Histoire du Canton de Vaud

Par Auguste Verdeil (1795-1856)

(Lausanne, Martignier et Compe., 1849-1852)



LIVRE QUATRIEME


LE PAYS DE VAUD SOUS LA DOMINATION DE BERNE.

XVIe, XVIIe ET XVIIIe SIECLES.


Chapitre VI.

Guerre de Savoie.

1588-1601.

Charles-Emmanuel menace le Pays de Vaud et Genève. - Intervention des puissances protestantes. - Les Huguenots et la Ligue; les Bourbons et les Guises. - Guerres de religion. - Nouveaux préparatifs de Charles-Emmanuel contre le Pays de Vaud. - Conspiration de Lausanne. - Découverte du complot. - Fuite du bourgmaître de Lausanne et de ses complices. - Le châtelain de Chillon. - Supplice des conspirateurs. - Guerre de Savoie. - Ambassade de Harlay de Sancy. - Levée de douze mille habitants Suisses pour le roi Henri III. - Assassinat de Henri III. - Henri IV monte sur le trône de France. - Prétentions de Charles-Emmanuel à la couronne de France. - Berne sacrifie Genève au duc de Savoie. - Traité de Nyon. - Les Etats de Vaud protestent contre, demandent la guerre contre Charles-Emmanuel, et votent des levées d'hommes et d'argent. - Guerre de Gex et du Chablais. - Larbigny et Sancy. - Triomphe de Henri IV sur la Ligue. - Paix de Vervins. - Edit de Nantes. - Henri IV envahit la Savoie. - Traité de Lyon. - Le duc de Savoie cède le Bogey, la Bresse et le Pays de Gex à la France, et rentre en possession du marquisat de Saluces et du Chablais.

Depuis le traité de Lausanne, le Pays de Vaud continuait à jouir des bienfaits de la paix, et voyait affluer dans ses villes et ses campagnes des familles françaises qui fuyaient les guerres religieuses et les persécutions. La Suisse protestante, encore sous l'influence des édits de réformation, restait étrangère à ces guerres; mais la Suisse catholique donnait de nombreux soldats aux rois de France, persécuteurs des protestants. Cependant, après l'épouvantable nuit de la St Balthélemi, en 1572, signal de ces massacres, où périrent dix mille protestants à Paris et cent mille dans toute la France, l'indignation fut telle dans la Suisse réformée que les édits qui interdisaient les services étrangers cessèrent d'être observés. A Berne, à Lausanne, à Neufchâtel, on vit de simples particuliers enrôler ouvertement des soldats et les conduire au secours des protestants français. Les Diesbach, les Naegueli, les Tillier, levèrent des compagnies franches, qui partirent de Berne, enseignes déployées, malgré les ordres du Conseil, et arrivèrent à Lausanne, où elles furent reçues avec enthousiasme. Quelques cents jeunes Vaudois demandèrent à marcher avec elles, et se placèrent sous les ordres du banneret de Goumoens, de Claude de Praroman, d'Henri de Praroman et du conseiller d'Arnay, seigneur de St-Martin. Ces compagnies, au nombre de quinze, comptaient six mille hommes armés et équipés, et étaient commandées en chef par le colonel Diesbach. Elles se dirigèrent sur Lyon et Mâcon, et défendirent avec succès ces deux villes contre les attaques de la Ligue1.

Pendant que ces guerres civiles désolaient la France, les Etats de la maison de Savoie étaient en paix. Emmanuel-Philibert avait renoncé à ses prétentions sur Genève et la baronnie de Vaud, et consacrait les dernières années de son règne à réparer les maux, dont quarante années de guerres avaient accablé ses états. Le successeur de ce prince, Charles-Emmanuel, ne marcha point sur les traces de son père. Dès son avènement, en 1580, il dirigea tous ses efforts pour rentrer en possession de la Bresse, du Bugey, de Genève et du Pays de Vaud. Il réunit une armée à Chambéry, dans laquelle ou voyait deux mille hommes d'Uri, de Schwytz, d'Unterwald et de Lucerne; il la dirigea sur le Chablais et le Pays de Gex, où il persécuta les protestants, protégés par le traité de Lausanne, et menaça Genève. Le danger de cette ville émut le protestantisme. Berne envoya un secours de deux mille Vaudois à Genève, et mit toutes ses milices en campagne pour couvrir le Pays de Vaud. Le roi de France, Henri III, alors brouillé avec les Guises, et un ambassadeur de la reine Elisabeth d'Angleterre intercéda en faveur de cette ville auprès de Charles-Emmanuel. Ce prince, voyant l'intérêt qu'inspirait Genève, ajourna ses projets et licencia une partie de ses troupes.

Cependant, la fortune commençait à sourir au parti de la Ligue. Partout en France les protestants avaient le dessous, et les Guises devenaient tout-puissants. Alors Henri III, pour se débarasser des Guises, les fit assassiner. Cet assassinat exaspéra les Ligueurs; leur rage ne connut plus de bornes, et une nouvelle guerre commença, dans laquelle l'armée royale et les protestants furent défaits et réduits à la dernière extrémité. Cette circonstance parut au duc de Savoie favorable à ses projets sur Genève et le Pays de Vaud, car Berne et Genève, ne pouvant compter sur les secours des protestants français, étaient réduites à leur propres ressources. Il résolut donc de surprendre Genève, et de s'emparer du Pays de Vaud, où depuis son avènement au trône il entretenait des intelligences.

Le Pays de Vaud, et surtout Lausanne, comptait encore quelques familles nobles qui regrettaient la domination de la maison de Savoie, supportaient avec impatience le joug des bourgeois de Berne, regrettaient les vieux privilèges de la ville impériale de Lausanne, détestaient les doctrines nouvelles, et méprisaient la nouvelle noblesse du Pays de Vaud, que Berne avait sortie des rangs de la roture. Ce fut à ces mécontents que le duc de Savoie s'adressa, en flattant leurs espérances, et en leur promettant des titres, des honneurs et le pouvoir, s'ils parvenaient à chasser les Bernois du Pays de Vaud. Le duc choisit pour ses agents les frères Espaule, dont l'un, Claude, était membre du Conseil du Soixante à Lausanne, et l'autre, Louis Espaule, était officier supérieur dans la milice du bailliage de cette ville. Les Espaule, riches négociants, faisaient beaucoup d'affaires avec le Chablais. Aussi, leurs communications fréquentes avec cette province étaient à l'abri de tous soupçons. Ces agents réussirent dans leur mission, et parvinrent bientôt à tramer une conspiration, dans laquelle entrèrent les personnages les plus riches de Lausanne, les premiers magistrats de cette ville, et un grand nombre de gentilshommes du Pays de Vaud. Le chef des conjurés était le bourgmaître de Lausanne, Isbrand Daux, seigneur de Prilly et de Crissier. On comptait parmi les autre conspirateurs Georges Daux, fils du bourgmaître et grandsautier du Conseil, M. de St Cierges, juge à la cour criminelle, le banneret Claude d'Illens, Guillaume d'Illens, châtelain de St-Sulpice, Claude Comte, seigneur de Mex, le conseiller Claude Paris, François Paris, greffier de la Cour civile, et le banneret Sébastien Roche, receveur du couvent sécularisé de St François. Un grand nombre de gentilshommes du Pays de Vaud entrèrent dans le complot, mais la procédure instruite lorsqu'il fut découvert, ne fait mention que de François Dortans, seigneur de Berchier, et de Ferdinand Bouvier, lieutenant baillival, châtelain de Chillon et receveur du riche hôpital de Villeneuve.

Le bourgmaître de Lausanne eut de fréquents rapports avec le baron d'Hermance, gouverneur du Chablais, et finit par s'engager, au nom de ses complices, à livrer, au duc de Savoie, Lausanne et le Pays de Vaud, moyennant les conditions suivantes :

«Le duc s'engage à garantir aux villes, aux seigneuries et aux communes du Pays de Vaud leurs Libertés et leurs Franchises, ainsi que la liberté de conscience. - Lausanne aura la liberté de conscience; les droits régaliens, savoir, la grâce, la monnaie et la guerre. - Non-seulement Lausanne conservera tous ses anciens droits, mais ils seront augmentés; elle aura la juridiction de Pully, ancienne dépendance du monastère de Payerne. - Le duc de Savoie construira une forteresse dans la partie haute de Lausanne, pour la défense de cette ville. - Le châtelain de Chillon livrera ce château au duc de Savoie.»

Cette convention ayant été approuvée par Charles-Emmanuel, celui-ci hâta ses préparatifs d'invasion; il rassembla une nombreuse artillerie dans le Chablais, réunit une flotille sous Ripaille; le condotière venitien, Horace Rogaga, vint dans cette province avec cinq mille hommes levés en Lombardie; les Florentins et le duc de Ferrare envoyèrent des troupes; enfin, les Ligues-Grises catholiques fournirent plusieurs compagnies franches. Cependant, Charles-Emmanuel, afin de rassurer les Bernois sur ce rassemblement de troupes, leur envoya un homme de sa cour pour les informer «que son maître, avant certaines difficultés avec le roi de France, priait les seigneurs de Berne de ne voir dans son armement que des mesures de précaution en cas d'attaque de la part de ce souverain.» Berne, peu rassurée par ces explications, envoya le colonel d'Erlach avec six cents hommes dans le Pays de Vaud, donna l'ordre à ses baillis de redoubler de vigilance sur le litoral du Léman, et de préparer une levée de six mille hommes de milices vaudoises. En conséquence de ces ordres, le 22 août 1588, le bailli Zéhender invita le Conseil de Lausanne à prendre des mesures de défense, à faire la visite de l'arsenal et la revue des soldats de la ville et de la banlieue. Ces ordres furent promptement exécutés, et probablement par les conspirateurs eux-mêmes. Cependant, comme tout paraissait calme dans le Pays de Vaud, et que l'armée de Savoie se retirait sur Annecy et Chambéry, Berne licencia ses milices.

Pendant ce temps-là, les conspirateurs agissaient. Le fils du bourgmaître, George Daux, se rendait en Savoie à la fin d'octobre, où il convint des mesures suivantes avec le châtelain d'Evian, M. de Chatillon : «Le bourgmaître de Lausanne fera préparer des vivres dans sa maison du fauxbourg de l'Aile de St-Laurent, pour la nuit du 11 au 12 de décembre. - Six cents hommes venant de Savoie, et débarqués pendant la nuit à Vidy, entreront dans cette maison par une porte qui s'ouvre sur les Terreuax. - Le banneret Roche, receveur du couvent de St François, sous le prétexte de réparations, fera rétablir un passage souterrain communiquant de l'intérieur de l'église au chemin d'Ouchy. Huit cents hommes, débarqués près d'Ouchy entre dix et onze heurs du soir, s'introduiront par ce passage dans le temple de St François. - A un signal couvenu, les troupes venant de Savoie, les conjurés et leurs adhérents, prendront les armes et se dirigeront sur plusieurs points de la ville, en criant : ville gagnée, ville gagnée!... massacreront le bailli, le lieutenant baillival, feront main basse sur les assesseurs baillivaux, les ministres, les professeurs, enfin, sur tous les fonctionairres du gouvernement bernois, et sur toutes les personnes connues pour leur dévouement à Berne.»

Le onze décembre, au soir, tout était prêt à Lausanne pour cette nouvelle St Barthélemy : chaque conjuré était à son poste; en Savoie, les troupes de Charles-Emmanuel étaient réunies par la plage de Thonon, l'artillerie était embarquée. Mais une violente tempête s'élève, s'oppose à l'embarquement des troupes et fait manquer l'expédition.

Cependant, le procureur fiscal de Lausanne, M. Amsel, avait observé que depuis quelques semaines les communications entre la côte de Savoie et celle de Vaud étaient très-fréquentes, que Georges Daux traversait souvent le lac, que le baron d'Hermance, gouverneur du Chablais, et M. de Chatillon, châtelain d'Evian, et plusieurs autres gentilshommes savoyards avaient assisté à un grand dîner chez le bourgmaître Daux. Ces circonstances éveillèrent les soupçons du procureur fiscal, et il en parla à M. Isbrand de Crousaz, seigneur de Chexbres. Celui-ci se rappela alors plusieurs circonstances auxquelles il n'avait pas ajouté de l'importance. Ainsi, il avait souvent remarqué du haut de sa terrasse de Chexbres que des bateaux, partis de la côte de Savoie, étaient abordés sur le lac par des bateaux venant du Pays de Vaud, qu'ils s'arrêtaient plusieurs heures bord à bord, puis faisaient voile chacun du côté d'où ils étaient partis. M. de Crousaz, brouillé au sujet d'un procès avec le bourgmaître Daux son cousin, soupçonna celui-ci d'entretenir des intelligences avec la cour de Savoie, et de tramer queques complots avec elle. Il fit part de ses soupçons à son cousin, Claude de Crousaz, de Lausanne, et l'exhorta à surveiller les actes du bourgmaître. Le même jour, le 14 décembre, Claude de Crousaz fut rendre visite au bourgmaître, qui le retint à souper. On devisa sur les évènements du jour, sur Berne et la Savoie, sur la Ligue et le roi, puis, sur Lausanne, tombée si bas depuis qu'elle était sous la domination de Berne. Alors le bourgmaître prend son jeune cousin à part : il lui dévoile ses projets, tout son plan, ses espérances, et l'engage à se joindre à lui pour chasser les Bernois de Lausanne et du Pays de Vaud, et pour rentrer, ainsi, sous le protectorat de la maison de Savoie. Mais de Crousaz repoussa ces propositions, qui rappelaient le catholicisme et les persécutions à Lausanne, et répondit au bourgmaître : «Puisque j'ai eu le bonheur de naître sous la domination chrétienne de Berne, à laquelle j'ai prêté serment de fidélité pour l'honneur de Dieu et pour mon propre salut, je resterai fidèle à Berne jusqu'à la mort!»

Crousaz, cependant, conjure son cousin de renoncer à son entreprise; puis, le voyant inébranlable dans ses projets, il lui déclare que s'il persistait, il se croirait obligé de les dévoiler au bailli. «Je ne crains personne, répond le Bourgmaître. Allez rapporter au château ce que vous savez...» et il congédie de Crousaz.

La position de Crousaz était cruelle. Son parent, le bourgmaître, s'était confié, s'était livré à lui. Mais un ordre de choses qu'il aimait allait être renversé; Lausanne allait être mis à feu et à sang. Crousaz voyait avec horreur le catholicisme rétabli sur les ruines de Lausanne, les Jésuites entrer dans cette ville, suivis des familiers de l'inquisition; il voyait des hordes de mercenaires, encore enivrées du sang des Vaudois des vallées protestantes du Piémont, se livrer dans le Pays de Vaud aux plus épouvantables persécutions. Enfin, après une nuit cruelle, Crousaz résolut de sauver sa religion, et de préserver d'un massacre cette ville de Lausanne, qui venait de le recevoir au nombre de ces citoyens. Il n'hésite plus : au point du jour, il monte au château, et dévoile au bailli le plan des conspirateurs. Le bailli, M. Zéhender, croit que la population de Lausanne est dans le complot; il se barricade dans le château, et retint de Crousaz en ôtage.

Cependant, le bourgmaître, après avoir congédié de Crousaz, avait mesuré l'abîme dans lequel il venait de se précipiter. Il connaissait la haine de Crousaz contre la maison de Savoie et contre tout ce qui était catholique. Il voyait son jeune cousin le dénoncer pour sauver une religion et un ordre de choses auxquels il était dévoué. Il entendait une bise furieuse s'opposer à l'embarquement des troupes savoyards qu'il attendait depuis deux jours. Enfin, il venait d'être informé officiellement qu'un bataillon devait entrer à Lausanne dans quelques heures. Alors, voyant que lui et ses complices étaient perdus sans ressources, il n'hésite plus, et au point du jour, le dimanche 15 décembre, il prévient ses adhérents du danger qui les menace, et leur donne rendez-vous à St-Sulpice, où une embarcation y stationnait à ces ordres. Les conjurés, trois exceptés, le banneret Tronchet et les frères Espaule, sortent de la ville pendant le sermon de huit heures, et sont bientôt embarqués. Mais Isbrand Daux ne paraît pas, et l'inquiétude s'empare de chacun. Enfin, on voit le bourgmaître arriver à bride abattue, abandonner son cheval sur le rivage, et se jeter sur la barque, que la bise emporte rapidement sur les côtes de Savoie.

A dix heures, à la sortie du sermon, une vive agitation se répand dans Lausanne : on dit que le bourgmaître et son fils Georges Daux, le grand sautier, Messieurs les conseillers d'Illens, de St Cierge, de Berchier, et beaucoup d'autres magistrats, ont pris la fuite et se sont embarqués; on dit que les avenues du château sont barricadées; on voit les huissiers convoquer en toute hâte les Conseils, et on apprend qu'au moment de sa fuite, le bourgmaître avait envoyé les sceaux de la ville au banneret Jean Rosset, en l'invitant à pourvoir à l'expédition des affaires. Les Conseils déléguèrent immédiatement auprès du bailli quatre de leurs membres pour lui annoncer ce qui se passait, pour conférer avec lui sur les mesures qu'exigeaient les circonstances, et le rassurer sur la fidélité de Lausanne et de ses magistrats à l'égard de LL. EE. Les Conseils restèrent en permanence, et siégeaient encore à neuf heurs du soir, lorsque Madame Roche, femme du banneret, vint remettre six plats et douze coupes d'argent, destinés à la Ste Cène, et confiés à la garde de son mari.

Le lendemain, le Conseil se rendit en corps auprès du bailli, et renouvella le serment de fidélité. M. Zéhender reçut ce serment, et annonça au Conseil l'arrivé d'une garnison de sept cents hommes, commandés par le conseiller Augspurger. Ces troupes arrivèrent dans la journée; leur chef reçut les clefs de la ville, «sans préjudice des Droits et des Libertés de Lausanne.» Le conseiller Augspurger fit fermer les portes de la ville; il mit un embargo sur toutes les embarcations de la côte du lac; il ordonna à tous les savoyards qui n'avaient pas des lettres d'habitation de sortir du pays. L'enquête commença, on arrêta plusieurs personnes, entr'autres le banneret Tronchet et les deux frères Espaule, qui furent transférés à Berne, pour y être jugés comme criminels d'Etat.

Le lieutenant baillival Bouvier ne réussit pas mieux, dans sa tentative sur le fort de Chillon, que ses complices dans leur coup de main sur Lausanne. Bouvier, au jour fixé pour la surprise de cette ville, avait caché une troupe d'hommes armés dans les taillis qui dominent Chillon, et attendait les signaux qui devaient l'avertir du départ de l'expédition de Savoie. Le silence des signaux, et la tempête, lui apprirent que le coup était manqué; il congédia son monde, et le jour même où la conspiration fut découverte à Lausanne, il dina au château de Chillon chez le bailli, dont il avait promis la tête. Pendant le diner, le bailli reçoit une lettre; il la lit, et dit à Bouvier : «J'en suis faché, mon compère, mais je reçois l'ordre de vous arrêter!» - «Je dois vous obéir, répond Bouvier sans se déconcerter, je suis à vos ordres; mais je vous demande un grâce : laissez-moi aller à Villeneuve, seulement pour deux heures, afin de mettre ordre chez moi à quelques affaires importantes; donnez-moi une escorte qui ne me perdra pas de vue, et qui aura la consigne de me tuer si je cherche à m'échapper.» - Le bailli, ignorant les motifs de l'arrestation de son lieutenant, accorde sa demande, et le fait escorter par quatre hommes de la garnison du fort. Arrivé à Villeneuve, Bouvier conduit ses gardes à sa cave, les fait boire, les grise, et les enferme au milieu des tonneaux; il monte chez lui, brûle quelques papiers, se charge de ce qu'il a de plus précieux; il se jette sur un cheval, gagne au galop les bords du Rhône, le tranverse à gué, et se trouve bientôt en sûreté à St-Gingolph sur terres de Savoie.

Cependant, l'enquête s'instruisait activement. Parmi les inculpés on en appliqua plusieurs à la torture, entr'autres, MM. Dortans, F. de Tavel, Claude Mercier, François Tornare, et une malheureuse femme, Madame Bouvier, l'épouse du lieutenant baillival de Chillon. Ces inculpés ne firent aucun aveu, et comme ils n'étaient point compromis par les aveux de Tronchet et des Espaule, ils furent tous libérés. Tronchet et les frères Espaule, prévenus du crime de haute trahison, furent jugés par le Deux-Cent de Berne, et condamnés à mort. Le banneret Tronchet et Claude Espaule, subirent le supplice des traîtres; traînés sur la claie, dés la prison à l'échafaud, ils eurent le poing coupé et la tête tranchée. Les corps des deux suppliciés furent coupés en quartiers, qui furent exposés sur les carrefours des principales routes de la république. Quand à Louis Espaule, il languit pendant un an dans les prisons et Berne, et fut ensuite envoyé à Lausanne, où il subit le même supplice que son frère.

Les fiefs et les domaines des conspirateurs furent adjugés à Berne. Les maisons du bourgmaître de Lausanne, l'une dans le faubourg de l'Aile de St-Laurent, l'autre dans la rue Madelaine, furent rasées. On voit encore dans ces deux rues l'emplacement de ces maisons former des impasses. Celui de la maison de la Madelaine forme l'impasse entre les numéros cinq et six; celui de St-Laurent est entre les numéros dix-neuf et vingt-trois. Le château du lieutenant baillival Bouvier, à Villeneuve, dont la tour carrée a été détruite il y a peu d'années, devint maison de cure. Les autres propriétés et les fiefs de Bouvier, dans le gouvernement d'Aigle, furent réunis aux domaines de l'hôpital de Villeneuve.

Comme la découverte de la conspiration de Lausanne fit une grande sensation en Suisse, et compromit la maison de Savoie aux yeux des Cantons et de leurs alliés, Charles-Emmanuel s'empressa d'envoyer à Berne le sénateur Deville, pour déclarer «que S. A. de Savoie n'avait pris aucune part à l'entreprise du bourgmaître Daux, que cette affaire n'était que la suite de la lutte des deux factions qui divisaient la ville de Lausanne, dont l'une avait attaqué et chassé l'autre; que si les fugitifs de Lausanne résidaient à Santon, sur terres de Savoie, LL. EE. de Berne ne devaient pas ignorer que S. A. le duc Charles-Emmanuel ne refusait jamais l'hospitalité aux étrangers qui se réfugiaient dans ses Etats.» Berne n'accepta point ces explications, elle congédia avec hauteur M. Deville, et le 29 janvier 1589, elle porta plainte à la diète réunie à Baden, contre le duc de Savoie, qui venait d'enfreindre le traité de Lausanne garanti par les Cantons, par la France et l'Espagne, et demanda que Charles-Emmanuel fut contraint par les Etats médiateurs et garants du traité, de payer à Berne une indemnité de trois tonnes d'or2.

Pendant que ces évènements se passaient en Suisse, et que le duc de Savoie menaçait Genève et le Pays de Vaud, les affaires des protestants en France étaient désespérées. La plupart des provinces avaient embrassé le parti de la Ligue; Henri III avait dû quitter Paris, dont les bourgeois étaient les plus ardents ligueurs; plusieurs puissances étrangères promettaient des secours à la Ligue; enfin, l'armée royale, réduite à quelques mille hommes, levait le siège de Paris. Dans ces conjonctures désespérées, un ancien ambassadeur en Suisse, M. Harlay, seigneur de Sancy, proposa dans le Conseil du roi de demander des auxiliaires aux Cantons protestants. Cette proposition fut goûtée, et M. de Sancy, revêtu du titre d'ambassadeur, partit aussitôt pour Berne, où résidait M. de Sillery, ambassadeur ordinaire du roi. Mais il arriva sous des auspices peu favorables. La conspiration de Lausanne venait d'être découverte, et on connaissait les projets de Charles-Emmanuel sur Genève et Vaud. Aussi, lorsque M. de Sancy exposa le but de sa mission à l'avoyer de Mulinen, celui-ci fit observer que Berne, menacée d'une guerre imminente, avait besoin de toutes ses ressources et ne pouvait songer à donner des soldats à la France. Mais M. de Sancy, habile diplomate, prouva à l'avoyer que l'alliance de Berne avec le roi pouvait seule sauver Genève et la religion, et garantir à Berne sa souveraineté sur le Pays de Vaud. «Jamais, ajouta ce diplomate, Berne ne sera en sûreté tant que le Chablais et le Pays de Gex appartiendront à la maison de Savoie. Engagez vos confédérés, les Cantons protestants, à permettre au roi de lever dix mille hommes d'infanterie dont il a besoin; avec eux, je chasse le duc de l'autre côté du mont de Sion; le roi rend à Berne le Pays de Gex et le Chablais, qu'elle a conquis en 1536, et après cette expédition seulement, ces dix mille hommes seront au service du roi et entreront en France.» Cependant, comme le roi était sans argent pour entreprendre cette guerre contre le duc de Savoie, M. de Sancy demanda que Berne prêtat cent mille écus d'or pour les premiers besoins de l'armée.

Ces propositions furent agréées, et le Deux-Cent, dans sa séance du 27 février 1589, autorisa le Conseil de traiter sur les bases suivantes avec l'ambassade française : «Berne prête à S. M. le roi de France la somme de cent mille écus d'or, pour subvenir aux frais de la guerre contre S. A. de Savoie. - Elle autorise S. M. de lever un corps de troupes dans ses bailliages des pays allemands, et dans ceux du Pays de Vaud, à condition que S. M. emploie ces troupes d'abord contre les Etats de S. A. de Savoie, limitrophes de Genève et de Vaud. - Ces troupes seront commandées par M. Harlay, seigneur de Sancy. - Elles serviront à reconquérir les trois bailliages de Gex, de Ternier et du Chablais, et ne pourront être employées à aucun autre service, avant que les troupes de Savoie soient expulsées de ces bailliages. - S. M. s'engage à ne faire ni paix, ni trève, avec S. A. le duc de Savoie, sans le consentement de LL. EE. de Berne. - S. M. s'engage de plus à remettre en toute souveraineté à la ville de Berne les trois de bailliages de Gex, de Ternier, et du Chablais.»

Les Cantons protestants de Glaris, de Bâle, de Schaffouse et les Ligues-Grises, suivirent l'exemple de Berne, et même Soleure, quoique zélée catholique, ne put résister aux promesses de M. de Sancy. Les recrutements commencèrent partout, et en peu de semaines douze mille et six cents hommes d'infanterie furent sous les drapeaux. On en forma quatre régiments, chacun de dix compagnies de trois cents hommes. Le premier régiment, levé dans les bailliages Bernois et dans ceux de Vaud, fut mis sous les ordres du colonel Louis d'Erlach; le second fut levé à Bâle, à Glaris et à Schaffouse, le troisième à Soleure, et le quatrième dans les Grisons protestants.

Ces troupes se réunirent près de Coppet, où elles rencontrèrent le parc de l'artillerie de Berne, les cavaliers d'hommage de Vaud, au nombre de deux cent dix-sept hommes, et deux mille hommes de cavalerie envoyés par le roi. Le 3 avril, M. de Sancy, revêtu de titre de général en chef, passa cette armée en revue sous les murs de Genève, l'organisa selon le système de tactique adopté par les Suisses, et dans le milieu du mois ouvrit le campagne. Il fut une tentative infructueuse sur le fort de l'Ecluse. Le 23 avril il s'empara de Thonon; le 26 le château de cette ville capitula, et sa garnison «sortit l'épée et le poignard au côté, les arquebuses à l'épaule, mèche éteinte, tambour cessant et enseignes déployées.» Le régiment d'Erlach s'empara des châteaux de Baleison, d'Yvoire et de La-Fléchère. Le 27, on ouvrit le siège de Ripaille. Le 29, mille fantassins piémontais et deux milles cavaliers, gendarmes et argoulets savoyards, sous les ordres de M. de Sonas, voulurent jeter du secours dans Ripaille; mais il furent battus, perdirent cinq cents hommes tués et cinquante prisonniers. La garnison de Ripaille capitula, et sortit de la place, au nombre de cinq cents hommes, vie et bagues sauves, avec l'épée et le poignard. Le fort fut rasé, et les Bernois brulèrent les «galères ou frégates qui étaient au port, et que le duc avait destinées pour une expédition sur les côtes du Pays de Vaud.» L'armée de Savoie était rejetée de l'autre côté du mont de Sion, et une seule place, le fort de l'Ecluse, tenait encore. Les officiers suisses pressaient le général de Sancy de l'assiéger, lorsque des ordres du roi le rappelèrent en France.

Pendant cette courte mais brillante campagne, les affaires de Henri III avaient pris une tournure plus favorable. Henri de Navarre, oubliant les persécutions dont lui et des protestants, ses corréligionairres, avaient si longtemps souffert, prit parti pour son beau-frère, et, par son manifeste du 18 avril, se déclara le défenseur des droits du roi, engagea les chefs protestants à imiter son exemple, et, suivi de son armée, il se rendit au camp de Henri III. Alors, ces deux rois se disposèrent à faire une guerre à outrance à la Ligue. Mais, comme ils n'avaient qu'une mauvaise infanterie, ils pressèrent Sancy d'y rejoindre son armée avec ses braves Suisses. Aussitôt Sancy réunit ses principaux officiers; il leur représente que la guerre de Savoie était sans résultats pour la cause protestante, dont le sort, ainsi que celui des Cantons réformés, devait se décider en France. «Là, ajoute Sancy, honneurs, gloire, riche butin et avancement attendent les braves officiers suisses; et une fois la Ligue vaincue, le duc de Savoie sera bientôt mis à la raison.» Ces propositions sont acceptées avec enthousiasme. Sancy invite Berne à se mettre en mesure pour conserver Gex et le Chablais, et le 20 mai 1589, il feint une marche sur Chambéry, fait volteface, traverse Genève avec ses douze mille Suisses, et se rend en France à marche forcée. «Henri III, suivi de Henri de Navarre, alla bienveigner l'armée des Suisses protestants, et voulut passer par tous les bataillons; frappé de leur bonne mine et de leur air déterminé, il fit beaucoup de caresses aux officiers, et en pleurant il embrassa Sancy. - Mais, sire, pourquoi ces pleurs? did Sancy. - Je ne pleure, fit le roi, que du regret que j'ai de n'avoir que larmes et promesses pour récompenser un si grand service3.» L'arrivée de cette belle armée donna du courage aux partisans du roi; des renforts arrivèrent de tous côtés, ensorte que ce prince si vit bientôt à la tête de quarante-deux mille hommes, avec lesquels il pressa le siège de Paris.

Sancy n'avait laissé dans le Chablais et le Pays de Gex que trois escadrons de cavalerie française, neuf cents fantasins, de faibles garnisons dans les châteaux et neuf cents hommes à la solde de Genève. Aussi, Berne, dès qu'elle fut informée des préparatifs de départ de l'armée de Sancy, avait mis sur pied trois mille hommes, commandés par le colonel d'Erlach, qui occupèrent la rive droite du Rhône jusqu'au fort de l'Ecluse, tandis que les troupes genevoises défendaient le Chablais jusqu'à la rive droite de l'Arve. Ces forces étaient insuffisantes, car le duc de Savoie avait réorganisé son armée; des Val d'Aostains, des Francomtois, des Français de la Ligue, et quinze cents Suisses catholiques s'étaient rangés sous ses drapeaux, et formaient une force de douze mille hommes d'infanterie, de deux mille cinq cents chevaux et de quatorze pièces d'artillerie. Dans ces graves conjonctures, Berne ordonna la levée générale de l'élite dans les bailliages allemands et dans ceux du Pays de Vaud, et, suivant l'antique usage, donna le commandement de ses troupes à l'Avoyer en charge, Jean de Watteville. L'armée se réunit le 19 juin à Lausanne, où elle rencontra le contingent de Neufchâtel, et les cavaliers d'hommage du Pays de Vaud, commandés par Louis d'Erlach. Le lendemain, elle fut organisée selon l'ancienne tactique des Suisses, et passée en revue sur la place de Montbenon. Le 22 elle arriva à Morges, le 23 à Rolle, le 24 à Nyon, le 28 elle campa près de Genthod, et le 29 elle apprit qu'un armistice était conclu avec le duc de Savoie, à la suite de conférences ouvertes à Salaneuve, où Berne était représentée, auprès des envoyés de Savoie, par les conseillers Daxelhoffer et de Buren. Cette lenteur des mouvements de l'armée bernoise, cet armistice, provenaient de l'influence que le parti de la paix avait acquise dans les Conseils de Berne, depuis le départ de l'armée de Sancy. Ce parti, effrayé du départ de cette armée, avait obtenu que l'on traitât avec Charles-Emmanuel, même au prix de l'abandon de Genève et du Pays de Vaud. Cependant, l'armistice fut dénoncé le 12 juillet, et le surlendemain, l'armée et Watteville traversa Genève et fit une tentative pour passer l'Arve. Mais elle fut repoussée, aprés avoir eu quelques hommes tués et une trentaine de blessés. Néanmoins, les conférences continuaient, et les généraux bernois, croyant toujours être à la veille de la paix, montraient peu de résolution dans les combats, et laissaient supporter aux Genevois tout le poids de la guerre. Bientôt les hostilités cessèrent, Watteville conclut un nouvel armistice jusqu'au 19 août, et cantonna ses troupes sur les bords du Rhône et de l'Arve.

Ces lenteurs, ces tergiversations, ces suspensions d'armes, l'arrivée dans les cantonnements d'officiers savoyards, jetèrent l'armée dans un profond découragement. Bernois et Vaudois quittaient en foule les drapeaux et rentraient dans leurs foyers. «Ni menaces, ni promesses, ni douceurs, ne pouvaient les retenir.» Les cavaliers d'hommage du Pays de Vaud disparurent, et la désertion fut telle que Berne se vit forcée de licencier toutes les milices allemandes et vaudoises, et de les remplacer par un corps de trois mille mercenaires. Pendant que Berne faiblissait, le duc de Savoie augmentait son armée, occupait le Chablais, pressait Genève de toute part et s'emparait du Pays de Gex. Watteville, au lieu de combattre, retirait les garnisons de Thonon et des châteaux, abandonnait Genève et Gex, et, sur l'ordre du conseil de Berne, rentrait dans le Pays de Vaud. La terreur fut grande à Genève et dans le Pays de Vaud, une masse de fugitifs arrivèrent à Lausanne, de Coppet et de toutes les communes vaudoises frontières du Pays de Gex, et on annonça partout que Berne livrait le Pays de Vaud à Charles-Emmanuel.

Mais un évènement inattendu sauva le Pays de Vaud des horreurs de l'invasion étrangère et des plus affreuses persécutions. Cet évènement, la mort du roi de France, donna une nouvelle direction aux affaires, et engagea le duc de Savoie à porter tout l'effort de ses armes dans le midi de la France. En effet, on apprit que Henri III, lorsqu'il était à la veille d'entrer en vainqueur dans Paris, venait d'être assassiné par un jeune moine, qui croyait sauver Paris et la religion; que la branche des Valois était éteinte; que les catholiques quittaient l'armée de Henri IV, qui venait d'être proclamé roi de France, et que ce monarque n'avait plus autour de lui que les Suisses de Sancy, et deux ou trois mille protestants français. Ces nouvelles arrêtèrent Charles-Emmanuel dans sa marche sur les possessions de Berne; elles lui inspirèrent des idées qui flattaient son ambition, et lui firent oublier ses projets sur Genève et sur le Pays de Vaud.

Allié à la maison de Valois par sa mère, la duchesse de Berry, le duc de Savoie espéra qu'il pourrait être appelé au trône de France, et il se jeta avec toutes ses troupes sur le Dauphiné et la Provence, dans l'espoir de s'y faire proclamer roi de France par le parti catholique4. Pour ne laisser derrière lui aucun enemi, Charles-Emmanuel renoua avec l'avoyer de Watteville les négociations qui venaient d'être rompues. De nouvelles conférences s'ouvrirent à Nyon, où, malgré les protestations des Genevois, Berne, croyant la cause protestante à jamais perdue, conclut un traité avec la Savoie sur les bases suivantes :

«Les deux parties contractantes se garantissent mutuellement leurs Etats. - Le duc de Savoie s'engage à autoriser l'exercise du culte protestant dans trois endroits des provinces du Chablais et de Gex, qu'il vient de conquérir. - Berne abandonne Genève au duc de Savoie, et lui promet son appui pour réduire cette ville. - Les articles concernant la religion et Genève doivent demeurer secrets.»

Cet abandon de Genève eut un immense retentissement dans l'Europe protestante. Un cri d'indignation s'éleva de toutes parts contre les conseils de Berne. Le chef des calvinistes de l'Allemagne, Casimir, Electeur Palatin, écrivit à Berne : «Tous les pays, même l'Italie, sont pleins de bruits qui accusent votre vénalité.» A Lausanne, l'indignation populaire fut portée à son comble. A Berne, on ne rencontrait que des jeunes gens portant à leur cou des chaînes d'oignons, images de ces chaînes d'or, qu'on accusait les magistrats de la république d'avoir reçues du duc de Savoie et du roi d'Espagne, pour prix du honteux traité de Nyon. Cinq mille jeunes hommes, dans les bailliages allemands et dans le Pays de Vaud, formèrent une ligue en faveur de Genève. Dans l'Oberland, le peuple demanda qu'on lui livrât les auteurs du traité de Nyon. Dans l'Argovie et le Pays de Vaud, on répandait le bruit que les Conseils de Berne voulaient vendre le Pays de Vaud au duc de Savoie, où ce prince rétablirait le papisme. Zurich, Bâle, Schaffouse, envoyaient des députés à Berne pour réclamer contre le traité de Nyon. M. de Silleri, ambassadeur de Henri IV en Suisse, protestait énergiquement contre l'abandon de Genève. L'avoyer de Watteville, auteur du traité de Nyon, ne put résister à ces manifestations. Abandonné, même par ceux qui l'avaient approuvé dans ses concessions à la maison de Savoie, il dut céder devant l'indignation générale, et, victime expiatoire, il résigna ses fonctions et se retira dans ses terres, où il mourut de regrets. Les conseils de Berne, alarmés par ces manifestations contre le traité de Nyon, crurent devoir le soumettre à l'approbation du peuple. Les communes allemandes furent unanimes pour le rejet. Celles du Pays de Vaud, appelées à donner leur avis, reçurent la communication de la lettre suivante que LL. EE venaient d'adresser à chacun de leurs baillis :

L'avoyer et Conseils de Berne, à notre bien aimé bailli!....

Comme nous avons demandé l'opinion de nos communiers de notre pays d'Allemagne concernant la paix faite avec. S. A. de Savoie, pour savoir s'ils veulent tenir la dite paix, ou s'ils veulent à leurs propres dépends secourir la ville de Genève; nous avons reçu la résolution de la plus part, par laquelle nous apprenons qu'ils ne veulent ratifier cette paix et alliance, et qu'ainsi il ne faut rien espérer autre chose que la guerre se dresse contre nous. Et si cela advenait, il serait à craindre que nos sujets romands ne viennent en doute, et mauvaise opinion, que, sous le prétexte de la dite paix, nous ne voulussions les abandonner; et comme les dits sujets romands sont les plus rapprochés, ils auraient la guerre sur le dos à leur grande perte, nous avons résolu de les appeler à Berne, pour en délibérer.

Nous te commandons, en conséquence, que tu fasses entendre à tous les officiers de ton bailliage, et principalement aux conseillers et gens qui sont en charge, qu'ils ayent à élire deux ou trois des principaux d'entr'eux pour se rendre à Berne, sur le samedi 23 février 1590, avec les pouvoirs de leurs commettans, de se présenter par devant nous le dimanche lendemain, pour savoir leur opinion, si on fera la paix, ou comment on se comportera avec nos alliés de Genève, lesquels ne veulent point la paix sans le sçu de sa majesté royale de France. Le lendemain, lundi suivant, leur opinion sera portée devant notre Grand-Conseil.

Donné ce 18 février 1590.

Les communes et les villes se prononcèrent unanimément contre le traité de Nyon, et donnèrent des pouvoirs dans ce sens à leurs délégués qui devaient nommer les députés à Berne. Moudon fit déclarer par ses députés «que les sujets de son bailliage veulent rester sous l'obéissance des seigneurs et princes de Berne, protecteurs de la Religion et de la Patrie, et vivre et mourir avec leurs voisins pour la défense de la Religion et de la Patrie5.» Yverdon et les communes de son bailliage donnèrent l'instruction suivante à leurs députés :

«Nous, sujets du bailliage d'Yverdon, ne pouvons conseiller à LL. EE. de tenir et observer la paix de Nyon, parce que cette paix est par trop préjudiciable contre l'honneur et la gloire de Dieu, de leurs Etats et de toute la Patrie. Plutôt que de consentier à une telle paix, nous, les communes du dit bailliage, offrons à nos seigneurs nos vies, nos biens et tout ce qui peut en dépendre, pour servir contre quiconque voudrait faire nuisance en leurs terres et pays6

Lausanne, unanime contre le traité de Nyon, donna à ses députés, MM. de Loys et d'Yverdun, des instructions pour protéger Genève et pour continuer la guerre contre la maison de Savoie7. Dans tous les autres bailliages, il y eur la même unanimité.

Les députés de Vaud, réunis en assemblée générale, rédigèrent une déclaration qu'ils présentèrent au Deux-Cent de Berne, et que, vu son importance, nous rapporterions ici tout entière, si son étendue ne dépassait pas les bornes que nous devons nous imposer. Cette déclaration est motivée par quatre considérations : La Gloire de Dieu, l'Honneur du Souverain, l'Honneur et le Bien de la Patrie.

Accepter un traité qui abandonne Genève, serait renoncer aux anciennes et authentiques promesses de fidélité et d'alliance, jurées avec ceux de notre religion, laquelle Dieu a plantée et soutenue jusques ici, et à vue d'oeil la bénit et favorise miraculeusement à cette heure plus que jamais; tellement que venir à reculer ou tourner le dos, serait une trop grande ingratitude envers Dieu et une tache à jamais ineffaçable envers les hommes.... Sans entrer dans toutes les raisons qu'il y a de favoriser Genève, nous supplions vos seigneuries de considérer que cette ville est le plus beau boulevart qu'aient les Cantons aux frontières de leurs pays, et qui leur coûte le moins à garder; lequel, s'il venait à tomber entre les mains de S. A. de Savoie, celle-ci aurait à sa volonté tout moyen de courir tout le Pays de Vaud et d'autres encore. Ce qui est d'autant plus à craindre, que nos ennemis eux-mêmes se déclarent hautement, et que nous avons souvent, soit par lettres surprises, soit par paroles et menaces fréquentes, et même par oeuvres de fait, senti et aperçu la maudite résolution que ceux qui s'appellent les exécuteurs du concile de Trente ont juré, et tant souvent rejuré, de nous ruiner et racler entièrement de dessus la terre; et comme le duc de Savoie, qui nous flatte, n'a négligé en dernier lieu aucune entreprise pour surprendre le Pays de Vaud et Genève, et qu'il faut croire qu'il la renouvellera chaque fois qu'il en aura l'occasion, parce que, outre son profit particulier, lui et les semblables sont persuadés d'acquérir le paradis en nous trompant, nous ne pouvons voir que des tragiques et lamentables issues à toutes les paix qu'il peut présenter à ceux de notre Religion; paix qui n'ont jamais servi à ceux de notre Religion qu'à les perdre et à les ruiner.... Cependant, sachant que c'est d'Enhaut que nous viennent la paix et la guerre, nous en souhaitons une qui soit durable, bonne et non vitupérable, telle qu'aurait été accordée avec le feu duc Emmanuel-Philibert. Mais aucune perte de nos biens ni de nos vies ne pourront nous faire dire que nous trouvons expédient que pour traiter avec les ennemis de notre Religion, on doive abandonner Genève, et porter atteinte à notre Religion pour la conservation de laquelle nous engageons nos biens et nos vies jusqu'à la dernière goutte de notre sang8.

Les députés de Vaud rencontrèrent à Berne les députations de Zurich, de Bâle et de Schaffouse et l'ambassadeur français, M. de Silleri, qui appuyèrent leurs protestations et réclamèrent énergiquement contre le traité de Nyon. Après une discussion qui dura deux jours, les 2 et 3 mars, la décision suivant fut prise par les Conseils :

«L'Avoyer, Petit et Grand Conseil de la ville de Berne ayant considéré les avis de ses sujets, tant des pays allemands que du Pays de Vaud, ainsi que les remontrances, à eux de toutes parts faites, avisent et décident unanimément de renoncer à S. A. le duc Charles-Emmanuel et au traité conclu avec lui à Nyon.»

En communiquant cette décision aux députés de Vaud, l'avoyer Abraham de Graffenried les remercia au nom de LL. EE. «de ce que Dieu avait si bien besogné en leurs coeurs, et de leur bonne volonté, promettant de s'employer d'estoc et de taille pour le bien public, et termina en leur disant : Vous faites toujours prou dans le Pays de Vaud; on le voit bien!9»

Mais Berne profita du dévouement des Vaudois pour faire peser sur eux le poids de la guerre; elle leur notifia qu'une levée de troupes et un impôt étaient indispensables pour soutenir la guerre qu'ils avaient votée, et «qu'en conséquence les communes de Vaud devaient mettre sur pied leur élite de soldats, avancer à chaque soldat la somme de dix florins, et remettre aux baillis le reste de la solde, à savoir six écus pour un chacun mousquetaire et pour l'arquebusier cinc écus.»

Les Etats, rassemblés à Lausanne le 27 mai 1590, au sujet de la levée de ces subsides, observèrent «que les contributions déjà levées dans les communes de Vaud, par trois diverses fois, pour les frais de la présente guerre, étaient encore entre les mains de LL. EE., devaient être employées au paiement des soldats.» Néanmoins les Etats votèrent les subsides, et partout on leva des hommes et de l'argent.

Berne, si elle avait voulu profiter de l'enthousiasme de ses sujets allemands et vaudois, aurait pu délivrer Genève des attaques des troupes savoyards et chasser celles-ci de Gex et du Chablais. Mais les timides, ainsi qu'on appelait les partisans de la paix, l'emportèrent dans le Deux-Cent, qui fit connaître à la cour de Turin «que le traité de Nyon, quoique rompu, existait de fait, et que si les troupes de S. A. n'attaquaient pas le Pays de Vaud, Berne n'attaquerait pas S. A. de Savoie dans ses possessions de Gex et du Chablais.» L'armée bernoise resta donc inactive, et chaque jour on voyait les officiers de Savoie venir conférer avec les généraux bernois. On s'en inquiétait dans les cantonnements. On criait à la trahison, on l'on répandait le bruit que Berne traitait avec Charles-Emmanuel pour lui vendre le Pays de Vaud, que Genève était décidément sacrifiée et que la religion serait bientôt persécutée. Ce bruit prit une telle consistance que Berne crut devoir le démentir par la publication officielle suivante :

Nous l'Avoyer et Conseils, etc., à nos fidèles sujets du Pays de Vaud.

Nous sommes extrêmement étonnés d'apprendre par un bruit commun, qu'un grand nombre de nos sujets des bailliages romands, sont persuadés que nous aurions promis à son Altesse de Savoie de lui accorder la restitution de quelques-uns de nos bailliages.... Présumant qu'une telle persuasion provient d'une mauvaise intervention de ceux qui n'aiment ni notre bien et prospérité, ni celle de nos sujets, mais plustôt tâchent à les passionner par de tels bruits et fausses alarmes, qui ne tendent à autre fin qu'à les épouvanter et rendre pusillanimes. Nous en sommes justement émus, et sommes occasionnés de vous déclarer et certiorer combien on nous fait grand tort de nous charger de telles choses, dont nous n'avons jamais parlé, ni à Nyon ni ailleurs dans nos conférences avec S. A. de Savoie, d'accorder telle restitution.... Il nous semble donc qu'aucun de nos sujets devrait avoir juste prétexte de se persuader le contraire et de se défier de l'aide et assistance que nous leur devons, et, Dieu aidant, que nous leur prêterons en toutes occurences.... En conséquence, nous vous ordonnons de représenter toutes ces choses et notre innocence au peuple vers vous, afin qu'il prêne, ainsi que vous, la ferme assurance que nous avons toujours eue et aurons de vous maintenir tous et défendre contre nos communs ennemis, et de vous aimer et chérir. Craignant, toutefois, que tels faux bruits et persuasions se pourraient continuer, nous exhortons sérieusement d'y prendre garde, et de surveiller ceux qui, ci-après, pourraient proférer tels et semblables propos sur nous, afin qu'ils en soient châtiés selon leurs démérites10.

Malgré ces protestations, Berne ne soutenait que mollement Genève, et cette ville était abandonnée aux patriotiques efforts de ses citoyens, lorsque Henri IV lui envoya le brave Lurbigny, l'un de ses meilleurs généraux. Le pays de Gex et le Chablais devinrent le théâtre d'une guerre de partisans. Bientôt après, Harlay de Sancy vint à marches forcées au secours de Genève, avec ses braves de Berne, de Vaud et de la Suisse protestante, avec lesquels depuis deux ans il combattait pour Henri IV. Berne, voyant alors que ce prince prenait décidément fait et cause pour Genève et qu'il triomphait de la Ligue, quitta son système de temporisation, prit une part active à la guerre du Chablais et autorisa le colonel Imbert Diesbach à lever un régiment de deux mille hommes pour le service de la France. Le recrutement de ce corps fut facilement exécuté dans le Pays de Vaud, dont les députés votèrent de nouveaux subsides pour soutenir la guerre. Une guerre de dévastation commença dans le Chablais et le Faucigny. «Les bataillons de Sancy, dit M. Vulliemin, étaient semblables à ces nuées de sauterelles qui ne laissent derrière elles qu'un sol sans verdure : tout fut enlevé dans ces malheureuses provinces.» Après avoir délivré Genève, le général de Sancy reprit le chemin de la France avec son armée, renforcée du régiment Diesbach; il rejoignit Henri IV, et après une suite de victoires remportées par ce grand roi sur la Ligue, il entra, le 22 mars 1594, avec lui dans Paris. La joie fut à son comble dans le Pays de Vaud. On voyait enfin, après quarante années de guerres et de persécutions, un roi protestant monter sur le trône de France et assurer les droits de la religion réformée. Mais cette joie fut d'une courte durée; Henri IV qui, pour obtenir la couronne, avait combattu la ligue catholique, fit taire sa conscience et oublia ces protestants qui avaient combattu pour lui alors que chacun l'abandonnait. Henri IV abjura, et, par cet acte déplorable, il retarda de deux siècles l'avènement de la liberté en France.

Cependant, Henri entreprit la fusion entre les catholiques et les protestants. Mais ceux-ci témoignèrent leur mécontentement dans l'assemblée de Saumur et se plaignirent de l'ingratitude dont le roi payait leur dévouement à son cause. Henri voulut faire oublier son ingratitude en donnant aux protestants l'édit de Nantes, par lequel l'exercise de leur religion était garanti. Mais cet édit ne remplit point son but, car il mécontenta les deux partis. Les catholiques exclusifs le regardèrent comme une injuste faveur, et les protestants comme un acte d'intolérance. L'édit de Nantes, cependant, accordait aux protestants liberté de conscience dans tous le royaume, mais n'autorisait leur culte public que dans les villes où il n'avait pas été interrompu pendant les années 1596 à 1597. On remarquait dans cet édit les clauses suivantes : les seigneurs calvinistes ayant haute juridiction pouvaient avoir chacun une église et y admettre leurs sujets; dans les parlements, des chambres mi-parties catholiques et protestantes étaient instituées; toutes les places fortes, dont les calvinistes étaient maîtres à l'époque de l'édit, devaient leur demeurer pendant huit années; les garnisons de ces places devaient toutes être de la religion réformée et soldées par le roi.

Les guerres de religion étaient donc terminées. Cependant, la guerre se rapprocha bientôt des frontièes du Pays de Vaud et rappela ses milices sous les armes. Henri IV convoitait la Franche-Comté et la Flandre, provinces du royaume d'Espagne, et voulait les ajouter aux provinces de la France. Déjà son armée se concentrait sur Besançon, lorsque les cantons catholiques, alliés de l'Espagne, envoyèrent des troupes au secours de la Franch-Comté. Berne et les cantons protestants mirent leurs milices sur pied et déclarèrent au roi de France qu'ils entreraient en Franche-Comté pour en maintenir la neutralité, confiée par les traités à la garde de la Confédération. Henri voulut éviter une guerre avec les Suisses; il combla l'honneur les députés des cantons protestants, les charma par sa cordialité, reconnut la neutralité de la Franche-Comté, abandonna ses projets sur cette provinces et porta ses armes dans les Flandres. «Mes amis!» écrivait-il aux colonels suisses du corps d'armée commandé par Sancy, «Mes amis! je cours en Picardie; je sais que vous auriez du regret qu'une si belle occasion se passât sans vous. Comme il y va de l'honneur, je n'en dis par davantage.» Les vieilles bandes romandes et helvétiques répondirent à l'appel d'Henri. Avec cette troupe aguerrie par dix ans de combats, Sancy, nommé colonel-général des Suisses, aida à conquérir la paix de Vervins, qui rendit le repos à l'Europe.

Le traité de Cateau-Cambrésis, qui avait terminé sous François Ier les guerres entre la France et l'Espagne, servit de base au traité de Vervins. Celui-ci, ainsi que le premier, fut favorable à la maison de Savoie, qui reçut le Chablais des mains de Henri IV. Cependant, comme le traité de Vervins ne fixait rien en faveur de Genève et ne reconnaissait pas le Pays de Vaud comme faisant partie de l'alliance helvétique, Charles-Emmanuel, excité par le pape Clément VIII et les Jésuites, fit de nouveaux préparatifs contre Genève et le Pays de Vaud, et s'empara du marquisat de Saluces, que la France conservait depuis l'an 1536 comme la clef de l'Italie. Henri IV dirigea en personne son armée contre le duc de Savoie; il envahit la Bresse et le Bugey, s'empara de Chambéry et força Charles-Emmanuel à venir signer la paix à Lyon le 17 janvier 1601. Le traité de Lyon rendit le marquisat de Saluces à la Savoie, et céda à la France le Bugey, la Bresse et le Pays de Gex.

Genève et Berne, qui intervinrent dans les négociations de Lyon, commirent une faute en n'insistant point sur la cession, à l'une d'elles, du Pays de Gex, alors protestant. Ces républiques, créancières de Henri IV de quelque centaines de mille écus d'or, auraient facilement pu obtenir le Pays de Gex de ce monarque. Par cette cession, elles auraient fermé l'accès à l'influence étrangère dans le versant oriental du Jura, et empêché, ainsi, une grande puissance de prendre une position militaire, toujours menaçante pour l'indépendance de la Suisse, et la Rome protestante n'aurait pas été, deux siècles plus tard, exposée aux envahissements des ultramontains.


Sources principales : Archives de l'Etat de Vaud. - Archives de Lausanne, de Morges, de Moudon, d'Yverdon. - Grenus, Documents, etc. - Bridel, Conservateur Suisse. - Spon, Hist. de Genève. - Vulliemin, Hist. de la Confédération Suisse. - Sismondi, Hist. des Français. - May, Hist. militaire des Suisses. - E. de Rodt, Hist. militaire de l'Etat de Berne jusqu'à sa chûte en 1798, 2 vol. Berne, 1831. - Grüner, Fragm. Hist.

1Chronique de Stetler. - Archives de Lausanne.

2Grüner, Fragments Historiques. - Récés de la Diète, 1589.

3May, Hist. militaire des Suisses.

4Les Provençaux rendirent hommage à Charles-Emmanuel, et le choisirent pour leur comte. Pendant trois ans, il consuma ses forces contre Lesdiguieres et La Valette, qui commandaient en Provence et en Dauphiné pour Henri IV. Ces généraux dévastèrent la Savoie. Enfin, Charles-Emmanuel dut abandonner ses prétentions à la couronne de France, et en 1595 il reconnut Henri IV comme roi de France et de Navarre.

5Archives de Moudon.

6Archives d'Yverdon.

7Manuel de Lausanne, 1590.

8Archives de Morges. - Grenus, 321.

9Archives de Morges.

10 Archives de Morges.


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