Cette charte constitutionnelle est divisée en 172 articles, dont les 17 premiers renferment les Reconnaissances d'Ardutius, dont nous avons donné la traduction dans un chapitre précédent.
Après avoir rappelé que l'Evêque, nommé par le chapitre des chanoines, exerce le pouvoir souverain, le Plaict-Général pose des limites à ce pouvoir, et statue que les Etats, nommés aussi Plaict-Général, sont composés de trois ordres : le Clergé, les Nobles et les Bourgeois.
Les Etats sont présidés par l'Avoué de l'Evêque, ou avoyer; ils doivent être consultés pour faire des statuts nouveaux, établir de nouvelles pénalités, battre monnaie et administrer la haute justice.
Ils sont convoqués par trois publications dans les églises de Lausanne, de Lutry, de Belmont, d'Ecublens, de St-Germain et de Prilly; dans celles des Quatre-Paroisses-de-Lavaux, d'Avenches, de Lucens, de Curtilles, de Bulle et de Laroche.
Les séances ont lieu à Lausanne, dans une maison de la rue de Bourg; elles durent trois jours, pendant lesquels les Etats s'occupent des questions qui leur sont soumises et des procès.
La Grande Cour Séculière, composée des trois ordres, mais seulement de la ville, avait les mêmes attributions que les Etats, mais pour la ville seule.
L'administration de la justice était partagée entre plusieurs tribunaux, divisés en deux classes : les tribunaux ecclésiastiques et les tribunaux séculiers.
Tribunaux ecclésiastiques : le Cour de l'Official, la Cour du Chapitre, la Cour des Doyens, la Cour des Prieurés. On pouvaut en appeler de ces cours à l'archevêque de Besançon, et de celui-ci au Pape. Les ecclésiastiques seuls relevaient de ces cours.
Tribunaux séculiers : les Etats, ou Plaict-Général; la Cour Séculière, et les Cours du Sénéchal, du Sautier, du Mayor et du Mestral; dans les campagnes, les cours des Châtelains, des Mayors, des Sénéchaux et des Seigneurs.
Enfin, la Cour Féodale était seule compétente pour connaître des causes qui regardaient les nobles et leurs serviteurs.
L'appel des jugements de ces cours était porté à la Grande Cour séculière, et de celle-ci à une cour désignée, selon l'influence de l'Empire ou de la maison de Savoie, ou l'indépendance plus ou moins grande de l'Evêque, par le nom de Cour Impériale, de Cour de Billens, ou de Cour des Appellations de l'Evêque.
Chacun de ces nombreux tribunaux était composé, en général, d'un seul juge, assisté d'assesseurs.
La Grande Cour Séculière était présidée par l'Avoué de l'Evêque, et les citoyens de la rue de Bourg y siégeaient en leur qualité de coutumiers ou jurés.
Voici ce que le commentaire du Plaict-Général dit à l'égard des gens de la rue de Bourg comme coutumiers :
Item. Les citoyens de Bourg sont obligés de se rendre à la cour du seigneur Evêque, et quand ils y seront mandés pour juger ou pour donner leur conseil sur quelque désaccord, ce désaccord doit, sur le champ, être mis d'accord, sans que rien doive les en empêcher, quand même les dits citoyens seraient prêts à dîner, et qu'ils se laveraient les mains pour dîner; quand ils seraient assis à table ou qu'ils auraient un étranger à dîner chez eux; quand même ils auneraient de l'étoffe et qu'ils voudraient la ployer : rien ne les empêcheraient. Mais ils doivent tout quitter pour aller auprès du seigneur Evêque dans sa cour.... Et pour cela, toutes les maisons de Bourg sont franches de tout Laud, et doivent toujours l'être, depuis la maison appartenant autrefois à Humbert Pontzin, et ensuite à Martin de Rive, et depuis le coin de la grande boucherie jusqu'à la porte de St-Pierre, et ils peuvent avoir des meises, étalages, plantés devant leurs maisons et non pas les autres personnes de la ville.
Les seuls citoyens du Bourg avaient d'autres priviléges. Ainsi, ils pouvaient seuls avoir des auberges, et aucune boutique de foire ne pouvait s'ouvrir à Lausanne que dans leur rue. Ces foires étaient annoncées dès la veille en ces termes par le crieur : La feyri vo fa lous cria. Lo Larron il est trouva, il sera pindu et exterpa! C'était une mannière de donner de la confiance aux marchands de la rue du Bourg, et de les engager à étaler leurs marchandises.
Comme dernier appel du jugement des diverses cours de justice, le combat judiciaire était souvent employé. Une fois que laquelle on l'adressait, la cour examinait s'il avait lieu d'adjuger le combat. Si elle l'autorisait, chacune des parties devait fournir une caution au moins de soixante sols, après quoi elle fixait aux combattants un délai qui ne pouvait être moindre de six semaines, afin qu'ils eussent le temps de se préparer. Si les parties n'étaient pas de conditions égales, le Plaict réglait le choix des armes dans les termes suivants :
Si l'appelant est noble et l'appelé paysan ou bourgeois non noble, on doit adjuger et ordonner à l'appelant les mêmes armes rustres qu'on adjuge à l'appelé, parce que le noble, appelant le paysan au combat, renonce, dans ce cas, à sa noblesse. Si un paysan ou bourgeois non noble appelle un noble, le noble n'est pas obligé d'accepter le duel.
Les armes de nobles combattants doivent être bonnes, fortes, d'acier, et ils doivent être armés depuis la plante des pieds jusqu'à la tête inclusivement. Mais si un noble appele un bourgeois ou un paysan, les armes du noble doivent être les mêmes que celles du paysan ou du bourgeois.
Les nobles combattaient à cheval, et armés de pied en cap, avec la lance, l'épée, la hache d'armes et le bouclier; les bourgeois combattaient à pied, avec l'épée, l'épieu et la dague; les paysans avec le bâton et la dague.
Les femmes étaient aussi admises au combat judiciaire. Si deux femmes avaient à combattre l'une contre l'autre, elles devaient s'armer de trois pierres renfermées dans un sac. Si une femme avait à combattre contre un homme, celui-ci, «afin d'égaliser les chances, dit le commentaire, doit être revêtu d'un corcelet de cuir bouilli, se placer, pour le combat, dans un creux large de neuf pieds et profond de trois, et être armé d'un bâton et d'une dague droite. La femme, placée en dehors du creux, se cuirasse de linges, et s'arme d'un sac contenant trois pierres.»
La place du combat ayant été convenablement disposée, les combattants prêtaient serment entre les mains d'un prêtre; les officiers de l'Evêque se tenaient prêts à entendre la déclaration des combattants, puis le signal était donné. L'attaque appartenait à l'appelant, et le combat fini, le vaincu, ou celui qui s'avouait coupable, était mis à mort, à moins que l'Evêque ne lui fit grâce; dans tous les cas ses biens étaient confisqués au profit de l'Evêque.
Le Plaict-Général contient un grand nombre d'articles sur les marchés, les foires, la vente du vin et des denrées, sur les poids et mesures et sur la frappe des monnaies. Les articles concernant la police démontrent que, déjà à cette époque, la police sanitaire n'était point négligée. Ainsi, les fumiers ne devaient être laissés dans les rues au-delà de trois jours; les bouchers et les tripiers ne pouvaient fondre du suif dans l'intérieur de la ville; les bouchers étaient obligés de jeter les viandes provenant de bêtes ladres; les viandes de bouc et de bélier ne pouvaient être vendues dans les boucheries, afin qu'elles ne fussent pas prises pour de la viande de meilleur qualité; le poisson, dont on faisait alors une grande consommation, apporté au marché pour la seconde fois, devait avoir la queue coupée, afin qu'il ne fût vendu comme frais; les porcs laissés errant dans les rues étaient confisqués.
Les règelements de police sur la vente du vin, du poisson et du pain, étaient également sévères; mais tous étaient, en général, rédigés à l'avantage des citoyens et des bourgeois de la ville. Ainsi : le vendeur sur le marché ne pouvait vendre ses denrées qu'au refus du bourgeois ou du citoyen. Et si les taverniers avaient des garanties contre le buveurs de toutes classes, ils avaient, en revanche, des devoirs à remplir envers eux.
Item. Celui qui boit et demande quelque chose dans un taverne et ne paie pas son écot, le tavernier peut lui imposer le bamp de taverne, afin qu'il paie avant qu'il s'en aille; et s'il ne paie pas, le tavernier peur faire clame contre lui, et le seigneur est tenu de l'obliger de payer sur le champ au travernier ce qu'il doit, et de retirer le bamp de trois sols. - Si quelque bonne personne (bona persona), s'enivre de nuit dans une taverne, et qu'il refuse de payer ce qu'il a dépensé, le tavernier doit le conduire ou le faire conduire dans sa maison, ou dans son logis, avec une chandelle, et le lendemain il peut se faire payer de la dite personne, et le tavernier est cru sur son serment jusqu'à cinq sols seulement.
Les droits de l'Evêque sur les diverses industries, sur les ventes faites au marché et aux boucheries étaient nombreux et productifs. Ainsi, les maréchaux, les tonneliers et d'autres maîtres de métiers devaient chacun, à l'Evêque, un certain nombre de journées de travail pendant le courant de l'année; les charretiers lui devaient chacun un transport de vin et de vendange par an; les cordonniers étaient soumis au droit de savaterie, en vertu duquel ils donnaient chaque année trois paires de souliers de l'Evêque, etc., etc.
Le Plaict énumère plusieurs priviléges de la bourgeoisie de Lausanne, entr'autres celui de prendre du bois dans les forêts des Râpes. Il accorde la liberté au serf qui, s'étant réfugié dans la ville, aurait résidé pendant un an sans être réclamé.
Quant à l'administration municipale, le Plaict n'en pouvait faire mention, car ce ne fut qu'à la fin du XIVe siècle que Lausanne eut un conseil plus ou moins indépendant de l'administration épiscopale.
Tous les hommes en état de porter les armes devaient la chevauchée à leurs frais, mais pour un jour et une nuit seulement. Pour un service militaires d'une plus longue durée, les états en décidaient, et les frais demeuraient à la charge de l'Evêque.
«L'Evêque, dit le commentaire, fournit toutes les dépenses des cavaliers pour leurs armes. Quand la cavalerie de Lausanne sort avec ses étendards et fait des prisonniers, ceux-ci doivent être remis au seigneur Evêque, qui est obligé de donner à ceux qui les ont pris, cinq sols lausannois par prisonnier; les chevaux pris et leurs éqipages restent pour qui les ont pris. La perte des chevaux est à la charge du seigneur Evêque.»
Les bourgeois qui ne prenaient pas les armes lorsqu'ils étaient appelés par l'Afforcry, étaient punis par une amende, et les nobles par la perte de leurs fiefs.
Chaque année, les citoyens devaient se présenter en armes, aux monstres d'armes, revues de cette époque, sous peine de soixante sols d'amende1.
1Pour plus de détails, voyez dans le vol. VII des Mém. et Doc. de la Soc. d'Hist. de la Suisse romande, l'ouvrage de MM. de Gingins et F. Forel sur l'ancien évéché de Lausanne. - Voyez aux archives de Lausanne, la traduction française du Commentaire du Plaict-Général, par Pierre-Daniel Tissot et Fréderic Bergier.