiens et infidèles, empereurs et subalternes, etc.»
7Lettre de concession, confirmation et approbation des Franchis, Us, Coutumes et Libertés du Pays de Vaud, accompagnée et corroborée du grand sceau de la ville et république de Berne. (Archives de Morges.)
8Nous ne rapporterons ici que les articles de la Charte de Moudon, de 1359, qui subirent quelques changements notables dans les Statuts de 1577.
9Par un traité conclu en 1544, Berne avait confirmé la ville de Lausanne dans ses anciens privilèges; elle lui avait cédé un nouveau territoire avec la haute, moyenne et basse juridiction. Ce traité de 1544 fur nommé la Grande-Largition, pour le distinguer du traité de 1536, nommé la Petite-Largition. (Archives de Lausanne. - Recueil du justicier Bergier, 1784.)