Les assemblées des villes, de la noblesse et des communes, constituent les Etats de Vaud. - Subsides accordé par les Etats, 1590 et 1591. - Représentations des Etats au sujet des monnaies; Plaintes contre le baillis, Règlements pour les assemblées des villes, 1592. - Les Etats décident sur des questions judiciaires, 1594. - Ils votent un impôt destiné à une caisse militaire, dite gîte de guerre, 1595. - Question des sels; les Etats réclament la libre vente du sel; ils l'obtiennent, 1603. - La révision des statuts de Vaud est demandée par les Etats, 1608 à 1609. Révision des statuts de 1577; Coutumier de 1616. - Griefs sur l'administration. - Berne nomme un Conseil de Réforme. - Un bailli condamné à mort. - Règlement des assemblées d'Etats. - Berne supprime les Etats de Vaud, 1622.
Quel que soit le nom que l'on donne aux assemblées nationales du Pays de Vaud, qu'on les nomme Journées de Marche, Assemblées des Quatre-Villes-ducales, Assemblées des Bonne Villes, Assemblées des Villes et de la Noblesse, Assemblées du Pays de Vaud, il est évident que ces assemblées constituaient les ETATS DE VAUD, dont l'existence a été naguère mise en doute, quoique des documents irrécusables en fassent mention. Ainsi, Pierre Quisard, ce savant jurisconsulte dont nous avons parlé, donne des détails sur l'organisation des Etats de Vaud. Ruchat, lui dont Haller de Berne dit : «Il se fonde partout sur des actes publics, où il puise dans les sources les plus authentiques; il est toujours sincère et de bonne foi1,» Ruchat mentionne les Etats de Vaud. «Le duc de Savoie, dit-il2, gouvernait le Pays de Vaud par le moyen d'un Grand-Bailli et des ETATS DU PAYS, composés des députés des quatorze villes et bourgs.... J'ai eu entre les mains les derniers registres de ces Etats, d'où j'ai tiré un acte que les curieux seront peut-être bien aise de voir tout entier3.» Même sous le régime bernois, à la fin du XVIe siècle, et dans les premières années du siècle suivant, les Etats de Vaud, formés des députations des villes et de la noblesse, s'assemblèrent souvent, non-seulement pour voter des subsides, mais aussi pour défendre les libertés et les franchises du pays. Comme ces circonstances sont peu connues, et que les Vaudois du XIXe siècle ont oublié les luttes de leurs pères pour la liberté, nous rappellerons ici ces luttes.
Nous l'avons vu dans un chapitre précédent, les Etats furent convoqués en 1570, votèrent une contribution extraordinaire et, par leur insistance, obtinrent la promulgation du Coutumier de Vaud. Dès cette époque, Berne ne réunit plus les Etats. Mais les guerres de Savoie, dès l'année 1589, et les secours en hommes et en argent que la Suisse protestante envoya aux calvinistes français, les dangers qui de toute part menaçaient Berne, exigèrent le concours des Vaudois, qui, dans leurs assemblées des villes et de la noblesse, virent renaître les Etats de Vaud.
Le 21 mai 1590, les députés des villes et de la noblesse s'assemblent à Lausanne, où se recontrent les députés de Romainmôtier, des quatre Paroisses de Lavaux et autres. Cette assemblée des Etats vote des subsides pour la guerre. En 1591, nouvelle réunion des Etats à Lausanne4.
En 1592, les villes se plaignent de la rareté des monnaies d'or et d'argent, et de la circulation de billon de bas aloi dans le Pays de Vaud. Berne invite les villes à s'assembler «pour ordonner les moyens» de faire cesser cette circulation. Les Etats s'assemblent à Lausanne et prient LL. EE. de prendre les mesures suivantes à l'égard des monnaies : «Qu'il plaie à nos souverains seigneurs, ainsi qu'à leurs alliés et confédérés de Fribourg, Valais, Soleure, Neufchâtel et Genève, de dresser taux et règlements, tant sur les grosses monnoies d'or et d'argent, que sur les sols du roi de Savoie, les creutzers, les papillots, les quarts et autres petites monnoies, afin que par les dits règlements les dites monnoies soient indiffèrement reçues rière leurs états pour une même valeur. Et qu'au cas que l'une des seigneuries, principautés leur confédéré, ne voudrait à ce consentir, les monnoies d'icelle soient interdites et prohibées rière les états des autres.» Après cette proposition, les députés s'occupent des moyens de consolider la représentation nationale, et décident de proposer à leurs commettants la résolution suivante :
«Les seigneurs députés des villes auront à s'assembler tous les ans une fois, en une et chaque ville alternativement, pour traîter et aviser que désordre ne fasse au Pays, et pour conférer des choses tendantes à l'honneur et gloire de Dieu, au contentement de nos seigneurs, au bien et au profit de la Patrie, soit dans les temps de paix ou de guerre5.»
Ces propositions sont adoptées par les villes, qui donnent des instructions dans ce but à leurs députés à Lausanne. «Il est trouvé expédient,» dit le conseil de Nyon dans son procès-verbal du 29 juillet, «d'aller à la journée prise à Lausanne pour illec trouver les députés de tous les conseils du pays.... A été commis pour ce, le banneret du Chable. M. Quisard, seigneur de Crans, s'y trouvera de la part des gentilshommes.» Le procès-verbal de la séance du 7 août du même conseil dit : «Ici il a été confirmé l'élection des commis pour aller à la journée qui doit être tenue entre les ETATS DU PAYS à Lausanne6.»
Les Etats, réunis à Lausanne, prirent plusieurs décisions dans l'intérêt du pays, et, sur la proposition de Moudon, décidèrent de faire des représentations à Berne sur «les innovations faites par le T. H. S. Bailli, tant de mettre en prison sans avoir connaissance de droit, tant que d'imposer des bamps de cinquante florins, que autres contre les articles du Coutumier, et aussi de faire des distractions des gages.» Les Etats nommèrent ensuite la députation suivante, qui se rendent à Berne :
«De la cité de Lausanne, M. de Loys de Marnens; de Payerne, le banneret Rueraz; de Moudon, M. Cerjat de Denezy; d'Yverdon, le châtelain Masset; de Morges, le châtelain du Soleil; de Nyon, le banneret du Chable; d'Avenches, le conseiller Bonjour; de Vevey, le commandeur Cornillat; de Cudrefin et Grandcourt, M. de Vevey; des Quatre-Paroisses-de-Lavaux, le banneret Gantin; de Romainmôtier, le mayor Thomasset; d'Oron, le châtelain d'Oge7.»
Ces députés offraient à LL. EE. le concours du Pays de Vaud, l'expression de son dévouement à la cause protestante, et de sa haine pour la maison de Savoie. Ces députés donnaient à Berne de l'argent et des soldats. Aussi, les conseils de cette ville les reçurent avec empressement et leur accordèrent l'autorisation de constituer les assemblées des villes du Pays de Vaud. Ce fut en vertu de cette autorisation que les députés des villes, réunis en septembre à Payerne, adoptèrent le règlement suivant :
A été arrêté que la première assemblée se devra faire à Lausanne, sur le premier jour du mois prochain, et sécutivement à Moudon et en après alternativement ès dites villes sur le bon semblable s'y trouver.
Item. Que celui qui esfaudra s'y trouver soit condamné à la somme de 50 fls. de peine, applicables au tronc des pauvres du lieu où l'assemblée se tiendra.
Item. Que le secrétaire soit de Lausanne, faisant un livre qu'il remettra à un qui sera de Moudon à son alternative.
Finalement. A été arrêté et conclu que le lieu de l'alternative, à savoir : de Lausanne, M. le Bourgmaître; de Moudon, M. le Banneret d'icelle ville, auront charge, selon l'alternative, de recevoir les doléances que l'on leur pourra faire, et de faire rassembler les dites villes selon l'exigence du cas.
N'entendent les dites assemblées être aucunement tendantes à préjudice de nos dits seigneurs, et que si icelles leur étaient déplaisantes, de les quitter et s'en déporter8.
Dans la session de 1594, les villes «et d'autres bourgades avec elles9» s'occupèrent d'une question de droit au sujet d'une difficulté survenue entre Jean de Gruyère, seigneur de Sévery, et les justices de l'Isle.
Le 25 février 1595, les délégués du Pays de Vaud se rassemblent au sujet d'une nouvelle contribution de guerre, et envoyent à Berne la députation suivante pour présenter leurs réclamations :
Aigle, les châtelains Cutillod et Mottier, le curial de Bex et M. le ****.
Payerne, le banneret Ruerat, André de Combremont, Claude Fivaz, sautier.
Ressort de l'Abbaye de Payerne, le notaire Quillier.
Lausanne, les bannerets Secrétan et Blécheret.
Moudon et le bailliage, Cerjat de Denezy, Pierre George.
Yverdon, le secrétaire Bullet, F. Othonin.
Morges, le châtelain du Soleil, le sieur du Pont.
Nyon, le banneret du Chable, Urbain Badel et Bernard Bessonet.
Rolle, le curial Rollaz, le sieur Arpeau.
Aubonne, le châtelain de Berollaz, le chevalier de Lavigny.
Romainmôtier, Noble J. Mayor, le commissaire Josué Martignier.
Oron, le commissaire Destraz.
Avenches, le châtelain de Dompierre.
Cudrefin, Guillaume Rossallaz, Claude de Sibour.
Grandcourt, Humbert Ruchat.
Vevey, Gaspard Cornillat, Jean Carnat, et l'officier.
Montreux et Blonay, Jean Mayor, Claude Guex.
Quatre-Paroisses-de-Lavaux, les bannerets Gantin et Maillardoz, Samuel Chevaley, Antoine Tavernay.
Après que cette nombreuse députation eut rempli sa mission, les délégués des villes s'assemblèrent à Lausanne le 12 décembre 1595 et prirent la résolution suivante :
Après consultation et conférences mutuelles du fait, et suivant leurs charges et commissions, les députés des villes ont avisé et résolu, à savoir :
Sera fait une levée générale, en toutes les villes et les villages en dépendant, de 12 sols par chaque focage; faisant laquelle levée, on aura égard à la portée des moyens d'un chacun, à ce que les riches supportent les pauvres, et que les du tout misérables en soyent exempts; la dite levée et contribution payable ès mains des syndics et gouverneurs, ou autre charge ayant des villes et villages, lesquels dits seront tenus incontinent l'apporter et mettre dans un coffre commun ayant plusieurs serrures, desquelles serrures les clés seront commises à divers hommes. Icelui coffre restera en la maison de chacune des dites villes, afin qu'au besoin les deniers puissent se trouver prêts et tous ensemble. - Personne pour le dite levée ne devra être cottisé, fors que dans le lieu auquel il sera résident, et pour tous ses biens malgré qu'ils consisteraient en divers autres lieux. - Passé cette première levée, on en fera d'autres auxquelles on ne fera plus aucun égard à la puissance des personnes, mais on payera également trois sols par quart-temps. En considération que cette contribution sera légère et supportable, icelle durera autant de temps que les conseils des villes la trouveront nécessaire et expédiente, sans introdruire toutefois conséquence, ni déroger aux franchises et libertés du pays10.
Les conseils de Berne approuvèrent ces résolutions, mais exigèrent «que les gentilshommes dussent payer sur leurs biens ruraux, tout comme les autre personnes, et que les rois des arquebusiers des villes et des communes ne dussent pas être exceptés du fait de guerre.» Les députés de Vaud, de leur côté, insistèrent pour que «l'argent de la contribution ne fût pas délivré aux baillis, afin qu'il n'arrive pas comme de la levée faite trente-six ans auparavant, les denier de laquelle n'avaient jamais été restitués11.»
Les Etats se rassemblèrent plusieurs fois pendant les derniers années du XVIe siècle, soit pour voter des subsides, soit, comme nous l'avons vu dans les chapitre précédent, pour délibérer sur la question de la paix ou de la guerre. Dans le commencement du XVIIe siècle, la question du sel agita le Pays de Vaud et attira l'attention de ses Assemblées.
Nous avons dit que les Etats, voyant que le commerce du sel était tombé entre les mains de marchands qui en faisaient un monopole dont ils obtenaient des bénéfices exhorbitants, demandèrent à Berne, en 1570, que le vente du sel fût remise à des agents du gouvernement. Dans les premières années de son existence, la régie du sel ne donna point de bénéfices; mais elle devint ensuite une branche importante des revenus de LL. EE. La régie s'approvisionnait en Franche-Comté et ses agents débitaient le sel dans le Pays de Vaud à raison de trois creutzers la livre. Cependant, en 1602, la régie cessa de vendre du sel de la Franche-Comté en le remplaçant par un sel marin de mauvaise qualité. On apprit que ce sel avait été donné en paiement à Berne, par Henri IV, pour rembourser cette ville qui avait prêté cent mille écus d'or à la couronne de France. Cette mesure déplut; toutefois, elle ne rencontra pas d'opposition sérieuse, car on la croyait générale. Mais bientôt l'indignation éclata de toute part lorsqu'on apprit que ce sel était destiné à la consommation du Pays de Vaud, tandis que la ville de Berne, les bailliages allemands, et même les bailliages communs de Grandson, d'Orbe et d'Echallens, continuaient à tirer le sel de la Franche-Comté. L'indignation fut plus grande encore lorsque le sous-fermier de la régie du sel, M. de Montricher, fit vendre le sel marin plus cher que celui de Franche-Comté, dont LL. EE. défendirent l'emploi dans le Pays de Vaud, sous peine de 10 florins d'amende et de la confiscation du sel prohibé.
Morges réclama contre cette mesure et porta plainte contre M. de Montricher, qui «avait permis à ses facteurs d'augmenter le prix du sel marin et de le vendre à raison de trois sols et demi la livre.... En cessant de tirer des sels de la Franche-Comté,» disait Morges dans sa réclamation, «on ruine plus de six cents familles occuppées au transport des sels et du commerce de denrées, de fer, de fromages, de grains, de bétail, dépendant du trafic du dit sel de Bourgogne.... Déjà le prix du fer a augmenté, et le commerce et les marchés d'Yverdon ont diminué d'importance, et se sont transportés à Fribourg et à Romont, où le commerce du sel est libre et où les marchands ne sont pas vexés par les agents du fisc, sous le prétexte de découvrir des contraventions à la vente du sel.... Qu'il plaise donc à LL. EE. de ne défendre à vos sujets le trafic ordinaire ni du sel, ni des autres marchandises, qui est leur ressource et entretien; qu'il leur plaise d'avoir égard à trente ou quarante mille familles qui soir et matin crient miséricorde en demandant en aide le Seigneur et VV. EE. pour la délivrance d'une telle servitude et contrainte!.... Comment pourront-ils, vos sujets, remplir leurs devoirs, et notamment en fait de guerre, et aller en garnison chaque année, comme ils l'ont fait à leurs dépens, s'ils sont ruinés? VV. EE. seront obligées alors de fournir argent et vivres; votre Etat sera ruiné, vos sujets appauvris; mais Montricher sera rendu riche12.»
Les autres villes réclamèrent également, entre autres Moudon et les communes de son bailliage, qui déléguèrent à Berne MM. Cerjat de Denezy et Pierre George, syndic d'Oron. Mais toutes ces réclamations demeurèrent sans effet. Alors «Messeigneurs les gentilshommes du Pays de Vaud se rassemblèrent le jour du 1er septembre 1603, dans la ville de Lausanne, aux fins de conférer des moyens propres et requis pour la réfutation de la très-pitoyable invention du sel marin, à laquelle un chacun par devoir de soi et de ses successeurs, est tenu s'opposer. Ils avisèrent être très-expédient d'en faire une briève conférence avec les bonnes villes du Pays de Vaud, pour s'y conjoindre contre les suites de cette lamentable invention,» et donnèrent charge au bourgmaître de Lausanne, M. Isbrand de Crousaz, seigneur de Prilly, de convoquer les dites villes «à se devoir trouver dans la dite ville de Lausanne, sur le premier du prochain mois d'octobre, heure du matin13.» On voit dans les registres du conseil de Moudon que le 15 septembre «M. Cerjat de Denezi fut commis avec M. Dutoit le syndic et le secrétaire Jacquiéri, pour se trouver à Lausanne avec les villes du pays, pour communiquer avec les gentilshommes du dit pays pour le fait du sel marin.» Enfin, que le conseil de Moudon convoqua les bourgeois «pour entendre leur opinion sur ce (le sel),» et décida «de prendre l'avis des communes de tout le bailliage, samedi prochain, et que l'opinion de chaque commune sera mise par écrit14. Jamais la représentation nationale du Pays de Vaud ne fut mieux constituée : les villes envoyaient leurs députés à Lausanne, les communes étaient appelées à donner leur opinion, la noblesse était représentée. Les Etats de Vaud étaient donc réunis dans le Ville impériale. On ignore les discussions qui eurent lieu à Lausanne. Cependant, les archives de la ville de Nyon nous apprennent que les Etats votèrent l'adresse suivante à LL. EE. de Berne15 :
Magnifiques et souverains seigneurs!
Les déléguées du Pays de Vaud, vos très-humbles vassaux et sujets, sont contraints de rechef recourir à votre paternelle clémence, aux fins de remontrer comme ayant fait entendre à leurs constituants la bonne volonté de VV. EE. de les vouloir maintenir en leurs libertés, franchises, coutumes et usances. Vos dits sujets ont pris résolution de faire pour Vos dites EE. tout ce qu'ils estiment être en eux possible, sans déroger à leurs libertés, et en conséquence, ils présentent requête de la teneur suivant à vous, magnifiques seigneurs du Conseil-Etroit.
Illustres, magnifiques et puissants seigneurs!
Les commis et députés de la part de vos très-humbles et fidèles vassaux et sujets de votre Pays de Vaud, comparaissent de rechef devant Vos Excellences. Ils rendent grâces à VV. EE. de ce qui leur a plu de ne vouloir ni déroger, ni infringer aux privilèges, libertés et coutumes de vos sujets du Pays de Vaud. Et, quant à ce que VV. EE. estiment être le profit de vos sujets de prendre une certain quantité de sel marin que S. M. de France vous a accordé pour être remboursés d'une partie des frais que VV. EE. ont faits en la dernière guerre de Savoie, vos vassaux et sujets vous supplient de considérer que le guerre de Savoie leur a été un très-pesant fardeau, tant par les frais qu'ils ont supportés en desservission de leurs hommages (service militaire) par un plus long espace de temps qu'ils sont tenus, comme pour avoir consumé dans la dite guerre leurs réserves et leurs épargnes. Néanmoins vos vassaux et sujets ne veulent point être ingrats de la confirmation qu'il vous a plu de leur faire de leurs Privilèges, Libertés et Coutumes, et quoique leurs moyens soient fort petits, ils recevront, avec contentement, la quantité de trente muids de sel marin de France bon et recevable, et non pareil à celui que Montricher s'est tant hâté de faire conduire dans notre pays, à raison de 144 quintaux le muid, pour le prix de neuf quarts de Savoie la livre (trois creutzers et demi la livre).
Moyennant ce, il plaira à VV. EE. de concéder à vos vassaux et sujets du Pays de Vaud lettres et sceaux de la maintenance de leurs franchises, et aussi du libre commerce du sel comme auparavant. Par ce moyen pourraient vos dits sujets, après payement qu'ils auront fait des dits trente muids de sel marin, icelui partager ou le vendre à bon leur semblera. Et d'autant que les députés de Vaud aient charge expresse et particulière de leurs constituans de ne recevoir aucune portion de ce sel marin, si on leur refuse lettres demandées sur la liberté du commerce du sel comme ci-devant. Requérant VV. EE. de ne trouver étrange de ce que vos sujets insistent sur ces lettres de liberté de commerce, vu que cela n'a rien de nouveau, attendu que les princes qui ont possédé les terres du Pays de Vaud, ont toujours concédé semblables lettres.
VV. EE. doivent considérer que leurs prédécesseurs n'ont jamais refusé, lorsqu'ils ont retiré quelque commodité du Pays de Vaud, de concéder de pareilles lettres, de ratifier les anciennes Libertés, Franchises, Coutumes et Usances du Pays de Vaud, voire tant écrites que non écrites; et que par ces raisons il appert clairement que votre Pays de Vaud a été de tout temps quitte et exempt de toutes charges, impôts, subsides et innovations, ainsi que cela a été spécialement promis par vos prédécesseurs dans le livre des Coutumes du Pays de Vaud, concédé par LL. EE. en 1577, et par lettres et sceaux confirmés en faveur de vos dits sujets, où il est dit qu'il ne leur sera imposé aucune taille, gabelle, impôt, ni contribution, après le 30000 écus que vous avez reçus, si non que pour quelque urgente nécessité, vos bourgeois et sujets anciens (allemands) contribuassent, et qu'alors vos sujets du Pays de Vaud devraient aussi rendre leur devoir. Puisque donc, vos bourgeois et sujets anciens ne sont point compris en cette contrainte de recevoir le dit sel marin de France, il s'ensuit que vos dits sujets du Pays de Vaud ne doivent nullement y être contraints, et que cette contrainte serait directement contraire à leurs libertés.
Vos humbles vassaux et sujets supplient en toute humilité VV. EE. de croire qu'ils n'ont jamais délibéré, ni même pensé à préjudicier tant soit peu, ni même diminuer en façon que ce soit les droits de souveraineté, autorité et prééminences appartenant à vos dites Excellences.
Par quoi, si les lettres de liberté de commerce leur sont refusées, vos vassaux et sujets du Pays de Vaud ne pourront juger autrement, sinon qu'on veut en tirer conséquences au préjudice de leurs Libertés, auxquelles ils ont charge de leurs constituans de supplier VV. EE. de les excuser s'ils ne peuvent rien accepter, sinon à la condition ci-devant déclarée; mais de remettre le tout à la Providence divine, laquelle ils supplient de disposer les coeurs de VV. EE. à prendre sur cette matière, une bonne et sainte résolution qui puisse réussir à son honneur et gloire, et au soulagement des peuples que la Providence vous a commis en charge, et afin que ces peuples puissent continuer leurs prières au Tout-Puissant pour la prospérité de vos Nobles et Hauts Etats16.
Berne, toujours menacée par le duc de Savoie, n'osa résister à ces pressantes instances et répondit que vu «l'assurance que leur donnaient leurs fidèles vassaux et sujets, de leur sincère loyauté, fidélité et cordiale délection qu'ils désirent continuer jusqu'à la mort, LL. EE. ont volontiers, et avec grand plaisir, entendu la bonne volonté de leurs chers et féaux sujets du Pays de Vaud, lesquels elles chérissent et aiment en toute grace et faveur, elles veulent bien ajouter que leur intention n'a jamais été de déroger à leurs libertés, franchises et usances, au moyen de ce sel; mais qu'elles sont contentes de révoquer toute défense, et d'accorder octroi du trafic et commerce libre comme auparavant17.»
Le mouvement d'indépendence des villes et des communes continua pendant les premières années du XVIIe siècle, et l'on voit, dans les archives des villes, à quel point les Vaudois étaient jaloux de leurs droits et avec quelle persévérance ils les défendaient. Ainsi, dans l'assemblée qui eut lieu à Morges, au mois de mai 1605, il fut décidé à l'unanimité de «présenter requête à LL. EE. sur les points suivants : »
«1o Sur les violences exercées par les péages de Versoix envers les Vaudois, contre la teneur de l'alliance entre les Suisses et la couronne de France, qui affranchit les Suisses de toutes gabelles, péages et impôts, rière la France.
«2o Sur ce que l'arrêté de LL. EE. de Berne, du 7 janvier 1605, déroge aux priviléges des villes quant à la réception des bourgeois et habitants.
«3o Sur ce que les baillis attirent à eux les causes et les distraient des justices inférieures.
«4o Sur ce que le péager de Nyon exige, par innovation, un péage : a) sur le vin que les Vaudois conduisent à Genève; b) sur le sel qui vient de la Franche-Comté; c) sur les porte-balles.
«5o Pour que Mr Diesbach, seigneur de Prangins, soit obligé de construire et d'entretenir un bon pont sur la Promenthouse18.»
En 1608 et en 1609, l'assemblée des villes sut nantie d'une plainte portée par le commissaire Destraz et Maurice Coster, au nom des communes du bailliage d'Oron contre «plusieurs et infinies innovations que leur seigneur bailli leur innove et impose, et des charges, impôts et gabelles qui leur sont imposés contre leurs droits, franchises et libertés.» Nyon et Yverdon se plaignirent aussi «des rudes émoluments que prennent les seigneurs baillis, secrétaires, officiers, châtelains et curials.»
A cette même époque, des plaintes s'élevèrent contre les baillis qui méconnaissaient les droits du Pays de Vaud, les foulaient aux pieds, et introduisaient des abus dans l'administration de la justice. Ainsi, l'un d'eux, Mr Samuel d'Erlach, lors de son installation au bailliage de Morges, le 22 septembre 1612, avait refusé de prêter serment pour le maintien des franchises et priviléges du bailliage, et s'était borner seulement à «promettre leur observation, sur les mains du seigneur conseiller de Morges qui le présentait.»
Les quatre villes se réunirent au sujet de ce procédé, et prirent la résolution de protester sur cette violation des droits du Pays de Vaud, et de réclamer une «réformation générale des lois et ordonnances.» Dans ce but, elles addressèrent la requête suivante à LL. EE.
Magnifique, hauts, puissants et souverains seigneurs!
Il vous est humblement exposé que vos prédécesseurs ont confirmé plusieurs libertés et franchises, et entr'autres ordonné que lorsqu'un bailli serait établi dans une des villes du Pays de Vaud, il devrait prêter serment solennel dans les mains de celui qui serait député par les dites villes pour le mettre en possession du bailliage, qu'il s'engageait d'observer à vos sujets leurs Libertés, Franchises, Us, Lois et bonnes Coutumes; et qu'ensuite, au réciproque, vos sujets, après le serment du seigneur bailli, devaient faire serment entre les mains du dit nouveau seigneur bailli, d'observer, et garder fidèlement les droits de VV. EE., et de maintenir leurs droits et autorité. Cependant, ce serment est différement pratiqué, ce qui a produit en divers endroits plusieurs difficultés et notamment, en dernier lieu en votre ville de Morges. Ils vous supplient donc, qu'à teneur des privilèges du Pays de Vaud, vos baillis fassent les premiers le serment, de tenir les droits, libertés et franchises des sujets, avant que d'intimer le serment aux dits sujets. Et cela afin qu'étant ainsi fiat, il n'y aie aucune dispute entre les seigneurs baillis et vos sujets, mais qu'étant bien unis, ils vivent chrétiennement et selon la Parole de Dieu et l'observation de vos bonnes lois et ordonnances.
Supplient d'ailleurs, vos bien affectionnés sujets qu'il vous plaise de continuer à entreprendre une réformation générale rière vos terres et pays, et dans ce but faire réunir les députés de tous vos sujets, pour entendre leurs plaintes et les causes de leur pauvreté pour y remédier. Mais comme jusqu'à présent cette réformation très-nécessaire n'a été encore ni faite, ni publiée, vos humbles sujets vous supplient, pour détruire toute oisiveté, d'où proviennent plusieurs vices, vous réprimiez d'autres défauts qui règnent en vos terres et pays, comme aussi vous corrigiez les diverses coutumes qui existent parmi vos sujets. Lesquelles diversités de coutumes causent grands procès et ruines, et à VV. EE. attédiations et fâcheries....19
Cette requête fut accueillie, et le conseil de Berne, par son mandat de 21 novembre 1612, donna l'autorisation aux villes, aux communes et aux seigneuries du Pays de Vaud, «de se réunir en assemblées et conférences, pour savoir comment ils pourront convenir par ensemble, et s'accorder à pondérer les articles du Coutumier, et la différence des us et coutumes de leur pays; aviser, et voir ceux qui, pour leur profit, il faudra améliorer, lesquels, après mûre considération par ensemble, nous les envoyer, aux fins que ceux que nous trouverons utiles, admettables et profitables à nous et aux nôtres, leur soient confirmés, changés et modérés. Nous souhaitons principalement, que l'assemblée des députés de notre Pays de Vaud, se rapproche, autant que faire se pourra, des statuts et ordonnances de notre ville de Berne, sur la procédure des causes et procès, ainsi que l'ont fait nos sujets du pays d'Allemagne, afin que les procès soient accourcis, et que le prolixité des procès, laquelle est usitée jusqu'à présent dans notre Pays de Vaud, soit abrégée, afin d'éviter coûts et voyages....20»
Les villes, les communes et la noblesse s'assemblèrent fréquemment pour la révision des statuts de 1577. Malheureusement pour la nationalité du Pays de Vaud, Lausanne, Avenches, les Quatre-Paroisses de Lavaux, Aigle, le Pays-d'Enhaut et Payerne, voulurent conserver leurs codes, divisèrent ainsi la patrie et contribuèrent à la rendre sans force contre les maîtres. Les assemblées des villes, des communes et de la noblesse s'occupèrent, pendant plusieurs années, de la révision du Coutumier et envoyèrent de fréquentes adresses à Berne. L'une d'elles, celle de l'année 1613, mérite d'être connue; elle signale plusieurs désordres dans les diverses branches de l'administration, et demande que des commissions soient annuellement envoyées dans le Pays de Vaud pour réprimer les abus d'autorité.
Comme en toutes républiques quant il s'agit de faire des levées de gens de guerre, de les instruire et de les augmenter, les plus capables, habiles et experts en l'art militaire et aux armes, sont préférés aux inhabiles et ignorants, et qu'à iceux on confère les charges, capitulations et autres offices de guerre, afin que, avec ces officiers expérimentés en l'art militaire, l'on compose une armée de soldats bien résolus, experts et hardis. Les députés supplient en conséquence qu'il plaise à VV. EE. de n'avoir égard, ni acception, des riches et des grands, ni aux lieux et villes; mais d'élire pour le commandement, parmi vos sujets, des gens idoines, capables et exercés aux armes, soit par exercises, soit par expérience, et engager plusieurs honorables personnages à faire dresser leurs enfants pour atteindre des charges (grades), et par ce moyen pourvoir votre Pays de Vaud de preux et bons soldats pour la nécessité. Et, afin d'éviter tout désordre, débats, confusion, lorsqu'il plaira à VV. EE. de lever une armée, qu'il soit requis que les soldats Romands soient conduits par un capitaine qui ait la connaissance de leur langue, et de celle des allemands, afint qu'il n'y ait aucune discorde et dissention à cause de la diversité du langage....
Plaise aussi à VV. EE. que les bourgeois de Berne et vos autres sujets allemands soient avertis, et sérieusement interdits de n'user, envers vos sujets du Pays de Vaud, de propos piquans, sarcasme, mépris et injures, sous prétexte qu'ils ne sont pas de même nation et langage.
Supplient aussi, vos affectionnés vassaux et sujets du Pays de Vaud, que vos gens y ayant commandement, se comportent mieux, et exercent plus diligemment et plus fidèlement que du passé, et aussi qu'ils observent l'entier contenu de vos réformes, lois et statuts, afin que par ce moyen, l'on voie, rière vos Etats, fleurir et entretenir une chrétienne vie et vrait police et société humaine.
VV. EE. sont aussi humblement priées de vouloir annuellement (ou lorsqu'il leur plaira) envoyer quelques délégués de leurs conseils en leur Pays de Vaud, lesquels prendront la peine d'aller de lieux en lieux, y prendre soigneuse information des déportements, tant des seigneurs baillis, ministres, gentilshommes, gens d'office, justiciers, assistans des consistoires, receveurs, commissaires, que d'autres vos sujets; afin que par ce moyen les défaillants à leurs charges, offices et devoirs, et autres se dévoyant de vos statuts, soient punis et châtiés, et induits à faire mieux, et à se contentir dans leurs devoirs21.
Les plaintes renfermées dans cette adresse, contre les agents du gouvernement, émurent les conseils de Berne. Depuis longtemps «les plaintes de concussion, d'abus d'autorité, de mépris du pauvre, arrivaient de toutes parts, dit le continuateur de Muller, Mr Vulliemin. La conduite hautaine des gouvernants, leurs rapines, le dérèglement de leur vie, étaient l'objet d'un murmure général. Berne eut le courage d'y vouloir porter remède : elle nomma un Conseil-de-Réforme. Elle invita les communes à choisir chacune un homme d'Eglise et un citoyen, qui vinssent déposer sur les vices de l'administration. David Tscharner, bailli de Morges, gravement inculpé, fut convaincu de concussions; il eut la tête tranchée, après avoir été dépouillé des insignes de son rang. Pierre de Werdt, gouverneur d'Aigle, et Josué Gatschet, gouverneur de Payerne, furent condamnés à l'exil et à des amendes de mille et deux mille couronnes. Pierre de Watteville, qui, par de perfides intrigues, avait compromis un Vaudois, nommé Pierre Moratel, dut lui payer dix mille couronnes de dédommagement22.»
Toutefois, si Berne sévissait avec rigueur contre ses patriciens convaincus d'abus d'autorité, elle voyait avec inquiétude l'esprit public se développer dans le Pays de Vaud. Aussi elle interdit les assemblées des villes et de la noblesse, et lorsque, en 1621, les députés de Vaud vinrent à Berne, présenter des observations sur plusieurs articles du nouveau Coutumier, LL. EE. répondirent par un refus absolu; elles enjoignirent de s'abstenir de ces assemblées, et signifièrent :
«1o que les villes supporteront les dépenses de leurs députations à Berne, sans en charger les manans et habitants hors des villes, et les pauvres paysans, resortissants de messeigneurs de Berne; 2o que les dites villes sont averties et admonestées de se conduire plus avisément à l'avenir, et de mieux employer leurs revenus23.»
Cet ordre était formel. Néanmoins, les villes persévérèrent; elles continuèrent à s'assembler, et sous le prétexte d'aviser à la correction du Coutumier de 1616, qui avait abrogé plusieurs libertés du Pays de Vaud, elles convoquèrent à Morges, pour le 13 juin 1621, les députés de la noblesse, et maintinrent, ainsi, le principe de l'existence des Etats de Vaud. La noblesse se fit représenter par Mr d'Alinges, baron de Coudrée, Mr de Blonay, Mr Le Marlet et Wufflens, et Mr d'Hennezel d'Essert. L'assemblée s'occupa du Coutumier; puis, voulant se constituer, elle adopta le règelement suivant :
Les Seigneurs députés des Villes et de la Noblesse du Pays de Vaud :
Désirant se mettre d'accord en leurs affaires communes et faire cesser toutes mésintelligences;
Ayant charge et agissant au nom des seigneurs leurs constituants, et sous l'autorité de LL. EE.
Ont pris et fait les résolutions suivantes que Dieu veuille bénir!
En premier lieu, ils employeront en bonne concorde et union comme frères et vrais patriotes tout ce que Dieu leur a donné de pouvoir et savoir pour l'avancement de son honneur et gloire, à la maintenance et augmentation de l'Etat, et au bien et profit de leurs souverains seigneurs et supérieurs de la ville de Berne; ainsi qu'au bien, profit et utilité de leur commune et chère patrie, sans que les uns entreprennent de rien négocier, ni traiter concernant la chose publique sans en avertir et y appeler les autres.
Afin d'entretenir la dite concorde, il se fera toutes les années une assemblée des députés de la noblesse et des villes, le dimanche précédant la Pentecôte, dans l'une des dites villes, en commençant pour la première à Moudon.
Le but des dites assemblées sera tant pour une plus étroite liaison et entretien d'amitié et concorde, que pour conférer et résoudre des choses qui pourraient être utiles à LL. EE. et au bien de la patrie, que pour se remonter charitablement et fraternellement ce qui pourrait être reconnu des uns des autres touchant à leur dommage ou à diminution de réputation.
L'ordre d'icelles assemblées sera qu'en allant aux séances un seigneur commis de la noblesse sera accompagné d'un seigneur des dites villes. Les seigneurs commis de la noblesse prendront leur siège d'un côté, et vis-à-vis seront assis les seigneurs commis des villes selon leurs rangs. Pour l'ordre de recueillir les voix et suffrages, le commencement se fera par les seigneurs commis de la noblesse, au premier fait qui sera proposé, et dès lors, les seigneurs commis des villes, commençant par ceux de Moudon, auront à leur rang leur première voux, jusqu'à ce que de rechef il faille commencer par les seigneurs commis de la noblesse, et ainsi suivre de l'un à l'autre de fait en fait. Bien entendu qu'il y eût deux commis d'un lieu, et qu'un seul commis d'un autre lieu, l'opinion des deux commis du même lieu ne sera reçue que pour une. S'il arrivait que les seigneurs commis de la noblesse fussent d'un avis, et que les seigneurs commis des villes fussent d'un autre avis, sans s'en pouvoir départir, il n'arrivera pourtant aucune division entr'eux; mais chacun des dits commis se communiquerait réciproquement et par écrit leurs raisons et fondemens de leurs opinions, qui seraient communiqués à leurs constituants, pour y apporter les modifications et accommodements nécessaires, desquels par lettres on se donnera avis pour les résoudre, soit par lettres, soit par assemblées, s'il en est requis. Hors d'un tel accident, on se rangera à la pluralité des voix.
S'il écheoit occasion, pour laquelle il fût requis de faire une assemblée extraordinaire, on s'en donnera avis l'un à l'autre, et il sera choisi temps et lieu pour y procéder, dont le choix appartiendra pour la première fois aux seigneurs commis de la noblesse, et suivamment aux villes, selon l'ordre déclaré et ordonné à recueiller les voix et suffrages.
Aux dites assemblées s'observera toute modestie de faits et de paroles, sans pique ni altértion comme aussi aux convicules (repas) qui se feront, lesquels seront accompagnés de toute sobriété, bienséance et bons exemples.
S'il arrivait, que Dieu ne veuille! que quelque différend se suscitât pour quoi que ce soit, entre quelques-uns des députés étant ainsi assemblés, ils seront teunus s'en remettre à la déclaration des autres, là présens, qui tâcheront au même instant, et sans aucun délai par toute voie de les accommoder. Le refusant d'accepter la dite déclaration, payera pour son refus six écus petits qui seront employés aux fraix qui se feront aux assemblées.
S'il arrivait occasion de faire voyage à Berne pour, par humble requête, représenter à LL. EE. quelques faits retardant leur service et intérêt de leurs sujets et pays, il y aura deux seigneurs députés de la noblesse, at aussi deux pour les villes. Les frais se payeront, le tiers par le dite noblesse, et les deux tiers par les dites villes.
Finalement, s'étudieront et tiendront main, les seigneurs gentilshommes, un chacun rière sa juridiction, à ce que les procès, querelles et animosités soient assoupies et pacifiées, et tous différends et plaidoieries (qui bien souvent ruinent les biens, le corps et l'âme), soient évitées et prévenues par bons accords. Comme aussi les conseils des villes feront de même envers les bourgeois et habitants d'icelles, afin que la paix, étant entre grands et petits, celle de Dieu repose au milieu de nous, à la gloire de son saint nom, au contentement de notre souverain magistrat, au repos de nos âmes et à l'édification de l'Eglise du Seigneur, qui nous en fasse la grâce. Amen!
Les Etats, ainsi constitués, se réunirent plusieurs fois pendant les années 1621 et 1622, et envoyèrent à Berne les doléances du Pays de Vaud. Ils réclamèrent au sujet de la solde de la garnison de Nyon, que Berne faisait payer par le Pays de Vaud. En janvier 1622, les Etats, assemblés à Lausanne, portèrent plainte contre le bailli d'Yverdon et les commissaires bernois, au sujet de maintes extorsions. En juin de la même année, ils votèrent un subside pour la construction des fortifications de la ville de Berne, et le 6 de décembre adressèrent la requête suivante à LL. EE., au sujet de l'extrême misère qui désolait le Pays de Vaud :
Magnifiques, hauts, puissans et très-honorés seigneurs!
Votre pauvre peuple et fidèles sujets du Pays de Vaud, après avoir longuement soupiré sous la pesante affliction de cherté qui depuis plusieurs âges n'a eu sa semblable, et que l'espace de 18 mois en ça voire va croissant de jour à autre avec plusieurs lamentables effets, précurseurs, si Dieu n'y pourvoit, d'un piteuse famine, a été finalement contraint d'envoyer ses commis et députés tant du corps de la noblesse que des villes à vos excellences, leur souverain et très-bénin magistrat, pour répandre à vos pieds leurs lamentations et déclarer les causes que l'expérience leur fait connaître, en attendant de vos prudences, bénignité et tendre amour envers votre dit peuple, les remèdes et soulagemens nécessaires.
Les plaintes et lamentations donc, magnifiques, très-bénins seigneurs, procèdent d'une longue et croissante douleur que néanmoins s'exprime en peu de paroles, c'est en somme la cherté déplorable qui a pris son commencement dès le mois de mai en l'année 1621, a continué son progrès et accroissement comme une gangrène au corps de votre état, et le menace de destruction totale par ses deux effets qui commencent à paraître et se rendent de jour à autre plus évidens, l'un est que déjà des familles entières d'artisans qui n'ont que le travail de leur bras pour entretien et de leurs enfans, ont fermé les portes de leur habitation, et vont cherchant d'un regard pitoyable leur pauvre paine et vie; l'autre, que les laboureurs et vignerons, lesquels ont déjà dès l'année passée mangé d'avance la prise, laquelle ils ont recueillie à ces vendanges passées, voire outre ce sont si avant en dettes que de longtemps ils ne s'en acquitteront, quittent leurs vignes et labourage, fors ceux qui ont des maîtres riches et puissans pour les assister : pour aller gagner leur pain en d'autres lieux circonvoisins où la cherté n'a été ni n'est encore; et de là indubitablement arrivera que plusieurs vignes seront tellement détruites qu'il faudre un bon nombre d'années pour les remettre en bon état, et quantité de terres demeureront en friche, notamment celles qui se doivent investir à ces primeurs, d'autant que les paysans mangent dès à présent les semens qu'ils doivent lors semer, même déjà quelques-uns réduits à telle et si déplorable nécessité qu'ils font du pain de gland, dont deviendra continuation de pauvreté, si Dieu n'a pitié de son peuple, une totale famine, et outre la perte des dîmes et censes de vos excellences qu'ils ne pourront payer.
Quant aux causes de la susdite misère, étant exactement recherchées, on ne les peut adapter qu'à la variété du prix et valeur des hautes monnoies et à la foiblesse des menues, pour les raisons visibles et palpables qui s'ensuivent.
La première est que, grâce à Dieu, les deux récoltes tant de l'année passée que de la présente ont été assez bonnes et autant abondantes que quelques autres dès vingt ans en-ça, que néanmoins pour approche la cherté de deux tiers à la présente; et encore aux plus rigoureuses, elle ne s'est étendue que sur le blé et sur le vin, maintenant elle est généralement sur toutes choses.
Ce n'est donc faute de vivre que les vivres et autres choses sont enchéries, mais est indubitablement le pernicieux trafic de plusieurs personnes hors de votre état, vuides de charité et pleines d'avarice, on fait ès lamentables guerres de Bohême et Allemagne des espèces d'or et d'argent qui avoient là leur cours extraordinairement haut.
La seconde et très-évidente est qu'aux lieux où les espèces sont demeurées en leur ordinaire valeur sans surhaussement, comme en France, Savoie, Bourgogne et autres lieux, la cherté n'y a donné aucune atteinte, ains toutes choses sont demeurées à prix ordinaire et favorable et y subsistent encore, en sorte que ce qu'il faut payer un homme à un seul repas rière vos états, suffirait au voisinage pour le nourrir deux jours abondamment, et tel est aussi le prix de toutes autres choses à proportion.
La troisième que au lieu que ci-devant l'acheteur marchandoit ce qu'il voulait acheter, maintenant le marchand ou vendeur marchande l'argent et l'acheteur avant que priser sa marchandise, haute ou basse; c'est donc en l'argent où est la cherté et non en la marchandise.
En quatrième lieu et pour exemple très-certain, on peut considérer l'horrible nécessité qui arriva en l'année 1586, en laquelle plusieurs pauvres personnes moururent misérablement de faim, et la plupart se nourrissant d'herbes et racines, cependant, le plus haut prix du sac de blé n'arriva que jusqu'à 70 florins, au lieu qu'à présent il en coûte cent; et encore la disette ne dura qu'environ trois mois, mais la présente cherté en a déjà passé dix-huit; de rechef donc, on voit clairement que la nécessité n'est aux vivres mais en l'ordre ou désordre de l'argent.
Or comme vos excellences, magnifiques, hauts et puissans seigneurs, sont non-seulement seigneurs et maîtres, mais aussi pères de leur peuple, veillant et travaillant au bien d'icelui, elles ont aussi par un grand et continuel labeur tâché d'ôter le mal présent provenant des dites monnoies et prévenir à l'avenir, sans que toutes leurs bonnes et saintes intentions aient pu sortir leur plein effet, qui est sans doute une punition de Dieu sur son peuple pour ses péchés.
Etant néanmoins le dit soulagement espéré par les effets de votre dernier règlement établi au mois d'octobre dernier passé, par lequel les grosses espèces ont été mises à tel prix, que maintenant vos sujets du pays de Vaud peuvent facilement négocier avec leurs voisins, dont aussi ils remercient vos excellences en toute révérence24.
Ces requêtes continuelles, ces députations qui, sans cesse, se présentaient devant les conseils de Berne, ces assemblées des villes, celles de la noblesse, enfin, les réunions annuelles des Etats, préoccupaient le Pays de Vaud, y produisaient un goût d'innovation et y développaient un esprit national, qui portaient ombrage au gouvernement bernois. L'oligarchie, née pendant le XVIme siècle, avait jeté de profondes racines à Berne. Cette ville traitait d'égal à égal avec ses alliés les souverains étrangers, et son ennemi qui, depuis trente années, le menaçait, Charles-Emmanuel de Savoie, était désormais son allié. Berne lui donnait des secours et des régiments contre l'Espagne pour conquérir la Lombardie, et ce prince donnait en échange des titres, des honneurs et des pensions, aux patriciens bernois. Les villes souveraines de la Suisse avaient constitué chez elles une aristocratie qui règnait sans contrôle. Fribourg, Soleure et Lucerne, avaient leur patriciat, les Petits-Cantons leurs familles gouvernementales, Bâle et Zurich une haute bourgeoisie qui cultivait les arts industriels et absorbait le pouvoir. Le peuple genevois, lui-même, avait abdiqué en faveur d'une aristocratie bourgeoise, qui succédait au gouvernement puritain et démocratique de Calvin. Tout conspirait ainsi en faveur de l'oligarchie bernoise; elle pouvait régner, selon son bon plaisir, sur ses sujets des bailliages allemands et vaudois. Aussi, pour comprimer, pour étouffer l'esprit public et les idées d'indépendance, qui se développaient chaque jour davantage dans le Pays de Vaud, elle rendit impossible la libre réunion des députés des villes, des communes et de la noblesse. Sous le prétexte le plus futile, elle fit savoir aux Vaudois, par le mandat suivant, que, désormais, ils devaient renoncer à leur représentation nationale, et obéir à un gouvernement absolu.
L'Avoyer et Conseil de la ville de Berne, à nobles et honorables, mes chers et féaux de la ville de ...., salut!
Nous avons vu depuis quelques années en ça que vous avez entrepris et pratiqué de tenir assemblées à votre plaisir, sans le plus souvent le sçu et permission de nos baillis. Vous chargeant, par ce moyen, non-seulement vous-mêmes, mais aussi le reste de nos bien-aimés sujets, de missions et dépenses inutiles, qui pourraient être mieux appliquées, vu que la plupart du temps nos autres sujets ignoraient pourquoi de telles assemblées se tenaient, et n'avaient ainsi nullement consenti. Or, comme vous devez être sans doute que Nous vous avons par cidevant et par diverses fois avertis de vous garder de faire assemblées pour aucun sujet, que préalablement nos baillis ne soient avertis au sujet d'icelles, Nous sommes de tant plus ebahis qu'à cela vous êtes contrevenus. Aussi, Nous aurions juste sujet de vous faire ressentir le déplaisire que Nous avons reçu. Cependant, pour vous faire témoigner abondamment notre paternelle patience, et notre inclination de n'aller à la rigueur, et dans l'espérance que vous ferez à l'avenir meilleur considération de vos actions et devoirs, Nous Nous contentons de vous avertir et admonester, encore pour cette fois, de n'entreprendre, ci-après, de telles assemblées, ni aussi d'y convoquer les autres nos sujets, sans le sçu et le consentement de nos baillis, après lui avoir donné à connaître le sujet d'icelles.... Sur ce, comme Nous voulons Nous assurer de votre candite obéissance et affection envers Nous, Nous prions Dieu qu'il vous ait en sa sauvegarde à jamais.
Donné ce 27 décembre 162225.>
Sources principales : Archives de l'Etat de Vaud. - Archives des Villes. - Grenus, Documents.
1Haller, Conseils pour former une bibliothèque.
2Ruchat, Hist. de la Réf., I, 267.
3Voyez Verdeil, Hist. du Canton de Vaud, I, 360.
4Manuel de Lausanne, 1590, 1591.
5Archives de Morges.
6Registres du Conseil de Nyon. - Grenus, 349.
7Grenus, 346.
8Archives de Morges.
9Grenus, 351.
10Registre du Conseil de Moudon.
11Archives des Villes. - Grenus, 350 à 360.
12Archives de Morges.
13Lettre du bourgmaître de Crousaz aux villes du Pays de Vaud. - Archives de Moudon.
14Registres du Conseil de Moudon, 15 septembre et 25 octobre 1603.
15Archives de Nyon. Copie dans le No 26 de la layette A. - Grenus, 367.
16Archives de Lausanne.
17Mandat du 16 novembre 1603.
18Registres du Conseil de Morges, du 13 may 1605.
19Archives de Morges.
20Archives cantonales.
21Archives de Moudon, Copie de la requête présentée en 1615 par les Députés du Pays de Vaud. - Grenus, 379.
22Vulliemin, XII, 416.
23Archives de Nyon.
24Archives de Morges.
25Archives de Nyon.